« Qu'est-ce que l'orthodoxie ? », d'Antoine Arjakovsky

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Publication en France, le 14 février 2013

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« Qu’est-ce que l’orthodoxie ? », c’est le titre du nouveau livre d’Antoine Arjakovsky, directeur de recherches au Collège des Bernardins à Paris et directeur émérite de l’Institut d’Etudes Œcuméniques de Lviv en Ukraine. Il sort en librairie en France, demain, 14 février 2013 chez Gallimard. Rencontre avec l’auteur.

Zenit – Pourquoi un nouveau livre sur l’orthodoxie? A qui s’adresse-t-il?

Antoine Arjakovsky – Il y a eu effectivement beaucoup de livres sur l’orthodoxie. Mais il s’agissait de livres qui privilégiaient l’approche confessionnelle, c’est-à-dire une approche quelque peu triomphaliste identifiant les frontières d’une seule Eglise avec la vérité. Aujourd’hui pour mille raisons que j’expose dans ce livre une telle démarche n’est plus satisfaisante ni sur le plan rationnel ni sur le plan spirituel. Il faut donc reprendre toute la question sur de nouvelles bases.

Ce livre Qu’est-ce que l’orthodoxie ? s’adresse donc à toute personne de bonne volonté qui s’interroge sur l’histoire des relations entre foi et raison (qui ont aboutit à un certain moment à une séparation entre les notions de vérité et d’orthodoxie), sur l’histoire de l’Eglise (et en particulier sur la capacité d’intégrer dans le récit historique les guérisons de la mémoire qui se sont produites dans le dialogue œcuménique entre catholiques, protestants et orthodoxes), ou encore sur l’organisation de la mondialisation aujourd’hui (avec notamment cette question des capacités qu’ont les « modernes » et les « religieux » à s’entendre sur un ordre international juste et respectueux des identités locales). J’aborde peu la question de l’orthodoxie hors du christianisme car c’est une notion historiquement chrétienne, mais ce que je dis de l’orthodoxie dans la culture chrétienne permettra de renouveler la réflexion au sein de la culture juive, musulmane, mais aussi au sein de la culture « laïque ».

Malheureusement je ne suis pas encore en mesure d’exposer mes vues de façon parfaitement limpide et brève. C’est pourquoi je crois honnête d’ajouter que ce livre de 600 pages demande de la patience et de la concentration à celui ou à celle qui voudra bien me suivre dans mes réponses. Je peux garantir en revanche que le cheminement que je propose ouvre de nouvelles voies très prometteuses sur tous ces sujets.

Comment lire votre livre?

Dans un premier temps je déconstruis ce qu’on a coutume de comprendre par « orthodoxie ». L’introduction s’adresse aux historiens laïcs et montre qu’on ne peut déconnecter la sociologie de l’orthodoxie avec le contenu de foi qu’elle comporte. Tandis que la première partie est destinée aux historiens confessionnels pour leur faire admettre qu’une Eglise même la plus orthodoxe qui soit (je prends l’exemple de l’Eglise Orthodoxe) ne peut s’identifier entièrement avec la notion d’orthodoxie. Il y a aujourd’hui en particulier un décalage de plus en plus criant entre ce que nous entendons par orthodoxie (la mémoire fidèle) et l’orthopraxie (notre style de vie).

C’est la raison pour laquelle il me faut reconstruire dans une deuxième partie la notion d’ortho-doxie en me tournant vers certains philosophes et théologiens. Après une discussion avec John Milbank, Charles Taylor et le pape Benoît XVI j’en viens à reprendre l’intuition de Michel Foucault selon laquelle la doxa est un champ spécifique de la vérité qui doit être pris très au sérieux dès lors qu’on en découvre la structuration interne. Les philosophes l’assimilent en général à l’opinion individuelle et fluctuante sans grand intérêt donc pour l’épistémologue qui s’intéresse aux vérités éternelles. La tradition patristique qui compte de nombreux philosophes a privilégié pourtant le doxique sur l’épistémique. En réalité il y a dans le doxique une intuition de la vérité qui donne à son porteur une autorité propre. En privilégiant la pensée ortho-doxe, méta-conceptuelle, Irénée de Lyon ou Grégoire de Nysse ont mis de l’ordre dans la gnose chrétienne en mettant en lumière la tension existant entre la sphère de l’opinion qui est aussi celle de la gloire, et la notion de droiture, de justice, de transcendement. Les historiens de l’Eglise en particulier sont ceux qui ont les premiers compris le rôle spécifique de la doxa et sa structuration en 4 pôles, la gloire, la vertu, la mémoire et la justice. Ces pôles de la conscience ecclésiale sont universels et caractéristiques de l’homo religiosus selon l’expression de Julien Ries. Sans cesse en tensions les uns par rapport aux autres, chacun de ces pôles peut devenir dominant voire paradigmatique selon les époques et les contextes.

L’histoire post-moderne de l’orthodoxie est donc sémantique. Comme le montre l’historiographie ecclésiale « l’orthodoxie » a d’abord été vécue dans l’Eglise comme « juste glorification » pendant les trois premiers siècles de l’ère chrétienne. Puis la chrétienté a été marquée par la domination du paradigme de la « vérité droite », sans que ne disparaissent pour autant les trois autres pôles. Les Temps Modernes furent ceux de la domination de la « mémoire fidèle », tant en Orient qu’en Occident. Tandis que l’ère contemporaine voit grandir, surtout depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la redécouverte de l’orthodoxie comme « connaissance juste ». Chacune de ces périodes de l’orthodoxie ont contribué à modifier en profondeur la compréhension humaine de la vérité. Chacune de ces cristallisations de la vérité individuelle et collective ont suscité des configurations politiques, économiques, sociales, culturelles marquant les grandes étapes de la culture européenne et mondiale.

Quelle perspective? Y parlez-vous de l’Ukraine et de votre centre?

Non je n’y parle pas de l’Institut d’études œcuméniques de Lviv et très peu de l’Ukraine. Mon livre En attendant le concile de l’Eglise Orthodoxe qui est sorti en 2011 au Cerf consacre déjà de nombreuses pages à la situation ukrainienne. Ce nouveau livre Qu’est-ce que l’orthodoxie ? est un ouvrage de fond. J’y travaille depuis dix ans et j’ai même pris une année sabbatique entière pour le rédiger grâce à l’invitation qui m’a été faite par mon ami Peter de Mey de l’Université catholique de Leuven. Je me réjouis beaucoup qu’il paraisse dans la collection Folio de Gallimard car le temps est venu d’un dialogue en profondeur entre intellectuels de différents horizons sur une question aussi importante que l’histoire de la vérité. A-t-on bien pris conscience comme le disait Balthasar que « la vérité n’est pas seulement une propriété de la connaissance, elle est avant tout une qualification transcendantale de l’être comme tel » ?

Un « concile » pan-orthodoxe aura-t-il lieu?

Je suis convaincu qu’un tel concile aura lieu et qu’il est nécessaire. Il faut simplement pour qu’il ait lieu que chacun comprenne bien dans le monde orthodoxe qu’il ne peut être qu’imparfait. C’est logique compte tenu de la situation de division entre les Eglises chrétiennes dans laquelle les chrétiens orthodoxes (au sens confessionnel du terme) vivent aujourd’hui. Il y a un travail pédagogique à faire pour que ces chrétiens sentent la brûlure de cette imperfection de l’Eglise dans l’histoire. Et encore un autre travail pour leur montrer que des chemins de redressement et de réunification par étapes (voz-soedinenie en russe) existent. Le colloque que nous venons d’organiser sur ce sujet à l’Institut saint Serge et au Collège des Bernardins (en association avec l’université catholique de Leuven et la revue Contacts) montre que des issues apparaissent lorsque des chrétiens de dif
férentes traditions confessionnelles aimant profondément la tradition spirituelle d’autrui réfléchissent ensemble à la question.

Etes-vous optimistes pour l’avenir des relations avec Rome?

Je suis surtout pragmatique. Je voudrais que les responsables des Eglises qui se désignent comme sœurs tirent les conséquences pratiques de leurs discours. Je ne comprends pas pourquoi alors que depuis plus d’un demi-siècle l’Eglise de Rome et l’Eglise de Constantinople se désignent mutuellement du titre d’ « Eglises sœurs » ne parviennent pas à un accord sur la question de l’hospitalité eucharistique. J’ai montré dans mon livre En attendant le concile de l’Eglise Orthodoxe que les arguments qui sont invoqués côté orthodoxe pour empêcher cette inter-communion ne sont pas convaincants. Au premier millénaire il y avait aussi de nombreuses divergences entre les Eglises et pourtant il y avait un profond sens ecclésial de l’hospitalité eucharistique, une hiérarchie des vérités, une conviction que ce qui unit les chrétiens est bien plus important que ce qui les divise. Plus les évêques attendent et plus malheureusement le monde se déchire. Porter ses responsabilités signifie parfois déplacer les gens dans leurs habitudes de pensée.

Il y aurait pourtant des choses pratiques à faire qui permettraient aux évêques orthodoxes de faire ce qu’ils disent. Par exemple dans mon exposé sur l’avenir de l’Eglise orthodoxe en Occident au colloque de l’Institut saint Serge j’ai rappelé que les Eglises orthodoxes ont toujours refusé de nommer un évêque orthodoxe de Paris par reconnaissance de la réalité de l’Eglise locale catholique. Pourquoi ne pas faire un pas de plus en reconnaissant que le primat (le protos) de l’Eglise une est le président de l’Assemblée des évêques catholiques de France ? Cela permettrait d’organiser de façon juste la globalisation sur la base du principe territorial fondé par la vie eucharistique de l’Eglise tout en respectant le principe pastoral fondé sur le lien personnel et existentiel entre l’évêque et sa communauté où qu’elle soit.

Après tout lorsque le patriarche Alexis II est venu à Paris il n’a pas rendu visite à l’assemblée des évêques orthodoxes de France mais il est allé prier avec Mgr Vingt Trois à la cathédrale Notre Dame. Il faudrait bien entendu que ce genre de reconnaissance soit réciproque. Mais dans l’histoire de l’Eglise c’est toujours celui qui a fait le premier pas dont on garde la mémoire.

– Manif pour tous, Ecologie: quels sont les points forts de convergence sur les questions de société? 

J’ai le sentiment que sur les questions de fond il y a une convergence qui va crescendo entre catholiques, protestants et orthodoxes tant en France qu’au niveau du Conseil Œcuménique des Eglises ou au sein d’autres enceintes. En fait nous sommes en train de prendre conscience par l’épreuve du feu de ce qui nous réunit, à savoir la foi dans un Dieu trinitaire et la foi dans la mort et la résurrection du Christ. Face à la montée d’une religion néo-gnostique et désincarnée qui fait florès sur les ruines des idéologies, et il faut bien le dire sur les misères des petits clubs chrétiens repliés sur leurs identités, le rassemblement chrétien se produit de façon presque sauvage, au cas par cas. Je sais certes que la situation du christianisme est complexe. C’est la raison pour laquelle j’ai parlé d’une situation post-œcuménique où les vraies lignes de tension ont lieu aujourd’hui au sein de chaque confession chrétienne, entre zélotes, prosélytes et spirituels. Mais sur la question de l’origine créée, personnelle, du monde, ou de la primauté du droit de l’enfant à vivre avec ses parents sur celui du droit à l’enfant, je crois qu’il y a un consensus de fond. 

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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