Les pauvres et les jeunes sont l’espérance du Honduras, par le card. Maradiaga

Interview du prélat hondurien, président de Caritas

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 ROME, Dimanche 6 février 2011 (ZENIT.org) – Le cardinal Oscar Rodríguez Maradiaga avoue qu’une de ses grandes passions est de former des séminaristes sur leur chemin vers le sacerdoce. Et il ajoute que la première question qu’il pose à ces jeunes concerne leur amour pour le Christ, puisqu’un prêtre « ne suit pas une idée ou une théorie, ou simplement une personne du passé », mais « le Christ vivant qui est parmi nous et qui nous appelle tous les jours ».

C’est une des réflexions à laquelle s’est livré le cardinal du Honduras, archevêque de Tegucigalpa et président de Caritas Internationalis, dans cette interview accordée à l’émission de télévision « Là où Dieu pleure ».

Dans une première partie, il porte un regard intérieur sur sa propre vocation de salésien et sur la dévotion mariale des Honduriens. Puis le cardinal Rodríguez Maradiaga parle de la corruption en Amérique latine et il explique pourquoi la situation des jeunes est motif d’espérance.

Q : Vous êtes entré chez les salésiens à 19 ans. Aviez-vous déjà, à un âge plus précoce, décidé d’être prêtre ?

Cardinal Rodríguez Maradiaga : J’ai reçu ma vocation à l’âge de 10 ans. En fait, ayant terminé mes études primaires à douze ans, je déclarai à mon père que je voulais entrer comme aspirant au Petit séminaire salésien, il me répondit : « Non tu n’iras pas, tu es très turbulent et tu seras renvoyé dès le premier jour ». Plus tard, j’ai compris qu’il avait raison. Et, a-t-il ajouté : « quand tu auras fini tes études supérieures, je t’enverrai au séminaire ». Et c’est ce qui s’est passé. A seize ans, je suis entré chez les salésiens d’abord comme aspirant, ensuite au noviciat et, à 18 ans, j’étais chez les salésiens.

Quelqu’un, ou quelque chose, vous a-t-il influencé dans votre décision d’être prêtre ?

J’ai eu la grande chance de faire mes études dans une école salésienne. J’étais impressionné de manière spéciale par la façon dont ils s’occupaient de nous, les jeunes. L’esprit qui régnait dans notre école : jeux, chants, prière et études. A la fin de la journée, il fallait nous obliger à quitter l’école, nous ne voulions pas rentrer à la maison. Nous avions un bel esprit. Puis, un jour que nous revenions de la messe, le directeur, mon ancien archevêque, m’a demandé : « N’aimerais-tu pas être prêtre ? ». J’ai immédiatement répondu que, bien sûr, je le voulais. Tel a été mon chemin.

Une de vos grande passions, avez-vous dit, est de former des séminaristes. Quelle est la première question que vous poseriez à un jeune qui fait part de son désir d’entrer au séminaire ?

La première porte sur son amour pour le Christ, parce que c’est la clé. Vous ne suivez pas une idée ou une théorie, ou simplement une personne du passé. Vous suivez le Christ vivant qui est parmi nous et nous appelle tous les jours. Voici donc la première question.

Vous avez dit qu’il y a deux choses qui unissent le peuple hondurien  : l’équipe de football et Notre Dame de Suyapa. Pouvez-vous nous parler de cette statue et de l’amour du peuple du Honduras pour Notre Dame ?

Bon, vous savez, c’est une petite statue. Elle ne mesure que six centimètres et demi de haut. C’est une statuette en bois, qui a été découverte en 1747, quand notre population « fondait ». Selon les estimations, quand les Espagnols arrivèrent en 1502 il n’y avait que 200.000 Honduriens. Pourquoi ? Parce que, au VIIIe siècle, les Mayas ont émigré au Guatemala, puis au Yucatan, laissant la terre quasiment à l’abandon et vide. Certains disent qu’il y a eu une guerre entre les tribus, d’autres une épidémie, d’autres encore que « El Niño » avait épuisé le sol, qui était désormais incultivable. Toujours est-il qu’il ne restait quasiment plus personne, tandis que disparaissait notre nationalité. C’est dans ce contexte que la statue de Notre Dame a été découverte.

C’est une statue miraculeuse ?

Oui, très miraculeuse. C’est une statue en bois qui a été découverte dans la montagne par deux paysans dormant en plein air. L’un d’eux sentit sous son dos quelque chose de dur. Il la jeta trois fois, mais il continua à la sentir sous son dos, et la troisième fois son compagnon lui dit de garder l’objet dans un sac et que, au matin, ils verraient ce que c’était. Quand ils arrivèrent dans leur petit village du nom de Suyapa – terme indien qui signifie « lieu de palmiers » – ils s’aperçurent que c’était une petite statue. Ils se mirent à prier et les miracles commencèrent jusqu’à ce qu’une petite église pût être construite, puis une autre, et maintenant nous avons un grand sanctuaire.

L’Amérique latine ne manque pas de défis. Vous avez-vous-même déclaré que la « mondialisation » est la goinfrerie de quelques-uns, qui laisse la majorité en marge de l’histoire. Peut-on dire que c’est quelque chose de particulièrement aigu aujourd’hui, notamment à l’heure actuelle avec la crise financière ?

Le Saint-Père n’a cessé de répéter qu’il s’agit d’une crise d’éthique qui a laissé une grande partie de la population de côté. Au début, c’était une sorte de marginalisation, mais pas d’exclusion. Aujourd’hui, il n’y a même pas une marge pour eux. Je suis le président de Caritas Internationalis, aussi je sais que l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a déclaré qu’il n’y avait pas d’argent pour réduire la pauvreté dans le monde. Sept billions de dollars auraient suffi et, un mois plus tard, ils ont donné 600 billions de dollars pour sauver quelques banques mondiales, et ils n’ont jamais cessé de verser de l’argent dans le « sac » parce que c’est un sac déchiré. Ils n’ont pas encore touché le fond et ils continuent à verser et verser dedans encore de l’argent. Si vous partagez les 600 billions de dollars entre 6,5 billions d’habitants dans le monde… la pauvreté disparaîtrait immédiatement.

On observe depuis quelque temps en Amérique latine un glissement vers des gouvernements plus socialistes, comme Chávez au Venezuela et Morales en Bolivie. Peut-on dire que ces gouvernements sont arrivés au pouvoir du fait de la frustration populaire – une frustration due aux injustices sociales et à la pauvreté ? Est-ce là le motif de ce changement ?

Oui, mais la principale raison, de mon point de vue, est la corruption des hommes politiques. La grande maladie de nos pays d’Amérique latine est que la plupart des politiques ont perdu la vraie notion de la politique et qu’ils voient l’Etat comme un « butin de pirates ». Ils entrent en politique et après une période au gouvernement, ils peuvent s’enrichir et vivre le restant de leur vie sans travailler et en toute impunité. Ce concept d’une nation vue comme une entreprise et de la politique menée comme une entreprise n’est pas bon, c’est pourquoi nous sommes si corrompus.

J’aimerais vous signaler une contradiction – évidente aussi, je pense, pour vous : nous voyons que ces gouvernements socialistes ont été élus pour leur option pour les pauvres. Or, l’Eglise a toujours eu cette option pour les pauvres et, pourtant, ces gouvernements socialistes commencent à attaquer, de plus en plus, l’Eglise dans ces pays. Comment l’expliquez-vous ?

La contradiction vient du fait qu’avec l’arrivée de ce type de gouvernements, la première chose qui disparaît est la liberté, la liberté d’expression, la liberté d’information. Par exemple, au Venezuela, les médias qui ne sont pas du côté du gouvernement ont tous été confisqués, ou alors on leur a rendu la vie impossible. Parce que le gouvernement n’a qu’un seul objectif et qu’il n’y a pas place pour la contestation. Il n’y a pas de place pour la liberté de mouvement et d’organisation. Quand l’Eglise voit ces choses, elle doit les dénoncer. C’est pourquo
i ces gouvernements voient en l’Eglise une ennemie, parce qu’elle ne se plie pas à leur objectif.

Peut-on parler aujourd’hui d’une persécution de l’Eglise catholique dans ces pays ?

Oui, et je le dis parce que nous nous réunissons fréquemment avec les évêques du monde entier. En Equateur où je suis allé pour un congrès missionnaire, j’ai été témoin de ce type de persécution. Je me suis rendu au Pérou et j’ai rencontré des évêques de Bolivie qui m’en ont parlé. J’ai même rencontré ici, à Rome, des évêques du Venezuela, et nous constatons que ces persécutions existent réellement.

Que peut faire l’Eglise face à cette situation, en particulier dans les pays où l’Eglise est persécutée ?

Ce que nous pouvons faire, c’est être solidaires avec eux, et aussi dénoncer ces politiciens. Je l’ai fait à plusieurs reprises et le président Chávez s’en est pris à moi, mais peu m’importe, car il est nécessaire de dire la vérité. Et, naturellement, voici un autre aspect de ces gouvernements : ils ne tolèrent pas l’idée que quelqu’un puisse penser autrement qu’eux. Ils croient qu’ils sont les seuls à détenir la vérité, mais tout n’est que mensonge. Il suffit de regarder un pays aussi riche que le nôtre et où, cependant, la pauvreté et la faim sont en hausse. Il y a là une contradiction, et c’est vraiment ridicule. C’est une conséquence du manque d’éducation politique de la majeure partie de notre peuple. Dans certains endroits, les votes sont achetés. Dans mon pays, durant une grande partie de l’année, les gens ne voient pas passer un seul centime, jusqu’après la récolte. Quelques hommes politiques viennent alors et leur offrent, disons, 50 dollars, les gens votent donc pour eux et c’est ainsi, hélas, que les choses se passent.

Nous n’aurons pas la paix, avez-vous dit, tant que la pauvreté continuera à augmenter. Aurons-nous à affronter des temps difficiles puisque – comme nous l’avons vu – la pauvreté augmente dans toute l’Amérique latine ?

Quand vous n’avez pas de travail et que vous n’avez pas de quoi nourrir votre famille, que pouvez-vous faire ? Emigrer ? Partir vers la Terre promise du nord et accroître votre pauvreté ? Aujourd’hui, ils ont érigé tous ces barrières et toutes ces législations contre les immigrés. Contraints de vivre dans la clandestinité, ceux-ci ne peuvent pas travailler. Les personnes qui emploient ces immigrés clandestins sont condamnées à de lourdes amendes. Aussi ces derniers ne peuvent pas envoyer de l’argent dans leur pays d’origine. Il fut un temps où notre économie dépendait de ces envois d’argent des immigrés, mais c’est terminé aujourd’hui. Ils diminuent très vite. Alors les gens recourent à la violence, s’impliquent dans des bandes, dans le trafic de drogue – qui est malheureusement florissant en Amérique latine – et les enlèvements sont maintenant une industrie. Il n’y a pas de paix sociale. C’est dramatique, et nous avons perdu la paix à cause de l’injustice, parce qu’il n’y a pas de possibilité de gagner sa vie de façon honnête.

Certains pays d’Amérique latine ont ciblé leurs stratégies de réduction de la pauvreté sur le contrôle des naissances. Selon vous, s’agit-il d’une approche malencontreuse et d’où vient-elle ?

Cette politique existe depuis très longtemps – peut-être 50 ans – dans le département des Nations Unies pour la population. Ils ont décidé que notre croissance démographique était top rapide. C’était normal au Honduras ! Il n’y avait que 1,5 millions de Honduriens en 1959 contre 7 millions aujourd’hui, mais nous étions sous-peuplés à cause des guerres civiles. Nous avons connu un siècle de guerres civiles et de maladies. Avec l’amélioration des conditions sanitaires, nous avons commencé à croître, mais nous sommes encore sous-peuplés en tant que nation. Nous avons besoin de main d’œuvre pour nous développer. Au début des années 1950, un pays sud-américain a démarré le contrôle des naissances. Quel est le résultat ? Ils n’ont jamais progressé. Il n’existe pas de croissance industrielle sans consommateurs. Ils sont donc fortement tributaires des plus grands pays qui les entourent. C’est une erreur. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de réduire le nombre des invités à table, mais d’augmenter les chaises pour que tout le monde puisse s’asseoir à table pour manger.

Vous avez mentionné que les Nations Unies ont quelque chose à voir avec cela. Selon vous, l’influence sur les politiques de contrôle des naissances vient-elle du gouvernement local ou d’organisations comme la Fédération internationale du planning familial (IPPF), qui viennent de l’extérieur, mais imposent leur politique sur le continent ?

C’est une des pires organisations, et je n’ai pas peur de les dénoncer car ils utilisent des méthodes infectes, allant jusqu’à insulter ceux qui ne sont pas d’accord avec eux. Ils achètent, parfois corrompent et désinforment la population. Nous n’avons pas besoin de cela. Nous avons besoin d’aide pour le développement, et pas de pots-de-vin pour soudoyer nos gouvernants. Nous avons besoin de ressources pour les investir en faveur des personnes, et non pour détruire la population.

Quelles sont les motivations de l’IPPF et d’autres organisations ? Quel est leur programme sur un continent comme l’Amérique latine ?

Ils ont décidé que nous ne sommes pas de bons partenaires pour leurs affaires car, comme vous le savez, notre continent étant majoritairement catholique, nous n’accepterons jamais leur « philosophie », qui est contraire à la Création, contre Dieu. Nous ne nous retrouvons pas dans leur raisonnement et, naturellement, je l’ai dit clairement, et je l’ai dit devant l’ONU. Par exemple, mon pays a décidé que le mariage doit être conforme à la loi naturelle : l’union entre un homme et une femme. Des lobbyistes, qui ne sont pas d’accord, font pression sur nos députés, attaquent l’Eglise en déclarant qu’elle est dans l’erreur, mais nous savons que nous n’avons pas tort et nous voulons vivre en paix comme des êtres humains, sans déviances.

L’avortement est aujourd’hui un gros problème. Une forte pression s’exerce dans nombre de pays catholiques d’Amérique latine pour inscrire l’avortement dans la loi. Peut-on dire que nous sommes en train de perdre une bataille ? Selon vous, les gouvernements latino-américains imposeront-ils l’avortement ?

Ils tentent de le faire tous les deux ou trois ans, et nous devons rester sans cesse vigilants. Je suis évêque depuis 30 ans et je me suis toujours opposé, dans un langage modéré, aux représentants du congrès et, jusqu’à maintenant, nous avons réussi à stopper ce type de législation  ; car, une fois que vous avez admis l’avortement, la prochaine étape sera l’euthanasie. C’est leur projet mondial. Donc, quel est leur but ? Détruire la vie. C’est la culture de la mort contre laquelle Jean-Paul II nous a toujours mis en garde.

Et pourtant, vous considérez l’Amérique latine comme le renouveau de la foi, la renaissance de l’Eglise catholique dans le monde. Comment pouvez-vous garder un tel optimisme après avoir reçu autant de « coups » ?

Parce que nous sommes des personnes de foi. Surtout les pauvres. L’Eglise a toujours eu cette option préférentielle pour les pauvres, depuis Medellin en 1968. Ce sont eux qui fréquentent nos églises, aident les catéchistes, aident aux sacrements, et c’est à l’Eglise qu’ils demanderont de les guider, pas aux Nations Unies.

Pour expliquer votre optimisme, vous avez raconté à vos séminaristes l’histoire de l’arbre qui tombe dans la forêt. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Nous sommes une nation très jeune  ; 42% de notre population est âgée de moins de 15 ans. On dit beaucoup que les jeunes sont perdus, qu’il y en a trop dans les bandes criminelles. Je dis que non. C’est ce que propage la publicité, parce qu’un arbre qui tombe dans la forê
t fait beaucoup plus de bruit que la multitude des arbres qui croissent. Bien sûr, nous entendons le grand bruit, mais nous ne voyons pas que la majorité de nos jeunes sont bons et qu’ils suivent le Christ. Je célèbre le sacrement de confirmation chaque année et nous avons près de 10 000 confirmés. C’est magnifique, parce que ce ne sont pas des enfants mais des jeunes, hommes et femmes, qui ont décidé de suivre le Christ et de vivre leur vie de chrétiens. Aussi notre principal défi est comment les accompagner après leur confirmation dans leur choix de vie, mariage ou vie consacrée. Il y a beaucoup, beaucoup de motifs d’espérance et la plupart des jeunes veulent suivre le Christ.

Vous avez dit un jour que nous devrions être comme des « vitraux colorés »…

Oui, parce que vous savez, nous sommes simplement comme des vitraux colorés reflétant la lumière qui vient du Christ, et nous devons être comme ces magnifiques vitraux qui ornent les grandes cathédrales, débordants de lumière et de couleurs, pour présenter la beauté de la vie chrétienne aux jeunes.

Propos recueillis par Mark Riedermann pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

Sur le Net :

– Aide à l’Eglise en détresse France

www.aed-france.org

– Aide à l’Eglise en détresse Belgique

www.kerkinnood.be

– Aide à l’Eglise en détresse Canada

www.acn-aed-ca.org

– Aide à l’Eglise en détresse Suisse

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ZENIT Staff

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