Deuxième prédication de l´Avent, par le P. Raniero Cantalamessa

En présence du pape Benoît XVI et de la curie romaine

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ROME, Vendredi 11 décembre 2009 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la deuxième prédication de l’Avent prononcée ce vendredi matin par le P. Raniero Cantalamessa O.F.M. Cap., prédicateur de la Maison pontificale, en présence du pape Benoît XVI et de la curie romaine, en la chapelle Redemptoris Mater, au Vatican.

Deuxième prédication de l’Avent

« Ministres de la nouvelle alliance de l’Esprit »

1. Le service de l’Esprit

La dernière fois, nous avons commenté la définition que Paul donne des prêtres comme « serviteurs du Christ ». Dans la deuxième Lettre aux Corinthiens nous trouvons une affirmation apparemment différente. Il écrit : Dieu « nous a rendus capables d’être ministres d’une nouvelle alliance, non de la lettre, mais de l’Esprit ; car la lettre tue, l’Esprit vivifie. Or, si le ministère de la mort, gravé en lettres sur des pierres, a été entouré d’une telle gloire que les fils d’Israël ne pouvaient fixer les yeux sur le visage de Moïse à cause de la gloire de son visage, pourtant passagère, comment le ministère de l’Esprit n’en aurait-il pas davantage ? » (2 Co 3, 6-8).

Paul se définit lui-même, ainsi que ses collaborateurs, comme des « ministres de l’Esprit » et il définit le ministère apostolique comme un « service de l’Esprit ». La confrontation avec Moïse et le culte de l’ancienne alliance ne laissent en effet aucun doute sur le fait que dans ce passage, comme dans de nombreux autres de cette même Lettre, il parle du rôle des guides dans la communauté chrétienne, c’est-à-dire des apôtres et de leurs collaborateurs.

Celui qui connaît le rapport qui existe pour Paul, entre le Christ et l’Esprit, sait qu’il n’y a aucune contradiction entre être serviteurs du Christ et être ministres de l’Esprit, mais une continuité parfaite. L’Esprit dont on parle ici est en effet l’Esprit du Christ. Jésus lui-même parle du rôle du Paraclet à son égard, quand il dit aux apôtres : il prendra de mon bien et vous l’annoncera, il vous fera vous souvenir de ce que je vous ai dit, il me rendra témoignage…

La définition complète du ministère apostolique et sacerdotal est : serviteurs du Christ dans l’Esprit Saint. L’Esprit indique la qualité ou la nature de notre service qui est un service « spirituel » dans le plein sens du terme ; c’est-à-dire non seulement dans le sens qu’il a pour objet l’esprit de l’homme, son âme, mais aussi dans le sens qu’il a pour sujet, ou pour « agent principal », comme disait Paul VI, l’Esprit Saint. Saint Irénée disait que l’Esprit Saint est « notre communion même avec le Christ »1.

Un peu plus haut, toujours dans la deuxième Lettre aux Corinthiens, l’Apôtre avait illustré l’action de l’Esprit Saint dans les ministres de la nouvelle alliance par le symbole de l’onction : « Et Celui qui nous affermit avec vous dans le Christ et qui nous a donné l’onction, c’est Dieu, Lui qui nous a aussi marqués d’un sceau et a mis dans nos cœurs les arrhes de l’Esprit » (2 Co 1, 21 s.).

Saint Athanase commente ainsi ce texte : « L’Esprit est appelé et est onction et sceau… L’onction est le souffle du Fils, si bien que celui qui possède l’Esprit peut dire : « ‘Nous sommes le parfum du Christ’. Le sceau représente le Christ, si bien que celui qui est marqué par le sceau peut avoir la forme du Christ »2. En tant qu’onction, l’Esprit Saint nous transmet le parfum du Christ ; en tant que sceau, sa forme, ou image. Il n’y a donc aucune dichotomie entre service du Christ et service de l’Esprit, mais une unité profonde.

Tous les chrétiens sont « oints » ; leur nom même ne signifie rien d’autre que cela : « oints », à l’image du Christ, qui est l’Oint par excellence (cf. 1 Jn 2, 20.27). Mais Paul parle ici de son oeuvre et de celle de Timothée (« nous ») à l’égard de la communauté (« vous ») ; il est par conséquent évident qu’il se réfère en particulier à l’onction et au sceau de l’Esprit reçus au moment où ils ont été consacrés au ministère apostolique, par Timothée, à travers l’imposition des mains de l’Apôtre (cf. 2 Tm 1, 6).

Nous devons absolument redécouvrir l’importance de l’onction de l’Esprit car je suis convaincu qu’elle renferme le secret de l’efficacité du ministère épiscopal et sacerdotal. Les prêtres sont essentiellement des consacrés, c’est-à-dire « oints ». « Le Seigneur Jésus, lit-on dans Presbyterorum ordinis, ‘que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde’ (Jn 10, 36), fait participer tout son Corps mystique à l’onction de l’Esprit qu’il a reçue ». Ce même décret conciliaire s’empresse toutefois de mettre en lumière la spécificité de l’onction conférée par le sacrement de l’Ordre. Pour cela, il dit que le sacerdoce des prêtres « est cependant conféré au moyen du sacrement particulier qui, par l’onction du Saint-Esprit, les marque d’un caractère spécial, et les configure ainsi au Christ Prêtre pour les rendre capables d’agir en personne au nom du Christ Tête »3.

2. L’onction : figure, événement et sacrement

L’onction, de même que l’Eucharistie et Pâque, est l’une des réalités présentes dans les trois phases de l’histoire du salut. Elle est en effet présente dans l’Ancien Testament comme figure, dans le Nouveau Testament comme événement et dans le temps de l’Eglise comme sacrement. Dans notre cas, la figure est donnée par les diverses onctions pratiquées dans l’Ancien Testament ; l’événement est constitué par l’onction du Christ, le Messie, l’Oint, auquel toutes les figures tendaient comme vers leur accomplissement ; le sacrement est représenté par cet ensemble de signes sacramentaux qui prévoient une onction comme rite principal ou complémentaire.

Dans l’Ancien Testament on parle de trois types d’onction : l’onction royale, sacerdotale et prophétique, c’est-à-dire l’onction des rois, des prêtres et des prophètes, même si dans le cas des prophètes il s’agit en général d’une onction spirituelle et métaphorique, c’est-à-dire sans une huile matérielle. Dans chacune de ces trois onctions se profile un horizon messianique, c’est-à-dire l’attente d’un roi, d’un prêtre et d’un prophète qui sera l’Oint par antonomase, le Messie.

En plus de conférer l’investiture officielle et juridique, par laquelle le roi devient l’Oint du Seigneur, l’onction confère, selon la Bible, un réel pouvoir intérieur. Elle comporte une transformation qui vient de Dieu et ce pouvoir, cette réalité, sont de plus en plus clairement identifiés à l’Esprit Saint. En conférant l’onction à Saul, comme roi, Samuel dit : « N’est-ce pas le Seigneur qui t’a oint comme chef de son peuple Israël ? C’est toi qui jugera le peuple du Seigneur… L’Esprit du Seigneur fondra sur toi », tu commenceras à prophétiser et tu seras transformé en un autre homme (cf. 1 Sm 10, 1.6). Le lien entre l’onction et l’Esprit est surtout mis en lumière dans le célèbre texte d’Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi car le Seigneur m’a donné l’onction » (Is 61, 1).

Le Nouveau Testament n’hésite pas à présenter Jésus comme l’Oint de Dieu, en qui toutes les onctions antiques ont trouvé leur accomplissement. Le titre de Messie, ou Christ, qui signifie, justement, Oint, en est la preuve la plus claire.

Le moment ou l’événement historique auquel on fait remonter cet accomplissement est le baptême de Jésus dans le Jourdain. L’effet de cette onction est l’Esprit Saint : « Dieu a oint Jésus de Nazareth de l’Esprit Saint et de puissance » (Ac 10, 38) ; Jésus lui-même, après son baptême, déclarera dans la synagogue de Nazareth : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction » (Lc 4, 18). Jésus était certainement rempli de l
‘Esprit Saint depuis le moment même de l’incarnation, mais il s’agissait d’une grâce personnelle, liée à l’union hypostatique, et par conséquent impossible à communiquer. Maintenant, à travers l’onction, il reçoit la plénitude de l’Esprit Saint qui, comme tête, pourra transmettre à son corps. L’Eglise vit de cette grâce « de la tête » (gratia capitis).

Les effets de la triple onction – royale, prophétique et sacerdotale – sont grandioses et immédiats dans le ministère de Jésus. Grâce à l’onction royale, il abat le règne de satan et instaure le royaume de Dieu : « Mais si c’est par l’Esprit de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc que le Royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous » (Mt 12, 28) ; grâce à l’union prophétique, il « annonce la bonne nouvelle aux pauvres » ; grâce à l’union sacerdotale, il offre des prières et des larmes durant sa vie terrestre et, à la fin, il se donne lui-même sur la croix.

Après avoir été présente dans l’Ancien Testament comme figure et dans le Nouveau Testament comme événement, l’onction est maintenant présente dans l’Eglise comme sacrement. De la figure, le sacrement prend le signe, et de l’événement il prend la signification ; des onctions de l’Ancien Testament il prend l’élément – l’huile, le saint chrême ou onguent parfumé – et du Christ il prend l’efficacité salvifique. Le Christ n’a jamais été oint par une huile matérielle (à part l’onction de Béthanie), et il n’a jamais oint personne avec une huile matérielle. En lui, le symbole a été remplacé par la réalité, par « l’huile d’allégresse » qui est l’Esprit Saint.

Plus que comme un sacrement unique, l’onction est présente dans l’Eglise comme un ensemble de rites sacramentaux. Comme sacrements indépendants, nous avons la confirmation (qui, à travers toutes les transformations subies, remonte, comme l’atteste le nom, à l’ancien rite de l’onction avec le saint chrême) et l’onction des malades ; comme parties d’autres sacrements nous avons : l’onction baptismale et l’onction dans le sacrement de l’ordre. Dans l’onction chrismale qui suit le baptême, il y a une référence explicite à la triple onction du Christ : « Il vous consacre lui-même par le saint chrême du salut ; incorporés au Christ prêtre, roi et prophète, soyez toujours membre de son corps pour la vie éternelle ».

Parmi toutes ces onctions, en ce moment, celle qui nous intéresse est celle qui accompagne le don de l’Ordre sacré. Au moment où il oint les paumes de chacun des ordinands agenouillés devant lui, avec le saint chrême, l’évêque prononce ces paroles : « Que le Seigneur Jésus Christ, que le Père a consacré dans l’Esprit Saint et la puissance, te garde pour la sanctification de son peuple et pour l’offrande du sacrifice ».

La référence à l’onction du Christ est encore plus explicite dans la consécration épiscopale. En versant l’huile parfumée sur la tête du nouvel évêque, l’évêque qui ordonne dit : « Que Dieu, qui t’a rendu participant du sacerdoce suprême du Christ, répande sur toi son onction mystique, et par l’abondance de sa bénédiction donne fécondité à ton ministère ».

3. L’onction spirituelle

Il y a un risque, commun à tous les sacrements, qui est celui de s’arrêter à l’aspect rituel et canonique de l’ordination, à sa validité et licité, sans donner suffisamment d’importance à la « res sacramenti », à l’effet spirituel, à la grâce propre du sacrement, dans le cas présent au fruit de l’onction dans la vie du prêtre. L’onction sacramentelle nous habilite à accomplir certaines actions sacrées comme gouverner, prêcher, instruire ; elle nous donne, pour ainsi dire, l’autorisation de faire certaines choses, pas nécessairement l’autorité en les faisant ; elle assure la succession apostolique, pas nécessairement le succès apostolique !

L’onction sacramentelle, avec le caractère indélébile (le « sceau » !) qu’elle imprime dans le prêtre, est une ressource à laquelle nous pouvons puiser chaque fois que nous en ressentons le besoin, que nous pouvons, pour ainsi dire, activer à chaque moment de notre ministère. Celle que l’on appelle en théologie, la « reviviscence » du sacrement, se réalise ici également. Le sacrement, reçu dans le passé, « revit », recommence à vivre et à libérer sa grâce : dans les cas extrêmes parce que l’obstacle du péché a été ôté (l’obex), dans d’autres cas parce que la patine de l’habitude a été ôté et que la foi dans le sacrement s’intensifie. C’est comme avec un flacon de parfum. Nous pouvons le garder dans notre poche ou le serrer aussi longtemps que nous le voulons, mais si nous ne l’ouvrons pas, le parfum ne se diffuse pas, c’est comme s’il n’existait pas.

Comment cette idée d’une onction actuelle est-elle née ? Encore une fois, saint Augustin marque une étape importante. Il interprète le texte de la première lettre de Jean : « L’onction que vous avez reçue… » (1 Jn 2, 27), dans le sens d’une onction continue, grâce à laquelle l’Esprit Saint, maître intérieur, nous permet de comprendre de l’intérieur ce que nous écoutons à l’extérieur. C’est à lui que l’on doit l’expression « onction spirituelle », spiritalis unctio, que l’on chante dans l’hymne du Veni creator4. Saint Grégoire le Grand, comme dans de nombreux autres cas, contribua à rendre populaire cette intuition augustinienne pendant tout le Moyen Age5.

Une nouvelle phase dans le développement du thème de l’onction s’ouvre avec saint Bernard et saint Bonaventure. Avec eux, une nouvelle acception spirituelle et moderne de l’onction s’affirme, non pas tant liée au thème de la connaissance de la vérité, qu’à celui de l’expérience de la réalité divine. Lorsqu’il commence à commenter le Cantique des Cantiques, saint Bernard affirme : « Seule l’onction de l’âme peut dicter un cantique de cette sorte, seule l’expérience intérieure peut nous l’apprendre »6. Saint Bonaventure identifie l’onction à la dévotion, qu’il conçoit comme « un sentiment suave d’amour pour Dieu suscité par le souvenir des bienfaits du Christ »7. Elle ne dépend pas de la nature, ni de la science, ni de la parole ou des livres, mais « du don de Dieu qui est l’Esprit Saint »8.

De nos jours, on utilise toujours plus souvent les termes oint et onction (anointed, anointing) pour décrire la manière d’agir de la personne, la qualité d’un discours, d’une prédication, mais avec des nuances. Comme nous l’avons vu, l’onction, dans le langage traditionnel, suggère surtout l’idée de suavité et de douceur, jusqu’à signifier, dans l’utilisation profane, l’acception négative d’« élocution ou attitude mielleuse et insinuante, souvent hypocrite », et à l’adjectif « onctueux », dans le sens de « personne ou attitude désagréablement cérémonieuse ou servile ».

Dans l’usage moderne, plus proche de celui de la Bible, elle suggère plutôt l’idée de pouvoir et force de persuasion. Une prédication pleine d’onction est une prédication où l’on perçoit, pour ainsi dire, le frémissement de l’Esprit ; une annonce qui remue, qui persuade du péché, qui arrive au cœur des gens. Il s’agit d’une composante délicieusement biblique du terme, présente par exemple dans le texte des Actes où l’on dit que Jésus « fut oint de l’Esprit Saint et de puissance » (Ac 10, 38).

L’onction, dans cette acception, apparaît plus comme un acte que comme un état. C’est quelque chose que la personne ne possède pas durablement, mais qui s’ajoute à elle, l’« investit » sur le moment, dans l’exercice d’un certain ministère ou dans la prière.

Si l’onction est donnée par la présence de l’Esprit et qu’elle est un don de lui,
que pouvons nous faire pour la recevoir ? Avant tout prier. Il y a une promesse explicite de Jésus : « Le Père du ciel donnera l’Esprit Saint à ceux qui l’en prient ! » (Lc 11, 13). Et puis, rompre nous aussi le vase d’albâtre comme la pécheresse dans la maison de Simon. Le vase est notre moi, parfois notre intellectualisme aride. Le briser, cela signifie se renier soi-même, céder à Dieu les rênes de notre vie par un acte explicite. Dieu ne peut remettre son esprit à celui qui ne se remet pas entièrement à Lui.

4. Comment obtenir l’onction de l’Esprit

Appliquons à la vie du prêtre ce très riche contenu biblique et théologique lié au thème de l’onction. Saint Basile dit que l’Esprit Saint « fut toujours présent dans la vie du Seigneur, en en devenant l’onction et le compagnon inséparable » afin que « toute l’activité du Christ se déroule dans l’Esprit »9. Recevoir l’onction signifie donc recevoir l’Esprit Saint comme « compagnon inséparable » dans la vie, faire tout « dans l’Esprit », en sa présence, sous sa direction. Elle comporte une certaine passivité, une manière d’agir, d’avancer ou comme le dit Paul « l’Esprit vous anime » (cf. Ga 5,18).

Tout cela se traduit, à l’extérieur, soit en suavité, calme, paix, douceur, dévotion, émotion, soit en autorité, force, pouvoir, autorité, en fonction des circonstances, du caractère de chacun et de la charge qu’il recouvre. L’exemple vivant se trouve en Jésus qui, poussé par l’Esprit, se manifeste comme doux et humble de cœur, mais aussi, en l’occurrence, comme plein d’autorité surnaturelle. C’est une condition caractérisée par une certaine luminosité intérieure qui donne de la facilité et de la maîtrise pour faire les choses. Un peu comme l’est la « forme » pour l’athlète et l’inspiration pour le poète : un état où l’on réussit à donner le meilleur de soi.

Nous, prêtres, nous devrions nous habituer à demander l’onction de l’Esprit avant de nous préparer à une action importante au service du royaume : une décision à prendre, une nomination à faire, un document à écrire, une commission à présider, une prédication à préparer. Je l’ai appris à mes dépens. Je me suis retrouvé un jour à devoir parler devant une vaste assemblée, dans une langue étrangère, et j’arrivais d’un long voyage. Brouillard total. J’avais l’impression de n’avoir jamais connu la langue dans laquelle je devais parler. J’étais dans l’incapacité de me concentrer sur un tableau, un thème. Et le chant d’entrée allait se terminer… Je me suis alors souvenu de l’onction, très vite, j’ai fait une courte prière : « Père, au nom du Christ, je te demande l’onction de l’Esprit ! ».

Parfois, l’effet est immédiat. On expérimente presque physiquement la venue de l’onction sur soi. Une certaine émotion traverse le corps, éclaire l’esprit, rassure l’âme ; la fatigue disparaît, ainsi que la nervosité, la peur, la timidité ; on expérimente quelque chose du calme et de l’autorité même de Dieu.

Beaucoup de mes prières, comme celles, je le pense, de chaque chrétien, sont restées inécoutées, mais quasiment jamais avec l’onction. Il semble que devant Dieu, nous ayons une espèce de droit de la réclamer. Par la suite, j’ai un peu spéculé sur cette possibilité. Par exemple, si je dois parler de Jésus Christ, je fais une alliance secrète avec Dieu le Père, sans le faire savoir à Jésus et je dis : « Père, je dois parler de ton Fils Jésus que tu aimes tant : donne-moi l’onction de ton Esprit pour arriver au cœur des gens ». Si je dois parler de Dieu le Père, je fais le contraire : je parle en secret avec Jésus… La doctrine de la Trinité est merveilleuse pour cela.

5. Oints pour répandre la bonne odeur du Christ dans le monde

Dans le même contexte que la 2e lettre aux Corinthiens, l’Apôtre, en se référant toujours au ministère apostolique, développe la métaphore de l’onction avec celle du parfum qui en est l’effet ; il écrit : « Grâces soient à Dieu qui, dans le Christ, nous emmène sans cesse dans son triomphe et qui, par nous, répand en tous lieux le parfum de sa connaissance. Car nous sommes bien pour Dieu la bonne odeur du Christ » ( 2 Co 2, 14-15).

Le bon parfum du Christ dans le monde : voilà ce que devrait être le prêtre ! Mais l’apôtre nous met en garde, ajoutant tout de suite après : « Mais ce trésor, nous le portons en des vases d’argile » (2 Co 4, 7). Nous savons trop bien, après la douloureuse expérience récente, tout ce que cela signifie. Jésus disait aux apôtres : « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens » (Mt 5, 13). La vérité de cette parole du Christ est douloureusement placée sous nos yeux. L’onguent aussi, s’il perd son odeur et s’abîme, se transforme en son contraire, en odeur pestilentielle, et au lieu d’attirer vers le Christ, il éloigne de lui. C’est aussi pour répondre à cette situation que le Saint Père a lancé l’année sacerdotale. Il le dit ouvertement dans la lettre d’indiction : « Il existe aussi malheureusement des situations, jamais assez déplorées, où l’Église elle-même souffre de l’infidélité de certains de ses ministres. Et c’est pour le monde un motif de scandale et de refus ». La lettre du pape ne s’arrête pas à cette constatation. Il ajoute en effet : « Ce qui, dans de tels cas peut être surtout profitable pour l’Église, ce n’est pas tant la pointilleuse révélation des faiblesses de ses ministres, mais plutôt une conscience renouvelée et joyeuse de la grandeur du don de Dieu, concrétisé dans les figures splendides de pasteurs généreux, de religieux brûlant d’amour pour Dieu et pour les âmes ». La révélation des faiblesses est faite elle aussi pour rendre justice aux victimes et maintenant, l’Eglise le reconnaît et la réalise du mieux qu’elle peut, mais elle est faite ailleurs et, dans tous les cas, ce n’est pas d’elle que viendra l’élan pour un renouveau du ministère sacerdotal. J’ai pensé à ce cycle de méditations sur le sacerdoce comme à une petite contribution correspondant au souhait du Saint Père. Je voudrais, à mon tour, faire parler mon Séraphique Père saint François. A une époque où la situation morale du clergé était sans commune mesure plus triste que celle d’aujourd’hui, il écrit dans son Testament : « Le Seigneur m’a donné et me donne encore, à cause de leur caractère sacerdotal, une si grande foi aux prêtres qui vivent selon la règle de la sainte Eglise romaine, que, même s’ils me persécutaient, c’est à eux malgré tout que je veux avoir recours. Si j’avais autant de sagesse que Salomon, et s’il m’arrivait de rencontrer de pauvres petits prêtres vivant dans le péché, je ne veux pas prêcher dans leurs paroisses s’ils m’en refusent l’autorisation. Eux et tous les autres, je veux les respecter, les aimer et les honorer comme mes seigneurs. Je ne veux pas considérer en eux le péché ; car c’est le Fils de Dieu que je discerne en eux, et ils sont réellement mes seigneurs. Si je fais cela, c’est parce que, du très haut Fils de Dieu, je ne vois rien de sensible en ce monde, si ce n’est son Corps et son Sang très saints, que les prêtres reçoivent et dont ils sont les seuls ministres ». Dans le texte cité au début, Paul parle de la « gloire » des ministres de la Nouvelle Alliance de l’Esprit, immensément plus élevée que l’ancienne. Cette gloire ne vient pas des hommes et ne peut être détruite par les hommes. Le Saint Curé répandait certainement autour de lui la bonne odeur du Christ et c’était pour cela que les foules accourraient à Ars ; plus proche de nous, le padre Pio de Pietrelcina répandait le parfum du Christ, parfois même un parfum concret, comme d’innombrables personnes dignes de foi l’ont attesté. Combien de prêtres, ignorés du monde, sont dans leur env
ironnement la bonne odeur du Christ et de l’Evangile. Le ‘Curé de campagne’ de Bernanos a d’innombrables compagnons de part le monde, tant en ville qu’à la campagne. Le père Lacordaire a tracé le profil du prêtre catholique, qui peut apparaître aujourd’hui comme un peu trop optimiste ou idéalisé, mais retrouver l’idéal et l’enthousiasme pour le ministère sacerdotal est justement ce qu’il nous faut en ce moment et c’est pourquoi nous le réécoutons à la fin de cette méditation :

« Vivre au cœur du monde sans aucun désir pour ses plaisirs ; être membre de chaque famille sans appartenir à aucune d’elles ; partager chaque souffrance, être mis à l’écart de chaque secret, guérir chaque blessure ; aller chaque jour, des hommes à Dieu, pour lui offrir leur dévotion et leurs prières, et revenir, de Dieu aux hommes, pour leur apporter son pardon et son espérance ; avoir un cœur d’acier pour la chasteté et un cœur de chair pour la charité ; enseigner et pardonner, consoler et bénir et être béni pour toujours. O Dieu, quelle vie est-ce que tout cela ? C’est ta vie, ô prêtre de Jésus Christ ! »10.

Texte original : italien

Traduction française : Zenit

1 S. Ireneo, Adv. Haer. III, 24, 1.

2 S. Atanasio, Lettere a Serapione, III, 3 (PG 26, 628 s.).

3 PO, 1,2.

4 S. Agostino, Sulla prima lettera di Giovanni, 3,5 (PL 35, 2000); cf. 3, 12 (PL 35, 2004).

5 Cf. S. Agostino, Sulla prima lettera di Giovanni, 3,13 (PL 35, 2004 s.); cf. S. Gregorio Magno, Omelie sui Vangeli 30, 3 (PL 76, 1222).

6 S. Bernardo, Sul Cantico, I, 6, 11 (ed. Cistercense, I, Roma 1957, p.7).

7 S. Bonaventura, IV, d.23,a.1,q.1 (ed. Quaracchi, IV, p.589); Sermone III su S. Maria Maddalena (ed. Quaracchi, IX, p. 561).

8 Ibidem, VII, 5.

9 S. Basilio, Sullo Spirito Santo, XVI, 39 (PG 32, 140C).

10 H. Lacordaire, cit. da D.Rice, Shattered Vows, The Blackstaff Press, Belfast 1990, p.137.

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ZENIT Staff

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