Il y a danger quand les croyants s’imaginent détenir la puissance divine

Homélie du dimanche 27 juin, par le P. Laurent Le Boulc’h

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ROME, Jeudi 24 juin 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 27 juin, proposé par le P. Laurent Le Boulc’h.

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (9, 51-62)

Comme le temps approchait où Jésus allait être enlevé de ce monde, il prit avec courage la route de Jérusalem. Il envoya des messagers devant lui ; ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue. Mais on refusa de le recevoir, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. Devant ce refus, les disciples Jacques et Jean intervinrent : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions que le feu tombe du ciel pour les détruire ? » Mais Jésus se retourna et les interpella vivement. Et ils partirent pour un autre village. En cours de route, un homme dit à Jésus : « Je te suivrai partout où tu iras. » Jésus lui déclara : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. » Il dit à un autre : « Suis-moi. » L’homme répondit : « Permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. » Mais Jésus répliqua : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va annoncer le règne de Dieu. » Un autre encore lui dit : « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. » Jésus lui répondit : « Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le royaume de Dieu. »

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L’Evangile n’a rien à voir avec un conte ou un rêve d’enfant. Il ne plane pas hors de nos vies humaines, bien au contraire, il est le plus souvent chargé du plus lourd de nos existences.

Le passage que l’on vient d’entendre nous plonge dans la géopolitique du temps. Cette histoire de Samaritains qui refusent d’accueillir Jésus parce qu’il se rendait à Jérusalem nous transporte dans les conflits de la Palestine du 1er siècle. Jésus voit son visa ou son droit de passage refusé pour cause de guerre froide entre les samaritains et les judéens.

Le Christ s’est donc confronté à ce qui est malheureusement si souvent encore aujourd’hui le quotidien de tant de gens. Et l’on pense à tous ces conflits dont tant de civils payent le prix d’une liberté interdite. Gaza, Soudan, Birmanie, Kirghizstan… : des peuples sont enfermés, d’autres sont exilés de force. Notre prière aujourd’hui est communion avec tous ces hommes et ces femmes que l’on prive de liberté.

Face au refus des samaritains, Jacques et Jean sont prêts à sortir l’arme lourde : « que le feu du ciel leur tombe dessus ! ». Il y a quelque chose de grotesque et de pathétique à la fois dans cette menace des deux frères. On aimerait rire de la prétention naïve de ces deux disciples s’il n’y avait là quelque chose de terriblement inquiétant dont nous voyons l’horreur chaque jour.

Quand des hommes s’imaginent que la puissance divine est une puissance de destruction, il y a danger pour l’homme.

La tentation de croire en un Dieu violent est omniprésente dans la Bible. Et pourtant la longue histoire biblique avec son point d’orgue qu’est la manifestation de Jésus conduit tout à l’inverse les croyants à recevoir la puissance de Dieu comme une puissance d’Amour et rien que d’amour. La Passion Résurrection de Jésus donne aux hommes le signe déconcertant d’un Dieu prenant sur lui la plus grande faiblesse et refusant toutes formes de violence. Un Dieu apparemment sans puissance et cependant extraordinairement puissant d’amour puisqu’il est vainqueur du mal et de la mort dans la résurrection de Jésus.

Croire en ce Dieu là est une conversion jamais définitivement acquise. Que deux disciples de Jésus, malgré leur compagnonnage avec lui, aient été tentés par la régression de croire en un Dieu de violence et de destruction en est le signe. Le chemin parcouru avec Jésus ne suffisait donc pas à changer leur regard sur Dieu. Il fallait attendre le mystère de la mort et de la Résurrection de Jésus pour que les disciples en perçoivent toute la portée. Avec le Christ mort et ressuscité, Dieu a changé définitivement de visage.

Quand des hommes s’imaginent que la puissance divine est une puissance de destruction, il y a danger pour l’homme. Mais ce danger redouble quand les croyants s’imaginent détenir eux-mêmes la puissance divine.

« Veux-tu que nous ordonnions que le feu tombe du ciel pour les détruire ? » demandent Jacques et Jean comme s’ils étaient les maîtres de la puissance du ciel, comme si la bombe divine leur appartenait. Ils n’attendent plus que l’autorisation de Jésus pour appuyer sur le bouton.

Jacques et Jean sont installés dans la toute puissance. Ils portent en eux la prétention puérile de se croire des sorciers ou des petits dieux, manipulateurs de la puissance divine : « veux-tu que nous fassions tomber sur eux le feu du ciel ? ». Jacques et Jean réagissent comme des grands enfants irresponsables. Des grands enfants mais des enfants terriblement dangereux !

Comment ne pas voir aujourd’hui à quel point cette illusion de la toute puissance est présente et mortifère ? Alors que l’on pensait que les religions étaient devenues enfin raisonnables, voici qu’à nouveau des hommes religieux semblent pris de folie. Même si le mouvement est marginal, force est de constater que les extrémismes, les fanatismes, les fondamentalismes et les intégrismes progressent aujourd’hui dans toutes les religions du monde. Un peu partout des hommes, au nom de la foi, s’installent dans une toute puissance effrayante. Au nom de Dieu, ils sombrent dans l’intolérance et la violence, comme s’ils avaient droit de vie et de mort sur leurs contemporains, comme si la foi en un Dieu violent leur donnait pleins pouvoirs sur leurs frères.

Ces déviances du religieux inquiètent. L’évangile de Luc nous dit que le Christ lui-même se retourna et interpella vivement ses disciples. Ceux-ci auront encore bien du chemin à faire pour entrer dans la voie de l’Evangile.

Jacques et Jean devront se convertir au Dieu du Christ. Jésus devra continuer de les initier pour extirper de leur cœur toutes les vieilles racines de l’intolérance et du sectarisme. Ce n’est qu’en entrant dans l’Esprit du Christ que les disciples pourront enlever de leur cœur l’arrogance et le mépris des autres.

« Vivez sous la conduite de l’Esprit de Dieu ; alors vous n’obéirez pas aux tendances égoïstes de la chair. Car les tendances de la chair s’opposent à l’esprit, et les tendances de l’esprit s’opposent à la chair » insiste Paul dans sa lettre aux Galates.

La vie dans l’Esprit délivre de l’orgueil de la chair. Elle nous donne d’entrer dans cette puissance d’amour de Dieu qui ne se livre pas dans la violence ou la destruction mais, au contraire, dans l’humilité et l’infini respect de la vie.

Cet Esprit d’humilité nous sauve parce qu’avec lui le croyant se reconnaît à distance de son Dieu. Il n’a aucune prétention sur lui. Il n’est propriétaire de rien de Dieu. Comment l’humble croyant de l’Evangile pourrait-il manipuler Dieu et l’imaginer en son pouvoir lui qui s’éprouve si loin de Dieu ? Comment l’humble croyant de l’Evangile pourrait-il céder à l’arrogance quand il se sait si faible et si fragile lui-même, pécheur pardonné ?

Que dans notre monde en excès de violence, l’Esprit du Christ Jésus convertisse nos fausses représentations de Dieu. Qu’il nous apprenne à résister à la tentation aveugle de la violence et nous donne de vivre dans le respect. Amen.

Le P. Laurent Le Boulc’h est curé de la paroisse de Lannion et modérateur de la paroisse de Pleumeur Bodou, secrétaire général du conseil presbytéral du diocèse de Saint Brieuc et Tréguier (Côtes d’Armor – France).

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ZENIT Staff

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