La spiritualité eucharistique de padre Pio et la souffrance (II)

Entretien avec Mgr Follo sur le sens chrétien de la souffrance

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ROME, Mardi 16 juin 2009 (ZENIT.org) –  Mgr Follo rappelle que padre Pio a fondé à San Giovanni Rotondo l’hôpital ultra moderne, que visitera Benoît XVI, et auquel le saint a donné le nom de « Maison du soulagement de la souffrance ». 

A l’occasion de la visite de Benoît XVI à San Giovanni Rotondo, dimanche prochain, 21 juin, sur les pas de padre Pio, nous re-proposons des extraits d’un entretien accordé par Mgr Francesco Follo, observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris, et qui se rend chaque année au sanctuaire du saint capucin italien stigmatisé, à Thomas Gueydier, directeur du Centre d’études théologiques de Caen. Un entretien réalisé à l’occasion d’un colloque organisé par Mgr Follo à l’UNESCO sur la signification de la douleur et publié sur le site des Jeunes de la conférence des évêques de France. 
 

Thomas Gueydier : Mais les psychologues ont constaté que ceux qui ont le mieux résisté à la souffrance morale, par exemple dans les camps de concentration, étaient des croyants qui pouvaient donner un sens à leur présence dans ce lieu et à leur douleur ?  

Mgr Follo : Oui, c’est vrai. Mais ce n’est pas tout, on ne peut pas tout comprendre. La réponse à l’énigme de la souffrance, quand on ne peut plus lutter contre la douleur, c’est le Mystère. Le risque est de réduire la foi à une sorte d’aspirine spirituelle que l’on prend en cas de douleur morale. Et puis ce n’est pas mécanique, des saints sont morts dans les camps de concentration, le père Kolbe par exemple. Tenez, j’étais il y a quelques années à Los Angeles, où l’Eglise est confrontée au problème des sectes. L’attitude des chrétiens de là-bas ne consiste pas à dire que l’Eglise est meilleure que les sectes. Ils se situent à un autre niveau que celui d’une conception utilitaire de la spiritualité. De même, je connais un pasteur qui est confronté à un problème de concurrence entre confession et psychanalyse. Là encore, il se situe à un autre niveau en expliquant en l’occurrence que le complexe de culpabilité, causé par les autres ou par soi-même contre soi-même, est une chose et que le péché, dirigé, quant à lui, contre Dieu, en est une autre. Ceci dit, la foi est bonne pour la santé. L’espérance aide à mieux vivre, à vivre dans la vérité et dans l’amour. D’ailleurs, le message du christianisme consiste à dire que la récompense n’est pas seulement donnée après, mais avant la mort. Après avoir reçu l’ultime récompense de la résurrection, le Christ lui-même n’a pas tout de suite quitté la terre, il est revenu auprès de ses apôtres, manger avec eux. La foi donne la force de vivre. La foi est vie. Tous les médecins disent bien que les malades qui ont la foi guérissent plus vite et souffrent moins. 

Thomas Gueydier : Le psychisme et le corps ressortent grandis de l’expérience de la foi ? 

Mgr Follo : Comme le dit la philosophie chrétienne, la personne est un tout. On ne peut pas distinguer l’âme d’un côté et le corps de l’autre. Jean-Paul II a développé toute une théologie du corps, à la suite de saint Thomas d’Aquin qui prétendait qu’au paradis, les hommes, dans l’attente du jugement dernier, n’étaient que des moitiés d’hommes puisqu’ils laissaient un corps sur la terre. Saint Thomas avait déjà compris qu’une théologie qui oubliait le corps était une théologie qui réduisait l’homme à la moitié de lui-même. 

Thomas Gueydier : En France, on entend actuellement assez peu parler de la valeur salvifique de la souffrance : est-ce une façon d’éviter de retomber dans le dolorisme ? Est-ce un excès de pudeur ou un affaiblissement de la vie mystique ? 

Mgr Follo : La négation de la douleur est un problème de société. Quand j’étais jeune (c’est-à-dire hier !), du temps où j’étais professeur de philosophie, j’étais convaincu qu’il fallait démontrer la rationalité de la foi, l’enjeu étant de prouver que l’acte de foi est une démarche raisonnable engageant l’intelligence et la volonté, c’est-à-dire une démarche fondamentalement humaine. Aujourd’hui, je crois que l’annonce de la foi est confrontée à un autre problème : celui du bien-être. On ne s’inquiète pas d’abord du bien fondé de telle ou telle chose mais du bien être qu’elle peut nous apporter. Si je rencontre une personne, par exemple, en lui disant que je sais ce qui donne sens à l’existence, elle ne voudra pas le savoir. On fuit l’essentiel. La démarche du bouddhisme est significative à cet égard. Le bien-être est vraiment le problème du monde occidental. On ne veut pas entendre parler de la douleur parce qu’on ne veut pas l’affronter, le seul but est d’atténuer la douleur pour ne pas la voir, mais, comme l’expliquait le docteur Mirabel, le fait est que plus la douleur physique diminue, plus l’expression de la douleur augmente, paradoxalement. C’est un cercle sans fin. Nos contemporains confondent finalement bien être et « être bien ». 

Thomas Gueydier : L’Eglise peut-elle contribuer à faire passer d’une conception de la vie comme « bien-être » à une conception de la vie comme « être bien «  ? 

Mgr Follo : Permettez-moi d’abord de définir le mot « conception ». Il faut revenir au sens physique que les femmes donnent à ce mot. Je m’explique : quand je dis que j’ai telle ou telle « conception » de la vie, que je sois kantien, nietzschéen ou sartrien, c’est toujours à une anthropologie que je fais référence ; en revanche, quand une femme dit « j’ai conçu … », il s’agit de toute autre chose ! C’est dans ce sens qu’il faut que nous concevions les choses, d’une manière charnelle et concrète. Aujourd’hui, la tendance est à la « dés-incarnation », mais dans l’Eglise, Celui auquel nous sommes fidèles n’est autre que le Christ incarné. Pour répondre précisément à votre question, je crois que l’Eglise doit jouer pleinement son rôle d’éducatrice dans ce domaine. L’éducateur est celui qui introduit à la réalité, comprenez la réalité totale. Eduquer c’est introduire à la vie, comme une mère qui introduit son enfant dans la vie en le tenant par la main. Ainsi, il faut que l’Eglise instruise tout en accompagnant. Saint Augustin avait déjà compris, bien avant la pédagogie moderne, que l’éducateur n’est pas simplement celui qui donne des leçons mais celui qui ouvre à la vie. Il suscite certes des comparaisons par le biais de notions, qui aident l’élève à trouver des repères, mais il est avant tout celui qui tisse une relation en s’adressant à des personnes. Pour ma part, je ne me souviens plus du tout de ce que mes professeurs disaient, mais je me rappelle en revanche très bien de leur personnalité. L’Eglise doit jouer un rôle d’éducatrice au sens de la souffrance en instruisant mais aussi en accompagnant. 

Thomas Gueydier : Que répondre à ceux qui estiment que Dieu a été inventé par les hommes à cause de la souffrance, à la recherche des consolations imaginaires ? 

Mgr Follo : Prenez un enfant de deux ou trois ans, mettez-le dans une pièce et éteignez la lumière. Que dira-t-il ? « Maman ! » évidemment. A votre avis, c’est l’obscurité qui a créé la mère ? Bien sûr que non ! La mère que réclame l’enfant plongé dans le noir existe avant que la chambre de l’enfant en question soit dans l’obscurité. Il en va de même pour la douleur. Ceux qui implorent Dieu dans l’épreuve de la souffrance n’invente pas plus Dieu que l’enfant n’invente sa mère en s’écriant « Maman ! » quand il a peur. Dans les deux cas, la douleur comme l’obscurité font ressortir, rejaillir l’amour. Oui, la douleur est parfois révélatrice. Mais parfois seulement car la douleur peut être source de révolte.  

Thomas Gueydier : Comment la contemplation du Christ en croix peut-elle aider ceux
qui souffrent ? 

Mgr Follo : J’ai connu une femme, morte d’un cancer, à qui j’allais porter la communion à l’hôpital. Elle était alitée et elle me disait : « La seule chose que je peux faire quand je souffre, c’est de regarder la Croix »… Dans l’église Saint-Clément de Rome, il y a une très belle mosaïque qui représente la Croix d’où partent des branches au bout desquelles se trouvent des fleurs. La Croix est noire, parce qu’elle représente la mort, la souffrance mais les branches sont vertes et pleines de vie. La Croix est une clef. Il est significatif que le christianisme l’ait choisi comme symbole d’ailleurs. On aurait pu choisir le symbole de la résurrection par exemple. Si on ne l’a pas fait, à mon avis, outre le problème technique qui se serait posé pour figurer la résurrection, c’est précisément parce que la Croix ne représente pas la résurrection, parce qu’elle ouvre sur un Ailleurs qui nous libère finalement de la souffrance, de la douleur et de la mort.

Fin de la deuxième partie

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ZENIT Staff

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