ROME, Dimanche 17 octobre 2010 (ZENIT.org) – Le principal défi pour l’Eglise en Inde n’est pas la reconstruction des édifices détruits par la violence anti-catholique des fondamentalistes hindous, mais plutôt de rétablir la confiance entre les religions, affirme un évêque de l’Orissa.
Mgr Sarat Chandra Nayak est à la tête du diocèse de Berhampur dans l’Etat d’Orissa. Dans cette région, dans la seule année 2008, quelque 300 villages chrétiens et 4 000 foyers ont été détruits par les fondamentalistes hindous.
Dans cette interview accordée à l’émission de télévision « Là où Dieu pleure », dont nous publions ci-dessous la deuxième partie (pour la première partie cf. Zenit du 10 octobre), l’évêque parle de la violence anti-chrétienne dans sa région, des facteurs qui compliquent les relations entre hindous et catholiques et de l’espérance qui l’habite en dépit de ces difficultés.
Mgr Sarat Chandra Nayak – Si le christianisme continue de croître et que les chrétiens enseignent que tous sont égaux, il y a une menace pour le système de caste. Les Dalis ne finiront-ils pas par se demander un jour pourquoi ils devraient être traités différemment ?
Oui, cette menace existe réellement. Pourquoi un système de caste, selon lequel les gens sont considérés comme ayant moins de valeur qu’une vache, moins de valeur qu’un animal ? Nous respectons les sentiments des Hindous ; ils traitent et respectent leurs vaches comme des dieux, mais ils ne respectent pas les êtres humains ; pas tous les Hindous, mais certains groupes se considèrent comme les gardiens de l’hindouisme.
Il y a 84% d’Hindous en Inde, et en Orissa plus de 90%, et nous vivons ensemble et heureux, nous nous respectons les uns les autres ; ils comprennent la valeur humaine et la dignité, mais il y a un petit groupe dominant.
Il est important de dire que c’est un groupe d’extrémistes fondamentalistes qui provoque cette violence, et que, souvent, des chrétiens persécutés ont trouvé refuge dans des familles hindoues, qui les ont bien accueillies.
C’est la joie et l’espérance qui nous sont données et à ceux qui sont persécutés : il y a encore l’espérance de vivre ensemble.
Nous avons perdu un grand nombre d’édifices et de vies ; nous pouvons reconstruire ; mais ce qui est perdu, c’est la confiance entre les gens de groupes et religions différents. Ils ont vécu ensemble depuis des générations, et voici que maintenant la confiance est remise en question ; et comment la développer ; c’est le défi que chacun de nous doit relever.
En fait, l’Eglise catholique dans l’Etat d’Orissa a menacé de fermer l’une des forces les plus importantes : les écoles. Les évêques ont prévenu que si la violence continue, les écoles seront fermées.
Pouvez-vous nous parler de l’importance des écoles et de l’éducation dans cette région, et ce qu’elle signifie ?
L’éducation est un des services très importants que l’Eglise offre au peuple. Même s’il s’agit d’une école chrétienne, 90% des élèves sont hindous et musulmans. Ce service est donc bien accepté et aussi respecté.
Et pourquoi fermer ces écoles ? D’une part, parce que nos frères souffrent, sont persécutés. Ils n’ont pas de maisons, il n’y a aucune sécurité. Et, d’autre part, on vous demande de fournir un service sans témoigner de solidarité à ces gens persécutés. Fermer les écoles est une façon de montrer notre solidarité et d’attirer l’attention sur le fait qu’on ne doit pas considérer notre service comme quelque chose d’acquis.
L’année 2007 a été marquée par de sérieuses attaques ; l’année 2008 également, et les extrémistes en promettent encore plus. Avez-vous peur ? Quelle mesure pouvez-vous prendre pour prévenir ce genre d’attaques de la part des extrémistes ?
L’une est de bâtir la coexistence pacifique parmi les personnes de bonne volonté. Le niveau local est très important ; c’est là où les gens vivent, et s’ils sont ensemble, ce sont des personnes de l’extérieur qui incitent à la violence et divisent les gens. Si les personnes au niveau local restent ensemble, ceux du dehors ne pourront pas entrer.
C’est pourquoi, instaurer la solidarité au niveau local parmi des groupes de religions différentes constituera la première mesure ; et restaurer la confiance perdue, pour rappeler que nous pouvons vivre ensemble, comme nous l’avons fait depuis des temps immémoriaux. Ce sera la première priorité.
En second lieu, bien entendu, nouer un dialogue avec ces extrémistes, ces fondamentalistes, parce que les idées qu’ils se font de l’Eglise sont étroites et erronées. Cette idée que l’Eglise dominera et prendra le contrôle de l’Inde est une impression totalement fausse ; si les conversions augmentent, et de façon considérable, le nombre de chrétiens aurait dû dépasser ce qui est prévu, mais ce n’est pas le cas. Selon le recensement officiel, le nombre est stabilisé. Il augmente moins que d’autres groupes, il n’y a donc pas de menace.
Nous avons noué un dialogue entre chefs chrétiens et ce groupe de fondamentalistes de VHP (Vishva Hindu Parishad) à Bajrang Dal, le 5 septembre, alors que la situation était encore chaude. Un certain « Mr. J » de J TV avait arrangé cette rencontre, et j’y suis allé pour savoir ce qu’ils avaient mal interprété de l’Eglise, les idées qu’ils se faisaient de l’Eglise et leur conception de notre service comme un stratagème pour convertir.
Si notre service est une ruse pour convertir, alors les milliers de gens qui ont passé par nos écoles et nos hôpitaux devraient être convertis ; et même certains de nos ministres, dont quelques chefs BJP – ils ont étudié dans nos écoles chrétiennes, et ils ne se sont pas convertis. Mais ils cherchent à détourner l’attention des gens en leur inculquant des impressions fausses et en leur communiquant des éléments faux sur l’Eglise. Aussi le dialogue clarifiera sûrement certaines questions.
Cela ne fait-il pas partie de la croyance hindoue – du fait de la réincarnation – que si quelqu’un est dalit, c’est parce qu’il n’a pas mené une vie adéquate – dans la vie antérieure – aussi qu’il a la position qu’il mérite ? Et que s’il vit comme il faut, peut-être que dans une prochaine vie il appartiendra une caste supérieure ? Quel rôle joue cette croyance hindoue selon laquelle, en cherchant à améliorer la situation sociale de la personne maintenant, l’Eglise catholique ferait obstacle ou sèmerait la confusion dans la tradition hindouiste ? Etes-vous d’accord avec cela ?
Non, je ne suis pas d’accord ; après tout, je ne crois pas à la réincarnation, parce que la vie humaine est si précieuse. Elle est une image de Dieu lui-même. On ne peut pas se réincarner dans un chien. Cette opportunité est donnée aux êtres humains quand ils sont créés : tu choisis, ou tu fais maintenant ce que tu as à faire, ou jamais. Après la mort, on n’a rien à faire. L’heure du choix, c’est à présent : tu crois, tu acceptes, tu mènes une bonne vie et tu recevras ta récompense au ciel, ou en enfer.
Ce sont les deux choses que nous avons dans notre foi chrétienne – que tu ne deviendras pas un chien ou un animal ; nous n’y croyons pas. Mais puisque nos amis pensent qu’ils sont dans la tradition hindoue de la réincarnation, si c’est ce qu’ils croient, ils devraient le vivre.
Toutefois, certains d’entre eux ne voient pas leur responsabilité, maintenant ; s’ils pensent que, par le passé, ils ont accompli de bonnes oeuvres, et que c’est la raison pour laquelle il se trouvent dans une meilleure position, ne risquent-ils pas de perdre leur position meilleure s’ils accomplissent des actions mauvaises ? Donc, ils n’y croient pas, parce que s’ils y croyaient, ils feraient davantage attention aux mauvaises actions…
Ils pourraient rétrocéder…
Revenir en arrière, je ne pense pas que leur foi
l’envisage.
Ils croient en théorie, mais pas en vérité ; ils ne se soucient que du présent, de ce qui leur convient, de ce qui les intéresse sur les plans économique, social, ainsi que de la suprématie politique qu’ils entendent conserver. C’est la raison : la raison économique, politique et religieuse, et aussi leur caste. Toutes ces choses rendent cette situation très compliquée.
Qu’espérez-vous pour l’avenir des relations des chrétiens avec les autres groupes dans l’Etat d’Orissa ?
Les relations des chrétiens avec d’autres groupes, principalement hindous, revivront parce que déjà des voix s’élèvent, pour reconnaître les bonnes choses que font l’Eglise et les chrétiens, et que maintenant ils souffrent alors qu’ils sont innocents.
Par ailleurs, selon notre foi, notre souffrance ne sera jamais perdue. Une chose est sûre, elle ne sera pas perdue. La graine des martyrs, le sang des martyrs, est semence de foi. Je crois en cela – et que sûrement cela nous fera revivre ; la foi chrétienne et l’Eglise répondront à cet appel d’être le sacrement du salut en Orissa, à Kandhamal.
Ils sont donc les agneaux ?
Oui, ce n’est pas nouveau. Des chrétiens ont souffert, ce n’est pas nouveau. C’est ainsi depuis les débuts du christianisme, en fait depuis les débuts de l’Eglise ; l’Eglise, dit-on, est née du côté transpercé de Jésus.
Le salut du monde ne viendra pas de notre parole ni de notre service, mais en donnant notre vie, et cela à travers la souffrance.
C’est ainsi que vous motivez vos fidèles ? En leur disant qu’une partie de notre vie en tant que chrétien est l’acceptation et la conscience que nous devons porter la croix du Christ ?
Oui, il n’y a pas d’autre chemin pour les chrétiens, à part la Croix. C’est ainsi : tuer ou être tué, les chrétiens ne tueront pas.
Jésus nous a enseigné : laissez-vous tuer. Si ma mort doit sauver les gens, je suis prêt.
Propos recueillis par Mark Riedemann, pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).
Traduit de l’anglais par Zenit (E. de Lavigne)
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Sur le Net :
– Aide à l’Eglise en détresse France
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