ROME, Mercredi 5 janvier 2011 (ZENIT.org) - Le monde du cinéma et le monde catholique sont impatients de découvrir le film que le réalisateur britannique Roland Joffé présentera au printemps prochain « There Be Dragons » (cf. http ://www.therebedragonsfilm.com) dans lequel saint Josemaría Escrivá de Balaguer, fondateur de l'Opus Dei, joue un rôle de premier plan.

Il s'agit d'un drame, écrit et réalisé par Roland Joffé - également réalisateur, entre autres, de « Mission » et de « La Déchirure » - dont le cadre est celui de la guerre civile espagnole. Roland Joffé affronte des questions comme la sainteté et la trahison, l'amour et la haine, le pardon et la violence, la recherche d'un sens à la vie. S'y trouvent mêlées les histoires de soldats révolutionnaires, d'un journaliste, de son père, de saint Josémaria lui-même, appelé le saint de la vie ordinaire.

En ce début de l'année 2011, qui marquera le 75ème anniversaire du déclenchement de la guerre civile d'Espagne, Roland Joffé explique, dans cette interview à Zenit, dont nous publions ici la deuxième partie, les convictions qu'il a voulu transmettre à travers ce film (pour lire la première partie, cf. Zenit du 1er janvier 2011).

Zenit - Dans quelle mesure le personnage de Josémaria Escrivá, qui est maintenant un saint dans l'Eglise catholique, est-il basé sur la réalité, et dans quelle mesure sur la fiction ?

Roland Joffé - De tous les personnages du film, Josemaría est le seul qui ait existé historiquement, le seul sur lequel abondent témoignages et preuves. Je crois que la représentation que nous avons de Josemaría pour ce qui est de son type de sensibilité, son sens de l'humour - qu'il possédait indéniablement - ressort des évènements de sa vie et est vraiment très proche de la personne qu'il a été réellement. J'ai eu envie de dépeindre son personnage avec vérité, et de prendre sa foi au sérieux, comme il l'a fait. J'imagine que l'usage avec les saints est de les considérer, en étrange opposition à la pècheresse au cœur d'or, comme des hommes au cœur de plomb ; mais c'est juste un usage commode. En effet, l'histoire de Josemaría est celle d'un homme qui accomplit l'extraordinaire exploit de simplifier sa vie autour d'un amour de Dieu authentique et puissant. Cet amour de Dieu devient un principe organisateur qui le façonne et lui confère une sorte de simplicité et de force.

Mais cela n'en fait pas pour autant quelqu'un d'ennuyeux et d'insipide, car cet amour a existé dans le monde réel, et le fruit de cette existence dans le monde réel, souvent cruel et dur, doit être pour tout homme sincère le doute. Douter de Dieu et de la bonté. Ce doute est extrêmement, profondément fécond. L'amour ne nous tombe pas du ciel, comme un sine qua non. Il faut se battre pour lui. C'est ce que nous, êtres humains, devons apporter à la table. Il nous faut trouver cet amour au plus profond de nous-mêmes, en ayant conscience de la beauté cachée de notre propre faiblesse et de celle des autres. Dans un sens profond qu'illustre, me semble-t-il, l'histoire du Christ. Si nous sommes croyants, nous avons encore à trouver cet amour au fond de nous-mêmes et à l'offrir à Dieu et à sa riche création. Si nous ne sommes pas croyants, nous devons quand même le trouver et l'offrir aux autres êtres humains, indépendamment de leurs opinions politiques, leur race ou leur religion.

Aviez-vous déjà des idées sur la façon dont vous vouliez représenter la guerre civile espagnole, ou certains des personnages, comme saint Josemaría Escrivá ?

Je ne savais pas grand-chose de Josemaría avant qu'on m'ait sollicité pour le film. Voici ce qui s'est exactement passé : un jour, un des producteurs du film est venu en Hollande pour me convaincre de faire le film. Il avait emporté avec lui plusieurs livres et de la documentation, dont un DVD sur Josemaría. Nous avions fait un très, très bon repas ensemble et, revenant chez moi à pied, je pensais « Je n'ai vraiment aucune envie de faire ce film. J'ai un autre projet auquel je tiens vraiment, qui se passe en Inde, et j'ai travaillé longtemps pour le mettre au point ». En d'autres termes, je pensais que c'était une très, très belle offre, j'avais vraiment apprécié le repas, mais je pensais la refuser.

C'était un soir d'été, aussi je me rendis dans le jardin, un verre de vin blanc à la main, mis le DVD dans mon lecteur, et m'assis devant mon ordinateur pour taper une courte lettre disant « Cher X, merci beaucoup. J'apprécie que vous ayez fait tout ce chemin, mais je pense vraiment que vous devriez chercher ailleurs ». Le DVD marchait toujours, et un moment du récit a attiré mon regard : Josemaría s'adressait à une grande foule de gens, au Chili peut-être, ou en Argentine, je ne suis pas sûr de l'endroit, et une jeune fille a levé la main en disant «  J'ai une question à poser ».

Et Josemaría de répondre, « Oui, je vous en prie ».

Et elle, « J'aimerais me convertir au christianisme. »

Lui, « Oui ? »

Elle poursuivit : « Mais mes parents sont juifs et l'idée ne leur plaît pas trop ».

Josemaría, sans sourciller, répondit « Oh ma chère, non, non, honorer vos parents est ce qui plaît particulièrement à Dieu. Dieu ne vous demande pas d'offenser vos parents, de rendre vos parents malheureux. Absolument pas ! Ce que vous ressentez dans votre coeur est ce que vous ressentez dans votre coeur. Non, non, non, n'énervez pas vos parents - ne faîtes pas souffrir vos parents. Ils n'ont absolument pas besoin de cela ».

En regardant à ce moment-là la vidéo, je me disais : « Quel moment merveilleux ! Quel moment merveilleux, inattendu, surtout venant d'une organisation de laquelle tout le monde s'attendrait à ce qu'elle dise le contraire ». Je regardai mon ordinateur et pensai : « Attendez une minute. » J'éteignis le DVD. J'arrêtai d'écrire ma lettre. J'enfilai ma casquette de metteur en scène et j'écrivis une scène où Josemaría rencontre un homme à l'article de la mort, qu'il a connu auparavant, qui lui dit qu'il est juif et songe à se convertir.

J'écrivis la scène d'un bout à l'autre, sans cesser de penser : « J'ai vraiment envie de voir cela dans un film. Mais je ne le verrai jamais si je ne fais pas le film, n'est-ce pas ? Où cette scène cadrerait-elle dans un autre film ? »

Au lieu de la première lettre que je m'apprêtais à rédiger, j'écrivis : « Cher X, Je suis vraiment intéressé par ce projet, à condition de disposer de toute liberté de création pour faire comme je l'entends, que vous ne comptiez pas sur moi pour suivre une quelconque ligne de parti, et que vous acceptiez le fait que je ne suis pas très intelligent et que je ferai de mon mieux, mais je dois suivre ma propre vérité. Si vous êtes d'accord, j'aimerais vraiment faire ce projet ». C'est plus ou moins ce qui s'est passé. Je n'avais aucune idée préconçue sur Josemaría, je savais une ou deux choses sur lui, bien sûr, mais c'est surtout au moment de ce passage du DVD, que s'éveilla mon intérêt pour réaliser le film. On me présenta une histoire sur un homme, que je lus, et je pris conscience que je respectais vraiment cet homme. En fait, plus qu'un simple respect, je sentais qu'il incarnait quelque chose dans son combat, qui parlerait à tous les êtres humains d'une façon merveilleuse, et c'est l'histoire que je voulais raconter, et dont parle ce film.

La guerre civile espagnole était, bien sûr, toute aussi compliquée à traiter. Il aurait été facile de prendre parti, mais cela aurait trahi l'axe central de mon approche du récit. L'histoire, c'est bien connu, est partisane, écrite par l es vainqueurs et réécrite par les vaincus. Beaucoup croiront simplement la rumeur ou la légende qui leur paraîtra la plus agréable à entendre et nous allons devoir, j'en suis sûr, mettre à mal certaines opinions sur ce que l'Opus Dei est ou était, sur qui était Josemaría, et ce qu'a été réellement la guerre civile espagnole.

J'ai eu envie de décrire ce qui s'est passé en Espagne durant la guerre civile espagnole sans esprit partisan. En fait, l'Espagne a connu, sur une période de temps très condensée, ce que la Grande-Bretagne, par exemple, a connu et absorbé pendant une centaine d'années. Révolution industrielle, âpres idéologies de classe, sans compter en Espagne la perte de son empire et l'instabilité économique - en Espagne les choses ont été dessinées de façon abrupte, davantage en noir et blanc. La société espagnole n'a vraiment eu aucune difficulté à se fracturer et - en si peu de temps - à adopter des opinions opposées extrêmes et entières sur la justice sociale, le rôle de l'Eglise, etc. Finalement, comme le veut la nature de ces tensions sociales, les opinions extrêmes ont commencé à écarter les autres. Avec l'affaiblissement du centre, les deux pôles opposés se sont renforcés.

Les deux camps dans la guerre civile espagnole avaient des idéaux et le sentiment de leurs propres vertus. Comme d'autres mouvements politiques dans le reste de l'Europe, les gens des deux côtés de la démarcation politique se sont mis à diaboliser l'autre camp. Mais les divisions qui, en Europe, devinrent des divisions nationales, en Espagne restèrent fratricides et laissèrent des blessures psychologiques profondes et difficiles à cicatriser. Ce qui s'est passé en Espagne a été douloureux et complexe, a réellement déchiré des familles de façon particulièrement terrible et atroce. Si deux frères font des choix différents, cela signifie-t-il qu'ils ne sont plus frères ? Si cela signifie qu'ils ne sont plus frères - si nous voulons tuer nos frères à cause de ce que nous croyons - alors ne faudrait-il pas nous interroger sur la valeur de nos choix ?

Tout votre travail de préparation de ce film a-t-il influencé d'une façon ou d'une autre votre vie personnelle ?

Je répondrais à la question de la façon suivante : je ne suis pas vraiment très religieux, mais j'ai été sollicité pour écrire sur un homme qui l'était. J'ai dû prendre du recul et me dire « Quand j'écris sur Josemaría, je dois accepter tel quel - complètement, honnêtement et sincèrement - tout ce que Josemaría me dit de ce qui a compté pour lui, ce à quoi il a consacré sa vie, ce qu'a été son expérience religieuse. Je dois me renseigner autant que je peux sur son expérience religieuse, sans idée préconçue, honnêtement ; simplement la laisser m'interpeller.

J'ai beaucoup lu sur l'expérience religieuse. J'ai éprouvé émotion et joie en découvrant que de nombreux hommes de science (en particulier des physiciens) ont vécu une expérience profonde de Dieu, et j'ai été bouleversé de voir que la séparation entre science et religion, qui est devenue la pensée dominante de notre époque, était en fait factice. J'ai fini par comprendre que la grande découverte de la physique moderne est que notre perception du réel se fonde sur des modèles fabriqués par notre cerveau et que, par conséquent, il existe de nombreux modèles de la réalité. Beaucoup sont insuffisants pour tout expliquer, mais appropriés pour expliquer certaines choses ; ils nous proposent une nouvelle compréhension de ce que peut être, en fait, la ou les réalités, une compréhension qui n'exclut absolument pas l'idée de Dieu, ou une dimension spirituelle de l'immense univers que nous habitons, mais plutôt nous montre que la façon dont la science nous a conduit à redéfinir et réinterpréter le réel nous offre aussi l'occasion de redéfinir et réinterpréter le spirituel.

Je ne sais pas trop dans quelle mesure, pendant ces quelques années, cette expérience m'a influencé. Je crois qu'il faut un certain temps pour que les choses profondes apparaissent pour ce qu'elles sont réellement.

J'ai éprouvé une sensation très particulière en filmant There Be Dragons : plutôt qu'une expérience solitaire comme je l'avais cru, il s'est agi d'une expérience extrêmement intéressante, et pas du tout solitaire. Penser soudainement « Laissez-moi mettre de côté mes réponses faciles et vivre simplement avec la question », a été pour moi merveilleusement convaincant et fascinant, et m'a permis de me sentir très, très proche de ce processus de vie d'une façon que je n'aurais pas cru possible. Et je ne sais pas trop à présent où cela va me mener.

Propos recueillis par Jesús Colina

Traduit de l'anglais par Elisabeth de Lavigne