Inde : Restaurer la confiance entre chrétiens et hindous (I)

Interview de Mgr Sarat Chandra Nayak

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ROME, Dimanche 10 octobre 2010 (ZENIT.org) – Le principal défi pour l’Eglise en Inde n’est pas la reconstruction des édifices détruits par la violence anti-catholique des fondamentalistes hindous, mais plutôt de rétablir la confiance entre les religions, affirme un évêque de l’Orissa.

Mgr Sarat Chandra Nayak est à la tête du diocèse de Berhampur dans l’Etat d’Orissa. Dans cette région, dans la seule année 2008, quelque 300 villages chrétiens et 4 000 foyers ont été détruits par les fondamentalistes hindous.

Dans cette interview accordée à l’émission de télévision « Là où Dieu pleure », l’évêque parle de la violence anti-chrétienne dans sa région, des facteurs qui compliquent les relations entre hindous et catholiques et de l’espérance qui l’habite en dépit de ces difficultés.

Q – Pourquoi l’Orissa est-il l’un des Etats les moins développés en Inde ?

Mgr Nayak : Généralement, les gens se consacrent à l’agriculture. La région côtière occupe environ 20% de la superficie totale de la zone, le reste constituant une région montagneuse, où vivent la majorité des Intouchables, plus connus actuellement sous le nom de Dalits.
En fait, plus de 40% de la population est dalit. Pourquoi un pourcentage aussi élevé de Dalits dans cette zone ? Les Dalits sont là parce que, lorsque les gens des castes supérieures occupèrent la terre fertile des zones côtières, il n’y avait pas de place pour eux, et ils ont donc dû se déplacer dans les jungles et les régions plus hautes, où il n’y avait pas de terre cultivable.

Votre Excellence, l’Etat d’Orissa a, malheureusement, fait parler de lui dans les journaux par le passé du fait de la violence anti-chrétienne qui règne dans la région. Pouvez-vous nous expliquer un peu la raison de cette violence contre les chrétiens et d’où elle vient – essentiellement des extrémistes hindous, à ce que nous avons pu lire ?

Pourquoi la violence ? La source de la violence, ce sont incontestablement les hindous radicaux, encore qu’aujourd’hui elle revêt des formes différentes. Les gens voient des aspects différents, c’est pourquoi cette violence est si complexe  ; elle n’est pas vue seulement comme une violence communautaire, il existe d’autres aspects. Par exemple, des raisons économiques : les commerçants, les hommes d’affaire des régions de collines viennent principalement des zones de plaines et appartiennent au système des grandes castes. Ils ont toujours travaillé dans les affaires. A présent, grâce à l’éducation, les Dalits et les Tribals se lancent dans les affaires et deviennent chefs d’entreprise. Ce qui fait obstacle à ces hommes d’affaires locaux qui sont hindous. Ils essaient donc de créer des problèmes en attisant les sentiments religieux et en endommageant les négoces des Dalits et Tribals locaux. C’est ce qui s’est passé en 2007. La première diversion et attaque a été contre les magasins de chrétiens. Ainsi, il y a des raisons économiques.
Dans l’ensemble de l’Orissa, en particulier dans ces régions agitées de troubles, les hommes d’affaires viennent des castes supérieures.

Je pense qu’il est important ici de clarifier que la majorité des chrétiens sont des Dalits.

Oui, 60% des chrétiens sont des Dalits ; 38% peut-être des Tribals, et le reste appartient aux autres castes.

Ainsi donc la première attaque a été économique, parce que les hommes d’affaires se sont sentis menacés par le développement croissant de la population dalit dans cette région commerçante. Y a-t-il également une raison politique ?

Oui, il y a des raisons politiques. Dalits et Tribals dans cette région représentent environ 40% de la population totale en Orissa, et quand ils sont unis, ils se convertissent en une importante force politique. C’est pourquoi, la caste supérieure tente de diviser ces deux communautés. Et c’est là un autre aspect ; la lutte entre Tribals et Dalits.

Provoquée par…

Par des gens de l’extérieur, des personnes d’une caste supérieure dont les intérêts sont en jeu quand ces deux groupes s’unissent. Je pense qu’il est important que nous parlions d’une note du Conseil mondial des chrétiens indiens (Global Council of Indian Christian). Ils ont enregistré une partie de cette violence. Je tiens à le préciser ici : 92 faits de violence ont été enregistrés contre des chrétiens. Par exemple, quatre chrétiens ont été tués par l’épée par une foule de nationalistes hindous, environ un millier ; deux religieuses ont été violées en public, et un prêtre d’un centre pastoral, Père Thomas, a été passé à tabac, déshabillé et exhibé en procession.
La violence est très dramatique – sans compter les maisons incendiées, des églises et des couvents détruits ; une forte agressivité.
En décembre 2007, l’attaque a été dirigée contre les institutions et pas contre les personnes. Pourquoi ? Parce que les fondamentalistes hindous pensaient qu’en raison de nos services – les écoles, la santé, et la « promotion » sociale de la population – les gens pourraient être attirés par le christianisme. Donc le nombre serait en augmentation. Leur objectif était de détruire ces institutions à travers lesquelles un service chrétien est offert au peuple. Mais cela ne leur a pas suffi ; cette fois, il s’est agi d’une attaque contre le peuple et les institutions, pour les traumatiser, leur faire peur et qu’ils arrêtent là leur ministère.

Ils n’ont pas seulement attaqué un prêtre, mais il y a eu trois attaques terribles contre trois prêtres  : le père Thomas, le trésorier de l’archidiocèse de Bubaneshwar, Père Bernard, enfin le Père Edward de Sambalpur, Rourkela.

Leur tactique est la peur ? Les chrétiens quittent-ils la région ? Craignent-ils pour leur foi ? Abandonnent-ils leur foi ?

Après s’en être pris aux personnes, ils ont attaqué les villages et, dans les villages, ils ont détruit les maisons et, dans les maisons qui n’avaient pas été détruites, ils ont dit aux chrétiens que, soit ils devenaient hindous, soit leur vie était en jeu, ou leurs biens pouvaient être détruits. Ainsi ils les ont forcés, et quelques-uns ont succombé.

Ils se convertissent ?

Oui. Il y a de nombreux cas de conversion, plus d’un millier. Je ne connais pas le chiffre exact maintenant, mais avant que je vienne en Europe, ils étaient plus d’un millier à s’être convertis à l’hindouisme.

Pourquoi, s’ils représentent un pourcentage aussi faible de la population, les chrétiens constituent-ils une menace pour les hindous dans cette région ?

Il y a de nombreuses raisons à cette perception d’une menace. Tout d’abord, même si la présence chrétienne est limitée à 2% à peine, notre service en termes d’éducation, de services sociaux, et soins de santé représente près de 20% du service. Et ils prétendent que c’est la cause des conversions dans la région. C’est donc une raison. Ils se considèrent menacés par l’augmentation du nombre de conversions. Toutefois, si vous considérez la population totale après de nombreuses années, on ne constate pas une augmentation significative de la population chrétienne.

Elle est restée stable ?

Oui, elle est restée plus ou moins stable, mais les hindous insistent toujours : conversion, conversion, conversion, et leur peur vient de leur expérience historique avec les Britanniques. Les Anglais sont venus faire des affaires, ensuite ils ont conquis l’Inde et ont gouverné le pays pendant 200 ans, puis sont venues la christianisation et la conversion. Si on laisse les chrétiens croître en nombre, ils prendront le contrôle de l’Inde.

Ils finiront par conquérir le pays…

Ils finiront par en prendre le contrôle, c’est leur crainte – une crainte non fondée. Nous sommes chrétiens, nous sommes
des Indiens, pas des étrangers.

Et il y a également une menace, si je comprends bien, pour le système des castes même ?

Oui, c’est une raison : la domination politique.
La seconde est le système de caste ; l’hindouisme imprègne le système de caste. Les hindous, ceux qui constituent la caste dominante, les Brahmins (ou brahmanes), pensent que, sans le système de caste, leur suprématie cessera, aussi lorsque le christianisme propage l’égalité pour tous, ils se sentent menacés.

Surtout que la plupart des conversions au christianisme viennent de la caste inférieure ?

Des Dalits et des Tribals ; ainsi, ils les utilisaient à leur profit, maintenant ils ne peuvent plus, parce que le christianisme leur confère l’égalité des droits, et l’éducation leur assure une « promotion » financière  ; et eux, ceux de la caste supérieure, se sentent menacés, leur suprématie et leurs intérêts sont entravés.

Fin de la première partie

Traduit de l’anglais par E. de Lavigne

Propos recueillis par Mark Riedemann, pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

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Sur le Net :

– Aide à l’Eglise en détresse France  
www.aed-france.org

– Aide à l’Eglise en détresse Belgique

www.kerkinnood.be

– Aide à l’Eglise en détresse Canada  
www.acn-aed-ca.org

– Aide à l’Eglise en détresse Suisse 
www.aide-eglise-en-detresse.ch

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ZENIT Staff

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