Fr Manuel Rivero, op
ROME, mercredi 11 juillet 2012 (ZENIT.org) – « La vie et l’œuvre du serviteur de Dieu, le frère Marie-Joseph Lagrange (1855-1938), fondateur de l’École biblique de Jérusalem, peuvent devenir une lumière et une référence à l’heure où l’Église catholique s’évertue à renouveler son élan missionnaire, ses méthodes et son langage en célébrant le synode de la Nouvelle Évangélisation et l’Année de la foi », estime le Fr. Manuel Rivero o.p., vice-postulateur de la cause de béatification du père Lagrange qu’il présente ici aux lecteurs de Zenit.
Pour une interprétation scientifique de l’histoire
Le philosophe espagnol Ortega y Gasset appelait l’historien « un prophète à l’envers» . Si le prophète interprète l’avenir, l’historien scrute et explique le passé. La tâche de l’historien ne va pas sans des aspects mystérieux voire visionnaires. « L’histoire se fait avec des documents et des monuments », disait le père Lagrange. L’historien examine les manuscrits, les pierres, les épigraphies, les ruines et les monuments à la manière d’un plongeur qui essaie de reconstituer la vie du bateau qui gît sur le sable marin depuis des siècles. Chaque objet éveille en lui l’imaginaire mais cet imaginaire n’est pas à confondre avec la fantaisie. Ce que l’historien rêve est soumis au filtre de la raison et des critères scientifiques de vérification. L’étude du passé projette une lumière sur la vie présente et il est vrai que rien ne peut être bien saisi sans la perspective historique. La recherche historique comporte une quête du sens de la propre vie de l’historien qui aborde la problématique d’hier avec ses questions, ses doutes et ses convictions.
Le père Lagrange a fait œuvre scientifique dans ses études bibliques et historiques. Il avait constaté que « tout ce qui a l’apparence de l’histoire n’est pas de l’histoire ». Sa méthode historico-critique plaçait les textes et les personnages historiques dans leur contexte en tenant compte des genres littéraires et de la manière de faire de l’histoire dans l’Antiquité qui ne ressemble pas aux méthodes modernes d’analyser les faits et les coutumes des sciences humaines. Ses conférences à Toulouse sur la méthode historique marqueront d’une pierre blanche l’histoire de l’exégèse. Cela dit, son interprétation biblique s’enrichissait de l’apport des Pères de l’Église avec les sens spirituels de l’Écriture comme le propose aujourd’hui le pape Benoît XVI. L’exégèse est au service de la théologie. La Bible reçoit aussi la lumière de la Tradition, c’est-à-dire de la Bible commentée dans la lumière de la foi au cours de l’histoire de l’Église, ainsi que du Magistère guidé par l’Esprit.
En son temps, le père Lagrange a été perçu comme un pionnier audacieux au point que certains lui ont reproché un esprit progressiste et rationaliste. Aujourd’hui il n’est pas rare de le voir cité dans des ouvrages de théologie et d’exégèse comme faisant autorité. Des chrétiens de sensibilité traditionnelle l’invoquent parfois comme un homme de foi et de fidélité au Magistère au grand étonnement de ceux qui connaissent les difficultés qu’il a rencontrées en son temps, en raison de son attachement à « la Vérité en marche ».
La communication par l’écriture
Le philosophe Michel Serres, décrit dans l’un de ses articles la « génération du pouce » qui passe beaucoup de temps à envoyer des messages par le téléphone mobile en utilisant essentiellement les pouces. Il arrive que des jeunes s’écrient : « Ah, j’ai mal aux doigts à force d’écrire sur mon Smartphone ! » Aujourd’hui les jeunes communiquent souvent et beaucoup par des messages plutôt courts et émotifs mais non nécessairement dépourvus de réflexion. Combien de fois j’entends des adultes affirmer que les jeunes contemporains sont plus mûrs qu’eux à leur âge !
Le père Lagrange écrivait beaucoup. L’ensemble de son œuvre compte seize mille pages : livres, articles, lettres, journaux spirituels… Nous avons les lettres qu’il a envoyées mais celles qu’il a reçues ont été en grande partie détruites par le frère Hugues Vincent, o.p., qui disait avoir accompli la volonté de son ami et maître à l’École biblique de Jérusalem. Il écrivait régulièrement et sur des sujets variés.
Le père Lagrange a utilisé les médias de son temps : courrier postal, télégraphe, livres et revues… Il avait appris les langues vivantes et anciennes de manière à commenter la Bible « pour le salut des âmes ». Ses études scientifiques paraissent dans la Revue biblique fondée en 1892 et dans la collection « Études bibliques ». Quand il commençait un projet il entrevoyait déjà les différentes étapes à vivre. À chaque innovation, il prenait soin de coucher par écrit l’esprit, les enjeux, le but sans taire les difficultés de l’entreprise. Des mots clés surgissent alors : nouveauté, liberté dans la recherche, progrès dans la vérité. Saint Thomas d’Aquin, découvert lors de sa formation à Salamanque, demeure la lumière de ses réflexions théologiques : « Dans les choses qui ne sont pas de la nécessité de la foi, il a été permis aux saints, il nous est permis à nous d’opiner de diverses manières . »
Grand voyageur il a découvert non seulement des pays différents – Espagne, Suisse, Autriche, Israël, Italie, Égypte, Turquie – mais aussi des personnes de cultures et de continents fort divers. Il voyageait en bateau et son port de départ et d’arrivée pour la France était Marseille. C’est au couvent des Dominicains de la rue Edmond-Rostand de Marseille, à l’époque rue Monteaux, qu’il se rendait lors de ses déplacements dans sa chère patrie.
Pour une théologie de la communication
Homme de communication, le père Lagrange va loin dans ses relations avec les hommes car il approfondit la communication avec Dieu dans la prière. Le cardinal Martini, ancien archevêque de Milan, formé dans ses débuts d’exégète par les écrits du fondateur de l’École biblique de Jérusalem, n’hésitait pas à mettre en valeur « la prière de feu » et la sainteté du père Lagrange.
Soucieux de s’adresser au grand public, il rédige « L’Évangile de Jésus-Christ » en 1928 qu’il dédie au pape Léon XIII, grand apôtre de la prière du Rosaire, résumé de l’Évangile. Dans son avant-propos daté du mois de mai 1928 à Jérusalem, le père Lagrange manifeste son désir de rejoindre « des personnes absorbées par un travail manuel ».
Le chapitre général de l’ordre des Prêcheurs célébré à Rome au mois de septembre 2010 recommande « que dans tous les centres de formation de l’ordre soit incluse l’étude de la théologie de la communication comme préparation à l’exercice du ministère de la Parole ». D’aucuns se demandent ce qu’est la théologie de la communication. De quoi s’agit-il au juste ? Pourquoi est-elle si importante qu’il faille l’enseigner dans tous les studium de l’Ordre ?
La théologie scrute le mystère de Dieu mais comme personne ne l’a jamais vu, c’est à travers la Révélation biblique et la création que l’homme s’élève vers Lui. La création et la Bible représentent les deux livres dans lesquels nous pouvons connaître Dieu. Saint Jean, dans son Prologue, au verset 18, utilise le mot grec qui a donné exégèse en français pour signaler le travail du Fils unique de Dieu : expliquer, présenter, conduire au Père.
La théologie est un discours sur Dieu dans la lumière de la foi. Dans cette science divine, l’homme regarde le monde avec les yeux de Dieu comme l’enseigne saint Thomas d’Aquin dans la Somme théologique : « Dans la doctri ne sacrée, on traite tout sous la raison de Dieu, ou du point de vue de Dieu, soit que l’objet d’étude soit Dieu lui-même, soit qu’il ait rapport à Dieu comme à son principe ou comme à sa fin ».
La théologie de la communication aborde la foi en clé de communication. Comment Dieu communique-t-il ? Pourquoi et comment Dieu va-t-il à la rencontre de l’homme ? En quoi la communication humaine dit-elle quelque chose de Dieu ? La communication produite par l’œuvre de Dieu va nous dire le cœur du Créateur invisible, sa propre communication, son dessein et son être. La Première épître de saint Jean dévoile le mystère de Dieu en le définissant comme Amour et l’amour suppose relation et communication : « Dieu est Amour ».
Disciple du docteur angélique
Le père Lagrange a commenté en exégète et en homme de foi les Évangiles où Jésus agit comme le révélateur du Père qui est Amour. Disciple heureux du Docteur Angélique, le père Lagrange utilise tous les moyens scientifiques et culturels à sa portée pour dire à travers ces médiations le mystère de Celui qui est Esprit. Sensible et attaché à la beauté, il ne cherche pas l’émotion dans des propos pieux mais la vérité. En cela il suit la méthode des rédacteurs des évangiles. Si chacune de ses pages commence par un Ave Maria ses phrases visent la justesse et l’objectivité : « La divine impassibilité des évangélistes n’est-elle pas l’expression la plus émouvante de l’étonnement de l’âme en présence du mystère de la Rédemption ? L’amour vient après, dans la méditation des textes sacrés, lumière, force, vie. C’est à eux qu’il faudra toujours revenir ».
Aujourd’hui les professionnels de communication visent souvent l’émotion. La musique et l’image sont susceptibles de déclencher des battements de cœur et des larmes. Le spectateur est alors « pris », il peut devenir « consommateur docile ». Outre son ascendance lyonnaise par sa mère, qui le rendait réservé, le père Lagrange cherchait à communiquer « la vérité qui rend libre » et cette vérité divine est enseignée à l’homme par l’Esprit Saint lui-même : « L’Esprit de vérité vous introduira dans la vérité tout entière ».
(à suivre)