ROME, Jeudi 18 février 2010 (ZENIT.org) – La « sainteté de l’Eglise » est un sujet qui n’a jamais été aussi actuel, pour des raisons liées à l’actualité, comme les scandales affrontés par Benoît XVI et les évêques irlandais mardi, mais aussi à cause de récentes références dans les documents et les actes pontificaux.
Cette question est évoquée dans le livre Concitoyens des saints et proches de Die., Etude historique et théologique sur la sainteté de l’Eglise, écrit par le père portugais Miguel De Salis, professeur à la faculté de théologie de l’université pontificale de la Sainte-Croix.
Nous avons interrogé l’auteur pour essayer de comprendre ce qu’il en est aujourd’hui.
ZENIT : Dans la préface de votre livre, du cardinal José Saraiva Martins, préfet émérite de la Congrégation pour les causes des saints, on parle de la sainteté comme d’un « don de Dieu » et une « réponse de l’homme à Dieu ». Ce don manque-t-il à l’Eglise du XXIème siècle ?
De Salis : Je ne pense pas. Ni le don ni la réponse. Il suffit de penser à ce sillage de sainteté laissé par des personnes comme Mère Teresa, Padre Pio, Maximilien Kolbe, Piergiorgio Frassati, Jean-Paul II et tant d’autres, pour ne mentionner que quelques uns des grands personnages-clefs de notre histoire récente.
ZENIT : Est-il encore possible de voir la sainteté derrière certaines nouvelles publiées récemment ?
De Salis : C’est possible, mais il est parfois difficile de la trouver. Certaines nouvelles montrent une blessure et quand on est blessé il est plus difficile de comprendre que d’autres parties du corps sont saines, que tout n’est pas perdu. D’autre part nous savons que nous, ici-bas, tous les chrétiens, nous devons nous convertir chaque jour, que la purification est nécessaire pour pouvoir voir la sainteté. Le Concile Vatican II rappelle dans Lumen Gentium (8) que « l’Eglise qui renferme des pécheurs dans son propre sein, est à la fois sainte et appelée à se purifier, et poursuit constamment son effort de pénitence et de renouveau ».
ZENIT : Mais ceci justifie-t-il le péché ?
De Salis : En aucune façon. Chaque péché est une action contre Dieu et contre son Eglise. Sans aucun doute, même s’il ne devait y avoir qu’un seul cas certifié d’abus il s’agirait d’un fait très grave en totale opposition avec l’Evangile, une violence terrible contre un fils de Dieu. Il ne faut pas avoir peur de la vérité. Notre foi repose en Jésus Christ et non pas sur les hommes ni sur le fait d’avoir une vie où le péché des autres ne se fait pas tant sentir.
ZENIT : Alors, comment comprendre certaines accusations portées contre des pasteurs de l’Eglise qui ne sont pas intervenus à temps sur certains abus ?
De Salis : Le Catéchisme de l’Eglise (n. 827) rappelle que « tous les membres de l’Eglise, les ministres y compris, doivent se reconnaître pécheurs. En tous, l’ivraie du péché se trouve encore mêlée au bon grain de l’Evangile jusqu’à la fin des temps. L’Eglise rassemble donc des pécheurs saisis par le salut du Christ mais toujours en voie de sanctification ». Il est possible, comme l’a montré l’histoire, que ceux qui forment l’Eglise agissent d’une façon qui va contre l’Evangile, mais il y a de très nombreux pasteurs (l’Eglise compte plus de 5.000 évêques) qui servent les fidèles dans un esprit d’abnégation et de générosité sans commune mesure. Pensons aux évêques emprisonnés en Chine, au Vietnam et dans d’autres régions du monde. Laissons Dieu faire la somme de tout cela qui nous invite à ne pas nous décourager.
Devant l’expérience contradictoire de la sainteté et du péché dans l’Eglise, il faut parcourir les expériences semblables déjà vécues dans l’histoire de l’Eglise et les comprendre avant de proposer une nouvelle réponse. Cela signifie regarder en arrière et autour de nous. On s’aperçoit, peut-être avec surprise, que Dieu continue à demeurer parmi nous malgré tout. Et ceci a deux conséquences fondamentales.
ZENIT : Lesquelles ?
De Salis : La première que notre espérance n’est pas ingénue ni inconsciente, mais enracinée dans la certitude de l’aide de Dieu. La seconde conséquence est la responsabilité de tous les fidèles dans l’Eglise, fondée sur l’appel de Dieu à collaborer dans la mission. Autrement dit, face au péché des autres il faut répondre par la sainteté et non par un autre péché. Et il n’est pas dit que la réponse sainte doit être toujours passive. Il y a de la place pour la créativité humaine: les saints étaient des créateurs.
ZENIT : L’Eglise est-elle vraiment sainte ?
De Salis : Traditionnellement, on explique la sainteté de l’Eglise en distinguant deux aspects. Le premier est ce qu’il y a d’objectivement saint en elle : les sacrements, la Parole de Dieu, la présence du Christ et de l’Esprit Saint, la loi morale et tous les autres dons que Dieu lui a fait afin qu’elle accomplisse la mission qu’Il lui a confiée.
Le second inclut les fruits de sainteté produits par les dons de Dieu offerts, c’est-à-dire, les saints et la vie ordinaire dans la grâce de Dieu, vécue ici sur terre. Mais cette manière de diviser la sainteté de l’Eglise n’explique pas bien l’influence du péché dans l’Eglise et, donc, dans sa sainteté vécue.
ZENIT : Alors, comment expliquez-vous ces deux éléments à une époque comme la nôtre ?
De Salis : Il y aura toujours un peu de désordre dans la vie de l’Eglise et il y aura toujours des défis à relever qui attendent une réponse créative qui requiert travail, ingénuité et temps. Il en est ainsi de la vie chrétienne ici-bas : il existe toujours la Croix qui est la porte d’entrée pour le Ciel et la terre nouvelle. Un exemple : le vénérable Newman disait, après avoir étudié l’histoire de l’Eglise antique, qu’il y a toujours eu beaucoup de confusion après chaque Concile. Encore aujourd’hui, il y a de la confusion, peut-être plus encore à cause des médias.
ZENIT : Le comportement des prêtres dans tant de pays vous semble-t-il adéquat ?
De Salis: Voyez-vous, le nombre de prêtres qui dans le monde entier servent les fidèles s’élève à près de 400.000. Ils célèbrent la messe, font la catéchèse, s’occupent des malades, aident les familles… Le bien ne fait pas de bruit ni ne figure dans les journaux ; par contre le mal oui. Il suffit de voir combien de prêtres sont morts ces dernières années pour leur engagement auprès des plus pauvres, ou souffrent de persécutions à cause de leur foi et pour avoir défendu des droits humains.
Par ailleurs, il faut comprendre que les nouvelles sont souvent présentées d’une manière à attirer notre attention, qui est déjà trop sollicitée par d’autres rappels. Et à des époques où la sécularisation est si forte, comme aujourd’hui, la proportion de comportements erronés parmi les prêtres sont aux mêmes niveaux, sinon moindre, que la proportion parmi les citoyens des sociétés occidentales.
Ceci n’ôtant rien au fait qu’il y ait des cas graves qui n’ont peut-être pas été affrontés de manière juste. La hiérarchie en a pris acte et cherche à résoudre les problèmes, demandant pardon si cela est nécessaire.
ZENIT : Mais ne trouvez-vous pas qu’il y ait derrière tout cela un comportement contradictoire ?
De Salis : Sans aucun doute. Nous trouvons la contradiction dans le contraste entre ce qu’un fidèle chrétien fait et ce qu’il prétend. Dans ce cas un membre de la hiérarchie ou un religieux est tout aussi contradictoire qu’un fidèle laïc. Le don de la liberté humaine peut orienter vers le bien ou vers le mal, même chez nous tous qui formons l’Eglise, que nous soyons ou non d
es prêtres. Ceci ne doit pas étonner si on croit en Dieu et non au comportement des hommes de Dieu.
Dans le même temps, nous ne devons pas nous résigner ni nous habituer face à l’incitation au péché, car Dieu a demandé à tous de transmettre par notre vie l’amour qu’Il a pour tous. En substance, devant un comportement contradictoire ou qui nous sollicite au péché nous ne devons pas pécher de désespoir, ni d’apathie, ni de jugement téméraire, ni de colère. Mais plutôt, en suivant l’attitude du Christ, nous sommes invités à répondre par la sainteté et la conversion à laquelle Dieu nous aide par sa grâce.
Giovanni Tridente