« Faire Mémoire » : L’itinéraire de P.-S. Auszenkier, juif polonais

Un livre-entretien avec Christine Rater-Garcette

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ROME, Vendredi 8 janvier 2010 (ZENIT.org) – « Un nouveau livre sur la vie d’un ami des qehilot », – entendez « communautés » – : c’est le titre choisi par le site officiel du vicariat de langue hébraïque du patriarcat latin de Jérusalem, pour ce compte rendu de lecture de « Faire mémoire » (éd. du Cerf, 2009), de Paul-Samuel Auszenkier, un livre-entretien avec Christine Rater-Garcette.

Juif polonais né en 1924, Paul-Samuel Auszenkier est arrivé avec sa famille à Paris en 1934. Mais peu à peu cette famille éclate : des sœurs en Palestine, son frère prisonnier, une autre sœur déportée à Auschwitz, pendant que lui-même gagne la zone libre avant d’être emprisonné plusieurs mois en Espagne. Il s’engage dans la 2e division blindée avec laquelle il effectue le débarquement d’août 1944 et la libération de Paris. Il participe à la traque des nazis avec les services secrets américains ; vit dix ans à Paris où il rencontre de nombreuses personnalités ; part rejoindre sa mère et ses sœurs dans le tout jeune État d’Israël ; revient en France quelques années plus tard, marié et père de famille.

Un parcours à la fois rocambolesque et tragique, au cours duquel il se dit en lisant l’Evangile: « J’ai deux mille ans de retard ». Il est aujourd’hui le modérateur d’une association créée par le card. Lustiger, pour contribuer à une meilleure connaissance et reconnaissance mutuelle entre juifs et chrétiens.

« Faire mémoire »

« Un nouveau livre sur la vie d’un ami des qehilot »

Paul-Samuel Auszenkier vit en France mais, à la fin des années cinquante et au début des années soixante, il était membre des communautés catholiques hébréophones en Israël et, depuis cette époque, il a gardé les liens d’amitié avec nous. Nous fêtons avec lui l’événement important de la publication de l’histoire de sa vie intitulée Faire mémoire. L’auteur a décidé d’offrir les bénéfices de ce livre à nos communautés hébréophones d’Israël.

Paul-Samuel est connu de beaucoup d’entre nous sous le nom de Samy et dans le livre qui est publié dans la maison d’édition parisienne bien connue Le Cerf, il raconte l’histoire de sa vie dans une série d’interviews avec Catherine Rater-Garcette, un genre littéraire qui est assez répandu en France. Le résultat est un livre fascinant et très lisible. L’histoire s’étend sur les huit dernières décennies et va de la Pologne à la France avec un arrêt important en Israël à la fin des années cinquante et au début des années soixante.

A la première page de l’histoire, on demande à Samy :  » Pourquoi ce livre ? » Et il répond : « J’ai aujourd’hui quatre-vingt trois ans. Je suis arrivé à une étape de ma vie où je souhaite pouvoir dire quelle a été ma vie, qui je suis en vérité… Mais il n’est pas facile de parler en vérité, sans crainte d’être incompris ou de blesser soit ma famille, soit mes amis juifs » (p. 17).

Samy est né dans une famille juive observante, en 1924, dans la ville de Lodz en Pologne. Il vécut ses années d’enfance dans la ville de Zopot, près de Danzig. Son père travaillait à Danzig, qui était sous domination allemande à l’époque où les Nazis prirent le pouvoir. Deux de ses sœurs émigrèrent en Palestine durant ces années, mais la famille décida d’aller en France et s’installa à Paris en 1934. Pour le jeune Samy, ce fut le moment de passer d’une culture à une autre, d’une langue à une autre. Jusqu’à cette époque, Samy parlait yiddish dans sa famille ; à l’école il dut apprendre le français et il dut s’habituer à sa nouvelle vie en France. La guerre et l’occupation nazie de la France provoquèrent de nouveaux changements dans la vie de la famille. Samy quitta Paris et alla dans le sud de la France, en dehors de la région qui était sous occupation nazie directe.

C’est là, au cours d’un séjour à l’hôpital, que Samy fit la connaissance d’une sœur du nom de Sœur Jean-Gabriel, des sœurs de Saint Vincent de Paul. Il était très impressionné par sa dévotion. Il demanda pourquoi elle prenait également soin des Juifs. Sa réponse le surprit : « Jésus était Juif, et sa mère aussi ». Elle lui donna à lire un Nouveau Testament et là il découvrit des choses qui avaient trait presque seulement au peuple juif. Après quelques jours de conversation avec l’aumônier de l’hôpital, Samy écrivit à ses parents, qui étaient restés à Paris, qu’il voulait être chrétien. Il fut baptisé par l’évêque de Montauban le 27 septembre 1942. Samy perdit le contact avec sa famille à Paris et, après la guerre, il apprit que sa sœur était morte à Auschwitz et que ses parents avaient trouvé refuge. Samy décida de traverser la frontière pour l’Espagne et là, il fut arrêté et passa quelques mois en prison. D’Espagne, après sa sortie de prison, il passa au Maroc, rejoignit la Légion étrangère de l’armée française et eut le privilège de participer à la libération de Paris. Après avoir recherché sa famille, il retrouva ses parents, mais son père mourut peu après et, en 1948, sa mère immigra en Israël pour rejoindre ses sœurs qui étaient là-bas.

Tout un chapitre fascinant du livre est consacré à l’histoire de la « Maison d’Ananie », fondée par le Père Altermann, lui aussi un Juif qui fut baptisé et devint prêtre. La maison était destinée aux personnes se préparant au baptême, où elles pouvaient étudier le christianisme. Une petite communauté vivait dans la maison. Samy les rejoignit et fit la connaissance de Jacques Maritain, le penseur et écrivain français renommé, et de sa femme juive, Raïssa. Samy resta dans la maison, avec quelques pauses, jusqu’à ce qu’il prît la décision d’émigrer en Israël.

Samy arriva au port de Haïfa en 1958. Au début, il vivait avec sa famille dans le kibboutz Ramat Kovesh, non loin de Tel Aviv. Après une courte période, Samy fonda la communauté catholique hébréophone de Jaffa et c’est là qu’il rencontra le Père Bruno Hussar. Il commença à travailler dans les bureaux d’Air France en Israël et, en 1959, il rencontra sa future femme, Rachel, qui était elle aussi une catholique issue d’une famille juive. La description de la vie dans les communautés catholiques hébréophones à la fin des années 1950 reflète une situation qui n’était pas sans difficulté : « Nous n’étions pas beaucoup et nous étions très isolés. La communauté hébréophone n’en était qu’à ses débuts, elle n’était pas encore reconnue officiellement, et nous avions le sentiment « d’essuyer les plâtres ». En France, avec la guerre, j’étais le juif qu’il fallait éliminer. En Israël, j’étais le juif baptisé qui n’était pas admis. A cette époque, en Israël on pouvait être bouddhiste, communiste, n’importe quoi, mais pas catholique. C’était trop près de la Shoah » (p. 91). En Israël, Samy et Rachel eurent deux fils avant de décider de revenir en France en 1964.

Le livre comprend des chapitres sur les relations judéo-chrétiennes, sur le renouveau charismatique dans l’Église catholique, et sur l’amitié entre Samy et Jean-Marie Lustiger qui deviendra plus tard Cardinal Archevêque de Paris et qui était lui-même d’origine juive polonaise. L’avant-dernier chapitre raconte l’histoire de la fondation du groupe « Myriam fille de Sion » en 1981, qui poursuivit ses rencontres à Paris jusqu’à ce jour. La célébration de la messe le samedi, signe du lien avec le peuple juif, consistait une part importante des activités du groupe ; une partie de la prière était dite en hébreu. Samy souligne aussi le lien qui le lie lui personnellement et le groupe « Myriam fille de Sion » aux communautés catholiques hébréophones d’Israël. En quelques pages, il raconte le développe
ment des communautés catholiques hébréophones d’Israël, depuis leur fondation en 1955 jusqu’à l’ordination du Père Jean-Baptiste Gourion comme évêque en 2003. Il décrit aussi nos activités en Israël.

L’interviewer demande à Samy, à la fin du chapitre 11 : « Que représente pour toi le fait de pouvoir participer à la messe en hébreu ? ». Il répond : « Quand je prie en hébreu, je me sens plus proche des premières communautés chrétiennes, j’essaie de prier les psaumes en hébreu, comme le faisait Jésus. On dit souvent que la langue est une constituante importante de l’identité: pour moi, parler l’hébreu m’a fait prendre plus conscience de mon identité juive… C’est une grâce de prier la Bible en hébreu, cela explique aussi pourquoi beaucoup de chrétiens aujourd’hui désirent l’apprendre » (p. 134).

A la fin de ce livre fascinant, Samy dit : « En relisant ma vie, je ne sais à quelle vocation j’étais vraiment appelé. J’ai le sentiment d’avoir vécu plusieurs vies avec cependant « le fil rouge » de la main de Dieu qui, sans que je le réalise toujours, m’a fait avancer au travers d’événements et de rencontres » (p. 139).

« Faire mémoire », Paul-Samuel Auszenkier, entretiens avec Christine Rater-Garcette (éd. du Cerf, 2009). La préface est de Sr Cécile Rastoin, ocd, sépcialiste d’Edith Stein.

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ZENIT Staff

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