Synthèse des interventions du 12 octobre (ap-midi)

Douzième congrégation générale

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ROME, Mardi 13 octobre 2009 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous les synthèses des discours des pères du synode sur l’Afrique, intervenus lors de la douzième Congrégation générale, lundi 12 octobre dans l’après-midi, ainsi que les synthèses des interventions des auditeurs, et l’intervention de l’invité spécial. Voici la liste des intervenants :

Pères synodaux :

– Mgr Robert MUHIIRWA, Évêque de Fort Portal (OUGANDA)

– Mgr Kyrillos WILLIAM, Évêque d’Assiut des Coptes (ÉGYPTE)
– Mgr Philippe RANAIVOMANANA, Évêque d’Ihosy (MADAGASCAR)
– Mgr Laurent MONSENGWO PASINYA, Archevêque de Kinshasa (RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO)
– Mgr Raymond Leo BURKE, Archevêque émérite de Saint Louis, Préfet du Tribunal Suprême de la Signature Apostolique (CITÉ DU VATICAN)
– Mgr Tesfaselassie MEDHIN, Évêque de Adigrat (ÉTHIOPIE)
– Mgr Norbert Wendelin MTEGA, Archevêque de Songea (TANZANIE)
– Mgr Krikor-Okosdinos COUSSA, Évêque de Iskanderiya des Arméniens (ÉGYPTE)
– Mgr Denis WIEHE, C.S.Sp., Évêque de Port Victoria, Président de la Conférence Épiscopale (C.E.D.O.I.) (SEYCHELLES)
– Mgr Ludwig SCHICK, Archevêque de Bamberg, Président de la Commission « Weltkirche » de la Conférence Épiscopale Allemande (ALLEMAGNE)

Auditeurs :

– M. Alberto PIATTI, Secrétaire Général de la Foundation AVSI, Milano (ITALIE)
– M. Ermelindo Rosário MONTEIRO, Secrétaire Général de la Commission Épiscopal Justice et Paix, Maputo (MOZAMBIQUE)
– Mme Barbara PANDOLFI, Président générale de l’Institut Sécolier des Missionnaires de la Royauté du Christe (ITALIE)
– Soeur Maria Ifechukwu UDORAH, D.D.L., Supérieure Général des Filles du Divine Amour, Enugu (NIGÉRIA)

– Mme Marguerite A. PEETERS (BELGIQUE)

Invité spécial :

M. Jacques Diouf, directeur général de la FAO

Nous reprenons ci-dessous les résumés des interventions, publiés par la secrétairerie générale du Synode (traductions de travail, non officielles).

– Mgr Robert MUHIIRWA, Évêque de Fort Portal (OUGANDA)

Je voudrais parler du grand défi de la pauvreté que je rencontre dans mon pays, l’Ouganda et particulièrement de mon diocèse de Fort Portal qui compte environ un million de catholiques et qui est riche de 2 000 catéchistes. Je pense que mon diocèse, comme tant d’autres en Afrique, a un fort potentiel. Il possède par exemple de bonnes terres dans les campagnes, les villes et les agglomérations. Mais dans la situation financière dans laquelle nous nous trouvons, nous ne sommes pas en mesure de faire fructifier cette terre et de nous soutenir financièrement. C’est la raison pour laquelle nous sommes toujours en demande d’aide financière auprès de nos sœurs les Églises d’Europe, d’Amérique et des autres pays développés pour la construction d’Églises, de presbytères paroissiaux, pour nos couvents, pour les moyens de transport indispensables à notre charge pastorale, etc. Aussi sommes-nous très reconnaissants de toute l’aide que nous recevons pour cela.
Néanmoins, si nous devons être une Église mûre, une Église vivante qui doit viser l’auto-suffisance et s’étendre par elle-même, nous avons également besoin de devenir plus autonome, en nous appuyant sur des capitaux que nous pourrions nous-mêmes drainer afin de pouvoir soutenir les programmes de l’Église et payer un salaire juste à nos catéchistes, religieux et prêtres, afin que ces derniers ne soient pas poussés à quitter volontairement nos diocèses pour des près plus verdoyants. De plus, nous devons mettre en place des programmes pour les jeunes afin qu’ils ne soient pas attirés par les musulmans et les églises pentecôtistes qui versent des millions de dollars dans nos pays pour les attirer vers leurs religions.
Pouvons-nous enrichir le dialogue afin que nos sœurs les Églises et les diocèses des pays développés nous aident? Par exemple, aider les diocèses et les Conférences sœurs sur les possibilités d’investissement visant l’auto-dépendance, afin de nous rendre capables de rétribuer correctement nos agents pastoraux, notamment les catéchistes? Sommes-nous capables de réaliser nos propres programmes pastoraux, en dépassant le syndrome de l’assisté, qui lassent nos propres donateurs? Puisse cette réflexion, résumer mon intervention: « Donnez un poisson à un homme et il viendra vous voir tous les jours, mais donnez-lui un hameçon et il pêchera pour lui-même tous les jours ».

[Texte original: anglais]

– Mgr Kyrillos WILLIAM, Évêque d’Assiut des Coptes (ÉGYPTE)

Sur une population totale de 80 millions, les chrétiens en Égypte sont environs 10 millions, dontquelques 300.000 catholiques: répartis en Coptes catholiques majoritaires, puis les Melkites, les maronites, les syriens, les arméniens, les chaldéens et quelques latins.
L’Église catholique d’Égypte est une petite communauté qui garde son cachet d’Église universelle, elle porte aussi les soucis de toute Église africaine, tout en ayant sa spécificité, vivant dans un contexte arabo-musulman différent de celui des autres pays africains. Elle est aussi une Église locale riche de traditions, de cultures, de rites et une liturgie propres.
L’Église d’Égypte est présente par les activités socio-pastorales que font les diocèses, les congrégations religieuses et les organismes laïcs.
Cette présence se manifeste de diverses manières: Nous donnons la priorité à l’éducation.
Par l’école, nous formons l’enfant à la tolérance, au respect de l’autre différent et aux valeurs humaines. Cette formation crée des ponts entre les différentes couches religieuses et sociales.
Le développement socio- économique: telle que la promotion de la femme, l’animation rurale (l’alphabétisation, la santé, les micro projets, etc.).
Quelques défis de l’Église Catholique d’Egypte: le fondamentalisme religieux, l’émigration des cadres chrétiens, les réfugiés, le travail œcuménique qui laisse à désirer, la formation adéquate des prêtres, des religieux et religieuses et des laïcs pour faire face au changement de la société égyptienne et ses nouveaux appels. Promouvoir la communion entre les différents rites et les nouveaux mouvements dans l’Église.

[Texte original: français]

– Mgr Philippe RANAIVOMANANA, Évêque d’Ihosy (MADAGASCAR)

On ne peut que remercier les organismes européens, catholiques ou non, qui ont aidé financièrement et matériellement les Églises de l’hémisphère Sud et certains diocèses de se doter de ces moyens. L’Église d’Afrique est reconnaissante envers le Nord pour ces diverses aides.
Toutefois, souvent les aides sont conditionnées par les donateurs. Un grand nombre de programmes de l’Église en Afrique dépendent encore largement des conditions des donateurs. Cet état de fait risque d’hypothéquer l’autonomie et la propriété des programmes d’une part, d’autre part il y a risque de mettre en place des projets ou de structures inadaptées à l’Église locale et aux bénéficiaires. Pour cela, une confiance et une compréhension mutuelles des deux parties sont nécessaires pour éviter les cadeaux empoisonnés.
L’investissement en moyens de communication sociale doit atteindre ces villages enclavés et coupés du monde, des paysans qui constituent les 85% de la population n’accèdent pas à l’information et la formation , privés ainsi des minimum de droits et devoirs de citoyens et de chrétiens, alors qu’ils sont appelés à être artisans de la réconciliation, de la paix, et de la justice
La formation des personnels pour la maîtrise de ces moyens de haute technologie qui ne cessent d’évoluer, coûte chère! La formation, souvent à faire en Europe, est une nécessité, mais reste hors de la possibilité financière du diocè
se. D’autre part, pour bien évangéliser les Médias, il faut que les animateurs aient une formation chrétienne solide. C’est la condition pour la réussite…
La mise en place des radios diocésaines vise d’abord la communion dans chaque diocèse. Mais la mise en place d’un Réseau-Satellite contribuera grandement aux échanges et partages interdiocésains et nationaux à travers un programme commun. Elle a pour mission de favoriser la communion dans l’effort d’évangélisation, aux diocèses de s’apprécier .

[Texte original: français]

– Mgr Laurent MONSENGWO PASINYA, Archevêque de Kinshasa (RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO)

La paix va de pair avec la justice, et la justice avec le droit, le droit avec la vérité.
Sans la justice, la paix sociale est mise à mal. Il faut donc à tout prix promouvoir des États de droit, où règne le primat de la loi, notamment la loi constitutionnelle; États de droit où l’arbitraire et la subjectivité ne créent pas la loi de la jungle; des États de droit où la souveraineté nationale est reconnue et respectée; des États de droit où est rendu équitablement à chacun ce qui lui est dû.
Sans la vérité, il est difficile d’assurer la justice et de dire le droit. La conséquence en est que droit et non droit auraient égal droit de cité; ce qui rendrait impossible un ordre harmonieux des choses ou « tranquillitas ordinis ». « Dans la vérité, la paix » (Benoît XVI).
Voilà pourquoi dans la recherche des solutions de paix, toutes les démarches notamment diplomatiques et politiques viseront à rétablir la vérité, la justice et le droit.
Le Christ est notre paix, Il a fait la paix, Il a proclamé la paix, parce que des juifs et des païens Il a fait un seul peuple. Non pas en laissant les uns et les autres dans leurs privilèges et leurs droits, mais en abolissant l’exclusion, en abattant le mur de séparation cultuelle et sociale, en détruisant la haine qu’Il a crucifiée dans Son Corps sur la croix. Juifs et gentils ne sont plus des étrangers, des lointains, mais des proches, des concitoyens des saints, et les uns et les autres ont un même héritage (Ep 3, 6) appartenant jadis au seul Israël. Il fit ainsi un homme nouveau, pour les réconcilier tous les deux à Dieu et leur donner accès au Père par l’Esprit.
C’est en supprimant toutes les barrières, l’exclusion, les lois discriminatoires dans le culte et la société, et surtout en tuant la haine qu’on réconcilie les hommes et qu’on fait la paix.

[Texte original: français]

– Mgr Raymond Leo BURKE, Archevêque émérite de Saint Louis, Préfet du Tribunal Suprême de la Signature Apostolique (CITÉ DU VATICAN)

L’Église en tant qu’épouse du Christ est le miroir de la justice. Elle doit annoncer et sauvegarder la vérité qui, selon les mots du Pape Benoît XVI, « seule, est la garantie de la liberté (cf. Jn 8, 32) et de la possibilité d’un développement humain intégral » (Caritas in Veritate, n. 9). Son enseignement et sa discipline concernant le Mariage, qui forme et nourrit la famille, première cellule de la vie de l’Église et de la vie de la société, est fondamental à sa fidélité en tant que miroir de justice dans le monde.
Le tribunal matrimonial, dans lequel l’Évêque diocésain exerce son office de juge pour le compte des fidèles qui accusent leur mariage de nullité, est une partie essentielle du Ministère de la justice de l’Église. Chaque Évêque doit donc être attentif à établir et à ordonner de manière adéquate le tribunal matrimonial, une responsabilité qu’il peut réaliser conjointement au travers d’un tribunal interdiocésain.
Dans la culture contemporaine, il est essentiel que l’Église annonce la vérité à propos de l’union conjugale entre un homme et une femme qui est, de par sa nature, exclusive, indissoluble et destinée à la procréation. L’observance de la discipline de l’Église relative au mariage de la part des fidèles est l’un des meilleurs moyens d' »encadrer les couples et d’accompagner les familles dans les défis qu’elles rencontrent » et de purifier la culture séculière des pratiques telles que les « mariages forcés » et la polygamie.
Les décisions du tribunal matrimonial projettent, en général, sur les fidèles et sur la société la vérité du mariage et de la famille. Les officiers du tribunal doivent donc être bien préparés par l’étude du droit canonique et leur propre expérience.
Par la célébration de cette Assemblée spéciale, puisse l’Église, tirant profit du génie propre de la culture africaine, être toujours plus parfaitement le miroir de la justice concernant le mariage et la famille pour le bien des peuples d’Afrique et du monde entier.

[Texte original: anglais]

– Mgr Tesfaselassie MEDHIN, Évêque de Adigrat (ÉTHIOPIE)

On n’a pas selon moi accordé d’attention suffisante à la formation qui est un sujet fondamental pour l’Église en Afrique lorsqu’elle sert la réconciliation, la justice et la paix, en tant que « … sel de la terre … et lumière du monde ».
L’Église accomplit sa mission par le biais de ses structures et de ses institutions et, plus fondamentalement, de ses évêques, prêtres, religieux et religieuses, catéchistes et fidèles laïcs qui, à leurs niveaux respectifs, ont à jouer le rôle de guides et de modèles de « réconciliateurs », de « personnes justes », d’artisans de paix au sein des communautés chrétiennes.
La formation des prêtres est cruciale pour l’objectif à réaliser.
Nous devons donc assurer que la formation que nous donnons à nos futurs prêtres et agents d’évangélisation les aide à être conscients des défis et à être des ministres mûrs, confiants en eux-mêmes et équilibrés, capables d’affronter et de passer aux travers des sérieuses turbulences de ce temps.
Recommandations:
– Il existe un sérieux besoin de comprendre les pressions destructrices et les défis que doivent affronter nos sociétés en Afrique aujourd’hui, avec une attention spéciale envers les familles et les jeunes. Cela invite l’Église à concevoir des programmes de formation plus spécifiques.
– Il devrait être accordé une attention particulière aux programmes de formation des grands séminaires et des maisons de formation religieuse, afin de déterminer leur qualité et leur efficacité à former des membres de l’Église qui peuvent devenir de véritables témoins de réconciliation, de justice et de paix.
– Utiliser nos instituts d’études supérieures pour fonder une université qui développe et intègre dans ses modules les meilleures pratiques de la culture africaine et ses mécanismes de réconciliation les plus efficaces, afin de permettre la formation de ressources humaines au service de la réconciliation, de la justice et de la paix, qui pourraient, selon les besoins, rendre ce service aux niveaux national, régional et continental.
– L’appréciation des différences au cœur de nos sociétés africaines est une réalité qui ne doit pas être sous-estimée.

[Texte original: anglais]

– Mgr Norbert Wendelin MTEGA, Archevêque de Songea (TANZANIE)

Beaucoup de nos populations sont torturées, harassées et assassinées simplement en raison de malicieux soupçons sans fondement fomentés par la sorcellerie et les sorciers. Il n’y a aucune loi pour les défendre, les gouvernements pardonnent, certains leaders conspirent aussi avec les sorciers et certains gouvernements légalisent cette pratique. De nombreux leaders croient en la sorcellerie, la superstition et l’occultisme. Il faut une évangélisation plus profonde, un soutien et une voix prophétique pour nos gouvernements.
La survie de nos agriculteurs est précaire. Souvent leur détresse ne fait pas partie des budgets de nos gouvernements et très souvent ils sont trompés. L’Église en Afrique doit combattre en faveur des agriculteurs et des pasteurs: afin qu’ils obtiennen
t leur juste partie du budget; afin que leur soient garantis les infrastructures de base, les besoins primaires à leur travail et les produits; afin que les accords soient stables et que les marchés soient bons; afin que les marchés internes soient protégés, et qu’ils soient initiés aux coopératives de microfinance, à l’économie et au prêt.
Car, pour nos hommes politiques, la paix signifie « une atmosphère paisible qui leur permet de voler et de jouir de l’argent de leurs pays ». Pour eux, les élections libres et justes signifient « le succès d’avoir emmener les personnes à voter dans la totale ignorance de leurs droits implicites et des manœuvres malicieuses de la part des candidats ». Les hommes politiques croient que le fait d’avoir été élus signifie avoir obtenu le ticket pour voler le pays.
Nous aimons les musulmans. Cela fait partie de notre histoire et de notre culture de vivre avec eux. Mais le danger qui menace la liberté de l’Afrique, la souveraineté, la démocratie et les droits de l’homme est tout d’abord le facteur islamique politique, comme par exemple le plan délibéré et le processus clair d’ « identification de l’islam avec la politique et vice-versa » dans chacun de nos pays africains. Deuxièmement, le facteur monétaire islamique par lequel d’immenses sommes d’argent provenant de pays étrangers sont investies dans nos pays afin de déstabiliser la paix et d’éradiquer le christianisme.
L’ethnicité est un cancer qui tourmente l’Afrique. Nous devons immédiatement inculquer la réconciliation comme appartenant à notre spiritualité et à notre existence, tout comme à notre action immédiate.

[Texte original: anglais]

– Mgr Krikor-Okosdinos COUSSA, Évêque de Iskanderiya des Arméniens (ÉGYPTE)

Je voudrais partager avec vous le témoignage que donne l’Église arménienne, qui depuis le génocide de 1915, est présente dans le monde entier par sa diaspora.
En 1915, les ottomans, poussés par la jalousie, ont massacré le peuple arménien présent en grande Arménie et en petite Arménie (Turquie). Un million et demi de personnes ont péri dans ce génocide.
Les arméniens sont partis et se sont dispersés, d’abord au Moyen-Orient et ensuite dans le monde entier. Partout où elle s’est implantée, l’Église arménienne a été accueillie et a emporté avec elle sa langue, sa liturgie, sa foi, ses traditions et sa culture.
En 2001, nous avons célébré les 1700 ans du baptême de l’Arménie, et le Pape Jean-Paul II a béatifié l’Archevêque de Mardine, Ignace Maloian, qui, à la tête de son peuple, a donné sa vie pour ne pas renier sa foi dans le Christ.
À l’heure où se tient ce synode, c’est-à-dire 94 ans après ce massacre, suivant l’appel du Christ à pardonner à ses ennemis, les dirigeants de l’État arménien ainsi que les chefs des Églises arméniennes (catholique, orthodoxe et évangélique) accomplissent un acte de pardon public envers les turcs. Nous le faisons en demandant aux turcs de reconnaître le génocide, de rendre hommage aux martyrs et d’octroyer aux arméniens leurs droits civils, politiques et religieux.
Le chemin de la réconciliation a déjà été entamé entre les deux États.
Pour cela, j’en appelle aux dirigeants politiques afin qu’ils soutiennent notre cheminement auprès des turcs, avec l’Église universelle et l’Église africaine en détresse.

[Texte original: français]

– Mgr Denis WIEHE, C.S.Sp., Évêque de Port Victoria, Président de la Conférence Épiscopale (C.E.D.O.I.) (SEYCHELLES)

Les petites îles de l’Océan Indien (Les Comores, la Réunion, l’Île Maurice, Rodrigues et les Seychelles) par leur situation géographique, leur histoire, et en particulier de leur peuplement sont très différentes des grands pays du continent africain, car elles sont tributaires non seulement de l’Afrique mais aussi de l’Asie et de l’Europe. Toutefois au niveau pastoral plusieurs questions nous sont communes. Il en est ainsi au sujet de certains problèmes concernant la famille.
Les chrétiens qui se joignent au Chemin Néocatéchuménal sont profondément transformés.
J’ai été témoin au cours des visites pastorales dans l’une ou l’autre famille, de l’harmonie des relations dans le couple et dans la relation parents/enfants, et aussi de la prière familiale régulière et profonde.
Les « Sessions-CANA » organisées par la Communauté du Chemin Neuf: une vingtaine de couples y participe à chaque fois et vit une semaine ensemble; il leur est proposé ce temps pour redécouvrir le vraie sens de leur vie de couple et de famille. Au même moment, dans un autre lieu, les enfants de ces familles suivent un temps de formation semblable, avec une pédagogie adaptée à leur âge. Le dernier jour de la session, parents et enfants se retrouvent pour une fête familiale avec tous les participants. Pour le suivi, après la session, il est proposé aux couples plusieurs activités dont la participation aux « Fraternités-CANA ».
Les « Couples for Christ » (Les couples pour le Christ), communauté laïque venue des Philippines offre des programmes de formation non seulement pour les couples mais aussi pour les jeunes qui se préparent au mariage, pour les adolescents et pour les enfants. Les programmes divers qu’ils proposent sont animés par des chants qui plaisent beaucoup aux jeunes … et aux moins jeunes.

[Texte original: français]

– Mgr Ludwig SCHICK, Archevêque de Bamberg, Président de la Commission « Weltkirche » de la Conférence Épiscopale Allemande (ALLEMAGNE)

Il faut encourager les partenariats entre les Églises des différents continents. Mais il ne faut pas considérer ces partenariats à sens unique. Ils doivent conduire à un échange de dons spirituels mais aussi matériels des Églises particulières du monde entier.
Ces partenariats doivent être des partenariats de prière, d’échange d’expérience et de solidarité. Être partenaire signifie participer mutuellement aux joies et aux peines de chacun. Ces partenariats renforcent les Églises locales dans la foi, l’espérance et la charité (cf. Rm 1, 12). Les partenaires peuvent s’entraider avec les prêtres, les membres des ordres religieux, notamment les sœurs et les experts dans différents domaines.
Enfin, dans notre société mondialisée, les partenariats des Églises de différents continents entre elles sont nécessaires en vue de poursuivre le dialogue d’une voix unanime avec les gouvernements et les organisations politiques internationales. Ce n’est qu’ensemble que les Églises pourront résoudre les graves problèmes du commerce équitable, du changement climatique, de la non-prolifération des armes, de l’exploitation des ressources naturelles, du trafic d’êtres humains, des problèmes de migration, etc. Les partenariats des Églises particulières du monde entier entre elles encouragent les Églises locales à devenir de meilleurs instruments de réconciliation de justice et de paix dans le monde.

[Texte original: anglais]

Nous publions, ci-dessous, les résumés des interventions des Auditeurs et Auditrices:

– M. Alberto PIATTI, Secrétaire Général de la Foundation AVSI, Milano (ITALIE)

Le plus grand trésor de l’Afrique est la soif de sens, de spiritualité de Dieu qui n’existe plus dans l’Europe repue. La révélation que le Christ est la réponse à ce désir de l’être humain fait pour l’accomplissement de son créateur, accomplissement ici et maintenant dans la Sainte Église.
Tel est le charme de la foi qui rencontre et se propose à la liberté de l’homme. Ceci attire les jeunes.
Je dis charme parce que je vis avec mon épouse l’aventure de faire grandir et d’éduquer cinq enfants (presque une famille africaine).
Ce qui les anime est le charme de la foi comme connaissance de la réalité dans sa vérité profonde et non pas des règles et des conséquences éthiques ou environnementales.
Je me
permets de soumettre à votre réflexion le problème de savoir si cette tension ne semble pas souvent un préambule mais ensuite, dans l’action, cette tension ne tient pas, et dans nos œuvres s’introduisent un dualisme et un relativisme dans les conséquences opérationnelles. Ainsi, trop souvent notre agenda semble coïncider avec celui des organisations internationales et en particulier des Nations Unies, le Palais de verre semblant de plus en plus le temple où est célébré le culte de la nouvelle religion humanitaire et relativiste et dont le Secrétaire général du moment assume les fonctions d’un pape laïc.
Je me réfère pour être synthétique à deux aspects fondamentaux de notre expression caritative: l’éducation et la santé.
Pour cette raison, nous considérons que l’éducation permanente est un facteur déterminant de la conscience des fidèles tendant au rapport entre le Créateur et le créé, y compris dans l’action. Non seulement donc une instruction formelle. Mais voilà la question: quels sont les contenus éducatifs transmis dans les écoles catholiques? Nous ne pouvons pas nous contenter de ce que prévoient les objectifs du millénaire: « Éducation pour tous ».
Je rappelle également l’urgence de prendre conscience de la valeur de la dignité civile et sociale des œuvres de l’Église comme contribution au bien commun selon le principe de subsidiarité. L’Église offre une éducation primaire à 50% de la population scolaire et 50% des services sanitaires de base dans de nombreux pays du continent africain et ceci n’est pas reconnu de manière adéquate.
Face à ces dimensions du service offert aux frères par l’Église, le fonds global pour les trois grandes maladies destine seulement 3,6% de l’ensemble des ressources qu’il gère aux organisations religieuses.
La conférence des évêques de l’Ouganda a, en ce sens, œuvré de manière admirable mais beaucoup reste encore à faire.

[Texte original: italien]

– M. Ermelindo Rosário MONTEIRO, Secrétaire Général de la Commission Épiscopal Justice et Paix, Maputo (MOZAMBIQUE)

L’Église en Afrique doit faire face à de nombreux défis. Au Mozambique, par exemple, durant et après la guerre civile, l’Église catholique a collaboré de diverses manières à former la conscience des personnes au pardon et à la réconciliation nationale, et à recréer ainsi le tissu humain et social du peuple en vue de la paix. Elle a organisé l’union de toutes ses forces vives (laïcs, religieux, prêtres) pour mobiliser l’opinion publique sur le pardon et la réconciliation. Elle a promu l’éducation du peuple à la paix par des déclarations publiques de ses Évêques dans des lettres, des communiqués et des exhortations pastorales. Ces mêmes évêques ont tenu des rencontres de dialogue systématiques avec les autorités gouvernementales et avec les responsables du mouvement de Résistance nationale afin de souligner que ce n’était pas les armes mais le dialogue, la voie la plus juste pour arriver à la paix. L’Église en outre a formé plus de 2 000 opérateurs sociaux d’intégration (animateurs de la réconciliation) qui ont porté dans tout le pays le message de pardon et de réconciliation pour la paix. Le vendredi était dédié aux prières pour la paix. En d’autres occasions, se tenait une prière œcuménique et interreligieuse pour la paix.
Face aux nouvelles réalités et aux nouveaux défis actuels, il faut considérer également les aspects internes de l’Église qui peuvent constituer un contre-témoignage de réconciliation et de justice, rendant ainsi difficile la construction de la paix.
Pour toutes ces raisons et d’autres encore, je voudrais suggérer à nos pasteurs qu’ils continuent d’insister sur l’annonce de la vérité et sur la dénonciation de tout ce qui peut blesser la réconciliation, la justice et la paix en Afrique parce que votre engagement pleinement désintéressé, Messieurs les Évêques, est un exemple qui se multipliera en chacun des fidèles qui vous ont été confiés. Je suggère en outre à nos pasteurs qu’ils renforcent toujours davantage les commissions Justice et Paix afin qu’elles contribuent de manière plus efficace en tant que sel de la terre et lumière du monde, au service de la réconciliation, de la justice et de la paix.

[Texte original: portugais]

– Mme Barbara PANDOLFI, Président générale de l’Institut Séculier des Missionnaires de la Royauté du Christe (ITALIE)

La présence des membres des Instituts séculiers est une présence cachée qui accepte la précarité de la vie quotidienne côte à côte avec les autres, sans protection ni privilège, à la recherche de chemins et de solutions parfois seulement probables, vécue avec le désir d’une fraternité universelle.
C’est pourquoi la vocation des Instituts séculiers met en évidence le besoin d’une promotion d’un laïcat mûr, qui puisse contribuer à l’édification d’une société civile basée sur les valeurs humaines du christianisme.
Dans la recherche de la justice et de la paix, en particulier, l’expérience des laïcs consacrés, insérés dans les différents milieux de vie sociale, peut favoriser de micro-processus de réconciliation, contribuer à une conscience critique, identifiant à la lumière de l’Évangile des chemins alternatifs de justice et de partage.
Notre vie et notre expérience nous porte à regarder le monde et l’histoire avec discernement et sens critique mais également avec une vision positive qui part de la certitude que, partout, il est possible de trouver les signes et les semences de la présence de Dieu qui demandent à être reconnus, promus et accompagnés, en s’appropriant le style du dialogue et du témoignage.
Si la femme est un pilastre de la société africaine, souvent elle l’est de manière « cachée », non officielle et non reconnue, au milieu de difficultés et de préjudices.
La majorité des instituts séculiers présents en Afrique étant des Instituts féminins, il faut favoriser et promouvoir avec urgence une valorisation de la femme, non seulement en tant qu’épouse et mère, mais en tant que personne capable de responsabilité et d’autonomie dans les différents milieux de la vie sociale et il faut aussi permettre avec urgence sa présence particulière et non seulement subordonnée dans l’Église.Si la première fracture du genre humain, causée par le péché, a été celle entre l’homme et la femme, l’un des signes de paix et de réconciliation peut peut-être être justement donné par la promotion d’une réelle co-responsabilité et d’une reconnaissance effective de la dignité égale des hommes et des femmes, en dehors de toute domination et de toute discrimination.
Peut-être le moment est-il venu où la femme, souvent assujettie à l’homme par tradition, pourra être vraiment présente dans tous les champs de la vie sociale et ecclésiale, face à l’homme, en dialogue avec lui.
En ce sens, l’Évangile peut devenir une vraie force de changement.

[Texte original: italien]

– Soeur Maria Ifechukwu UDORAH, D.D.L., Supérieure Général des Filles du Divine Amour, Enugu (NIGÉRIA)

J’appuie ce que S.Exc. Mgr Adewale Martins du Nigeria a suggéré en ce qui concerne la jeunesse, mais j’aimerais porter votre attention sur les enfants. L’Association de la Sainte Enfance fait déjà un grand travail dans certains de nos pays mais on devrait donner une direction plus déterminée à leurs programmes de manière à ce qu’ils en apprennent plus de la culture chrétienne et des valeurs catholiques. Un programme peut être élaboré par les diocèses à l’usage des Écoles catholiques en ce qui concerne l’instruction religieuse. Cela signifie également qu’on doit être plus attentifs à la formation spirituelle des enfants dans les écoles primaires et secondaires. Un programme planifié d’activités pour la jeunesse dans les Universités fera suite au travail commencé
à l’école primaire et dans le secondaire. Lorsque les candidats à la vie religieuse et au sacerdoce ministériel émergeront de société civile dans les dix prochaines années, leur formation en sera facilitée.
En ce qui concerne les personnes consacrées, comme cela est indiqué dans l’Instrumentum laboris aux n. 113 et 114, je tiens à approuver la proposition de S.Ém. le Card. Francis Cardinal et ajouter que tous les agents d’évangélisation nous considèrent comme des coéquipiers dans l’Église-Famille de Dieu en vue d’un témoignage positif et effectif, et non pas comme des adversaires. Sœur Felicity Harry a fait le point sur les personnes consacrées, mais j’aimerais suggérer, de plus, que des réunions régulières pour le dialogue et le partage d’idées soient organisées pour les prêtres diocésains et les personnes consacrées travaillant dans les diocèses. De telles occasions peuvent aussi être utiles pour organiser des séminaires sur l’esprit d’équipe et sur le travail en équipe pour l’ensemble des agents d’évangélisation.
De nombreuses congrégations religieuses autochtones débutent actuellement des missions ad-intra et ad-extra et doivent faire face au défi du manque de soutien de la part de l’Église-Famille de Dieu dans leur travail. Je propose que nos Pères synodaux portent leur attention sur ce problème.

[Texte original: anglais]

– Mme Marguerite A. PEETERS (BELGIQUE)

La période qui sépare la première assemblée synodale de la seconde correspond historiquement à une phase d’accélération sans précédent de la mondialisation culturelle et éthique. L’application, d’ores et déjà effective, sur le continent africain des conférences onusiennes du Caire sur la population (1994) et de Pékin sur les femmes (1995) représente un aspect politique critique de cette mondialisation. Ces dernières ont transformé en normes dites mondiales les valeurs, le langage, les styles de vie d’une civilisation occidentale en pleine décadence. La gouvernance mondiale impose de facto aux états africains et aux agents de développement de nouvelles conditions d’aide financière et technique, entre autres l’application prioritaire du genre et de la santé reproductive et l’appropriation d’une nouvelle éthique postmoderne et laïciste s’exprimant à travers un nouveau langage. Ils cherchent même à gagner l’Église à cette éthique.
L’Église reste très ignorante par rapport aux enjeux de cette éthique. L’ignorance expose les chrétiens aux dangers de l’amalgame entre les paradigmes de la révolution culturelle mondiale et la doctrine sociale de l’Église. Cet amalgame risque à son tour de mener les chrétiens en Afrique au dessalement de la foi comme il a été responsable de la sécularisation de l’Occident. Un effort de discernement et de vigilance s’impose avec urgence.

[Texte original: français]

INTERVENTION DE L’INVITÉ SPÉCIAL, M. JACQUES DIOUF, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA FAO

Je voudrais tout d’abord vous saluer très respectueusement et bien cordialement.
Permettez-moi de vous dire l’honneur et l’émotion que je ressens d’avoir été convié à intervenir devant cette auguste Assemblée. Je souhaite vous exprimer ma profonde gratitude pour votre invitation dont je reconnais le caractère exceptionnel. C’est une singulière distinction d’être associé à vos réflexions sur quelques uns des problèmes cruciaux du monde, notamment l’insécurité alimentaire que vous avez bien voulu me demander d’aborder avec vous.
Notre dialogue ne pouvait se concevoir sans l’intermédiation de la parole qui est si symbolique de l’humain, mais qui est aussi le vecteur du message universel de paix, de solidarité et de fraternité.
Votre rencontre solennelle est placée sous le signe de la trilogie: « Synode », « Évêque », « Africain ».
Ayant le grand privilège d’user de la parole devant le Très Saint-Père, je dois puiser aux sources de la sagesse des anciens pour éviter de m’aventurer dans le labyrinthe intellectuel des deux substantifs: « Synode » et « Évêque ». J’oserais donc me hasarder seulement sur le chemin moins escarpé du substantif: « Africain ».
L’Afrique, ce sont d’abord des valeurs communes de civilisation basées sur une conscience historique d’appartenance à un même peuple. Parti de la zone des grands lacs au cours de la préhistoire pour fuir la désertification, ce peuple a fondé au cours de la protohistoire les civilisations soudano-nilotique et égyptienne. L’occupation étrangère de l’Égypte au sixième siècle a provoqué les migrations vers le sud et l’ouest, à partir de la vallée du Nil. Du début du premier siècle jusqu’aux invasions ultramarines, les grands empires et royaumes florissants s’y sont succédés; Ghana, Nok, Ifé, Mali puis Songhai, Haoussa et Kanem-Bornou, Zimbabwe et Monomotapa, Kongo. Ces valeurs s’appuient sur une conscience géographique, un territoire qui est un triangle délimité par l’Océan atlantique, l’Océan indien et la Mer méditerranée.
L’Afrique, martyrisée, exploitée, spoliée par l’esclavage et la colonisation mais maintenant politiquement souveraine, ne doit pas se replier dans le refus et la négation, même si elle a le devoir de mémoire. Elle doit avoir la grandeur du pardon et continuer de développer une conscience culturelle basée sur une identité propre qui refuse l’assimilation aliénatrice. Elle doit approfondir les concepts opératoires de négritude et d’africanité, incluant la diaspora, qui soient fondés sur l’enracinement, mais aussi sur l’ouverture.
Ces valeurs sont reflétées dans une expression artistique (peinture, sculpture) qui accentue les formes et les dimensions pour surtout transmettre un message d’amour ou manifester une émotion qui dépasse les oppositions dichotomiques. Elles s’expriment aussi par une musique et des danses plus festonnées de rythme et d’improvisation que de lyrisme et de solfège. Ces valeurs ont aussi produit un type d’architecture fait de parallélisme asymétrique où dominent pointes, triangles et cylindres, qui contrastent avec les angles rectangles, les carrés et les cubes en équilibre par rapport à des axes centraux, si caractéristiques des édifices d’autres continents.
C’est ce terreau culturel qui est le socle solide sur lequel l’Afrique doit construire son futur en harmonie avec les autres peuples de la planète Terre.
L’Afrique a toujours été présentée sous l’angle des difficultés qu’elle rencontre. Mais c’est une terre d’avenir qui dans les prochaines quarante années connaîtra une forte croissance démographique. En 2050, elle comptera deux milliards d’habitants – le double d’aujourd’hui, dépassant ainsi l’Inde (1,6 milliards d’habitants) et la Chine (1,4 milliards d’habitants) et elle représentera le plus grand marché du monde.
Avec des ressources mondiales de 80% pour le platine, 80% pour le manganèse, 57% pour le diamant, 34% pour l’or, 23% pour la bauxite, 18% pour l’uranium, 9% pour le pétrole, 8% pour le gaz, l’Afrique est incontournable dans le développement économique de la planète. Ce potentiel minier et énergétique ne deviendra cependant réalité que s’il est mis au service de l’émancipation économique de ses populations, si l’Afrique se libère du joug de la faim et de la malnutrition. Pour cela, elle doit vivre dans la paix et dans l’unité. La gestion de la cité dans les États doit se faire dans la démocratie, la transparence, la primauté du droit et l’application de la loi par une justice indépendante, devant laquelle tous les citoyens sont comptables de leurs actes. L’économie doit créer la richesse et la prospérité au profit du peuple, notamment des personnes les plus déshéritées et les plus vulnérables.
La sécurité alimentaire est indispensable à la réduction de la pauvreté, à l’éducation des enfants, à la santé des populations, mais aussi à une croissance économique durable. Elle conditionne la stabilité
et la sécurité du monde. Lors des « émeutes de faim » dans 22 pays de tous les continents en 2007 et en 2008, la stabilité des gouvernements a été ébranlée. Chacun a pu réaliser que l’alimentation est aussi une question sociale de premier ordre et un facteur essentiel de sécurité globale.
En 1996, le Sommet mondial de l’alimentation, organisé par la FAO, a pris l’engagement solennel de réduire de moitié la faim et la sous-alimentation dans le monde. Il avait pour cela adapté un programme afin de parvenir à la sécurité alimentaire durable. Cet engagement a été réaffirmé par le Sommet du Millénaire en 2000, par le Sommet mondial de l’alimentation: cinq ans après en 2002 et par la Conférence de haut niveau de la FAO sur la Sécurité alimentaire mondiale tenue en juin 2008.
Malheureusement, les données les plus récentes réunies par la FAO sur la faim et la malnutrition dans le monde révèlent que la situation actuelle est encore plus inquiétante qu’en 1996. L’insécurité a augmenté partout dans le monde au court des trois dernières années à cause de la crise mondiale de 2007-2008 induite par la flambée des prix des denrées alimentaires et exacerbée par la crise financière et économique qui frappe le monde depuis plus d’un an. Toutes les régions de la planète ont été affectées. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le nombre des personnes qui ont faim a atteint un milliard, soit 15% de la population mondiale.
En Afrique, malgré des progrès importants réalisés dans de nombreux pays, l’état de l’insécurité alimentaire est très préoccupant. Le continent compte actuellement 271 millions de personnes mal nourries, soit 24% de la population, ce qui représente une augmentation de 12% par rapport à l’année dernière. En outre, parmi les trente pays dans le monde en état de crise alimentaire nécessitant actuellement une aide d’urgence, vingt se trouvent en Afrique.
Les performances de l’agriculture africaine au cours des dernières décennies ont été insuffisantes. La croissance de la production agricole (2,6% par an entre 1970 et 2007) a été compensée par celle de la population (2,7% pour la même période) et n’a donc pas accru les disponibilités alimentaires moyennes par personne. Pourtant, l’agriculture représente 11% des exportations, 17% du PIB du continent, et surtout 57% des emplois. Elle demeure un secteur économique essentiel et un facteur d’équilibre social sans équivalent.
À ce titre, la contribution de la femme africaine à la production et au commerce agricoles, ainsi que son rôle dans la nourriture de toute la famille, sont des facteurs essentiels. En fait aucune initiative pour faire face au problème de l’insécurité alimentaire en Afrique ne peut réussir sans la prise en compte de cette réalité économique et sociale.
L’Afrique a besoin de moderniser ses moyens et ses infrastructures de production agricole. L’utilisation des intrants modernes est actuellement très insuffisante. Ainsi, seulement 16 kg d’engrais par hectare de terres arables sont utilisés, contre 194 kg en Asie et 152 kg en Amérique du Sud. Ce taux est encore plus faible en Afrique sub-saharienne avec seulement 5 kg par hectare. L’usage des semences sélectionnées, qui ont fait le succès de la Révolution verte en Asie, est très faible en Afrique. Seulement un tiers des semences est soumis à un système de contrôle de qualité et de certification.
Les infrastructures de transport, les moyens de stockage et de conditionnement font terriblement défaut sur le continent. Les routes rurales sont au niveau de l’Inde du début des années 70. Les pertes de récolte atteignent 40 à 60% pour certains produits agricoles.
Seulement 7% des terres arables sont irriguées en Afrique contre 38% en Asie. Ce taux tombe à 4% pour l’Afrique sub-saharienne où sur 93% des terres la vie, je devrais dire la survie des populations dépend de la pluie, facteur de plus en plus aléatoire avec le réchauffement climatique. Pourtant, le continent n’utilise que 4% de ses réserves d’eau contre 20% en Asie.
En outre, le commerce des produits agricoles intra-africain reste relativement limité, Malgré l’existence de 14 groupements économiques régionaux, seulement 14% des importations des principaux produits alimentaires par l’Afrique proviennent de la région. Pour les céréales, ce chiffre n’est que de 6%. Le commerce intra-régional des produits agricoles en Afrique, comme d’ailleurs pour les autres produits, devrait être davantage encouragé pour qu’il joue un plus grand rôle dans la sécurité alimentaire du continent.
Les agriculteurs africains ont besoin d’améliorer leurs conditions de vie. Ils doivent pouvoir vivre dignement, en travaillant avec les moyens de leur époque. Il leur faut des semences à haut rendement, des engrais, des aliments du bétail et d’autres intrants modernes. Ils ne peuvent continuer, comme au Moyen Âge, à labourer la terre avec des outils traditionnels, dans des conditions aléatoires, au gré des caprices du temps.
Il convient de dire et de redire qu’il est impossible de vaincre la faim et la pauvreté en Afrique sans augmenter la productivité agricole, car l’extension des superficies commence à trouver ses limites à cause de l’impact de la déforestation et des incursions dans les éco-systèmes fragiles.
Le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA), préparé avec le soutien de la FAO, et complété par les documents sur l’élevage, les forêts, la pêche et l’aquaculture, a été adopté par les Chefs d’États et des gouvernements de l’Union africaine en juillet 2003. Immédiatement après, 51 pays africains ont demandé le soutien de la FAO pour la traduction de ce Programme au niveau des États. Ainsi des programmes nationaux d’investissement à moyen terme et des projets d’investissement ont été préparés pour un montant total d’environ 10 milliards de dollars E.-U.
La question de l’eau est bien évidement essentielle. Elle le sera encore davantage en raison des conséquences du réchauffement climatique qui va avoir un impact particulièrement négatif sur les conditions de production agricole en Afrique. Selon le Groupe de l’ONU d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les rendements des cultures pluviales en Afrique pourraient reculer de 50 pour cent d’ici à 2020. Une réunion des Ministres de l’agriculture, des ressources en eau et de l’énergie a ainsi été organisée en décembre 2008 à Sirte par la FAO, avec le soutien de Gouvernement libyen. Un portefeuille de projets d’un montant total de 65 milliards de dollars E.-U. a été approuvé pour un programme à court, moyen et long terme d’irrigation et d’hydro-énergie établi pour chaque pays par les gouvernements africains avec le soutien de la FAO.
Mais nous ne pouvons atteindre nos objectifs sans des ressources financières suffisantes. En fait le problème de l’insécurité alimentaire en ce monde est d’abord une question de mobilisation au plus haut niveau politique pour que les ressources financières nécessaires soient disponibles. C’est une question de priorités face aux besoins humains les plus fondamentaux.
Il convient de rappeler que chaque année les soutiens à l’agriculture des pays de l’OCDE atteignent 365 milliards de dollars E.-U. et les dépenses d’armement 1 340 milliards de dollars E.-U. par an dans le monde. Par ailleurs, je souhaite souligner que les financements nécessaires pour la lutte contre la faim s’élèveraient à 83 milliards de dollars E.-U. par an, provenant du budget des pays en développement eux-mêmes, de l’investissement privé, notamment des agriculteurs eux-mêmes et, enfin, de l’aide publique au développement.
Ce que nous constatons aujourd’hui, c’est le résultat de choix effectués sur la base de motivations matérialistes au détriment des référentiels éthiques. Il en résulte des conditions de vie injustes e
t un monde inégal où un nombre restreint de personnes devient de plus en plus riche, alors que la vaste majorité de la population devient de plus en plus pauvre.
Il y a sur la terre suffisamment de moyens financiers, de technologies efficaces, de ressources naturelles et humaines pour éliminer définitivement la faim du monde. Les plans, les programmes, les projets et les politiques existent aux niveaux national et régional pour atteindre cet objectif. Dans certains pays, deux à quatre pour cent de la population est capable de produire suffisamment pour nourrir toute la nation et même exporter, alors que dans la grande majorité des autres 60 à 80 pour cent de la population n’est même pas en mesure de satisfaire une infime partie des besoins alimentaires du pays.
Le monde a dépensé 17% de l’Aide publique au développement dans les années 70 pour éviter les risques de famine en Asie et en Amérique latine. Ces ressources étaient nécessaires pour construire les systèmes d’irrigation, les routes rurales, les moyens de stockage, ainsi que les systèmes de production de semences, les usines d’engrais et d’aliments de bétail qui ont constitué la base de la Révolution verte.
Les ressources pour développer l’agriculture africaine devront d’abord provenir des budgets nationaux. À Maputo en juillet 2003, les Chefs d’État et de gouvernement africains se sont engagés à augmenter la part de leur budget national alloué à l’agriculture jusqu’à 10% au moins au cours des cinq prochaines années. Seuls 5 pays ont à ce jour respecté cet engagement, même si des progrès certains ont été observés dans 16 autres pays.
Ensuite, conformément aux engagements de Monterrey de 2002 et de Doha de 2008, l’Aide publique au développement devrait augmenter. La tendance à la diminution de la part de l’aide au développement consacrée à 1’agriculture, qui a baissé de 17% en 1980 à 3,8% en 2006, doit être inversée. Aujourd’hui, le niveau est de 5 pour cent, bien que 70 pour cent des pauvres du monde aient l’agriculture comme moyen d’existence, offrant nourriture, revenus et emploi. Les mêmes objectifs de croissance doivent être adoptés pour les financements des banques régionales et sous-régionales, ainsi que des agences d’aides bilatérales.
Enfin, les investissements du secteur privé dans le secteur agricole et alimentaire doivent être encouragés par des cadres juridiques stables. La collaboration entre secteur privé et public doit être renforcée dans le cadre d’un partenariat qui évite les pièges de l’échange inégal. Il faut donc pour cela adopter et appliquer un code international de bonne conduite sur les investissements étrangers directs dans l’agriculture.
Pourtant, dans ce contexte difficile de crise économique, la FAO a mobilisé au cours des deux dernière années, tous les moyens techniques et financiers à sa disposition pour faire face à la crise alimentaire.
Outre l’assistance fournie dans le cadre de programmes nationaux et régionaux de sécurité alimentaire et des projets d’urgence lancés pour faire face aux effets des ouragans et d’autres catastrophes naturelles, la FAO a lancé le 17 décembre 2007 son « Initiative de lutte contre la flambée des prix des denrées alimentaires ». L’objectif est de faciliter l’accès des petits agriculteurs aux semences, aux engrais, aux outils agricoles et aux équipements de pêche. Le budget actuel des divers projets relevant de cette initiative s’élève à 52 millions de dollars E.-U. en Afrique. En outre, des projets dans 16 pays africains correspondant à un budget de 163,4 million de dollars E.-U. sont mis en oeuvre par la FAO grâce au soutien de l’Union européenne dans le cadre de sa « Facilité d’un milliard d’euros ». Ces ressources sont mises à la disposition des pays en développement pour les aider à faire face à la crise alimentaire. Il s’agit maintenant d’étendre, d’approfondir et d’accroître de tels programmes et projets.
Aujourd’hui, le flux de la vague d’immigrés clandestins fuyant la faim et la pauvreté apporte sur les rivages de l’Europe australe le triste spectacle des rêves brisés d’hommes, de femmes et d’enfants en quête de mieux être et dont beaucoup trouvent une fin tragique loin d’horizons et d’êtres qui leurs sont chers.
L’optimiste structurel que je suis, croit avec ferveur que demain, grâce aux investissements et à la formation, le reflux de la marée de filles et de fils d’Afrique vers les terres fertiles et l’eau abondante du continent créera les conditions d’un avenir radieux de travail et de prospérité pour ceux qui furent trop longtemps marginalisés et qui, les femmes notamment, ont tout pour être nourrices du monde.Une plante libérée de la faim, c’est ce que peut faire le miracle d’une foi inébranlable dans l’omniscience de Dieu et la croyance indéfectible dans l’humanité. J’ai noté donc avec une grande satisfaction, l’initiative de sécurité alimentaire du Sommet du G8 de L’Aquila de juillet dernier, auquel j’ai participé, et qui a mis l’accent, pour la première fois, sur le développement agricole à moyen et long terme, en faveur des petits producteurs des pays en développement. Il s’agit en effet de ne pas compter seulement sur l’aide alimentaire à court terme, certes indispensable dans les crises nombreuses, générées par les catastrophes naturelles et les conflits divers, mais qui ne peut assurer l’alimentation quotidienne d’un milliard de personnes souffrant de la faim dans le monde.
L’engagement pris à cette occasion de mobiliser 21 milliards de dollars E.-U. sur trois ans pour la sécurité alimentaire est un signe encourageant, pourvu qu’il soit, cette fois-ci, mis en oeuvre concrètement et rapidement.
J’ai plaidé pendant de nombreuses années sans beaucoup de résultats en faveur de l’investissement dans la petite agriculture des pays pauvres pour trouver une solution durable au problème de l’insécurité alimentaire. Je suis donc particulièrement heureux qu’aujourd’hui les dirigeants du G8 adhèrent à cette approche.
Fort de cette perspective de pouvoir mobiliser davantage de moyens à la hauteur des enjeux, le Conseil de la FAO a décidé de convoquer un Sommet mondial sur la Sécurité alimentaire au niveau des Chefs d’État et de Gouvernements, au siège de la FAO à Rome, du 16 au 18 novembre 2009. Il convient en effet de dégager un large consensus sur l’éradication définitive de la faim dans le monde, afin de permettre à tous les peuples de la Terre de bénéficier du « droit à l’alimentation » qui est le plus fondamental de tous les droits de l’homme. Pour ma part je suis convaincu, parce que je sais que c’est techniquement possible, que nous devons fixer un tel objectif pour 2025 comme l’ont déjà fait les dirigeants ibéro-américains pour l’Amérique latine et les Caraïbes.
De tous les déchirements que connaît le continent africain, la faim reste le plus tragique et le plus intolérable. Tout engagement pour la justice et la paix en Afrique est indissociable d’une exigence de progrès dans la réalisation du droit à l’alimentation pour tous. Je rappellerai à ce propos le message de Sa Sainteté le Pape Benoît XVI, en juin 2008, à l’occasion de la Conférence de haut niveau de la FAO sur la sécurité alimentaire mondiale, dans lequel il déclarait notamment: « Il faut réaffirmer avec force que la faim et la malnutrition sont inacceptables dans un monde qui, en réalité, dispose de niveaux de production, de ressources et de connaissances suffisantes pour mettre fin à ces drames et à leurs conséquences ».
Ces paroles attestent, s’il en était besoin, de la similitude de vue de l’Église Catholique et de la FAO sur cette question fondamentale. L’Église s’est toujours donnée pour tâche de soulager la misère des plus démunis et la devise de la FAO est « Fiat Panis »: « du pain pour tous ».
Vous soulignez, Très Saint-Père, dans votre dernière encyclique « Caritas in Veritate » que toute décis
ion économique a une conséquence de caractère moral. Et c’est bien à ce niveau là que nous devons nous élever car comme vous l’écrivez, « pour fonctionner correctement, l’économie a besoin de l’éthique; non pas d’une éthique quelconque mais d’une éthique amie de la personne ». Léopold Sédar Senghor a dit, permettez-moi de le citer ici: « il faut allumer la lampe de l’esprit pour que ne pourrisse le bois, ne moisisse la chair… ».
La FAO s’efforce avec les moyens qui sont les siens et nonobstant les contraintes ou les obstacles qu’elle peut rencontrer, de mobiliser tous les acteurs et les décideurs pour la lutte contre la faim et de développer des programmes visant à améliorer la sécurité alimentaire, en priorité dans les pays les plus vulnérables.
Ce qui nous anime, c’est le visage de cet homme, de cette femme, de cet enfant qui nous regardent fixement, le ventre vide attendant leur pain quotidien et dont la tristesse et la désespérance hantent nos sommeils agités. C’est le principe de la « centralité de la personne humaine » que vous avez rappelé fort opportunément dans votre encyclique très Saint-Père.
La vision d’un monde libéré de la faim est possible, s’il existe une volonté politique au plus haut niveau. En effet, plusieurs pays en Afrique ont réussi à réduire la faim. Il s’agit notamment du Cameroun, du Congo, de l’Éthiopie, du Ghana, du Nigeria, du Malawi, du Mozambique et de l’Ouganda.
Les grandes forces spirituelles et morales sont pour notre action un soutien inestimable. Car la tâche est en effet colossale et nos capacités d’action ne sont pas toujours à la mesure de la volonté qui nous anime. Nous n’aurons jamais trop de moyens pour satisfaire le « droit à l’alimentation » pour tous.
Je veux aussi rendre hommage à l’action de l’Église sur le terrain à côté des plus pauvres. Les missionnaires, les religieuses et de nombreuses communautés font souvent un travail difficile, parfois ingrat, mais toujours utile aux côtés des organisations intergouvernementales, des ONG et de la société civile. Je veux saluer ces hommes et ces femmes que j’ai vu agir dans de nombreux pays avec discrétion et efficacité.
Je voudrais surtout souligner la convergence des enseignements religieux, notamment ceux de l’Église Catholique et de l’Islam, vers la nécessité de veiller à la gestion rationnelle des ressources sur la base d’une stratégie d’action respectueuse des personnes et des biens de ce monde, loin des excès et du gaspillage. Tous ces enseignements soulignent le rôle fondamental de la responsabilité sociale, recommandant la sollicitude envers les plus démunis. La « doctrine sociale de l’Église » est de ce point de vue un apport essentiel.
Permettez-moi de finir cette intervention en vous citant ce verset coranique: « Lorsque nous voulons détruire une cité, nous ordonnons à ceux qui y vivent dans l’aisance, de se livrer à leur iniquité » (Sourate Al-Isra, Verset 16).
Puisse notre monde éviter ce naufrage!

[Texte original : français]
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ZENIT Staff

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