Quand Jean-Paul II commença-t-il à penser à une possible visite dans sa patrie ?
Card. Dziwisz – Alors qu’il était cardinal, Karol Wojtyla accordait une grande importance au 900e anniversaire de la mort de saint Stanislas, et il préparait les célébrations depuis longtemps. Il avait transmis des invitations à tous les cardinaux qui participaient au conclave d’août 1978 et, juste après, il invita aussi Jean-Paul Ier. Par la suite, après son élection sur le siège de Pierre, il lui a semblé évident qu’il devait faire tout son possible pour venir célébrer cet anniversaire en Pologne. Il sentait sa présence à Cracovie comme un devoir, même s’il se rendait compte que cela ne serait pas facile à réaliser.
Pensait-il que les autorités communistes polonaises n’auraient pas facilement accepté cela ?
Card. Dziwisz – Quand ils ont appris cette requête, les responsables polonais ont réagi négativement. Mais entre temps, Jean-Paul II avait été invité à se rendre au Mexique. Il accepta l’invitation avec plaisir. Pour lui, l’Amérique Latine était très importante par rapport à la théologie de la libération, afin de percevoir la doctrine sociale de l’Eglise dans l’optique de l’idéologie marxiste. Et il disait : si je peux aller au Mexique, un pays qui a la constitution la plus anticléricale au monde, alors le gouvernement polonais ne pourra pas me dire non. Il se souvenait bien que les autorités communistes n’avaient pas permis la visite de Paul VI. Mais il sentait que rien n’aurait pu l’en empêcher.
Quand commencèrent les pourparlers ?
Card. Dziwisz – Assez tôt. La négociation fut conduite par le secrétaire de la Conférence épiscopale polonaise, Mgr Bronislaw Dabrowski. Finalement, Varsovie donna son feu vert mais à une seule condition : la visite du pape ne devait pas coïncider avec l’anniversaire de saint Stanislas, en mai. Le Saint-Père répondit : très bien, j’arriverai le mois suivant, en juin.
Et en ce qui concerne l’itinéraire de la visite, y a-t-il eu des difficultés ?
Card. Dziwisz – Il fut établi que le pape ne pourrait pas aller au-delà de la Vistule, dans les régions de la Pologne orientale. La Silésie fut aussi exclue. D’une manière générale, les autorités voulaient que la visite fut la plus brève possible et très limitée dans les déplacements.
Finalement, les difficultés furent dépassées. Jean-Paul II pensait-il aux répercutions possibles de son voyage ? Se rendait-il compte qu’il aurait été aussi déterminant pour le cours des événements en Pologne ?
Card. Dziwisz – Personne ne pouvait le prévoir. Lui était convaincu que la nation polonaise, si fortement enracinée dans la foi, méritait la visite du pape. Aujourd’hui, nous pouvons affirmer sans aucun doute que son premier pèlerinage en Pologne a été le plus important de tous les voyages du pape parce qu’il a amorcé un processus de changements incroyables au niveau mondial. Tout commença durant cette période.
Comment le pape se prépara à ce voyage ?
Card. Dziwisz – Il écrivit tout seul tous les textes des discours et des homélies. La section polonaise de la Secrétairerie d’Etat a seulement eu pour rôle de contrôler les citations. Il n’utilisait aucune note, sa mémoire lui suffisait. Il était parfaitement organisé et écrivait très vite : un long discours ne lui prenait pas plus d’une heure et demie de préparation. Pour un discours bref, une heure lui suffisait. Et il lisait beaucoup. Il réussissait à faire plusieurs choses en même temps.
Le thème principal du pèlerinage fut l’effusion de l’Esprit Saint. Il fut rappelé dans presque tous les discours du pape. Ce fut un choix décidé avec ses collaborateurs ?
Card. Dziwisz – Jean-Paul II, comme beaucoup d’artistes, était un visionnaire. Il savait quoi dire et ce que le pays attendait qu’il dise. Il savait présenter ces thèmes à la lumière de la foi et de l’enseignement de l’Eglise. De plus, la période coïncidait avec la Pentecôte.
Mais Jean-Paul II se rendait compte que le discours prononcé à Gniezno – là où il affirma que la mission d’un pape slave était celle de faire redécouvrir à l’Europe l’unité entre Occident et Orient – mettait en cause l’Ostpolitik vaticane qui, de fait, acceptait la situation existante ?
Card. Dziwisz – Jean-Paul II a toujours refusé la doctrine du « compromis historique » selon lequel l’Occident et l’Eglise aussi, auraient dû considérer le marxisme comme un élément décisif du développement de l’histoire. Il était convaincu que l’avenir n’appartenait ni au marxisme, ni à la lutte des classes. Il changea de manière décisive la politique vaticane en ce sens. Le changement de perspective a fait réfléchir beaucoup de personnes et l’on s’est demandé si le marxisme était réellement aussi fort. Avec la même détermination, Jean-Paul II s’opposa aux tentatives d’inclure l’analyse marxiste de la doctrine sociale de l’Eglise dans le domaine de la théologie de la libération. Pour lui, le développement de l’humanité passait par la possibilité de choisir, et par les droits de l’homme. Il était pour les droits de la personne et la dignité intouchable de l’homme. Le discours de Gniezno marqua le début de la chute du rideau de fer qui divisait alors l’Europe. L’écroulement du Mur a commencé là, et non à Berlin !
Fin de la première partie