ROME, Dimanche 21 juin 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’homélie que le pape Benoît XVI a prononcée ce dimanche lors de la messe au cours de laquelle il a ordonné 14 nouveaux prêtres du diocèse de Rome, en la basilique Saint-Pierre.
Chers frères dans l’épiscopat
et dans le sacerdoce,
Chers ordinands,
Chers frères et sœurs !
En tant qu’Evêque de ce diocèse, je suis particulièrement heureux d’accueillir au sein du « presbyterium » romain quatorze nouveaux prêtres. Avec le cardinal-vicaire, les évêques auxiliaires et tous les prêtres, je rends grâce au Seigneur pour le don de ces nouveaux pasteurs du Peuple de Dieu. Je voudrais vous adresser un salut particulier, très chers ordinands : aujourd’hui, vous êtes au centre de l’attention du Peuple de Dieu, un peuple symboliquement représenté par les personnes qui remplissent cette basilique vaticane : elles la remplissent de prières et de chants, d’affection sincère et profonde, d’émotion authentique, de joie humaine et spirituelle. Au sein de ce Peuple de Dieu occupent une place particulière vos parents et vos familles, vos amis et vos camarades, les supérieurs et les éducateurs du séminaire, les différentes communautés paroissiales et les différentes institutions de l’Eglise dont vous êtes issus et qui vous ont accompagnés sur votre chemin, ainsi que celles auxquelles vous avez déjà offert un service pastoral. Sans oublier la proximité particulière, en ce moment, de très nombreuses personnes, humbles et simples, mais grandes devant Dieu, comme, par exemple, les religieuses de clôture, les enfants, les malades et les porteurs de handicap. Celles-ci vous accompagnent par le don très précieux de leur prière, de leur innocence et de leur souffrance. C’est donc l’Eglise de Rome tout entière qui rend grâce aujourd’hui à Dieu et prie pour vous, qui place tant d’espérance et de confiance dans votre avenir, qui attend des fruits abondants de sainteté et de bien de votre ministère sacerdotal. Oui, l’Eglise compte sur vous, elle compte beaucoup sur vous ! L’Eglise a besoin de chacun de vous, étant consciente des dons que Dieu vous offre et, en même temps, de la nécessité absolue du cœur de chaque homme de rencontrer le Christ, sauveur unique et universel du monde, pour recevoir de lui la vie nouvelle et éternelle, la véritable liberté et la pleine joie. Nous nous sentons alors tous invités à entrer dans le « mystère », dans l’événement de grâce qui se réalise dans vos cœurs avec l’ordination sacerdotale, en nous laissant illuminer par la Parole de Dieu qui a été proclamée.
L’Evangile que nous avons écouté nous présente un moment significatif du chemin de Jésus, où il demande à ses disciples ce que les gens pensent de lui et comment eux-mêmes le jugent. Pierre répond au nom des Douze par une profession de foi, qui se différencie de manière substantielle de l’opinion que les personnes ont sur Jésus ; il affirme en effet : Tu es le Messie de Dieu (cf. 9, 20). D’où naît cet acte de foi ? Si nous revenons au début du passage évangélique, nous constatons que la confession de Pierre est liée à un moment de prière : « Un jour Jésus priait à l’écart. Ses disciples étaient là » dit saint Luc (9, 18). C’est-à-dire que les disciples participent à la manière d’être et de parler absolument unique de Jésus avec le Père. Et ainsi, il leur est permis de voir le Maître au plus profond de sa condition de Fils, il leur est permis de voir ce que les autres ne voient pas ; du fait d’« être avec Lui », de « se trouver avec Lui » en prière, découle une connaissance qui va au-delà des opinions des personnes, pour parvenir à l’identité profonde de Jésus, à la vérité. Il nous est ici fournie une indication bien précise pour la vie et la mission du prêtre : dans la prière, il est appelé a redécouvrir le visage toujours nouveau de son Seigneur et le contenu le plus authentique de sa mission. Seul celui qui a une relation profonde avec le Seigneur est saisi par Lui, peut l’apporter aux autres, peut être envoyé. Il s’agit d’une façon de « demeurer avec Lui » qui doit toujours accompagner l’exercice du ministère sacerdotal ; elle doit en être la partie centrale, également et surtout lors des moments difficiles, lorsqu’il semble que les « choses à faire » doivent avoir la priorité. Où que nous nous trouvions, quoi que nous fassions, nous devons toujours « demeurer avec Lui ».
Je voudrais souligner un deuxième élément de l’Evangile d’aujourd’hui. Immédiatement après la profession de Pierre, Jésus annonce sa passion et sa résurrection et il fait suivre cette annonce par un enseignement qui concerne le chemin des disciples, qui est de le suivre, Lui le Crucifié, de le suivre sur le chemin de la croix. Et il ajoute ensuite – avec une expression paradoxale – qu’être un disciple signifie « se perdre soi-même », mais pour se retrouver pleinement soi-même (cf. Lc 9, 22-24). Qu’est-ce que cela signifie pour chaque chrétien, mais surtout qu’est-ce que cela signifie pour un prêtre ? La « sequela », mais nous pourrions tranquillement dire : le sacerdoce, ne peut jamais représenter un moyen pour atteindre la sécurité dans la vie ou pour parvenir à une position sociale. Celui qui aspire au sacerdoce pour accroître son prestige personnel et son pouvoir personnel a mal compris à sa racine le sens de ce ministère. Celui qui veut surtout réaliser sa propre ambition, atteindre son propre succès sera toujours l’esclave de lui-même et de l’opinion publique. Pour être considéré, il devra aduler ; il devra dire ce qui plaît au gens ; il devra s’adapter aux changements des modes et des opinions et ainsi, il se privera du rapport vital avec la vérité, se réduisant à condamner demain ce qu’il aura loué aujourd’hui. Un homme qui conçoit ainsi sa vie, un prêtre qui voit son ministère en ces termes, n’aime pas vraiment Dieu et les autres, mais seulement lui-même et, paradoxalement, il finit par se perdre lui-même. Le sacerdoce – rappelons-le toujours – se fonde sur le courage de dire oui à une autre volonté, dans la conscience, qu’il faut faire croître chaque jour, que c’est précisément en se conformant à la vérité de Dieu, « plongés » dans cette volonté, que non seulement notre originalité ne sera pas effacée, mais, au contraire, que nous entrerons toujours davantage dans la vérité de notre être et de notre ministère.
Très chers ordinands, je voudrais proposer à votre réflexion une troisième pensée, étroitement liée à celle que je viens de présenter : l’invitation de Jésus à se « perdre soi-même », à prendre sa croix, rappelle le mystère que nous célébrons : l’Eucharistie. Aujourd’hui, avec le sacrement de l’Ordre, il vous est donné de présider l’Eucharistie ! C’est à vous qu’est confié le sacrifice rédempteur du Christ, c’est à vous qu’est confié son corps donné et son sang versé. Jésus offre bien sûr son sacrifice, son don d’amour humble et total à l’Eglise son Epouse, sur la Croix. C’est sur ce bois que le grain de blé que le Père a laissé tomber dans le champ du monde meurt pour devenir fruit mûr, dispensateur de vie. Mais, dans le dessein de Dieu, ce don du Christ est rendu présent dans l’Eucharistie grâce à cette potestas sacra que le sacrement de l’Ordre confère à vous qui êtes prêtres. Lorsque nous célébrons la Messe, nous tenons entre nos mains le pain du Ciel, le pain de Dieu, qui est le Christ, le grain de blé rompu pour se multiplier et devenir la véritable nourriture de la vie pour le monde. Il s’agit de quelque chose qui ne peut que vous remplir d’un profond émerveillement, d’une vive joie et d’une immense gratitude : désormais l’amour et le don du Christ crucifié et glorieux passent à travers vos mains, votre voix, votre cœur ! Il s’agit d’une nouvelle et merveilleuse expérience que de voir que dans mes mains, à travers ma voix, le Se
igneur accomplit le mystère de sa présence !
Comment alors ne pas prier le Seigneur pour qu’il vous donne une conscience toujours attentive et enthousiaste de ce don, qui est placé au centre de votre être de prêtre ! Pour qu’il vous donne la grâce de savoir faire l’expérience, en profondeur, de toute la beauté et de la force de votre service sacerdotal et, dans le même temps, la grâce de pouvoir vivre ce ministère avec cohérence et générosité chaque jour. La grâce du sacerdoce, qui vous sera donnée dans quelques instants, vous reliera intimement, et même structurellement, à l’Eucharistie. C’est pourquoi elle vous reliera au plus profond de votre cœur aux sentiments de Jésus qui aime jusqu’au bout, jusqu’au don total de soi, à son être pain multiplié pour le saint banquet de l’unité et de la communion. Telle est l’effusion de Pentecôte de l’Esprit Saint, destinée à enflammer votre âme avec l’amour même du Seigneur Jésus. C’est une effusion qui, alors qu’elle manifeste l’absolue gratuité du don, grave dans votre être une loi indélébile – la loi nouvelle, une loi qui vous pousse à insérer et à faire refleurir dans le tissu concret des attitudes et des gestes de votre vie de chaque jour l’amour même du don du Christ crucifié. Écoutons à nouveau la voix de l’apôtre Paul, ou plutôt reconnaissons même dans cette voix la voix puissante de l’Esprit Saint : « En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ » (Ga 3, 27). Déjà par le Baptême, et à présent en vertu du sacrement de l’Ordre, vous vous revêtez du Christ. Que le soin pour la célébration eucharistique soit toujours accompagné par l’engagement pour une vie eucharistique, c’est-à-dire vécue dans l’obéissance à une unique grande loi, celle de l’amour qui se donne dans sa totalité et qui sert avec humilité, une vie que la grâce de l’Esprit Saint rend toujours plus ressemblante à celle de Jésus Christ, Prêtre suprême et éternel, serviteur de Dieu et des hommes.
Très chers amis, la route que nous indique l’Evangile d’aujourd’hui est la route de votre spiritualité et de votre action pastorale, de son efficacité et de sa force, même dans les situations les plus difficiles et arides. De plus, il s’agit de la route sûre pour trouver la joie véritable. Que Marie, la servante du Seigneur, qui a conformé sa volonté à celle de Dieu, qui a engendré le Christ en le donnant au monde, qui a suivi son Fils jusqu’au pied de la Croix dans l’acte d’amour suprême, vous accompagne chaque jour de votre vie et de votre ministère. Grâce à l’affection de cette Mère tendre et forte, vous pourrez être joyeusement fidèles à la consigne qui, en tant que prêtres, vous est donnée aujourd’hui : celle de vous conformer au Christ Prêtre, qui a su obéir à la volonté du Père et aimer l’homme jusqu’au bout.
Amen !
© Copyright du texte original en italien : Libreria Editrice Vaticana
Traduction : Zenit