Mgr Farrell rappelle que la recherche de l’unité est un impératif de la foi

Entretien avec le secrétaire du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens

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 ROME, Jeudi 27 janvier 2011 (ZENIT.org) – Nous reprenons ci-dessous l’entretien accordé à L’Osservatore Romano par Mgr Brian Farrell, secrétaire du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens dans lequel il établit un état des lieux de l’engagement de l’Eglise catholique en faveur de l’unité.

Le Conseil pontifical a récemment célébré le cinquantième anniversaire de sa fondation. L’esprit qui a présidé à sa naissance sous le pontificat de Jean XXIII s’est-il maintenu dans l’Eglise catholique ?

En effet, le 17 novembre dernier, a été solennellement commémoré le cinquantenaire de la création du Secrétariat pour la promotion de l’unité des chrétiens, que Jean XXIII a souhaité avec force et institué en même temps que les autres commissions chargées de préparer le concile Vatican II. Convaincu que tous les travaux du Concile devaient être imprégnés du désir de rétablir l’unité, le pape a souhaité, comme signe clair de sa volonté, la présence d’observateurs d’autres Eglises et communautés ecclésiales au Concile même.

Il me semble tenir du miracle que les plus de deux mille évêques venus à Rome pour inaugurer le Concile en 1962, dont beaucoup avaient été formés à une théologie de l’ « exclusion », selon laquelle orthodoxes et protestants – des schismatiques et hérétiques dans la terminologie alors en usage – étaient tout simplement considérés comme étant en dehors de l’Eglise, aient pu promulguer trois ans plus tard le décret Unitatis redintegratio, qui reconnaît une communion ecclésiale, réelle bien qu’incomplète, entre tous les baptisés et entre leurs Eglises et communautés.

Cette perspective renouvelée, en parfaite harmonie avec l’ancienne ecclésiologie des Pères, a eu des conséquences considérables sur la façon nouvelle pour les catholiques de considérer leurs relations avec les autres chrétiens et leurs communautés, et sur l’adhésion irrévocable de l’Eglise catholique au mouvement oecuménique. Jean XXIII a parlé d’un « bond en avant », d’une vision nouvelle de la tradition de toujours, ouvrant ainsi des routes nouvelles pour l’Eglise vers cette unité visible qui lui est propre. D’abord, bien sûr, opérée par la grâce de l’Esprit Saint, cette transformation est due en grande partie à l’intense travail du premier président du secrétariat pour la promotion de l’unité, le cardinal Agostino Bea, et de ses collaborateurs.

Que reste-t-il du travail des premières années du Conseil pontifical ?

Tout est resté, pour ce qui concerne l’enseignement du Concile sur les principes qui sous-tendent la recherche de l’unité. Les cinquante années écoulées depuis lors témoignent de la fécondité de cet enseignement dans la vie concrète de l’Eglise et pour le monde chrétien dans son ensemble. Lors de la commémoration évoquée plus haut, outre l’important message du pape Benoît XVI transmis par son secrétaire d’Etat, le cardinal Bertone, trois grandes figures du monde oecuménique – le cardinal Walter Kasper, président émérite de notre Conseil pontifical, l’archevêque de Canterbury, Rowan Williams, et le métropolite Ioannes de Pergame, éminent théologien du patriarcat oecuménique – ont souligné qu’il était d’une grande importance et urgence pour l’évolution historique actuelle que les chrétiens puissent parler et travailler ensemble, non seulement pour défendre la liberté, à commencer par la liberté religieuse, mais pour affronter avec espérance les défis considérables qui se présentent à l’humanité.

Mais certains se disent déçus des résultats d’un si grand effort…

Ceux qui le pensent ne voient pas la réalité. Dans sa magnifique encyclique Ut unum sint, le pape Jean-Paul II a écrit que le fruit le plus précieux de l’oecuménisme est probablement la « fraternité retrouvée » entre les chrétiens. Les jeunes générations ont du mal à comprendre à quel point les choses se sont améliorées. Dans le passé les chrétiens divisés s’évitaient, ne se parlaient pas ; les Eglises maintenaient une attitude de conflit et de rivalités mutuelles, s’autorisant souvent des actions véritablement scandaleuses, qui sapaient la mission même d’évangélisation. On observe encore, ça et là, ce genre de signes, mais il est de jour en jour plus avéré que cette façon de faire n’est pas acceptable : elle n’est pas de Dieu. Si l’on considère « le dialogue de la vie », autrement dit l’immense monde de contacts, de collaboration, de solidarité entre les chrétiens, on ne peut pas être déçu. Si l’on considère le « dialogue de la vérité », autrement dit la recherche des moyens de dépasser et surmonter les éléments théologiques de divergence, là aussi beaucoup a été fait, y compris la résolution d’anciennes querelles christologiques, tandis qu’a été substantiellement surmonté même l’aspect le plus profond de l’écart entre catholiques et réformés concernant la justification, c’est-à-dire sur comment s’opère en nous le salut. Toutefois, en matière doctrinale, il conviendra de procéder lentement, avec précaution, si nous voulons être certains d’avancer dans la fidélité au dépôt de la foi, de parvenir à un accord fondé sur la vraie Tradition.

Cependant, dans le dialogue théologique, des difficultés nouvelles ont surgi avec les orthodoxes ?

Nous étudions le point essentiel de nos différences portant sur la structure ainsi que la façon d’être et d’agir de l’Eglise : la question du rôle de l’évêque de Rome dans la communion de l’Eglise au premier millénaire, quand l’Eglise en Occident et en Orient était encore unie. Après des études et discussions approfondies, les membres de la Commission théologique n’ont pu que constater l’énorme écart entre l’expérience historique vécue et assimilée dans la culture occidentale, et l’expérience historique perçue dans la vision orientale. Chaque évènement historique est sujet à des interprétations diverses. La discussion n’aboutit pas à une réelle convergence. Mais il est également vrai que, dans la recherche d’un consensus, l’important est avant tout de mettre en lumière les principes doctrinaux et théologiques qui avaient cours dans ces évènements et qui sont déterminants pour demeurer fidèles à la volonté du Christ pour son Eglise. Il a donc été décidé de mettre au point un nouveau document avec un fondement théologique. Je suis convaincu que c’est la bonne façon.

Par conséquent, quand on parle de difficultés nouvelles, il ne s’agit pas de difficultés insurmontables, mais d’une véritable opportunité. Il est clair que la discussion théologique à venir ne sera ni facile, ni rapide. Mais il me semble que la conviction que l’unité est possible, grandit ; la situation actuelle du monde pousse les Eglises dans cette direction. Je pense qu’il est urgent que la théologie catholique élabore une vision plus concrète, un modèle répondant aux attentes actuelles de pleine communion visible. Ainsi, nos frères orthodoxes pourront avoir confiance et surmonter les peurs ataviques d’une présomption de supériorité de l’Occident. Il nous faudra certainement réaffirmer tout ce que le Concile a énoncé sur l’égale dignité de tous les rites, sur le respect dû aux institutions, traditions et disciplines des Eglises d’Orient et tant d’autres choses.

Et avec les protestants ?

En 2009, le cardinal Kasper a publié une importante étude intitulée Harvesting the Fruits (Récolter les fruits), qui examine en profondeur plus de quarante années de dialogue oecuménique entre le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens et les principales communautés ecclésiales dans le monde.

Il reste des divergences significatives, tandis qu’en surgissent parfois de nouvelles ; mais on est surpris de découvrir comment les controverses du seizième siècle sont perçues à
présent dans une nouvelle lumière qui atténue l’importance des positions adoptées alors ; nous comprenons ainsi que, sur de nombreux points essentiels, nous sommes moins éloignés. Certes, la principale difficulté réside dans la différence de conception de ce qu’est l’Eglise voulue par le Christ. Non seulement dans l’abstrait, ce qu’elle est, mais concrètement, là où l’Eglise se trouve et où elle se réalise dans sa plénitude. Là-dessus, il y a encore beaucoup à faire.

C’est le travail des experts ; mais l’oecuménisme devrait englober tout le monde !

Assurément. Les dialogues se poursuivront, car ils constituent la voie maîtresse de l’obéissance à la volonté du Seigneur pour l’unité de ses disciples dans la vérité. Mais ils n’auront une signification, et ne seront fructueux que s’ils sont soutenus par le corps vivant de l’Eglise tout entier. Ce sont les Eglises, les communautés de croyants, qui devront converger vers l’unité. Aujourd’hui, nous devons revenir aux origines du mouvement oecuménique et retrouver ce que l’on appelle « l’oecuménisme spirituel ». La prière, la conversion du coeur, le jeûne et la pénitence, la purification de la mémoire, la purification de notre manière de parler des autres : cette sensibilité spirituelle était présente au début du mouvement oecuménique, elle est le centre de l’oecuménisme et le devoir de tous. L’oecuménisme spirituel n’est pas le monopole des experts ; tous les chrétiens peuvent être protagonistes de ce mouvement.

Un aspect particulier, à la portée de tous, a été souligné lors du synode des évêques sur la parole de Dieu, et repris dans l’exhortation apostolique Verbum Domini  (la Parole du Seigneur) de Benoît XVI : être à l’écoute, prier et réfléchir ensemble sur l’Ecriture, voici le chemin à parcourir pour atteindre l’unité de la foi, en réponse à l’écoute de la Parole ». Sur l’Ecriture, nous sommes divisés, autour de l’Ecriture nous devons nous retrouver. Faisons donc de l’Ecriture Sainte le coeur de l’oecuménisme ! Dans ce document, le Saint-Père a également rappelé l’importance oecuménique des traductions communes de la Bible. Loin de nous inciter à nous replier sur nous-mêmes, le Saint-Père nous tire en avant sur la route de la recherche de l’unité ! Vos souhaits pour la Semaine de prière pour l’unité ?

La Semaine de prière pour l’unité des chrétiens que nous célébrons cette année fait référence à l’expérience de la première communauté chrétienne de Jérusalem, telle qu’elle est décrite dans les Actes des Apôtres :  ils étaient « unis dans l’écoute de l’enseignement des apôtres, la communion fraternelle, la fraction du pain et la prière ». Nous sommes ainsi confrontés à ce que signifie être l’Eglise comme communion, dans la vérité, dans l’amour, dans les faits. Les textes pour cette année ont été préparés à Jérusalem ; les chrétiens de la Ville Sainte nous invitent tous à redécouvrir les valeurs qui constituaient l’unité des premiers disciples et nous appellent à renouveler notre engagement à travailler pour un véritable oecuménisme, sur le modèle de vie de la première communauté chrétienne.

Se fondant sur leur expérience en Terre Sainte, au Moyen-Orient, les chrétiens de Jérusalem nous disent que l’unité est la condition nécessaire pour obtenir la justice, la paix et la prospérité de tous les peuples. Je souhaite que cette Semaine nous fasse comprendre sérieusement, également à nous catholiques, que la recherche de l’unité ne peut être reportée au moment où tous les autres problèmes religieux et pastoraux seront résolus : elle est la condition essentielle pour surmonter tous les autres problèmes. Le Seigneur a prononcé une parole tout à la fois merveilleuse et terrible : que tous soient un « afin que le monde croie ». L’Eglise existe pour évangéliser, mais ne pourra pas proposer l’Evangile de façon convaincante tant que les chrétiens persistent dans leurs divisions. La recherche de l’unité n’est pas un luxe, elle est un impératif de la foi.

© L’Osservatore Romano – 19 janvier 2011

Traduit de l’italien par Zenit

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ZENIT Staff

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