150e anniversaire de la mort du curé d’Ars : Homélie du card. Hummes

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ROME, Jeudi 20 août 2009 (ZENIT.org) – En cette année sacerdotale, le diocèse français de Belley-Ars et le sanctuaire d’Ars ont célébré la fête liturgique de saint Jean-Marie Vianney, le 4 août dernier, avec un invité, le cardinal Claudio Hummes, préfet de la Congrégation romaine pour le clergé, qui a présidé l’eucharistie dans la cathédrale d’Ars, en présence de l’évêque de Belley-Ars, Mgr Guy Marie Bagnard, et de nombreux prêtres et fidèles venus de la France entière. C’est ce que rappelle L’Osservatore Romano en français de cette semaine.

Benoît XVI a, rappelons-le, proclamé cette année sacerdotale pour l’Eglise universelle à l’occasion du le 150e anniversaire de la mort du saint curé d’Ars, le 4 août 1859 à Ars-sur-Formans.

L’Osservatore Romano hebdomadaire en français de mardi dernier, 18 août a publié cette traduction de l’homélie prononcée par le cardinal Claudio Hummes au cours de la messe du 4 août :

Excellence, chers frères prêtres, chers frères et soeurs dans le Christ,

Nous voici rassemblés en cette grande solennité de saint Jean-Marie Vianney, qui fut curé de ce village d’Ars de 1818 jusqu’à sa mort, le 4 août 1859, voici aujourd’hui 150 ans. Ce jubilé de la mort du « Patron de tous les curés du monde » (1) est tellement significatif pour l’Eglise entière que le Pape Benoît XVI a décidé, à cette occasion, de proclamer une Année sacerdotale. Cette année court de la solennité du Sacré-Coeur 2009 à celle de 2010. Pourquoi la solennité du Sacré-Coeur? Parce que c’est la journée mondiale de prière pour la sanctification des prêtres. Cette date nous donne immédiatement l’esprit dans lequel le Saint-Père désire que nous vivions cette année sacerdotale: la sanctification des prêtres. Le Pape, en effet, nous rappelle que l’efficacité du ministère des prêtres dépend avant tout de leur perfection spirituelle.

La Congrégation pour le clergé a reçu du Saint-Père la mission de promouvoir et de coordonner les diverses initiatives spirituelles et pastorales qui se réaliseront à travers le monde. Cela signifie que les initiatives doivent jaillir des diocèses, des paroisses, des familles, des communautés. Dans cette année sacerdotale, l’Eglise veut dire aux prêtres qu’elle rend grâce à Dieu pour eux, les admire et les aime; elle veut les soutenir de sa prière, elle les accompagne sur la route de la fidélité, elle leur manifeste sa reconnaissance, elle veut les aider concrètement et collaborer avec eux dans leur tâche pastorale. Puisque c’est toute l’Eglise qui célèbre cette année spéciale, chacune des initiatives locales, si petite soit-elle, est vécue en communion avec l’Eglise universelle. C’est ce que Monseigneur Bagnard, évêque de Belley-Ars, a voulu manifester en demandant au préfet de la congrégation pour le clergé de présider cette solennité d’aujourd’hui, et le Pape Benoît XVI a apprécié cette invitation d’une manière spéciale. Il envoie à chacun de vous sa bénédiction apostolique. Aujourd’hui, ici à Ars, nous sommes en communion avec lui et aussi avec les prêtres du monde entier, en attendant de l’être de nouveau à Rome lors du grand rassemblement mondial des prêtres autour du Saint-Père, les 9-11 juin 2010.

En ce jour de sa fête, que veut nous dire saint Jean-Marie Vianney? Sa vie est riche d’enseignements. Il apparaît comme modèle des prêtres par sa vie de foi et de prière constante – surtout devant le tabernacle dans son église -, modèle des prêtres par sa spiritualité profonde et solide, sa pénitence, son humilité et sa pauvreté, sa façon de placer la célébration de la Sainte Messe au centre de la vie paroissiale, son infatigable et merveilleux ministère du sacrement de la confession, son ministère de la Parole de Dieu par la prédication et la catéchèse, son amour envers les pauvres, sa charité pastorale qui le portait à aller à la rencontre de tous et de chacun des habitants de sa paroisse pour les convertir et les sauver. Il ne voulait en perdre aucun, sans exception, et il ne voulait pas se reposer avant de les voir tous dans l’église, assidus à la fréquentation des sacrements.

Les lectures que nous avons entendues nous invitent aujourd’hui à privilégier quelques traits de la vie du saint curé pour notre vie de prêtre et de baptisé.

L’Evangile d’abord, nous rapporte comment Jésus eut pitié des foules parce qu’elles étaient fatiguées et abattues, comme des brebis sans berger. Saint Matthieu nous signale ici l’amour du Bon Pasteur, ce que nous appelons « la charité pastorale » de Jésus. Jésus est venu du sein du Père, il s’est fait l’un de nous pour manifester au monde l’amour infini de Dieu, qui nous aime sans mesure, sans réserve, et ne veut perdre aucun de nous, au point de nous donner son Fils unique et bien-aimé, lequel nous a aimés jusqu’à donner sa vie pour nous sur la Croix.

De l’histoire du saint curé d’Ars, le Saint-Père, dans sa belle Lettre d’indiction de l’Année sacerdotale, a rappelé qu’en février 1818, les autorités diocésaines de Lyon ont envoyé à Ars l’abbé Jean-Marie Vianney, avec ces mots: « Il n’y a pas beaucoup d’amour de Dieu dans cette paroisse, vous l’y mettrez ». C’était en effet une bourgade, pas plus païenne que les autres, mais qui avait subi toutes les épreuves de la Révolution française. Le prêtre d’alors était devenu « prêtre jureur » avant d’apostasier sa foi. La Terreur avait fait ses ravages et, même si d’autres prêtres admirables de fidélité avaient continué d’exercer secrètement leur ministère, les populations étaient abandonnées à elles-mêmes, en particulier dans une profonde ignorance de la foi. « La plaie de ce village (…), c’était – nous dit un biographe – les danses, les cabarets, le travail du dimanche, la négligence de la pratique religieuse, et, par dessus-tout cela, l’ignorance » (2). Dans le passage parallèle de l’Evangile de Marc (6, 34), nous voyons que Jésus manifeste sa compassion devant ces brebis sans bergers en « les enseignant longuement ». C’est ce que nous dit aussi Matthieu, d’une façon plus générale: « Jésus parcourait toutes les villes et les bourgades, enseignant dans leurs synagogues, prêchant l’Evangile du royaume, et guérissant toute maladie et toute infirmité » (Mt 9, 35). Les gens d’Ars ont été frappés de voir comment leur nouveau curé, Jean-Marie Vianney, s’est investi dans le ministère de la Parole en enseignant longuement ses paroissiens. Il faisait le catéchisme aux enfants et, même quand il a pu partager sa tâche avec le vicaire qui lui a été donné, il a continué la leçon quotidienne de catéchisme à la Providence, le fameux « catéchisme de onze heures », auquel les parents pouvaient assister. Rappelons-nous également ses prônes, mais aussi toutes ses visites dans les familles, toutes ses rencontres de tous les instants, les entretiens spirituels pendant les confessions, où tout devenait occasion de parler de son sujet de prédilection: « l’amour du Bon Dieu ». Il ne cessait de révéler aux chrétiens ce qu’ils sont: « l’objet des complaisances des trois Personnes divines » (3). Le curé d’Ars était tellement conscient de l’urgence de la prédication qu’il participait aussi aux missions paroissiales des villages voisins.

Chers frères prêtres, voici le premier enseignement que nous recevons de Jésus et du curé d’Ars aujourd’hui. Le relativisme de notre culture post-moderne occidentale a obscurci les orientations que nous indiquent notre conscience et la lumière de la foi. Tant de personnes aujourd’hui errent comme des brebis sans berger et restent en attente, consciemment ou non, de la parole salvatrice de l’Evangile. De même que Jésus est sorti du sein du Père pour nous porter la Révélation du Dieu riche en Miséricorde, de même que saint Jean-Marie Vianney a été envoyé pour mettre « l’amour de Dieu » à Ars, ainsi, nous aussi, par le simple fait de notre ordination, nous avons été co
nsacrés pour participer à la Mission universelle du Fils de Dieu, Jésus Christ. Notre être sacerdotal est missionnaire. Avec l’exigence de nous adapter aux besoins spécifiques de notre époque, nous sommes « envoyés » pour annoncer la Bonne Nouvelle à tous les hommes, et en particulier, comme ce fut le cas pour le curé d’Ars, à tous les baptisés qui se sont éloignés de la lumière de la foi, en commençant par les plus pauvres.

La première lecture nous place devant la grande responsabilité du prophète. Ezéchiel reçoit cet avertissement du Seigneur: la conversion des pécheurs dépend en grande partie de son ardeur à les « avertir » en les éclairant sur leur conduite. Saint Jean-Marie Vianney était très conscient de la responsabilité qui pèse sur les épaules d’un curé. Tout curé, outre la mission universelle, reçoit la mission particulière d’aller à la rencontre de toutes les personnes qui habitent sur le territoire de la paroisse, pour leur annoncer l’Evangile, les introduire dans la communauté paroissiale et les conduire au Royaume du Ciel. Un curé peut justement se réjouir du nombre des chrétiens pratiquants qui participent à l’Eucharistie dominicale. Pour le curé d’Ars, l’enjeu était bien plus large: tant qu’une personne de la paroisse n’est pas touchée par l’Evangile, sa responsabilité de curé est engagée. Nous savons que c’était sa grande souffrance, son angoisse même, et cela nous invite à nous interroger sur notre propre zèle pastoral. Avons-nous aussi la hantise de ces personnes qui attendent encore la lumière de l’Evangile? Je parlais tout à l’heure de l’aspect missionnaire de notre sacerdoce. Le curé, lui, a la responsabilité particulière d’un peuple, qui correspond à un territoire. Alors, il ne s’agit pas seulement d’annoncer l’Evangile à l’intérieur de l’église paroissiale. Le prêtre ne peut pas se restreindre à jeter la semence de la Parole, seulement depuis la fenêtre de son presbytère. Il doit aller en terrain découvert, là où vivent les hommes. Benoît XVI a dit que les gens, surtout les pauvres, doivent sentir de nouveau la proximité de l’Eglise (4). Telle est la charité pastorale!

Une telle exigence peut sembler trop lourde à porter. Oui, c’est bien ce que pensait l’abbé Vianney en arrivant à Ars. Il confiait: « Plein de soucis, travaillé de mille craintes, je cheminais, versant des larmes à l’idée de la responsabilité qui, désormais, allait peser sur moi » (5). Autant la pensée d’être prêtre, la prière et la célébration de l’Eucharistie le comblaient de bonheur, autant la charge curiale l’écrasait. Cela ne venait certainement pas chez lui d’une sorte d’incapacité à porter des responsabilités, mais d’une conscience aiguë de l’immensité de la tâche qui n’est pas à mesure humaine. Participer à la charité pastorale du Christ n’est pas à notre portée, c’est un don de l’Esprit. Les pauvres en esprit expérimentent en vérité leur faiblesse et ne voient qu’une solution: trouver leur force en Dieu seul. Nous avons entendu saint Paul le dire aux Corinthiens: « Dieu a choisi ce qui dans le monde est sans considération et sans puissance, ce qui n’est rien, pour réduire au néant ce qui est, afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu » (1 Co 28-29).

Chers frères, celui qui, comme saint Jean-Marie Vianney, reste les yeux fixés sur le Christ dans une prière incessante, dans un amour inconditionnel, celui-là peut recevoir la force de l’Esprit pour ressembler à Jésus et devenir comme lui le bon Pasteur qui donne sa vie pour la multitude.

Je voudrais encore brièvement souligner un autre aspect, si connu et si important, du ministère du saint curé d’Ars, celui des foules qui venaient toujours plus nombreuses pour recevoir la réconciliation à la grille de son confessionnal. C’était à un point tel qu’il n’avait plus le temps de manger et de se reposer. Cependant, sa charité pastorale le poussait à ne pas se dérober à l’écoute, souvent très fatigante, des confessions. Il était si souvent épuisé et il succombait sous le poids quotidien de ce ministère. Mais il tenait bon, car il savait que la rédemption de ces pénitents était en jeu. Aujourd’hui encore, certainement, nos contemporains cherchent le pardon, la paix intérieure, la réconciliation avec Dieu et avec le prochain, mais souvent, ils ne trouvent pas la personne qui puisse leur indiquer le chemin ou qui les entende en confession. C’est bien un des ministères essentiels de chaque prêtre. Il doit être accompli avec foi, esprit de sacrifice, amour pastoral. Ce ministère doit être mis, avec une grande générosité pastorale, à la disposition des personnes. Le Fils de Dieu s’est fait homme pour nous réconcilier avec Dieu et entre nous.

Je termine en revenant à l’Evangile. Devant ces foules fatiguées et abattues, Jésus fait noter que la moisson est abondante, mais que les ouvriers sont peu nombreux, et il invite à la prière.

Chers frères et soeurs en Christ, je vous invite à une prière quotidienne et fervente pour que le Maître de la moisson envoie des ouvriers à sa moisson. Je vous invite aussi à regarder dans quelle famille est né et a grandi le curé d’Ars. On nous rapporte que cette famille vivait d’une foi simple et profonde, courageuse aussi, voire héroïque. Pendant la Révolution, ils accueillaient les prêtres réfractaires au prix de leur vie, et Jean-Marie a fait sa première communion lors d’une Messe célébrée en secret dans une maison. Madame Vianney a façonné le coeur de son enfant en lui apprenant à prier et à agir selon l’Evangile. Il y avait un petit oratoire à la maison, où l’on faisait la prière du soir, et c’est Jean-Marie qui l’entretenait. A la maison des Vianney, on accueillait jusqu’à vingt pauvres à la fois, et le papa se passait de soupe s’il n’y en avait pas assez. On voit à quel point l’atmosphère familiale a été propice à l’éclosion de la vocation de ce saint prêtre. Lorsqu’il a commencé à en parler, le papa a objecté que sa formation coûterait beaucoup à la famille, mais on a su trouver une solution en l’envoyant étudier chez l’abbé Balley à Ecully.

J’ai évoqué avec vous cet aspect de la famille Vianney car les statistiques françaises actuelles révèlent que beaucoup de séminaristes proviennent de familles profondément chrétiennes. Frères et soeurs, je vous invite à faire de vos familles de vraies églises domestiques, des foyers ardents de foi et d’amour, où on prie ensemble. N’ayez pas peur que le Seigneur choisisse un de vos fils pour en faire un prêtre. Osez même demander au Seigneur la grâce d’une vocation sacerdotale dans votre famille. Vous découvrirez que c’est une véritable bénédiction, pour une famille, d’avoir un prêtre en son sein. C’est une vraie grâce pour une famille de donner un prêtre à l’Eglise.

Et maintenant, sûrs de la présence spirituelle et de l’intercession de la Sainte Vierge Marie, Reine et Mère de tous les prêtres, poursuivons avec joie et disponibilité de coeur la célébration de l’Eucharistie, où le Seigneur lui-même, dans le mystère de sa mort et de sa résurrection, sera sacramentellement présent au milieu de nous, sous les espèces du pain et du vin. Chantons et louons Dieu de tout notre coeur, pour le salut qu’il nous a donné en son Fils Jésus Christ. L’Eglise vit de l’Eucharistie. Et l’Eucharistie est le ministère central de tout prêtre. C’est bien ce que nous enseigne aussi le Curé d’Ars. Bénissons le Seigneur pour ce mystère dont nous voulons nous approcher en esprit de profonde adoration et de grande humilité. Amen.

Notes :

1) Ainsi proclamé par le Pape Pie XI, en 1929.

2) André Ravier, le Curé d’Ars, un prêtre pour le peuple de Dieu, Parole et Silence, 1999, p. 56.

3) Bernard Nodet, Jean-Marie Vianney, Curé d’Ars, sa pensée, son coeur, Cerf, 2006, p. 47.

4) Cf. Discours aux Evêques du Brésil, São Paolo, 11 mai 2007; cf. orlf n. 21 du 22 mai 2007.

5) André Ravier, le Curé d’Ars,
un prêtre pour le peuple de Dieu, p. 56.

© L’Osservatore Romano – 18 août 2009

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ZENIT Staff

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