« L’Eglise catholique et le communisme en Europe », par le prof. Chenaux

« De Lénine à Jean-Paul II », publication au Cerf

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ROME, Mercredi 9 décembre 2009 (ZENIT.org) – « L’Eglise catholique et le communisme en Europe (1917-1989). De Lénine à Jean-Paul II » : c’est le titre de la passionnante enquête historique que le professeur Philippe Chenaux publie aux éditions du Cerf, au moment où l’Europe réfléchit aux causes et aux conséquences de la Chute du Mur de Berlin. Un éclairage à ne pas manquer.

Zenit – Philippe Chenaux, vous êtes professeur d’histoire de l’Eglise moderne et contemporaine à l’université pontificale du Latran, à Rome. Et vous publiez aux éditions du Cerf une analyse passionnante intitulée « L’Eglise catholique et le communisme en Europe (1917-1989) », avec pour sous-titre « De Lénine à Jean-Paul II ». Pourquoi ces deux dates 1917 et 1989 ?

Prof. Philippe Chenaux – La première, 1917, est l’année des deux révolutions russes : celle de février qui marque la chute du tsarisme, celle d’octobre qui porte au pouvoir Lénine et les bolcheviques. La seconde, 1989, est l’année de la chute du mur de Berlin et de l’effondrement du communisme dans les pays de l’Europe de l’Est. Ce qu’on a pu appelé « le court XXème siècle » tient entre ces deux dates.

Zenit – Après un chapitre sur l’Eglise et la révolution, vous parlez du « mirage russe » : en quoi consiste-t-il ?

Prof. Philippe Chenaux – La chute de la dynastie des Romanov, protecteur traditionnel de l’orthodoxie, est accueillie « sans déplaisir » au Vatican après la première révolution de février. Elle fait même renaître le rêve de la conversion de la Russie schismatique à la foi catholique romaine. C’est ce que j’appelle le « mirage russe » qui devait largement conditionner la politique du Saint-Siège à l’égard du Kremlin dans les années vingt. Il conduisit à la recherche d’un accord de type concordataire avec le gouvernement soviétique et, devant l’impossibilité d’arriver à un accord de ce type, à la tentative de pénétration clandestine mise en œuvre par le jésuite français Mgr Michel d’Herbigny.

Zenit – Et qu’est-ce que vous entendez par la « main tendue » ? Puis que le « refus de la « croisade » ?

Prof. Philippe Chenaux – La politique de la « main tendue » est la politique d’ouverture du Parti communiste français à l’égard des catholiques. On se souvient du fameux appel de Maurice Thorez, le secrétaire général du parti, à la veille des élections de 1936. Cette offre de collaboration reçut des réponses diverses, mais le Vatican de Pie XI y opposa une fin de non recevoir dans l’encyclique Divini Redemptoris (1937) qui définit le communisme comme une idéologie « intrinsèquement perverse ». Le « refus de la croisade » indique le refus du même Pie XI d’appeler à la guerre sainte contre le communisme lors de la guerre civile espagnole. On retrouvera cette même attitude de réserve chez Pie XII pendant la deuxième guerre mondiale et dans les débuts de la guerre froide.

Zenit – Après cette première partie intitulée « entre Charybde et Scylla (1917-1945) », vous évoquez « L’Eglise en guerre froide (1945-1958) », et ce que vous appelez les « crises du progressisme chrétien » : qu’est-ce qui caractérise cette époque ?

Prof. Philippe Chenaux – C’est la période la plus dure de l’affrontement entre l’Eglise et le communisme au XXème siècle. L’Eglise est attaquée de toutes parts : à l’Ouest la montée en puissance des partis communistes lors des premières consultations électorales d’après-guerre en France et en Italie laisse craindre le pire, à l’Est l’arrivée au pouvoir des communistes marque le début d’une politique d’intimidations et de persécutions. En 1949, un décret du Saint-Office interdira toute forme de collaboration avec le communisme sous peine d’excommunication. La « tendance  d’alliance » avec le communisme continuera malgré tout de prévaloir dans certains milieux catholiques en France et obligera le Vatican à intervenir. La plus grave des crises du progressisme chrétien sera celle des prêtres-ouvriers en 1954.

Zenit – Puis viennent le « dégel » et la « chute » (1959-1989) : avec tout d’abord la « révolution » de Jean XXIII : pourquoi « révolution » ?

Prof. Philippe Chenaux – Le mot est peut-être abusif. Il veut simplement indiquer qu’avec l’élection d’Angelo Roncalli quelque chose change dans l’attitude de l’Eglise à l’égard du communisme. Il n’est plus question d’anathèmes et de condamnations, mais de dialogue et de paix. Le pape réussit en quelque mois à établir un climat de confiance dans les relations avec Moscou, allant jusqu’à recevoir au Vatican le gendre de Khrouchtchev et sa fille, en mars 1963. Le concile Vatican II ne prononcera pas de nouvelle condamnation formelle du communisme comme le souhaitaient pourtant de nombreux pères conciliaires.

Zenit – Comment caractériser « l’Ostpolitik » du Vatican ?

Prof. Philippe Chenaux – La mise en œuvre de ce qu’on appelle l’Ostpolitik du Vatican s’inscrit dans le droit fil de ces efforts pour promouvoir la paix et la détente. On entend par là la poursuite d’une politique d’accords limités avec les pays de l’Est communiste visant à garantir la survie de l’Eglise institutionnelle dans ces pays. Cette politique, initiée par Jean XXIII et continuée par Paul VI malgré les doutes et le peu de résultats concrets, sera l’objet de critiques à l’intérieur même de l’Eglise, notamment dans les milieux de l’émigration. Elle permettra au Vatican d’être associé dès le départ au processus qui conduira à l’adoption des fameux accords d’Helsinki en août 1975. Le grand artisan de cette politique de détente sera le futur cardinal Agostino Casaroli.

Zenit – Pourquoi parler de « la fin d’une illusion » ?

Prof. Philippe Chenaux – J’utilise cette expression en référence au grand livre de François Furet « Le passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au XXème siècle » publié en 1995. Il montre bien que l’illusion communiste, c’est-à-dire l’illusion d’un avenir radieux et d’une société sans classes, prend fin en Occident dans les années 1970 avec la parution de l’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne. L’anticommunisme devient à partir de là la seule attitude moralement acceptable pour les intellectuels.

Zenit – Pour Lech Walesa, la chute du Mur de Berlin est due surtout à l’influence de Jean-Paul II, d’autres acteurs de l’époque comme Gorbatchev sont plus nuancés. Comment l’historien que vous êtes évalue-t-il cette influence et celle de la Pologne ?

Prof. Philippe Chenaux – On ne peut nier que le mouvement qui a conduit à l’effondrement du système communiste dans les pays de l’Est est parti de la Pologne. Le rôle du pape Jean-Paul II a été à cet égard décisif. Par ses voyages successifs dans sa patrie, il a réussi à redonner confiance au peuple polonais dans sa capacité à reprendre en mains sa propre histoire. Le soutien qu’il a apporté à Solidarnosc a été sans faille. Cela dit, il est évident que sans l’arrivée au pouvoir à Moscou d’un homme comme Gorbatchev les choses n’auraient pas évolué de la même façon.

Zenit – La quatrième de couverture de votre livre évoque cette hypothèse « provocante » : le communisme, dernière hérésie du christianisme. Pouvez-vous expliquer cela ?

Prof. Philippe Chenaux – Je fais mien un jugement de Maritain cité en exergue du livre qui présente le communisme comme « la dernière hérésie chrétienne ». Je crois en effet qu’on ne peut pas penser le communisme en dehors d’une culture qui est la culture judéo-chrétienne. Comme dit Maritain, on trouve dans les valeurs du communisme (justice sociale, égalité, communauté, etc.) mais
aussi dans l’espérance temporelle qu’il a suscité un « résidu » de l’héritage judéo-chrétien détaché de tout le reste de cet héritage et inséré, pour ainsi dire, dans une conception matérialiste athée de l’existence et de l’histoire. C’est ce résidu qui explique une bonne partie de son formidable pouvoir d’attraction sur les masses en Occident.

Propos recueillis par Anita S. Bourdin

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ZENIT Staff

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