ROME, Lundi 21 décembre 2009 (ZENIT.org) – Le vicariat hébréophone en Israël publie ce 21 décembre une déclaration sur la récente proclamation des vertus de Pie XII. La déclaration est signée par le vicaire, le Rév. Père David Neuhaus, SJ et les prêtres du vicariat.
Déclaration
Le pape Benoît XVI a approuvé, samedi 19 décembre, 21 décrets dont 10 concernant les vertus d’hommes et femmes de l’histoire de l’Eglise qui ont donné un témoignage exemplaire (bien que des témoignages très différents) de leur foi chrétienne au cours de leur vie. Parmi les exemples remarquables, il y avait aussi deux papes, Jean-Paul II et Pie XII. Cette étape a de nouveau provoqué une tempête dans les relations entre juifs et catholiques.
Les catholiques hébréophones vivent au milieu du peuple juif dans la société israélienne. Leur existence est fondée sur leur appartenance à l’Eglise et son amour pour elle et leur proximité (dans certains cas leur appartenance aussi) et leur amour pour le peuple juif. Il est naturel, après des centaines d’années d’histoire partagée par l’Eglise et le peuple juif – une histoire qui a connu des difficultés et même des périodes tragiques -, que l’appartenance à ces deux mondes puisse être parfois déchirante. Notre vocation, en tant que catholiques hébréophones en Israël, est de « sentir » à la fois avec l’Eglise et avec Israël et d’essayer d’être un pont entre les deux, et parfois même de vivre la division douloureuse de l’incompréhension, de la polémique et de la défensive.
Ces dernières années, la figure du pape Pie XII a créé de temps à autre une tempête dans les relations entre l’Eglise et le peuple juif. Certains, dans l’Eglise, ont cherché à reconnaître le pape comme un croyant exemplaire qui a fait face aux grands défis de son temps, mais certains juifs ont soutenu que, pendant la période de la seconde guerre mondiale, le pape « n’en a pas fait assez » pour sauver les juifs de l’Europe occupée.
Samedi, Benoît XVI a reconnu les vertus de Pie XII et la réaction des juifs était attendue : cela blesse les juifs. La déclaration du pape Benoît XVI concernant les vertus de Pie XII n’est pas centrée sur la période de la Shoah et ne ferme pas la porte de la recherche des historiens. Le pape, qui a servi de 1939 à 1958, a été actif dans beaucoup de domaines différents et il a laissé sa marque dans l’Eglise du XXe siècle. C’est lui qui a ouvert la porte de la recherche biblique scientifique dans l’Eglise (recherche qui aujourd’hui réunit juifs et chrétiens et influence grandement la définition de l’héritage biblique commun des juifs et des chrétiens). Il a nommé des évêques qui n’étaient pas européens pour servir en Afrique et en Asie, reconnaissant ainsi le changement de visage de l’Eglise universelle. Il a encouragé la réforme liturgique et le dialogue entre la foi et la science. Il a dû faire face à la persécution de l’Eglise dans les pays qui étaient sous la domination communiste. Les catholiques se souviennent de lui et honorent sa mémoire dans un contexte ecclésial beaucoup plus large que les seules années sombres de la seconde guerre mondiale.
En tant que catholiques hébréophones en Israël, dont certains sont aussi membres du peuple juif, nous nous réjouissons de la vision partagée par beaucoup de juifs et de catholiques lorsqu’il s’agit des vertus du pape Jean-Paul II. Ce qui est particulièrement important pour nous, c’est tout ce qu’il a fait pour rapprocher l’Eglise du peuple juif. En même temps, nous exprimons une fois de plus notre peine concernant la division entre l’Eglise et le peuple juif lorsqu’on en vient à Pie XII. En tant que catholiques, nous sommes appelés à comprendre les figures des papes Jean-Paul II et Pie XII à la lumière de l’enseignement de l’Eglise. Nous rejetons la diffamation de Pie XII, et ce qui l’accuse de lâcheté et même d’antisémitisme et de collaboration avec l’ennemi nazi. Ces accusations sont absolument sans fondement. De même, nous rejetons les interprétations qui voient toute mise à l’honneur de Pie XII comme une minimisation de l’importance de la Shoah ou comme un pas en arrière par rapport au progrès stupéfiant des relations entre juifs et chrétiens ces dernières décennies. D’autre part, nous sommes appelés à comprendre le malaise de beaucoup de nos frères et sœurs juifs qui soutiennent que le pape « n’en a pas fait assez » pour sauver les juifs à l’heure de leurs souffrances pendant la Shoah.
Nous comprenons le cri « n’en a pas fait assez » comme un cri de douleur profonde venant du sentiment de trahison ressenti par le peuple juif pendant leur épreuve. En effet, le monde n’en a pas assez fait et c’est un fait indéniable que six millions de membres du peuple juif ont été assassinés. En définitive, il ne peut pas y avoir « d’assez » dans la tentative de faire face à une tragédie qui a les dimensions de la Shoah ! Nous entendons le cri du peuple juif et nous ressentons leur douleur. A la lumière de la Shoah, la question est la suivante : « Le pape aurait-il pu faire davantage ? » La question est à la fois légitime et compréhensible, cependant peut-être n’y a-t-il pas de réponse humaine à cette question. Dieu seul peut savoir s’il a en effet fait ce qu’il pouvait faire. Nous sommes témoins de la recherche historique concernant les efforts diplomatiques du pape pour mettre un terme à la guerre et à la terreur contre le peuple juif. Nous sommes témoins des nombreuses histoires concernant les instructions que le pape a données d’ouvrir des églises et les monastères de façon à donner asile aux juifs en fuite, pour leur fournir des faux papiers et les faire sortir clandestinement des régions dangereuses. Nous devons faire mémoire du rôle des hommes et des femmes qui, dans l’Eglise, « justes parmi les nations », se sont trouvés, sous l’autorité du pape, à agir en Italie et dans d’autres pays d’Europe pour aider les juifs à se cacher et à s’échapper. Dans certains cas, ils ont payé cela de leur vie.
Nous continuons à prier à la fois pour que dans l’Eglise et dans le peuple juif, nous ne cessions pas de chercher ensemble la vérité historique de façon à pouvoir éduquer nos enfants dans le respect mutuel et la fraternité, et que se poursuivent nos efforts pour collaborer à « l’amélioration du monde » (tikkun olam).
Rév. Père David Neuhaus SJ,
vicaire patriarcal pour les catholiques hébréophones
et les prêtres du vicariat
[traduction française : Anita S. Bourdin]