L'économiste Jean-Yves Naudet analyse l'encyclique « Caritas in Veritate »

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L’originalité de Benoît XVI : exhorter au don et à la gratuité aussi dans les domaines marchand et politique

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ROME, Jeudi 7 janvier 2009 (ZENIT.org) – « Ce qui est très original chez Benoît XVI… c’est que le don et la gratuité ne sont pas limités à la société civile, mais doivent aussi se développer dans le domaine marchand comme dans le domaine politique », affirme Jean-Yves Naudet, dans cet entretien accordé à ZENIT sur l’encyclique « Caritas in veritate ».

Jean-Yves Naudet est professeur d’économie à l’université Paul Cézanne (Aix-Marseille III), président de l’Association des économistes catholiques de France, et vice-président de l’Association internationale pour l’enseignement social chrétien.

Zenit – Même avant sa publication, l’Encyclique « Caritas in Veritate » de Benoît XVI faisait parler d’elle avec des pseudo-commentaires équivoques et des interprétations fantaisistes. Quels sont, à votre avis, les points fondamentaux développés dans le tracé fidèle à la tradition de la Doctrine Sociale de l’Eglise ? 

Jean-Yves Naudet – Il est vrai que l’on a écrit beaucoup de choses fausses avant la parution de l’encyclique, certains annonçant un nouveau manifeste semblable à celui de Marx ! Tout cela était ridicule et Benoît XVI se situe explicitement dans la ligne de tous ses prédécesseurs en matière de doctrine sociale, de Léon XIII à Jean-Paul II. Tous les grands principes doctrinaux s’y retrouvent, de la dignité de la personne humaine au respect de la vie, en passant par la subsidiarité ou la solidarité. Mais comme ses prédécesseurs, Benoît XVI s’intéresse aux « choses nouvelles », comme la mondialisation la crise financière, l’environnement, le développement,… Ce qui est le plus novateur, c’est l’idée que la question sociale est devenue « radicalement anthropologique », c’est-à-dire qu’elle concerne l’homme tout entier. C’est cela le développement intégral. Et désormais, l’économie, le social, mais aussi l’environnement,  la famille, le respect de la vie font partie de la doctrine sociale de l’Eglise ; on ne pourra plus « découper en morceaux » l’enseignement de l’Eglise pour en refuser une partie : si l’on veut être fidèle à la doctrine sociale de l’Eglise, il faut défendre la dignité de l’homme dans l’économie en même temps que la vie humaine. Tout cela devient inséparable et unifié. C’était chez ses prédécesseurs, mais c’est désormais unifié dans la doctrine sociale de l’Eglise. Défendre la vie, refuser d’instrumentaliser l’embryon en fait partie aussi bien que promouvoir le développement des peuples. 

Zenit – A bien lire le message du pape, la mondialisation se présente, sans doute, avec ses forces et ses faiblesses mais la question centrale est autour de la morale et de l’éthique réelle dans les relations économiques. Comment peut-on définir l’idée du marché selon Benoît XVI ? 

J.-Y. Naudet – Oui, cette encyclique est aussi une grande leçon d’éthique économique, et le pape passe en revue les grands thèmes économiques (marché, profit entreprise, etc.) pour les remettre sur leurs pieds en plaçant l’éthique au cœur de l’économie. En ce qui concerne le marché, Benoît XVI en explique, comme Jean-Paul II, l’utilité et le caractère essentiel pour permettre aux hommes d’échanger biens et services. Mais il explique que le marché a besoin de justice commutative, thème présent déjà chez Thomas d’Aquin (juste prix, juste salaire, équité dans les échanges), mais aussi de justice distributive car sans cela il ne peut produire la cohésion sociale. Il faut donc au marché des formes internes de solidarité pour créer une confiance réciproque. C’est ce qui a manqué dans la crise actuelle. Mais derrière le marché, il y a les hommes et ce sont eux qui ont un comportement moral ou immoral. C’est pourquoi, dit le pape « ce n’est pas l’instrument qui doit être mis en cause, mais l’homme, sa conscience morale et sa responsabilité personnelle et sociale «  (§36). 

Zenit – Dans une image très chère au pape, le marché, l’Etat et la société civile forment une union osmotique où l’homme, libre et responsable, peut s’exprimer dans un parcours de développement intégral. Comment peut-on s’engager pour réaliser le bien commun suivant l’enseignement social de l’Eglise ? 

J.-Y. Naudet – Cette question des liens entre marché, Etat et société civile est centrale. Le marché passe par le contrat, l’Etat par les lois justes et la société civile par le don et la gratuité. La société civile est essentielle pour ne pas enfermer l’homme entre le marché et l’Etat. La société civile, ce sont les corps intermédiaires ou encore « la personnalité de la société » comme disait Jean-Paul II. Mais, au-delà de l’éloge de la société civile, ce qui est très original chez Benoît XVI et qui fait l’unité de ces trois ordres en vue du bien commun, c’est que le don et la gratuité ne sont pas limités à la société civile, mais doivent aussi se développer dans le domaine marchand comme dans le domaine politique ; introduire là aussi des espaces de gratuité et de don, allant jusqu’au don de soi. Cela aura une influence sur tout le monde marchand et sur toute la politique, pour mieux promouvoir le bien commun ; y insérer dans ces deux mondes la gratuité, c’est insérer le sel qui donne du goût à l’ensemble. On peut s’engager de multiples manières dans la société civile, marchande ou politique, mais don et gratuité donnent le vrai sens de cet engagement, en replaçant au centre l’amour dans la vérité, qui est le fil conducteur de l’encyclique. 

Zenit – Il y a aussi une critique radicale à l’idéologie technocratique et une vision nouvelle de l’importance de l’entreprenariat comme engagement personnel au service de la communauté. Pourriez-vous développer cet aspect très particulier et important ? 

J.-Y. Naudet – Sur l’idéologie technocratique, c’est essentiel, car notre monde croit que tout est permis du moment que c’est efficace, que cela marche. Or cela, c’est le contraire de l’éthique et c’est croire que la fin justifie les moyens. On en vient ainsi à utiliser des embryons comme un simple matériel. C’est de l’utilitarisme pur et seule l’éthique peut permettre de prendre les bonnes décisions : la technique elle-même doit voir son usage soumis à l’éthique.

Quant à  l’entreprenariat, Benoît XVI en parle d’abord au sens de chef d’entreprise, montrant que sans éthique l’entreprise court à sa perte, surtout quand elle a l’obsession du court terme ; tout, tout de suite, à tout prix, c’est la cause de la crise actuelle.  Et il rend hommage aux entrepreneurs qui ont des « analyses clairvoyantes ». Mais ce qui est plus original, c’est l’idée que chacun de nous, chaque travailleur, est un créateur et pas seulement l’entrepreneur au sens strict et donc que chacun doit être traité dans l’entreprise comme s’il travaillait à son propre compte, avec le sens des responsabilités et l’autonomie nécessaire : question de dignité, mais aussi question d’efficacité. En respectant les hommes, ils donneront le meilleur d’eux-mêmes et chacun doit donc être traité dans l’entreprise comme s’il était un véritable entrepreneur, c’est-à-dire un créateur au service des autres. 

Zenit – Dans un article publié dans l’Osservatore Romano-Edition Française, vous affirmez que l’Encyclique « ouvre de formidables pistes de réflexion » et un « véritable programme de recherche ». Vers quelles perspectives et directions les catholiques et les hommes de bonne volonté sont-ils appelés à tourner leur regard ? 

J.-Y. Naudet – Chaque lecture nouvelle de l’encyclique ouvre de nouvelles pistes. Chacun doit y trouver des raisons de modifier sa vie et un chemin de conversion, y compris dans son comportement économique. Mais pour les chercheurs, les universitaires, c’est un champ considérable qui s’ouvre pour trouver les applications concrètes des i
dées du pape. Ainsi, cette notion de don et de gratuité dans le monde marchand et dans le monde politique doit faire réfléchir, au-delà des comportements individuels, à de nouvelles formes institutionnelles. De même, lorsqu’il aborde le thème apparemment très à la mode de la responsabilité sociale de l’Enterprise, de l’éthique des affaires, il bouleverse en quelques phrases nos conceptions, en montrant qu’on abusait ici de l’adjectif éthique et que, devenue un instrument de marketing, l’éthique pouvait conduire à son contraire. Il rappelle que la véritable éthique repose sur « la dignité inviolable de la personne humaine » et sur « la valeur transcendante des normes morales naturelles » (§45) : de quoi modifier toutes nos conceptions du management de l’entreprise et remettre sur le droit chemin la mode éthique dans les affaires. Il en va de même pour le profit, qui « doit être orienté vers un but qui lui donne un sens relatif aussi bien à la façon de le créer que de l’utiliser » (§21) : repenser le sens du profit, savoir discerner le bon profit, conforme à la morale, du profit immoral, là aussi voilà une nouvelle direction à explorer.

Mais chacun pourra trouver dans cette encyclique des questions qui le toucheront directement et le conduiront à modifier sa vie. La doctrine sociale, avec Benoît XVI, devient, comme le souhaitait déjà Jean-Paul II, un chemin de conversion et un chemin d’évangélisation.

Propos recueillis par Giovanni Patriarca

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ZENIT Staff

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