Comme le vieillard Siméon, Anne est une « pauvre » du Seigneur », commente le cardinal Ravasi. Elle est « le portrait de la vieillesse heureuse, bénie par Dieu ». Veuve, elle est aussi « la représentation de la vieillesse active et pleine d’espérance ».
En ce temps liturgique de Noël, le président du Conseil pontifical de la culture propose une méditation de l’Evangile de la Présentation de Jésus au Temple de Jérusalem, selon l’évangile de saint Luc, et publiée dans l’édition italienne de L’Osservatore Romano du 28 décembre 2012.
Mais surtout, il évoque la « maternité divine » de la Vierge Marie, fêtée le 1erjanvier par la liturgie catholique.
Il offre aussi une méditation sur le veuvage chrétien qui « doit être, comme la virginité, un signe libre et joyeux du don de soi à Dieu et aux frères ».
Voici des extraits de cette méditation :
« Toi-même, une épée te transpercera l’âme ! ». Faisant allusion au « chant de l’épée » d’Ezéchiel 14, 17 (« Que l’épée passe dans ce pays et j’en frapperai bêtes et gens »), Siméon adresse à Marie ce second oracle diversement interprété dans la tradition chrétienne. Dans le passé, certains ont même imaginé jusqu’à l’écho d’une mort violente de Marie. Origène pensait au doute comme une épine dans le côté de la foi pure de Marie, d’autres se référaient à la souffrance de Marie et d’autres encore à la lutte avec le serpent selon l’interprétation mariologique d’un passage célèbre de la Genèse (3, 15). La phrase a inspiré la traditionnelle iconographie de la Vierge des Douleurs, au pied de la croix, transpercée par l’épée de douleur. Le sens réel est probablement à chercher dans la ligne de la prophétie précédente.
Marie est au cœur de la bataille pour ou contre son Fils. L’épée annoncée par le Christ passe aussi à travers elle et l’invite à un dépouillement total. Plus Marie perd matériellement son Fils, plus elle l’accueille dans la foi. La scène qui suit avec la disparition de Jésus au Temple en est la représentation. Plus Marie devient « celle qui écoute la parole de Dieu et la met en pratique », plus elle se révèle comme la Mère de Dieu. La maternité divine n’est pas seulement une question physique, mais aussi et surtout un événement de foi. Et lorsque, devant le Christ crucifié, elle aura perdu physiquement son fils, elle le retrouvera de nouveau en plénitude comme son Fils glorieux, présent dans l’Eglise. La loi de l’épée du Christ est la loi selon laquelle il faut perdre pour trouver, c’est la loi de la pauvreté totale pour tout posséder, de l’abandon dans la foi pour être pleinement rassasié, consolé, sauvé. Marie devient ainsi, une fois encore, le modèle du disciple parfait, de celui qui est fidèle, celui qui est sauvé.
Anne est le portrait de la vieillesse heureuse, bénie par Dieu, dans le style des récits des patriarches pour lesquels un âge vénérable est signe de justice et de récompense divine. C’est l’histoire de Judith, femme fidèle (Jdt 8, 1-8) et bénie de Dieu par une vieillesse longue et sereine, jusqu’à l’âge de 105 ans (Jdt 16, 23). Anne est donc un modèle de longévité joyeuse et paisible. Certes, comme l’enseigne l’Ecclésiaste dans une fresque terrible au chapitre 12 du livre, la vieillesse peut être physiquement une ruine, elle est semblable à l’hiver, au crépuscule, à une maison qui s’effrite. […]
Anne, elle, est la représentation de la vieillesse active et pleine d’espérance. Ses 84 ans ne sont pas un temps qui fuit comme le sable, laissant les mains vides. Pour elle, il n’existe pas de souvenirs semblables à des feuilles qui flottent sur le lac de la vie désormais passée. En effet, Luc la dépeint comme l’orante sereine, une « pauvre » du Seigneur qui « ne quittait pas le Temple, servant Dieu nuit et jour dans le jeûne et la prière » (2, 37). Le psaume 92, ou « psaume de l’ancien », chantait : « Le juste poussera comme un palmier, il grandira comme un cèdre du Liban. Plantés dans la maison du Seigneur, ils pousseront dans les parvis de notre Dieu. Dans la vieillesse encore ils portent fruit, ils restent frais et florissants,pour publier que le Seigneur est droit ».
Anne est aussi présentée comme une « veuve ». Il ne s’agit pas seulement d’une indication de l’état civil, parce que nous savons l’importance qu’avaient les veuves dans la communauté chrétienne des origines avec leur engagement caritatif. Luc, est particulièrement attentif à signaler cette présence précieuse, non seulement en évoquant le cas de la veuve qui offre tout à Dieu en jetant ses dernières piécettes dans la caisse du temple, mais aussi en introduisant la veuve qui ne se résigne pas devant le juge inique. Les veuves apparaissent ensuite dans les Actes des apôtres, comme objet de l’attention de l’Eglise (6, 1 ; 9, 39-40). Le « code de la veuve chrétienne », traité par Paul dans sa Première lettre à Timothée (5, 3-16), est significatif ; la physionomie d’Anne y affleure : « la vraie veuve, celle qui reste absolument seule, s’en remet à Dieu et consacre ses jours et ses nuits à la prière et à l’oraison ». Le veuvage chrétien doit être, comme la virginité, un signe libre et joyeux du don de soi à Dieu et aux frères. Dans cette lumière, la présence fréquente des veuves et, si l’on veut, des grands-mères, dans les communautés chrétiennes, doit se transformer en une source de prière, de louange, d’accueil actif et d’annonce dans la catéchèse et dans un engagement éducatif. En effet, Anne « parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem » (2, 38).
Mais notre méditation sur la page de ces deux « prophètes », Siméon et Anne, « pauvres » du Seigneur, se termine, selon la volonté de Luc, encore une fois sur la figure du Christ. Il est abordé sous les traits du quotidien (il « retourna à Nazareth, leur ville » (2, 39) et de la sagesse (il « grandissait, se fortifiait et se remplissait de sagesse. Et la grâce de Dieu était sur lui » (2, 40) ; au sujet du Baptiste, on disait seulement qu’il « grandissait, et son esprit se fortifiait » (1, 80). La pensée court encore à Samuel qui « grandissait auprès Du Seigneur (…) continuait de croître en taille et en grâce tant auprès du Seigneur qu’auprès des hommes » (1 Sm 2, 21-26). Jésus est par excellence le sage, et il incarne en soi la présence de la grâce divine. Luc aime dessiner souvent un visage du Christ semblable à celui de la sagesse divine (Lc 2, 40-52; 7, 35; 11, 31-49; 21, 15; Ac 6, 3-10; 7, 10; 19, 22). En effet, il est la révélation de Dieu ; nous devons recevoir de lui lumière et vérité. Le but ultime du récit est donc christologique, comme le sont toutes les pages des évangiles de l’enfance de Matthieu et de Luc.
Traduction de ZENIT, Hélène Ginabat
(La première partie de notre traduction de cette méditation, sur le vieillard Siméon, a été publiée le 28 décembre 2012)