ROME, Lundi 28 mars 2011 (ZENIT.org) – L’abbé Hubert Lelièvre publie « Je veux mourir vivant », aux éditions de l’Emmanuel. Le livre a été présenté à la presse à Paris ce lundi. Nous avons rencontré l’auteur dont l’expérience pastorale, comme prêtre dans la guerre de Bosnie, ou auprès des malades du SIDA à Rome fait avancer « en eau profonde ».
Zenit – Monsieur l’abbé Lelièvre, vous avez rencontré à Rome ces malades du SIDA dont vous faites découvrir les visages. Pourquoi ce titre ?
Abbé Lelièvre – Ce titre ne vient pas de moi. Il vient des nombreuses personnes malades du SIDA qui à un moment de leur cheminement au cours de la maladie se sont retrouvées petit à petit devant la vérité de ce qu’elles vivaient. De ce qu’elles étaient. De ce qu’elles avaient vécu. Et puis, lorsque la mort est inéluctable, les masques tombent. On ne peut plus jouer à cache cache. Le malade en fin de vie est particulièrement confronté à un choix de vie. Beaucoup m’ont dit : « Je veux mourir vivant ». On comprend bien ce que cela veut dire. Tant ont vécu dans la culture de mort, dans le mensonge. Maintenant, sachant qu’ils allaient partir au Ciel, ils ont appris et choisi de vivre. Avec Dieu. En Lui. Le creuset de la souffrance ouvre à un choix de Vie.
Zenit – Vous définissez vous-même votre livre comme « le témoignage d’un prêtre qui a vécu, près de personnes atteintes du SIDA, les plus belles et plus riches heures de sa vie de prêtre jusqu’à ce jour », on peut s’étonner, parce que c’est une confrontation douloureuse avec la souffrance, psychique et physique, avec l’angoisse, avec qui veut mourir et qui ne veut pas mourir, ou face à mes « murs »…
Abbé Lelièvre – Vous savez, le Seigneur a donné à mon cœur de prêtre d’abord de vivre un chemin intérieur. On ne s’approche pas de personnes malades, dont souvent il ne reste que quelques jours, semaines ou mois à vivre, sans en être profondément bouleversé. J’ai vécu ces années d’abord comme un cadeau particulier de Dieu pour moi. J’étais conscient qu’il transformait mon âme. Du dedans. Un peu comme quand le Seigneur appelle à vivre un temps de désert pour parler au plus intime de l’âme. J’ai vécu ce temps comme un « noviciat d’amour ». En même temps, j’étais confronté à la mort d’enfants, de jeunes, de jeunes adultes. Avec toutes les questions que cela pose dans le cadre du rétrovirus du SIDA. Pourquoi humainement tant de vies gâchées, fauchées dans leur printemps ? Dans ce désert de l’amour de notre société, où l’amour est blessé, meurtri, détruit, tant de familles divisées, comment faire fleurir l’Amour ?
Lorsque tous les masques tombent, nous nous trouvons en face de ce qu’est en toute vérité la personne humaine. Le visage de la personne malade devient alors une icône de la Présence de Jésus en elle. Jésus qui souffre et espère. Jésus qui guérit l’âme. Jésus qui sauve l’âme. Jésus qui apaise. Jésus présent dans ce temps de souffrances, indicibles bien souvent.
La souffrance d’une personne malade nous renvoie à nos propres blessures, souffrances intérieures. A nos propres lâchetés face à l’Amour, à la vie de la Grâce en nous. Cela nous apprend à devenir pauvres, à aimer. Alors, approcher une personne malade, c’est d’abord accepter que Jésus me rejoigne et vienne me guérir. Vienne mettre l’Huile de sa Miséricorde sur mes blessures.
Oui, dans ce désert de l’amour blessé, j’ai vu fleurir le Printemps ! J’ai vu rayonner la Gloire du Matin de Pâques sur tant de visages ! Quel bonheur d’être prêtre !
Zenit – Plusieurs fois des malades vous renvoie dans vos buts – d’ailleurs vous posez vous-même la question – : Qu’est-ce qu’un malade attend du prêtre ? De Dieu ?
Abbé Lelièvre – Je me suis retrouvé plusieurs fois dans des situations où je me trouvais « mal à l’aise » parce que je ne contrôlais pas la situation, à cause de mon manque d’amour, d’écoute, de mon égoïsme. Et plusieurs fois le Seigneur m’a remis en place. Il m’en souvient de cette enfant, Marzia, âgée de 9 ans. J’allais la voir chaque jour. Et puis une fois, je ne suis pas venu la visiter. Le lendemain, en entrant dans la chambre, comme si tout était normal, après avoir frappé à la porte, elle me dit, sans me laisser le temps de respirer : « Jésus n’est pas content de toi ! ». Alors, à ce moment là, il ne vous reste qu’à demander pardon. Un sourire sur son visage a été sa réponse ; Marzia est entrée dans la Vie un mois plus tard, dans la nuit de la Saint Joseph. Nous étions tous autour d’elle. Au moment même de sa mort, une Lumière brillait sur son visage. En pleine nuit. La Lumière du Ciel !
Le malade attend que le prêtre soit prêtre. Tout prêtre. Seulement prêtre. C’est-à-dire, serviteur et témoin de sa Présence. Comme Jésus le vit dans l’Evangile.
Zenit – Comment ouvre-t-on une porte ?
Abbé Lelièvre – Je n’ai pas encore lu de « traité » sur l’ouverture d’une porte ! Au contact de personnes malades, surtout lorsque celles-ci sont les plus dépendantes, les plus vulnérables, j’ai observé que la manière avec laquelle on ouvrait la porte de sa chambre, comptait beaucoup. Influait beaucoup pour son apaisement ou au contraire, la personne malade se tendait, se crispait. Même dans le cas de personnes dans le coma. C’est vrai pour le personnel médical, comme pour les membres de la familles du malade, ou les amis. La poignée de porte est une école d’humilité !
Zenit – Vous rapportez votre conversation avec un jeune dont la « descente » a commencé par le cannabis. Il existe des « drogues douces » ?
Abbé Lelièvre – La drogue n’est jamais douce. La drogue détruit la personne dans son âme, son corps, son esprit. Dans sa sensibilité, son psychisme, sa volonté, son intelligence. Ceci plus ou moins vite en fonction de la drogue prise, de sa quantité et de la durée. Mais dire qu’il existe des « drogues douces », c’est tout simplement un mensonge. C’est criminel. La drogue tue, plus ou moins vite. Mais elle tue. Les vendeurs de drogue devront un jour répondre devant Dieu de ce marché de la mort. Je trouve qu’il est particulièrement lâche de se faire de l’argent facile auprès d’adolescents, de jeunes qui se posent des questions sur le sens de leur vie, qui construisent leur vie et qui n’ont souvent comme réponse que cette fuite, qui conduit vers la mort. Quand on sait que le marché mondial de la drogue est supérieur au marché mondial du pétrole ! Endormir, anesthésier ainsi un adolescent, un jeune au lieu de le rejoindre et de lui donner ce dont il a besoin pour devenir lui-même, elle-même, cela m’est insupportable. Ne pas vouloir voir, ou faire semblant de ne pas voir qu’un enfant prend de la drogue, cela s’appelle « le clan des aveugles volontaires ». Mais un jour, des pleurs viendront ! Je me permets de vous renvoyer à cet ouvrage : « Le cannabis démasqué », du Père Ambroise Pic, aux Editions du Jubilé.
Certains diront que j’exagère. Alors, allez écouter le témoignage de jeunes qui suivent un chemin de guérison, dans la Comunità del Cenacolo ou dans la Maison des Frères de Saint-Jean à Pellevoisin, tout contre le sanctuaire marial de Marie, Mère de toute Miséricorde.
Zenit – Et ce jeune qui pense qu’il est condamné parce que « Dieu condamne les homosexuels » : ce sont des paroles qui, dit-il l’ont « enfoncé » davantage… Vous répondez « tu es une personne » : cela change tout ?
Abbé Lelièvre – Avant d’être aumônier d’hôpital, j’utilisais moi-même le terme « d’homosexuel ». Puis, très vite, grâce à leur contact, en les écoutant, j’ai purifié mon langage, qui en fait, était blessant. Nous devrions être particulièrement attentif à notre langage
qui peut enfoncer ou permettre à une personne d’y voir plus clair, de prendre une route différente de celle sur laquelle elle se trouve aujourd’hui.
Chacun de nous est une personne créée à l’image et ressemblance de Dieu. J’existe pour être aimé et pour aimer. J’existe pour un jour, entrer dans la Gloire même de Dieu. Chacun de nous est profondément aimé par Dieu. De manière unique. Homme et femme il les créa. Je n’ai jamais lu dans la Bible « homosexuel il les créa ».
Dieu ne condamne pas les personnes. Quoiqu’ils fassent ou vivent. Il porte un regard de jugement sur nos actes. Dieu ne pourra jamais dire que l’homosexualité est un bien. Tout simplement parce que ce serait contraire et opposé à son regard d’amour, son dessein d’amour sur la création de l’homme et de la femme. A son regard sur la vocation personnelle de chaque homme, de chaque femme, dans toute sa personne. Par des actes, aller contre le code génétique de la Création, aller contre la grammaire commune de la Création, de ce qui est inscrit dans la nature, ne peut conduire l’humanité qu’à des impasses. L’Histoire des hommes nous enseigne que des civilisations entières se sont détruites par elles-mêmes.
Zenit – Avant l’hôpital Pallanzani, il y a eu la Bosnie… Quelle a été votre expérience de prêtre dans la guerre ?
Abbé Lelièvre – J’étais tout jeune prêtre, vicaire d’une paroisse dans la banlieue de Rome, paroisse très touchée par la drogue. Et puis, un jour, avec mon frère aîné qui était mon curé, nous regardions le journal télévisé. C’était au début de la guerre en Bosnie. Les images nous étaient insupportables et ont été en fait comme un appel à être présents auprès de ceux qui étaient dans l’épreuve. Alors, très vite, nous avons mobilisé la paroisse et bien au-delà puisque la télévision italienne, la RAI, nous demandait de témoigner. Nous sommes ainsi allés cinq fois pendant la guerre, sur le front, dans les hôpitaux, dans les camps, dans les villages. Au contact des évêques, des prêtres, de leurs paroissiens. Au contact de personnes dans les hôpitaux, perforées par les balles. Tout simplement pour dire : « Vous n’êtes pas abandonnés ». J’y ai vécu les plus beaux Noël de ma vie.
Zenit – Vous parlez d’une société qui « cache la mort ». Souvent, face à l’agonie ou à la mort, on ne « sait pas comment faire » : que proposer aux familles ?
Abbé Lelièvre – On cache la mort parce qu’on l’écarte de la vie. On cache la mort parce qu’on ne donne plus de sens à la vie et à cet instant si précieux et décisif qu’est la mort : la rencontre personnelle avec Dieu dans un face à Face.
C’est aussi une victoire du démon. Nous avons tellement besoin de la présence du prêtre auprès de nous lorsque le moment viendra. Pour obtenir le passeport pour l’Éternité. Le démon se réjouit de voir une âme quitter ce monde pas prête pour Dieu. Au moment de la mort, il y a un ultime combat. Il est inutile de se le cacher. La présence du prêtre, en plus de membres de la famille, est la Présence même de Jésus dans ce combat pour la Vie.
La mort est une réalité, non voulue par Dieu. Elle est ultime conséquence du péché originel. Accepter ce moment, sans le fuir, aide celui/celle qui quitte cette terre à vivre cet instant précieux, plus apaisé/e pour ce choix de vie à faire.
Dans le je vous salue Marie, nous demandons à la Vierge Marie de prier pour nous « maintenant et à l’heure de notre mort ». Si nous la prions chaque jour à travers le chapelet, nul doute que Marie notre Mère sera présente à l’heure de notre mort. Trouvons, retrouvons la prière du chapelet. Elle nous inspirera des paroles, des gestes d’affection, d’amitié autour d’une personne qui s’en va au Ciel.
Zenit – La béatification de Jean-Paul II approche : on a dit que le secret de le fécondité de son ministère à Cracovie puis à Rome, c’est la façon dont il s’est tout de suite appuyé sur la prière des malades et sur sa propre participation à la souffrance du monde. Diriez-vous cela ?
Abbé Lelièvre – Le secret de la sainteté de Jean Paul II est sa vie de prière. Il priait sept heures par jour. Il s’abîmait littéralement dans la prière. Là est le secret de sa fécondité. Ceux qui ont pu approcher Jean-Paul II, spécialement lorsqu’il célébrait sa Messe, ont été saisis par la souffrance du monde qu’il portait et qui allait jusqu’à changer les traits physiques de son visage. Sa propre expérience de la souffrance, son chemin de croix commencé avec l’attentat, il y aura trente ans le 13 mai prochain, cela l’a rapproché des personnes malades sur lesquelles il s’est toujours appuyé dans son ministère de prêtre, d’évêque, puis de pape. Il y avait comme une particulière intimité, une communion profonde avec chacun d’eux, à l’image de Jésus dans l’Évangile qui aime, s’approche de chaque malade, un à un. Nous nous souvenons tous de ses regards bouleversants de compassion, posés sur les personnes malades, lors de sa dernière venue à Lourdes en 2004, quelques mois avant de quitter cette terre. Comme un testament.
La méditation de Jean-Paul II sur le sens chrétien de la souffrance, « Salvici Doloris », du 11 février 1984, est un cœur à cœur avec son cœur de prêtre et le cœur de chaque personne malade, de chaque personne qui souffre dans son cœur et dans son corps. Pour lui dire combien Jésus ne l’abandonne pas, combien Jésus est proche de sa souffrance.
Les heures si précieuses de l’agonie de Jean-Paul II, sont un enseignement pour chacun. Les derniers jours de sa vie terrestre nous laissent de belles et fortes pages, d’émouvantes pages de « l’Évangile de la souffrance ». Une réponse concrète face à notre société qui, en face de la personne qui souffre, supprime la personne elle-même.
Zenit – Vous offrez la « Médaille miraculeuse » aux malades. La Vierge Marie leur manifeste sa présence ?
Abbé Lelièvre – Je ne fais que vivre ce que la Sainte Vierge a demandé lors de sa venue sur la terre parisienne, dans la chapelle de la Médaille miraculeuse, rue du Bac, en 1830. La Sainte Vierge a demandé de porter cette médaille, la plus répandue dans le monde. Qu’elle protégerait ceux qui la porteraient. Que ces personnes obtiendraient des grâces.
Oui, Marie est présente au pied de la Croix le Vendredi Saint. Elle est présente auprès de chaque personne qui souffre dans son corps, dans son âme. Elle rend même visite à de nombreuses personnes malades dans nos hôpitaux, nos maisons, nos maisons de retraite. Il m’est arrivé de sentir souvent sa Présence. Ce qui n’est pas surprenant. Elle est notre Mère. Elle nous a été donnée au pied de la Croix. Elle exerce sa Maternité.
Elle est présente, pour faire sortir notre monde d’aujourd’hui, qui semble se trouver dans un interminable « samedi saint » de ces innombrables impasses dans lesquelles nous nous trouvons. Pour nous ouvrir à la Lumière et à la Joie de la Résurrection.
Propos recueillis par Anita S. Bourdin