Le missionnaire doit savoir tout faire

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Une interview du P. Andrej Halemba, qui dirige la section « Afrique » de l’AED

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ROME, Dimanche 30 mai 2010 (ZENIT.org) – Les temps ont changé, mais pas les tâches principales et variées des prêtres missionnaires, affirme le père Andrej Halemba de l’Aide à l’Eglise en détresse.

Le prêtre polonais, qui a passé 12 ans en mission en Afrique et dirige actuellement la section « Afrique » de cette association, fait observer que l’on n’attend pas d’un prêtre missionnaire uniquement qu’il distribue les sacrements, mais qu’il soit de surcroît administrateur, architecte, bâtisseur et professeur.

Dans cette interview accordée à l’émission de télévision « Là où Dieu pleure » du Catholic Radio and Television Network (CRTN) en coopération avec l’Aide à l’Eglise en détresse (AED), le père Halemba explique ce que signifie être missionnaire en Afrique.

Q : Père, vous avez été prêtre missionnaire en Afrique pendant 12 ans. Où étiez-vous ?

Père Halemba : Tout ce que je peux dire, c’est que ces années ont été particulièrement heureuses, mais très difficiles. J’ai passé 12 ans au nord de la Zambie, à proximité de la Tanzanie et du magnifique et profond lac Tanganyika.

Q : Avez-vous toujours eu ce désir de partir en mission ?

Père Halemba : Un merveilleux jour, un jour incroyable, notre pape [Jean-Paul II] est venu en Pologne et a visité sa ville de Cracovie. J’ai été chargé de suivre une personne vraiment extraordinaire, le cardinal Hyacinthe Thiandoum du Sénégal.

Comme je parlais le français à l’époque, je devais prendre soin de lui. Je l’admirais énormément. C’était quelqu’un de très gai, très joyeux, et il posait des questions très simples, mais d’une grande profondeur, qui me sont allées droit au coeur : pourquoi êtes-vous si nombreux ici, alors que mon diocèse a si peu de prêtres ? Je vous en prie, venez au Sénégal. Il y a beaucoup de place. Le pays est accueillant, tous ont besoin de vous, j’ai besoin de vous. Dîtes, vous viendrez ?

Aussi, quand j’ai été ordonné prêtre, j’ai demandé à mon évêque de m’envoyer au Sénégal. Il a accepté de m’envoyer en Afrique, mais pas au Sénégal, en Zambie plutôt. Un pays anglophone et non francophone. Un nouveau défi donc, et j’ai dû faire face à de nombreuses difficultés.

Q : Comment avez-vous été accueilli par la population locale ? Un prêtre polonais ne parlant pas la langue… ?

Père Halemba : Tout d’abord, je dois dire que des missionnaires polonais étaient déjà présents sur place et qu’ils étaient très appréciés par la population locale. Le père James Gazów était là déjà depuis trois ans ; il avait appris la langue locale. Il avait toujours le sourire et, des années plus tard, on parle encore de lui et on chante « notre souriant père James ».

Ils connaissaient donc déjà le polonais et savaient beaucoup plus de choses sur la Pologne que vous ne pouvez l’imaginer. Durant la Seconde Guerre mondiale, la communauté polonaise était présente sur place et il y avait un camp d’enfants polonais, et même une école. C’est ainsi que certains m’ont souhaité la bienvenue en polonais ; je me souviens d’un vieil homme qui récitait le « Notre Père » en polonais. Ils étaient donc très heureux et me disaient  : vous êtes le bienvenu. Vous apprendrez la langue locale, ne vous inquiétez pas, et vous avez deux mains pour dire ce que vous voulez.

Q : Comment se déroulait votre journée en Zambie ? Et votre vie missionnaire de tous les jours ?

Père Halemba : Mon Dieu ! mes journées étaient débordantes d’activité, dès le matin. Bien entendu, la messe, très matinale, parce que les gens devaient aller travailler aux champs. Ils voulaient assister à la messe à 6h30, dans la mission principale. Suivait un petit-déjeuner rapide ; ensuite, habituellement je travaillais à mon bureau, dans le jardin ou le petit dispensaire médical. Nous n’avions pas de religieuses. Pas d’hôpitaux. Nous ne pouvions compter que sur nous-mêmes, aussi je devais faire office de médecin, et j’avais 60 à 70 patients par jour.

Q : Quel a été votre plus grand défi ?

Père Halemba : Je ne crois pas que la difficulté majeure ait été la langue. Un prêtre, comme chacun sait, est un bavard. Il aime parler. Il lui faut parler s’il veut remplir sa mission. Il doit proclamer et parler aux gens, être avec eux et les écouter.

Il doit, dirais-je, comprendre leur mentalité, apprendre à les connaître en profondeur, parce que lorsque nous parlons de l’Evangile, il ne s’agit pas de mots ; il s’agit de quelque chose de très profond : émotions, sentiments, croyances, et peurs. Nous parlons de quelque chose qui touche l’âme, ce qu’il y a de plus difficile. Au début, je pensais que la difficulté majeure était la langue ; il n’en est pas ainsi, ce n’est même pas la tradition parce qu’on peut lire ou questionner les gens, mais la mentalité. Comment s’adresser à eux et porter à leur monde la Bonne Nouvelle, c’est là le défi ; et aussi trouver le moyen de leur montrer la beauté et la puissance de l’Evangile, du message de Dieu. Les aider à comprendre et à être de bons chrétiens à la manière africaine. C’est le plus grand défi que j’aie toujours gardé présent à l’esprit.

Q : Selon vous, l’expérience de la Zambie vous a-t-elle changé, et de quelle façon ?

Père Halemba : Je dirais que très probablement durant ces 12 années, et longtemps après, parce que j’ai visité très souvent la Zambie, j’ai reçu plus que je n’ai donné. Personnellement, j’ai appris beaucoup d’eux. Ils sont pauvres, pas instruits, mais leur foi est si forte. Je ne leur enseignais pas Dieu, car ils connaissaient parfaitement Dieu. Ils maintenaient un contact quotidien avec Dieu.

Leur religion est aussi évidente que l’air, l’eau, la nourriture et les gens qui les entourent ; c’est leur vie. Ils sont très religieux et m’ont beaucoup appris. J’ai également appris la patience. Quelle patience dans leur souffrance ! Ils sont contents avec ce qu’ils ont. Nous, nous sommes toujours malheureux, parce que nous voulons toujours plus, ou quelque chose de plus moderne. Eux, ils sont heureux avec ce qu’ils ont. Ils sont contents de la vie qu’ils mènent. Ils sont heureux d’avoir reçu la vie, les familles étaient donc riches de vie, et cela a été pour moi une magnifique leçon.

Q : Quelle a été l’expérience la plus extraordinaire, la plus belle que vous ayez vécue durant vos années passées là-bas ?

Père Halemba : Les deux années passées à travailler à la première traduction du Nouveau Testament dans leur langue. J’avais une équipe de sept personnes ; des gens âgés qui connaissaient parfaitement la langue. Ils étaient catéchistes ou professeurs et connaissaient la langue de l’Eglise ; il y avait aussi deux jeunes ; nous avons essayé de faire une traduction qui soit accessible à tous.

Q : Dans quelle langue ?

Père Halemba : Le mambwe [1], qui est une langue de la tribu Bantu établie dans le corridor entre deux pays, la Zambie et le Zimbabwe ; environ 500 000 personnes parlent le Mambwe/Lungu [2], c’est pourquoi nous avons essayé de traduire dans cette langue.

L’occasion était merveilleuse. Nous avons 100 ans de catholicisme en Zambie, et l’évêque m’avait chargé de l’apostolat biblique dans le diocèse ; j’ai donc dit qu’il fallait faire quelque chose, parce que les premiers missionnaires sont arrivés dans notre mission, et le plus beau cadeau que l’on pouvait offrir serait le Nouveau Testament, la traduction nouvelle et intégrale de l’Evangile, sur laquelle j’avais travaillé pendant deux ans, et je n’ai jamais vu des Africains travaillant aussi dur et avec autant de dévouement malgré le peu d’argent que je pouvais leur donner. Ils étaient très assidus au travail.

L’un d’eux parcourait chaque jour 11 kilomètres à bicyclet
te pour venir à la mission, et n’arrivait jamais en retard. C’est très inhabituel, si vous connaissez un tant soit peu l’Afrique, très inhabituel. Un autre venait à pied en parcourant chaque jour cinq kilomètres de chez lui à la mission, et repartait dans l’après-midi, et lui non plus n’était jamais en retard. Notre équipe était très assidue au travail et ils étaient si heureux. Ils disaient : c’est notre travail et nous le faisons pour nos enfants, pour l’avenir, pour notre peuple et pour l’Eglise catholique.

Q : Et donc l’Evangile a été traduit ?

Père Halemba : Le Nouveau Testament a été traduit. Nous allons maintenant élaborer un dictionnaire, leurs récits folkloriques, traditions, proverbes etc.

Q : Vous parlez le dialecte local. Pouvez-vous nous donner un exemple, comme nous citer quelques mots du « Notre Père » pour que nous ayons une idée de ce dialecte ?

Père Halemba : « Tata witu, uno uli mille, zina liako liswepe. Ufuma wake wize. Lukasi luako liikitike, vino mwiulu, ivyo kwene mu nsi. Tupere lelo kiakulya kia lelo. Tuyelle mpa zitu, vino naswe tukayelela yano twayapera tnpa. Utatupisya kulu ntnnkosi; lelo tuipule mules wipa. Pano ufumu, na maka, nu ukuru yakwako, milele liata milele. »

C’est le « Notre Père » et je l’aime. Cette prière dans cette langue est quelque chose de tellement beau. Une sorte de mélodie. C’est une langue semi-tonique et qui donc sonne très bien, mais elle n’est pas facile à apprendre, je vous assure.
Notes : [1] La langue mambwe (chimambwe) est un dialecte parlé par les tribus Mambwe établies dans la province septentrionale de la Zambie dans le district de Mbala. Elle est l’une des langues officielles de la Zambie. Elle est une langue du Niger-Congo. Les Mambwe constituent un groupe ethnique et linguistique basé dans le sud-ouest de la Tanzanie et le nord-est de la Zambie.

[2] Mambwe- Lungu : les langues/dialectes Mambwe et Lungu offrent de nombreuses similitudes, ne se distinguant que par des différences mineures.

Propos recueillis par Mark Riedemann, pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

Sur le Net :

– Aide à l’Eglise en détresse France  
www.aed-france.org

– Aide à l’Eglise en détresse Belgique

www.kerkinnood.be

– Aide à l’Eglise en détresse Canada  
www.acn-aed-ca.org

– Aide à l’Eglise en détresse Suisse 
www.aide-eglise-en-detresse.ch

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ZENIT Staff

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