Au lendemain de l’annonce historique du pape qu’il quittera sa charge pontificale le 28 février prochain, un expert en droit canon, Manuel Jesus Arroba, de l’Université pontificale du Latran (PUL), explique en quoi consiste cette renonciation du pape et quelles sont ses implications au plan juridique.
Zenit – Professeur, qu’avez-vous ressenti en apprenant la nouvelle que le Saint-Père renonçait à sa charge ?
Manuel Jesus Arroba – Bien entendu, toute nouvelle que l’on apprend suscite de l’émotion, et dans le cas présent, la surprise fut considérable de même que l’émotion due à l’affection que j’éprouve pour la personne de Benoît XVI. En raisonnant froidement, intellectuellement, je dois dire que j’ai ressenti une certaine joie de voir se traduire en fait concret quelque chose qui est essentielle pour la vie de l’Eglise: les charges de responsabilité qui doivent gouverner l’Eglise ont l’occasion de se manifester comme un vrai service. Celles-ci n’existent pas pour les personnes : ce sont les personnes qui sont appelées à exercer, par leurs charges, la vocation à laquelle le Seigneur les a appelées, bien entendu ici, à travers la médiation du Collège des cardinaux qui confie cette charge. Mais celle-ci n’a de sens que si l’on est dans les conditions de la poursuivre. De ce point de vue là j’ai admiré l’authenticité vocationnelle de Benoît XVI.
Pouvez-vous expliquer le fonctionnement de la règle canonique qui permet à un pape de renoncer à son ministère ?
C’est justement parce qu’il s’agit d’une charge et d’un service que, canoniquement, pour chaque fonction sont prévues des normes d’accès et de cessation. La mort n’est qu’une des modalités de sa cessation; il y en a d’autres comme les transferts et les destitutions (pénales aussi). La « renonciation » est celle qui reflète le mieux la nature de service de ces fonctions.
Dans le cas du pape, celle-ci est prévue par le Code de Droit Canon et elle est la même que pour toute autre renonciation, avec une seule distinction: toutes les renonciations doivent être accomplies par des personnes « capables », donc libres, ne peuvent être le résultat d’une contrainte, d’une violence ou d’un moment de trouble. Et puis elles doivent être annoncées de manière valable : cette modalité, pour certaines charges, exige un acte solennel. Dans le cas de Benoît XVI, celui-ci a fait connaître formellement sa décision en faisant une déclaration et non une demande. Il l’a annoncée à un groupe restreint de cardinaux durant un consistoire.
Enfin, chaque renonciation pour être pleinement efficace doit être acceptée par le supérieur dont dépend chaque charge: dans le cas du pape, n’existant aucun rang supérieur, la renonciation ne doit être acceptée par personne mais uniquement proclamée librement. D’ailleurs le pape n’a pas utilisé l’expression « je demande » mais « je déclare ».
Au plan canonique, qu’arrivera-t-il à Benoît XVI? Sera-t-il un « pape émérite » ? Quand le Seigneur le rappellera à lui, reposera-t-il à Saint-Pierre?
Le fait que la fin du pontificat n’ait pas lieu à cause de la mort mais par simple renonciation, n’empêche absolument pas que le pape puisse avoir sa tombe à saint-Pierre, mais c’est une situation un peu lugubre à imaginer … Juridiquement il ne peut y avoir qu’un seule pape. Un « pape émérite » ne peut pas exister : la charge qu’il recouvre est suprême, soit la plus haute en termes de responsabilité. Benoît XVI a déclaré que dans les années à venir il servira l’Eglise d’une autre façon, non plus comme Souverain pontife mais par la prière et l’étude. Son service, d’un certain côté, sera celui du moine et du contemplatif, et non plus celui d’un homme qui gouverne.
Il n’y aura donc qu’un seul pape, même si celui qui a exercé cette charge avant lui est encore en vie, et ce n’est pas la première fois que cela se vérifie dans l’histoire de l’Église, même si ces cas ne sont pas très fréquents: ici, en Italie, tout le monde se souvient du cas de Célestin V, qui fut un moine élu pape au cours d’un conclave difficile et qui, très peu de temps après son élection avait estimé ne plus pouvoir assumer correctement ce service et avait démissionné. Mais il y a eu d’autres cas moins connus.
Cette situation reste extraordinaire pour l’Eglise, mais ce n’est pas la première fois : il faut comprendre que la forme physique des personnes aujourd’hui ont évolué, elles durent plus longtemps, mais cela ne veut pas dire que la possibilité de servir aussi bien aillent toujours avec. Et puis le volume et la quantité des défis qui se présentent à l’Eglise, non pas en tant que tel mais comme Saint-Siège, c’est-à-dire comme bureau suprême, ont changé. Dans la société et dans la communication, en particulier, les défis qui demandent de l’énergie sont beaucoup plus nombreux, comme a dit le pape.
Pour conclure, souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Le pape a le ministère de confirmer dans la foi, donc bien entendu pour cette charge, c’est un autre qui sera élu à ce service. Il est intéressant dans cette circonstance de voir la normalité de l’Eglise qui passe d’un siège occupé à un siège vacant, pour ensuite passer de nouveau à un siège occupé, selon les normes déjà prévues, donc, selon la constitution en vigueur, dans le cas d’un siège vacant. Le siège vacant est une chose, la mort du pape en est une autre. La mort du pape n’est qu’une modalité de production du siège vacant, la renonciation une autre modalité.
Traduction d’Océane Le Gall