ROME, Dimanche 24 octobre 2010 (ZENIT.org) – L’Eglise en Algérie est considérée par beaucoup comme l’ombre d’elle-même. Au Ve siècle, plus de 700 évêques étaient dispersés en Afrique du Nord. Aujourd’hui, les chrétiens n’atteignent pas 1% de la population totale.
Dans cette interview accordée à l’émission de télévision « Là où Dieu pleure », Camille Eid, professeur à l’Université de Milan, journaliste, auteur et expert des Eglises du Moyen-Orient, parle du déclin de l’Eglise en Algérie et des signes d’espoir pour son renouveau.
Q : Pouvez-vous nous tracer un bref historique de l’Eglise en Algérie ? A-t-elle été jadis une Eglise florissante ?
Camille Eid : Oui. Au Ve siècle, nous comptions 700 évêques en Afrique du Nord. La conquête arabe a provoqué un déclin progressif, encore que jusqu’aux 10e et 11e siècles, nous avons des témoignages de lettres envoyées à Rome, au pape, qui attestent l’existence de communautés chrétiennes jusqu’à cette période. C’est ainsi que, durant trois siècles après la conquête islamique, s’est maintenue une vie chrétienne, mais qui a décliné peu à peu en raison de l’hérésie donatiste – les gens embrassaient donc certaines hérésies contraires au catholicisme. Ensuite, la dynastie aghlabide a imposé la conversion à l’islam après la conquête normande, ou reconquête de la Sicile. En représailles, ils imposèrent à tous les chrétiens la conversion à la religion islamique.
De quelle année parlons-nous ?
Nous parlons des 11e et 12e siècles, au moment de la disparition de toute présence chrétienne dans toute l’Afrique du Nord, pas seulement en Algérie, mais aussi en Tunisie et au Maroc.
L’Eglise est donc devenue une Eglise des catacombes ?
Précisément. ll nous a fallu ensuite attendre le retour du christianisme, malheureusement sous forme de colonialisme. Quand les Français arrivèrent en Afrique du Nord, ils encouragèrent leurs citoyens à s’établir dans la région, à acheter des fermes agricoles, d’où une augmentation de la présence chrétienne atteignant environ 900 000 fidèles, une progression très forte.
Surtout dans un laps de temps aussi court. Puis il y a eu un nouveau déclin ?
Oui, mais il est à noter que cette présence chrétienne était avant tout sous l’influence de la République française, elle-même fortement influencée par la franc-maçonnerie. Les Français ont ordonné à l’Eglise et aux premiers évêques d’Alger d’interdire à la population musulmane locale d’entrer dans les églises, d’éditer an arabe l’Evangile et autre littérature chrétienne, d’admettre la présence de musulmans dans les assemblées, d’accepter des prêtres venant de Syrie ou du Liban qui parlaient l’arabe – bref l’islam pour les Algériens et le christianisme pour les Français. Il ne s’agissait donc pas d’une présence très active d’une Eglise missionnaire. Durant cette période. Ils étaient 900 000, mais isolés dans une sorte de système d’apartheid.
Et que s’est-il passé ensuite ? Il y a eu un déclin rapide ?
Oui, et après 1962 tous les Français – les « Pieds-Noirs » – sont rentrés en France et, depuis, il n’est resté que quelques milliers d’étrangers travaillant dans le pétrole et le gaz, jusqu’à aujourd’hui.
Et pour être précis, 1962 a été l’année de la guerre d’indépendance ?
Oui, la guerre a débuté en 1954 pour s’achever en 1962 avec l’indépendance de l’Algérie. En l’espace d’un à deux ans, tous les chrétiens sont rentrés en France, et la présence chrétienne est tombée à moins de 1% de l’ensemble de la population.
Aujourd’hui, les chrétiens représentent environ 40 000 fidèles sur une population de quelque 33 millions. Comment sont-ils vus en Algérie ?
L’Algérie est un pays socialiste manifestant des idées de liberté et de démocratie, même sous un régime du parti unique. Les fondamentalistes ou islamistes radicaux se propagent un peu au sein de la société, en particulier dans les grandes villes… Il est évident qu’il existe deux points de vue sur les chrétiens : celui des intellectuels, nombreux à encore utiliser le français dans leur vie quotidienne, qui ont une mentalité française et une approche des chrétiens plus claire et limpide que celles des fondamentalistes arabes.
D’où vient le mouvement fondamentaliste ?
D’ Arabie Saoudite. Quand le gouvernement saoudien s’est mis à recruter des enseignants, infirmières et médecins lors du boom pétrolier des années Cinquante et Soixante dans les Etats du Golfe, il a sollicité spécifiquement des ressortissants d’Egypte et d’Algérie. Quand ces professionnels sont rentrés dans leur pays d’origine (en Algérie par exemple), ils ont ramené avec eux des idées fondamentalistes islamiques : le wahhabisme ou salafisme comme on l’appelle aujourd’hui. Les Salafistes ont ainsi créé des associations, infiltré les syndicats et les associations d’étudiants à l’université, après quoi ils sont devenus la majorité. Ils ont gagné les élections de 1990 et ont été à deux doigts de s’emparer du pouvoir. Ensuite la guerre a éclaté entre eux et l’armée.
Quand cela s’est-il passé ?
Dans les années 1990, nous avons eu une guerre, qui a fait plus de 200 000 morts.
Où se trouve aujourd’hui la source de l’activité, ou de la pensée ? Auparavant, l’Algérie était tournée vers l’Europe à travers la France. Aujourd’hui, il semblerait que le centre de la pensée vienne du Golfe. Est-ce pour cela que le peuple algérien commence à comprendre les relations entre l’Occident et l’islam à travers le prisme du Moyen-Orient et des problèmes du Moyen- Orient ?
Oui, et on pourrait dire plus : jusqu’à il y a 20 ou 30 ans, le peuple était dans sa majorité tourné vers la France en raison des relations culturelles et commerciales, et des échanges. Aujourd’hui, l’Algérie est tournée vers le monde islamique et la question centrale est devenue le problème palestinien : le conflit israélo-arabe. C’est ainsi que nous avons beaucoup d’Algériens jihadistes qui vont faire la guerre en Irak, au Caucase, en Tchétchénie ou en Afghanistan et au Pakistan, à leurs yeux une guerre sainte. Ce qui signifie que toutes ces idées très influentes, qui ont leur origine dans le wahhabisme ou salafisme saoudiens, ont conduit à cette approche fondamentaliste, aujourd’hui exportée vers d’autres pays et d’autres fronts, très distants de l’Algérie.
Nous avons parlé des différents courants de l’islam qui jouent un rôle en Algérie. Vous avez mentionné, par exemple, le wahhabisme et autre. Peut-on dire, en ce moment, que la plus grande tension pour la domination de l’Algérie n’est pas entre chrétiens et musulmans, mais entre musulmans ?
Certainement. Le problème en Algérie est que le pays a soutenu un régime militaire socialiste après l’indépendance, le FLN (Front de Libération Nationale). Il n’a jamais été une démocratie. Nous nous trouvons donc dans une phase transitoire et nous espérons qu’une véritable démocratie émergera après l’adoption d’un système multipartite. Ils sont ouverts à l’Occident et à toutes les religions. Le gouvernement souhaite aussi apprivoiser les fondamentalistes. Il veut être perçu comme un véritable allié des religions. C’est pourquoi il a fait passer des lois pour montrer qu’il est plus islamique que les fondamentalistes eux-mêmes.
Tout en cherchant à être modéré ?
Oui, mais au final, il devient plus restrictif pour la vie de l’Eglise ; par exemple, la loi ou l’ordonnance de 2006 est vraiment très restrictive. La loi interdit les activités à l’extérieur des édifices religieux.
Quelle est cette loi de 2006, juste pour être clair ?
La loi stipule que les cultes ne doive
nt pas se dérouler en dehors des lieux prévus à cet effet. Elle limite ces pratiques à l’intérieur des lieux de culte. Si un prêtre se rend à la campagne où il n’y a pas une église et qu’il existe une communauté de 20 à 50 personnes, il ne peut pas célébrer parce qu’il n’y a pas de lieu de culte officiellement désigné.
Les célébrations chrétiennes doivent donc se dérouler à l’intérieur des enceintes ?
Oui, et en second lieu, toute activité perçue par le gouvernement comme étant du prosélytisme – prosélytisme est un bien grand mot – et, par conséquent, toute tentative pour convertir un musulman par la parole, ou par action, est punie de prison ou d’une amende.
<b>En 2006, cette première loi a été introduite et a limité les activités de l’Eglise à l’intérieur de ses structures. En 2008, il y a eu un autre règlement, pas une nouvelle loi, qui a interdit aux chrétiens le prosélytisme, autrement dit de proclamer sa foi dans les rues ouvertement. Il s’agit d’une autre restriction. Donc, ce que vous dites, si je comprends bien, c’est qu’en Algérie les musulmans doivent être plus musulmans que les musulmans ?
Oui, mais ce n’est pas aussi simple. Il y a l’Eglise catholique en Algérie en tant qu’institution officielle. Il y a aussi de nombreux groupes évangéliques, qui n’ont pas d’églises formelles et font du prosélytisme dans les zones berbères, en Kabylie ; et, chaque jour, selon les données officielles, six Algériens sont convertis au christianisme par ces groupes évangéliques. Ainsi le gouvernement, en appliquant cette loi a fait du tort aux institutions catholiques, et pas évangéliques …
Parce que les évangéliques ne sont pas aussi structurés que l’Eglise catholique.
Exactement. Il y a les Eglises domestiques qui se développent dans la zone, la Kabylie, et il y a l’institution. Le gouvernement restreint les visas d’entrée pour les prêtres catholiques. Ils confisquent à l’aéroport toute la littérature venant de France : Magnificat, Prions en Eglise… Ainsi, les gens qui rapportent cette littérature disent souvent aux fonctionnaires qu’elle est pour leur usage personnel.
La cible de taille est donc l’Eglise catholique et c’est elle qui subit les conséquences ?
Les catholiques sont les victimes, ce qui prouve que le parti a une fausse opinion du christianisme.
Le gouvernement, avez-vous dit, a reconnu qu’il y a des conversions chaque année ?
Six par jour ! Nous avons compté de 10 000 à 15 000 convertis parmi les Algériens d’origine berbère.
Il n’y a pas de statistiques officielles, le gouvernement ne souhaitant sans doute pas reconnaître qu’il y en a davantage ?
Il n’existe pas de données officielles, mais nous savons que, parmi les communautés algériennes en France, particulièrement les Berbères, nous avons des conversions. Nous savons aussi que les Berbères avaient été convertis de force à l’islam.
Ce n’est donc pas naturel pour eux ?
Ce n’est pas naturel, et sans doute considèrent-ils la reconversion au christianisme comme une forme d’opposition …
Ce que vous dites est assez extraordinaire. Quelle peut être la vie d’un musulman converti en Algérie ?
Tout bien considéré, vous avez des villages entiers dans la zone berbère qui se convertissent et mènent cette nouvelle vie, effectivement étrange dans un pays musulman, car le phénomène a peut-être atteint un niveau tel que le gouvernement est incapable de s’opposer à cette résistance.
Ils [le gouvernement] tentent de la limiter un peu, mais ils savent que ce sont les Algériens qui, d’eux-mêmes, se convertissent au christianisme, sans influence extérieure de missionnaires étrangers comme avant. Les conversions viennent de l’intérieur. Dans la ville d’Oran, il y a deux ans, ils ont arrêté six Algériens en train de distribuer l’Evangile. Ainsi, pour la première fois, nous avons une activité missionnaire conduite par des Algériens, et non par des missionnaires étrangers, français ou espagnols. C’est nouveau.
L’archevêque émérite d’Alger, Mgr Henri Teissier, a dit qu’il a été « témoin de la mort lente de l’Eglise »…
La présence de l’Eglise catholique en Algérie ne peut être circonscrite aux seuls chiffres, compte tenu de son formidable impact sur la société. Par exemple, l’assistance que l’Eglise offre aux handicapés et aux personnes âgées. Tout le travail que les musulmans ne font pas dans les hôpitaux, les religieuses le font. Dans les universités et tous les secteurs de la vie sociale – les femmes, les jeunes, la presse, la traduction, la littérature – l’Eglise est présente et cela a un formidable impact sur la société algérienne, or il y a un peu moins de 10 000 catholiques qui vivent ici.
Existe-t-il un risque d’extinction pour l’Eglise d’Algérie, du moins l’Eglise comme nous l’entendons en termes de structures et de foi catholique ?
Peut-être bien. Peut-être pas l’Eglise comme institution telle que nous la connaissons : le diocèse d’Alger, d’Oran ou d’Adrar, qui est la partie saharienne d’Algérie avec trois diocèses, mais l’Eglise des étrangers, oui. Les étrangers partent, mais l’Eglise algérienne locale connaît un renouveau qui ne s’était jamais produit depuis le 7e ou 10e siècle. Ainsi, après 1000 ans, nous avons les chrétiens locaux qui redonnent vie à l’Eglise d’Algérie. Ni Français, ni Espagnols ni Italiens.
Est-ce un signe d’espérance ?
Oui. En outre, de nombreux étudiants africains des pays sub-sahariens viennent en Algérie pour étudier et contribuent à la vie de l’Eglise. Il y a donc une relève : les Européens s’en vont et sont remplacés par les Africains et par les chrétiens locaux, arabes et berbères.
Une relève naturelle et probablement salutaire ?
Oui, et je considère que c’est certainement un signe de l’action de l’Esprit Saint.
C’est donc un signe d’espérance ?
Oui, un signe d’espérance parce que, pour la première fois, nous avons non seulement des évêques locaux ou arabes comme nous avons vu récemment ; le nouvel évêque d’Alger est jordanien, et dans le pays voisin de Tunisie, nous avons eu d’abord l’archevêque Fouad Twal et maintenant Mgr Maroun Lahham, au lieu d’évêques français dans tous ces pays d’Afrique du Nord. Nous avons également des communautés arabes et algériennes, et pas seulement des communautés étrangères composées d’Européens et d’Américains.
Que pouvons-nous faire ? Que peuvent faire les catholiques de l’Eglise universelle ?
Prier, prier et se souvenir que ces pays n’étaient pas, à l’origine, musulmans ; ils se sont convertis à l’islam après des siècles de christianisme qui a fleuri dans ces terres. Il n’est donc pas étonnant qu’ils reviennent à leurs racines, ces racines chrétiennes. J’ai connu, ici en Italie, un couple algérien qui s’était converti et a choisi deux noms de baptême particuliers : le mari a choisi Augustin et la femme Monique, parce que ces deux saints – saint Augustin et sainte Monique – étaient d’origine algérienne, de Hippone en Algérie.
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Propos recueillis par Mark Riedemann, pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).
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Sur le Net :
– Aide à l’Eglise en détresse France
www.aed-france.org
– Aide à l’Eglise en détresse Belgique
– Aide à l’Eglise en détresse Canada
www.acn-aed-ca.org
– Aide à l’Eglise en détresse Suisse
www.aide-eglise-en-detresse.ch