ROME, Mardi 8 février 2011 (ZENIT.org) – « Ancien et Nouveau Testaments, questions de vocabulaire », c’est le titre de cette réflexion du P. Michel Remaud, directeur de l’Institut Chrétien d’Études Juives et de Littérature Hébraïque (Institut Albert Decourtray, Jérusalem), lauréat 2010 du Prix de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France (cf. Zenit du 15 mars 2010). Une réflexion publiée par « Un Echo d’Israël » lundi dernier, 7 février 2011.
Ancien et Nouveau Testaments, questions de vocabulaire
par Michel Remaud
On constate aujourd’hui une tendance à substituer aux formules « Ancien Testament » et « Nouveau Testament » celles de « Premier Testament et de « Second Testament ». Pour ma part, les expressions traditionnelles ne me gênent pas.
La première attestation de l’expression « Ancien Testament » se trouve dans la deuxième épître aux Corinthiens (3,14). Quand Paul emploie cette expression, dont il n’est peut-être pas l’auteur, ce ne peut être par opposition à un « Nouveau Testament » qui n’existe pas encore : quand il écrit aux Corinthiens, il ne se dit pas qu’il est en train de rédiger le Nouveau Testament ! S’il parle dans ce contexte de l’Ancien Testament, c’est pour dire, non que l’Écriture serait périmée, mais au contraire qu’il faut savoir la lire. Qu’il y ait divergence entre les lectures juive et chrétienne d’une même littérature biblique est une autre question qu’on ne peut pas traiter ici.
Ajoutons que dans l’antiquité, c’est ce qui est ancien qui fait autorité. Ce terme n’a donc rien de péjoratif ; on dirait même : au contraire. Témoin par exemple cette phrase de Tertullien sur « les hérétiques, eux qu’on doit, même sans discuter leurs doctrines, convaincre d’être hérétiques en vertu de l’objection de principe que constitue leur nouveauté. » On est aux antipodes d’une mentalité dans laquelle la nouveauté serait parée du prestige du dernier cri. « Verius quod prius », écrit le même auteur : est plus vrai ce qui est antérieur.
Lorsque le dernier concile, dans la déclaration Nostra Ætate sur les religions non chrétiennes, emploie l’expression d’« antique alliance » (antiquum fœdus), la formule, de toute évidence, n’a rien de péjoratif.
La formule « Nouveau Testament », ou nouvelle alliance (le dédoublement du vocabulaire n’est pas significatif : dans la Bible latine, « testamentum » traduit presque toujours l’hébreu b’rit, alliance) est, quant à elle… vétérotestamentaire : elle vient de Jérémie (31,31). Elle annonce que Dieu va conclure avec la maison d’Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle. Le prophète ne dit pas que Dieu va dénoncer l’alliance avec Israël pour en conclure une nouvelle avec un autre peuple, mais au contraire qu’il va renouveler l’expression de sa fidélité à Israël. Ici encore, on ne peut aborder la question que de manière sommaire. Les disciples de Jésus, juifs, rappelons-le, ont vu dans la résurrection de leur maître l’accomplissement de cette promesse d’une nouvelle alliance avec la maison d’Israël. Que la composition de l’Église se soit ensuite renouvelée au point que l’élément juif originaire en ait pratiquement disparu est un chapitre qu’il est impossible de développer ici.
On ne peut nier que ces termes, au fil des siècles, aient acquis des harmoniques étrangères à leur signification originale, et que le terme d’ancien soit devenu plus ou moins synonyme de périmé. Mais il faut souligner que dans la culture contemporaine, ce qui est nouveau ne le reste pas longtemps, et que ce mot est généralement synonyme d’éphémère…
Les expressions de « Premier Testament » et de « Second Testament », même si leur usage est inspiré par des intentions généreuses, ne me semblent pas meilleures que les formules traditionnelles. Elles peuvent même être comprises dans un sens encore plus dangereux, surtout si l’on se méprend sur le sens du mot « testament » : il n’est pas nécessaire d’être notaire pour savoir qu’un second testament annule le précédent ! Ces expressions présentent en outre l’inconvénient de mettre les deux « testaments » sur le même plan, comme s’il s’agissait d’une histoire en deux volumes, alors que chacun des deux est unique dans son ordre propre. « Le nouveau se cache dans l’ancien et l’ancien se révèle dans le nouveau », dit saint Augustin.
Je préfère donc utiliser les expressions traditionnelles, qui se recommandent par leur origine même, quitte, au besoin, à les expliquer.
Les retrouvailles entre chrétiens et juifs, provoquées directement par les événements liés au nazisme, ont pris dès le départ un tour militant : il s’agissait d’abord de sauver des juifs, puis de lutter contre un antisémitisme toujours renaissant. Sans rien relâcher de cette vigilance, il est indispensable aujourd’hui de travailler sereinement sur un autre plan, qui est celui de l’explication. S’indigner de formules malheureuses, ou supposées telles parce que mal comprises, ne peut constituer par soi-même un objectif. Nous avons surtout besoin, après des siècles de malentendus, de malveillance et même de violence, d’apprendre patiemment à nous connaître les uns les autres.