ROME, Mardi 24 novembre 2009 (ZENIT.org) - A Mindanao, après le massacre perpétré à Maguindanao, des voix s'élèvent pour dire que cet accès de violence était prévisible, rapporte « Eglises d'Asie » (EDA), l'agence des Missions étrangères de Paris (MEP).
Le 23 novembre dernier, plus de 40 personnes, dont au moins 14 femmes, ont été assassinées sur l'île de Mindanao. Elles faisaient partie d'un convoi d'une quarantaine de personnes qui soutenaient un homme politique local, Datu Ismail Mangudadatu, maire adjoint de la ville de Buluan. En vue des élections qui auront lieu en mai 2010, son équipe de campagne allait déposer sa candidature pour le poste de gouverneur de la province de Maguindanao quand elle a été interceptée par une centaine d'hommes en armes. Le responsable de ce massacre serait le clan opposé à Mangudadatu, clan dirigé par Zaldy Ampatuan, gouverneur de la Région autonome musulmane de Mindanao et allié politique de la présidente Gloria Arroyo. Le clan des Ampatuan tient la majorité des postes électifs de la province.
Selon Sébastien Farcis, de RFI, le massacre commis le 23 novembre à Mindanao porte un nom aux Philippines : un rido. Les rido sont des affrontements entre familles musulmanes de Mindanao. A l'origine de ces conflits, il peut y avoir des raisons d'honneur, des litiges pour des terres, ou encore - et c'est le cas ici - des rivalités politiques. Les deux clans en question s'affrontent pour l'élection au poste stratégique de gouverneur de la province de Maguindanao, à l'ouest de Mindanao.
Depuis 2001, c'est le clan des Ampatuan qui détient pratiquement tous les postes de la province, jusqu'aux mairies. Lors des élections précédentes, personne n'osait s'opposer à eux, de peur d'être tué. C'est pourtant ce que le clan des Mangundadatos a l'intention de faire, et c'est ce qui a déclenché cette guerre, explique Marites Vitufg, rédactrice en chef du magazine Newsbreak et spécialiste de la question. « C'est un massacre comme nous n'en avons jamais vu. Des personnes extérieures au clan ont été assassinées, des journalistes aussi. Cela viole les règles du rido, et cela montre le désespoir du clan Ampatuan. Car le gouverneur actuel ne peut plus se représenter, et aucun membre de sa famille ne semble capable de le remplacer. Nous nous attendons à une vengeance de la part de l'autre clan. Et cela peut devenir une guerre difficile à stopper jusqu'aux élections. »
Ismail Mangudadatu n'était pas dans le convoi qui a été attaqué. Il a déclaré à la police qu'il parlait au téléphone avec sa femme, Genalyn, quelques instants avant que le convoi ne soit arrêté en pleine campagne. Avant que la communication ne s'interrompe, sa femme a eu le temps de lui dire que les voitures étaient entourées par une centaine d'hommes armés. Genalyn figure parmi les victimes. Ismail Mangudadatu a ajouté que, depuis quelque temps, des rumeurs circulaient à propos d'une possible embuscade et que c'était pour cette raison qu'il avait envoyé sa femme, en compagnie d'autres personnes de sexe féminin, pour déposer sa candidature, pensant que personne n'oserait s'en prendre à elles. Il a accusé Zaldy Ampatuan d'avoir commandité le massacre, ajoutant que sa femme et celles qui l'entouraient avaient été violées avant d'être décapitées. De plus, douze journalistes locaux figurent parmi les victimes, dont au moins un catholique, Neneng Montano, de Catholic Media Network.
Selon le P. Eduardo Vasquez Jr., curé de la paroisse de Sainte-Thérèse de l'Enfant Jésus à Datu Piang, dans la province de Maguindanao, « des amis » lui avaient dit le 22 novembre que « quelque chose allait se passer » si les proches d'Ismail Mangudadatu persistaient dans leur projet de se rendre auprès de la Commission électorale pour déposer sa candidature. « Beaucoup d'hommes en armes » avaient été aperçus autour de Shariff Aguak, la ville où se trouve la Commission électorale, et dans les localités environnantes. Si l'homme de la rue savait qu'il allait se passer quelque chose, alors les autorités devaient elles aussi être au courant, précise le prêtre catholique. Des habitants de Shariff Aguak ont déclaré qu'ils s'attendaient à ce que des violences éclatent dès que les Mangundadatos auraient posé le pied en ville. « Si des membres de familles aussi puissantes que celle de Mangundadatos peuvent être assassinés de manière aussi barbare, imaginez ce que cela peut être pour les citoyens anonymes ! », commente le P. Vasquez.
L'armée philippine a confirmé que le chef du groupe armé responsable de la tuerie est le fils du gouverneur en place, Andal Ampatuan. Maire de Shariff Aguak, Andal Ampatuan Jr. aurait agi avec la complicité d'un officier de police, identifié uniquement sous le nom de Dicay.
Cette embuscade marque de manière sanglante le début de la période des élections, qui sont généralement très violentes aux Philippines. En 2007, pour des élections de moindre importance, plus de 130 personnes avaient été assassinées. En mai prochain, ce sont tous les postes qui devront être renouvelés, depuis les maires jusqu'au président de la République. La nouvelle du massacre a provoqué la stupeur et l'indignation aux Philippines. Dès le 24 novembre, la présidente a décrété l'état d'urgence dans la province de Maguindanao, ainsi que dans deux zones limitrophes, soumettant ainsi 1,54 million de personnes à un couvre-feu et à des mesures d'exception. Le ministre de l'Intérieur a assuré que l'enquête sera impartiale, mais l'affaire sera délicate à gérer, car le clan Ampatuan est justement le plus fidèle allié de la présidente actuelle dans la région de Maguindanao et un appui essentiel pour les élections nationales de mai prochain.
Le 24 novembre, la Conférence des évêques et des oulémas, structure œuvrant au dialogue islamo-chrétien, a condamné dans les termes les plus fermes le massacre commis la veille, le qualifiant d'« abominable péché ». Sur les ondes de Radio Veritas, Mgr Orlando Quevedo, archevêque de Cotabato, dont le territoire couvre la province de Maguindanao, a mis en garde contre tout jugement hâtif dans cette crise ; il a appelé au respect des procédures judiciaires.
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