Economie : « Comprendre la crise », publication

Les limites du système utilitariste

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Leonardo Becchetti

Traduction d’Océane Le Gall

ROME, lundi 30 juillet 2012 (ZENIT.org) – « Avons-nous appris la leçon de la crise ? Je ne pense pas », estime dans cette analyse le Leonardo Becchetti, du département d’Economie de l’Université de Tor Vergata (Rome).

Dans son  livre « Comprendre la Crise » (« Capire la crisi »), publié en italien aux Editions Rubbettino (http://www.store.rubbettinoeditore.it/capire-la-crisi.html), le journaliste et écrivain italien Massimo Calvi tente de remonter aux origines d’un épisode clef de l’histoire économique des dernières décennies dont les effets négatifs sur la planète se font encore sentir.

Les calculs ne sont pas simples car il s’agit de faire la somme de plusieurs grandeurs, comme les injections directes de capitaux dans les banques et les ressources mises à dispositions comme fonds de garantie (en cas d’échec de celles-ci), mais on estime que pour sauver de la catastrophe le système bancaire et financier, gouvernements et banques centrales ont dépensé entre 5.000 et 10.000 milliards de dollars.

Avec cet argent nous aurions pu rembourser plus d’une fois notre dette publique et garantir pendant une centaine d’années l’instruction primaire obligatoire dans le monde.

Mais à un moindre niveau aussi la crise nous enseigne beaucoup. Dans une tirade fulminante d’un spectacle théâtral appelé « PopEconomy », à la question « combien de temps un professeur d’école met à gagner la somme que l’administrateur délégué de la Lehman Brothers (la banque d’affaires américaine que l’on a ni sauvée ni cherché à sortir de l’épicentre de la crise) percevait l’année avant la chute de son entreprise ? », la réponse est: 4.500 ans.

L’enseignant en question pour atteindre cette somme aurait du commencer à travailler à l’époque des sumériens. Mais comme il ne s’agit pas de faire du moralisme, nous sommes tous disposés à accepter des différences significatives dans les rémunérations entre travailleurs, à condition que celles-ci reflètent certaines productivités et la capacités de ces derniers à contribuer à la création de valeurs pour la collectivité. Si nous observons ces différences de salaire, dans cette optique, nous nous apercevons que c’est exactement le contraire qui est en train de se passer. L’enseignant contribue par son travail à augmenter la capacité de ses élèves à être un jour des personnes productives (comme on le sait de la littérature sur les rendements de la scolarisation, chaque année d’instruction en plus accroit significativement son propre revenu dans tous les pays du monde), mais sans s’approprier des bénéfices qu’il crée. Alors que l’administrateur délégué de la Lehman, lui, il a contribué à cette destruction dramatique de la valeur économique qui a été la crise financière mondiale.

La crise représente donc l’épilogue d’une finance qui échappe à tout contrôle. Des banques qui, orientées vers une maximalisation du profit (et donc obligées de créer toujours plus de bénéfices pour les actionnaires), finissent nécessairement par abandonner l’activité traditionnelle du crédit (activité à bas revenus) au profit d’ initiatives spéculatives qui promettent des rendements plus élevés (mais aussi des risques majeurs). Des régulateurs qui, de façon coupable, ôtent aux banques  les limites de leurs capacités d’endettement et de leur croissance dimensionnelle, générant des « monstres trop grands pour échouer » avec une disproportion de 30 contre un entre la dette et son capital et un déséquilibre entre les dettes à brève échéance et actives à long terme.

Mais le plus impressionnant c’est que cette réflexion sur la crise a vraiment la mémoire courte.

Essayons de récapituler. Les banques américaines décident volontairement d’accorder des prêts à des citoyens qui pourront difficilement rembourser cet argent car, immédiatement après avoir accordé cet emprunt, il leur est possible de revendre à des tiers qui, à leur tour, accumulent un grand nombre de ces prêts d’une qualité douteuse et les mélangent aux prêts de bien meilleure qualité, espérant ainsi avoir créé des activités financières (dérivés du crédit) à haut rendement et à moindre risque (ceci est comme violer la loi de gravité en physique). L’idée de diversifier le risque en le distribuant revient à ignorer la faiblesse principale de cette opération qui est de ne pas considérer que le succès de tous les prêts dépendait des prix des habitations (qui étaient en bulle spéculative).

La chute du prix des maisons a fait sauter tout le système. Encore aujourd’hui, les dérivés du crédit, dont les budgets des grandes banques internationales sont pleines, valent moins de 10% de leur prix d’achat. Donc, la crise nait d’erreurs d’évaluation précises de la part d’ intermédiaires financiers qui ne comprennent pas le problème, ou font semblant de ne pas comprendre, et d’un manque de contrôle de la part des régulateurs.

Pourtant, toute l’attention et les critiques de l’opinion publique se concentrent aujourd’hui sur le gaspillage des Etats et de la politique. C’est comme si un bienfaiteur décidait de sauver un malade grave par une perfusion (le banques centrales qui injectent de la liquidité et les Etats qui augmentent leurs dettes pour sauver les banques)  puis finisse affaibli et attaqué par le malade qu’il a sauvé. Et c’est comme si l’opinion publique, qui assiste à la scène, s’en prenait ensuite essentiellement au bienfaiteur maintenant en difficulté. Ce sont le plus faibles, par des coupes au bien-être social, qui paient les frais d’une crise alors qu’ils y sont pour rien.

On a peu fait et ont fait peu pour éviter une nouvelle catastrophe économique, pour modifier les déséquilibres et les conditions qui ont conduit à la première.

Il faut établir des plafonds très sévères au levier des grands intermédiaires financiers, interdire le trading  personnel des banques commerciales avec l’argent des clients, en séparant la finance « casino » et celle qui finance les citoyens et les entreprises.

Il faut réglementer l’utilisation des dérivés, surtout ceux qui sont « Over the counter » (c’est-à-dire échangés en dehors des Bourses officielles) et servent des mécanismes qui permettent aux grands intermédiaires financiers de payer les coûts de la crise. On a besoin enfin d’un autre modèle de banque. Une banque qui aille plus loin que l’objectif de maximalisation du profit et qui dépassent ces  contradictions internes qui le conduisent inévitablement à de l’autodestruction.

 L’histoire de la crise nous enseigne qu’une bonne partie des grandes banques internationales, d’affaires ou pas, ont techniquement échoué. De fait, celles-ci se sont révélées incapables de pourvoir à leur propre survie, à cause d’un mécanisme pervers d’ incitations internes conduisant à la recherche de rendements (et risques) de plus en plus élevés, une série d’acteurs clefs (administrateurs délégués et trader), lesquels ne paient pas jusqu’au bout les conséquences et les coûts en cas d’échec (il suffit de penser au phénomène des liquidations milliardaires des managers). Il faut donc un système de réglementation qui favorise la biodiversité organisatrice et fasse davantage confiance aux banques éthiques et coopératives lesquelles, si elles sont restées fidèles à leurs principes, en vertu de leur gouvernance et d’objectifs différents, ont mieux vécu la crise et sont aujourd’hui davantage prêtes à donner de l’oxygène aux entreprises et citoyens pour faire repartir l’économie mondiale.

Dans cette opération de réforme personne ne veut d
iaboliser les instruments de la finance en tant que tels. Les dérivés, par exemple, naissent avec de nobles  objectifs de couverture contre le risque et contribuent , s’ils sont utilisés dans ce but, à favoriser des investissements qui, autrement, ne s’effectueraient pas, parce que non couverts contre le risque de change et contre le risque du taux d’intérêt. Mais alors que dans l’économie réelle la couverture du risque ne devient pas une activité spéculative, dans la finance cela arrive. Enfin, si dans l’économe réelle je souscris une assurance pour me protéger contre le vol de ma voiture, dans la finance beaucoup de gens achètent cette même assurance , dans l’espoir que la probabilité qu’on me vole ma voiture augmente pour pouvoir la revendre et réaliser un gain en compte capital.

Toutes les considérations développées plus haut nous disent clairement que le génie est sorti de la lampe et échappe à tout contrôle. Le faire ré-entrer est une entreprise titanesque: le problème est, hélas, encore en amont, et n’est pas séparé de la conscience de tout ce qui s’est passé.

C’est pour toutes ces raisons que la précieuse opération de reconstruction de Massimo Calvi est fondamentale pour avoir bonne mémoire. Pour que l’on n’oublie pas d’où tout est parti, les causes profondes, et pour que l’on puisse stimuler enfin une réflexion visant à changer ces règles qui font de nos systèmes socio-économiques des systèmes de plus en plus risqués et insoutenables.

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ZENIT Staff

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