Première prédication de Carême du P. Cantalamessa

Texte intégral

Share this Entry

 

ROME, Vendredi 13 mars 2009 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la première prédication de Carême que le P. Raniero Cantalamessa, ofmcap., prédicateur de la Maison pontificale, a prononcée ce vendredi matin, en présence du pape et de membres de la curie romaine, dans la chapelle « Redemptoris Mater », au Vatican.

P. Raniero Cantalamessa, ofmcap.

Première prédication de Carême

« TOUTE LA CREATION jusqu’à CE JOUR GEMIT EN

TRAVAIL D’ENFANTEMENT » (RM 8, 22)

L’Esprit Saint dans la création

et dans la transformation du cosmos

1. Un monde en état d’attente

Pendant l’Avent, saint Paul nous a introduit à la connaissance et à l’amour pour le Christ ; durant ce Carême, l’Apôtre nous guide vers la connaissance et l’amour pour l’Esprit Saint. C’est à cette fin que j’ai choisi le chapitre huit de la Lettre aux Romains parce qu’il constitue, dans le corpus paulinien et dans tout le Nouveau Testament, le développement le plus complet et le plus approfondi sur l’Esprit Saint.

Le passage sur lequel nous voulons réfléchir aujourd’hui est le suivant :

« J’estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous. Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu : si elle fut assujettie à la vanité, – non qu’elle l’eût voulu, mais à cause de celui qui l’y a soumise, – c’est avec l’espérance d’être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet, toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement ». (Rm 8, 18-22).

Le problème exégétique débattu depuis l’Antiquité autour de ce texte est celui de la signification du terme création, ktisis. Par le terme création, ktisis, saint Paul désigne parfois l’ensemble des hommes, le monde humain, parfois le fait ou l’acte divin de la création, parfois le monde dans son ensemble, c’est-à-dire à la fois l’humanité et le cosmos, parfois la nouvelle création qui résulte de la Pâque du Christ.

Augustin[1], suivi par d’autres auteurs modernes[2], pense que le terme désigne ici le monde humain et qu’il faut donc exclure de ce texte toute perspective cosmique, en référence à la matière. La distinction entre la « création tout entière » et « nous, qui possédons les primeurs de l’Esprit », serait une distinction interne au monde humain et équivaudrait à la distinction entre l’humanité non rachetée et l’humanité rachetée par le Christ.

Mais aujourd’hui, l’opinion est quasi unanime sur le fait que le terme ktisis désigne la création dans son ensemble, c’est-à-dire le monde matériel comme le monde humain. L’affirmation selon laquelle la création a été assujettie à la vanité « sans sa faute », n’aurait pas de sens si elle ne se référait pas justement à la création matérielle.

L’Apôtre voit cette création pénétrée par une attente, dans « un état de tension ». L’objet de cette attente est la révélation de la gloire des enfants de Dieu. « La création, dans son existence apparemment fermée sur elle-même et immobile… attend avec anxiété l’homme glorifié, duquel elle sera le ‘monde’, lui aussi, par conséquent, glorifié »[3].

Cet état d’attente tourmentée est dû au fait que la création, sans faute de sa part, a été entraînée par l’homme dans un état d’impiété que l’Apôtre a décrit au début de sa lettre (cf. Rm 1, 18 ss.). Il y définissait cet état comme un état « d’injustice » et de « mensonge », ici, il utilise les termes de « vanité » (mataiotes) et de corruption (phthora) qui disent la même chose : « perte de sens, irréalité, absence de la force, de la splendeur, de l’Esprit et de la vie ».

Mais cet état n’est pas fermé et définitif. Il y a une espérance pour la création ! Non pas parce que la création, en tant que telle, est en mesure d’espérer subjectivement, mais parce que Dieu a en tête un rachat pour elle. Cette espérance est liée à l’homme racheté, le « fils de Dieu » qui, par un mouvement contraire à celui d’Adam, entraînera un jour définitivement le cosmos dans un état de liberté et de gloire.

D’où la responsabilité plus profonde des chrétiens vis-à-vis du monde : celle de manifester, dès maintenant, les signes de la liberté et de la gloire auquel tout l’univers est appelé, en souffrant avec espérance, tout en sachant que « les souffrances du moment présent ne sont pas comparables à la gloire future qui devra être révélée en nous ».

Dans le verset final, l’Apôtre fixe cette vision de foi dans une image audacieuse et dramatique : la création tout entière est comparée à une femme qui souffre et gémit dans les douleurs de l’enfantement. Dans l’expérience humaine, c’est toujours une douleur mélangée à de la joie, bien différente des pleurs sourds et sans espérance du monde, que Virgile a renfermés dans le verset de l’Enéide : « sunt lacrimae rerum », les choses pleurent[4].

2. La thèse de « l’intelligent design » : science ou foi ?</p>

Cette vision de foi, prophétique, de l’Apôtre, nous offre l’occasion d’évoquer le problème, qui fait débat aujourd’hui, de l’existence ou non d’un sens et d’un projet divin interne à la création, sans pour autant vouloir surcharger le texte paulinien de significations scientifiques ou philosophiques qu’il n’a évidemment pas. La célébration du bicentenaire de Darwin (12 février 1809) rend encore plus actuelle et nécessaire une réflexion en ce sens.

Dans la vision de Paul, Dieu est au commencement et au terme de l’histoire du monde ; il le guide mystérieusement vers une fin, en utilisant même pour cela les résistances ou refus de la liberté humaine. Le monde matériel est fait pour l’homme et l’homme est fait pour Dieu. Il ne s’agit pas exclusivement d’une idée de Paul. Le thème de la libération finale de la matière et de sa participation à la gloire des enfants de Dieu trouve un parallèle dans le thème « nouveaux cieux et une terre nouvelle » de la Deuxième Lettre de saint Pierre (3,13) et de l’Apocalypse (21,1).

La première grande nouveauté de cette vision est qu’elle nous parle de libération de la matière, non pas de libération par la matière, comme c’était en revanche le cas dans presque toutes les conceptions anciennes du salut : platonisme, gnosticisme, docétisme, manichéisme, catharisme. Saint Irénée a lutté toute sa vie contre l’affirmation gnostique, selon laquelle « la matière est incapable de salut »[5].

Dans le dialogue actuel entre science et foi, le problème se pose en des termes différents, mais la substance est la même. Il s’agit de savoir si le cosmos a été pensé et voulu par quelqu’un, ou s’il est le fruit du « hasard et de la nécessité » ; si son chemin porte la marque d’une intelligence et avance vers un but précis, ou s’il évolue en quelque sorte à l’aveuglette, en obéissant seulement à ses propres lois et à des mécanismes biologiques.

La thèse soutenue à cet égard par les croyants a fini par se cristalliser sur la formule du dessein intelligent (Intelligent design, en anglais), c’est-à-dire du Créateur. A mon avis, si cette thèse a suscité de si nombreuses discussions et contestations autour de cette idée, c’est parce que la distinction entre le dessein intelligent en tant que théorie scientifique et le dessein intelligent comme vérité de foi n’a pas été établie de façon assez claire.

Comme théorie scientifique, les tenants de la théorie du « dessein intelligent » a
ffirment qu’il est possible de démontrer par l’analyse même de la création, donc scientifiquement, que le monde est l’œuvre d’un auteur qui lui est extérieur et qu’il porte la marque d’une intelligence organisatrice. C’est l’affirmation que la majorité des scientifiques entendent (et la seule qu’ils peuvent !) contester, et non pas l’affirmation de foi, que le croyant a de la révélation et dont aussi son intelligence ressent l’intime vérité et nécessité.

Si, comme le pensent bon nombre de scientifiques (pas tous!), présenter le « dessein intelligent » comme une conclusion scientifique relève de la pseudo-science, alors celle qui exclut l’existence d’un « dessein intelligent » en se fondant sur des résultats scientifiques relève tout autant de la pseudo-science. La science pourrait avoir cette prétention si elle était capable, à elle seule, de tout expliquer : autrement dit, pas seulement le « comment » du monde, mais aussi le « qui » et le « pourquoi ». Ceci, la science sait bien qu’il n’est pas en son pouvoir de le faire. Celui qui bannit de son horizon l’idée de Dieu, ne supprime pas pour autant le mystère. Il reste toujours une question sans réponse : pourquoi l’être et non le néant ? Le néant lui-même est-il peut-être pour nous un mystère moins impénétrable que l’être et le hasard, une énigme moins inexplicable que Dieu ?

Dans un livre de vulgarisation scientifique, écrit par un non croyant, j’ai lu cet aveu significatif : si nous avions à reparcourir l’histoire du monde en sens inverse, comme on feuillette un livre en commençant par la dernière page, arrivés à la fin nous nous apercevrions que c’est comme s’il manquait la première page, l’incipit, le début. Nous savons tout du monde, sauf pourquoi et comment il a commencé. Le croyant est convaincu que la Bible nous fournit justement cette page initiale manquante ; et sur celle-ci, comme sur le frontispice de tout livre, le nom de l’auteur et le titre de l’ouvrage sont indiqués!

Une comparaison peut nous aider à concilier notre foi en l’existence d’un dessein intelligent de Dieu sur le monde avec le hasard et l’imprévisibilité apparents mis en lumière par Darwin et par la science actuelle. Il s’agit du rapport entre grâce et liberté. Comme dans le domaine de l’esprit, la grâce laisse de l’espace à l’imprévisibilité de la liberté et agit aussi à travers elle. Ainsi, dans le domaine physique et biologique tout est confié au jeu des causes secondes (la lutte pour la survie des espèces selon Darwin, le hasard et la nécessité selon Monod), également si ce jeu même est prévu et fait précisément par la providence de Dieu. Dans l’un et l’autre cas, Dieu, comme dit le proverbe, « écrit droit avec des lignes courbes ».

3. L’évolution et la Trinité

Le discours sur le créationnisme et l’évolutionnisme se déroule généralement dans un dialogue avec la thèse opposée, de nature matérialiste et athée, et donc de ce point de vue, nécessairement apologétique. Dans une réflexion comme celle-ci, faite par des croyants et pour des croyants, nous ne pouvons nous arrêter à ce stade. Nous arrêter ici signifierait rester prisonniers d’une vision ‘déiste’ du problème, pas encore trinitaire, et donc pas spécifiquement chrétienne.

C’est Pierre Teilhard de Chardin qui a ouvert le discours sur l’évolution à une dimension trinitaire. L’apport de ce chercheur dans la discussion sur l’évolution a essentiellement consisté à introduire dans cette discussion la personne du Christ, à en avoir aussi fait un problème christologique[6].

Son point de départ biblique est l’affirmation de Paul, selon laquelle « tout a été créé par lui et pour lui » (Col 1,16). Le Christ apparaît dans cette vision comme le Point Oméga, c’est-à-dire comme sens et aboutissement final de l’évolution cosmique et humaine. Le moyen et les arguments avec lesquels le chercheur jésuite arrive à cette conclusion peuvent être discutés, mais pas la conclusion elle-même. Maurice Blondel en explique bien la raison dans une note écrite pour défendre le penseur Teilhard de Chardin dans laquelle il dit que face aux horizons agrandis de la science de la nature et de l’humanité, on ne peut pas, sans trahir le catholicisme, rester sur des explications médiocres et des manières de voir limitées, qui font du Christ un incident historique, qui l’isolent dans le Cosmos comme un faux épisode, et semblent faire de lui un intrus ou une personne dépaysée dans l’immensité écrasante et hostile de l’Univers[7].

Ce qui manque encore, pour une vision complètement trinitaire du problème, c’est une considération du rôle de l’Esprit Saint dans la création et dans l’évolution du cosmos. Le principe de base de la théologie trinitaire l’exige, selon lequel les oeuvres ad extra de Dieu sont communes aux trois personnes de la Trinité, chacune participant avec sa propre caractéristique.

Le texte paulinien que nous méditons nous permet justement de combler cette lacune. L’allusion au travail de la part de la création est faite dans le contexte du discours de Paul sur les différentes opérations de l’Esprit Saint. Il voit une continuité entre le gémissement de la création et celui du croyant qui est mis ouvertement en relation avec l’Esprit : « Celle-ci (la création) n’est pas la seule, mais nous aussi, qui possédons les primeurs de l’Esprit Saint, nous gémissons intérieurement ». L’Esprit Saint est la force mystérieuse qui pousse la création vers son accomplissement. Parlant de l’évolution de l’ordre social, le concile Vatican II affirme que « l’Esprit de Dieu qui par une providence admirable, conduit le cours des temps et rénove la face de la terre, est présent à cette évolution »[8].

Lui qui est « le principe de la création des choses »[9], est aussi le principe de son évolution dans le temps. En effet, celui-ci n’existe pas si la création ne se poursuit pas. Dans le discours adressé le 31 octobre 2008 aux participants au symposium sur l’évolution organisé par l’Académie pontificale des sciences, le Saint Père Benoît XVI soulignait ce concept : « Affirmer, disait-il, que la fondation du cosmos et ses développements sont le fruit de la sagesse providentielle du créateur ne signifie pas que la création n’a à voir qu’avec le début de l’histoire du monde et de la vie. Cela implique plutôt que le créateur fonde ces développements et les soutient, les fixe et les maintient constamment ».

Qu’apporte l’Esprit de spécifique et de « personnel » dans la création ? Cela dépend, comme toujours, des rapports internes à la Trinité. L’Esprit Saint n’est pas à l’origine, mais en quelque sorte, au terme de la création, comme il n’est pas à l’origine mais au terme du processus trinitaire. Dans la création – écrit saint Basile – le Père est la cause primordiale, celui d’où viennent toutes choses ; le Fils la cause efficiente, celui par lequel toutes choses sont faites ; l’Esprit-Saint est la cause perfectionnante[10].

L’action créatrice de l’Esprit est donc à l’origine de la perfection de la création ; nous dirions qu’il n’est pas tant celui qui fait passer le monde du néant à l’être, que celui qui le fait passer d’un être sans forme à un être formé et parfait. En d’autres termes, l’Esprit Saint est celui qui fait passer la création du chaos au cosmos, qui fait d’elle quelque chose de beau, d’ordonné, de propre : un « monde » justement, selon la signification originaire de ce mot. Saint Ambroise observe :

« Quand l’Esprit commença à flotter sur la création, celle-ci n’avait encore aucune beauté. En revanche, quand la création reçut l’opération de l’Esprit Saint, elle obtint toute cette splendeur de beauté qui la fit resplendir comme ‘monde’ »[11].

Non pas que l’action créatrice du Père eut été « chaotiq
ue » et qu’elle eut besoin de correction, mais c’est le Père lui-même, note saint Basile dans le même texte cité, qui veut faire tout exister par l’intermédiaire du Fils et veut mener les choses à la perfection par l’intermédiaire de l’Esprit.

« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était vide et vague, les ténèbres couvraient l’abîme, un vent de Dieu tournoyait sur les eaux » (Gn 1,1-2). La Bible elle-même, comme on le voit, fait allusion au passage d’un état d’ébauche et de chaos de l’univers à un état en voie de formation progressive et de différenciation des créatures, et mentionne l’Esprit Saint comme le commencement de ce passage ou de l’évolution. Elle présente ce passage comme soudain et immédiat, la science a révélé qu’il s’était étendu sur un espace de milliards d’années et se poursuit encore. Mais cela ne devrait pas créer de problèmes, une fois que l’on connaît le but et le genre littéraire du récit biblique.

En se fondant sur le sens d’expressions analogues présentes dans des poèmes cosmogoniques babyloniens, on tend aujourd’hui à donner à l’expression « esprit de Dieu » (ruach ‘elohim) de Genèse 1, 2, le sens purement naturaliste de vent impétueux, voyant en lui un élément du chaos primordial, aussi bien que de l’abîme et des ténèbres, le reliant donc à ce qui précède et non à ce qui suit dans le récit de la création[12]. Mais l’image du « souffle de Dieu » revient dans le chapitre suivant de la Genèse (Dieu « insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant ») avec un sens « théologique » et certainement pas naturaliste.

Exclure du texte toute référence, même embryonnaire, à la réalité divine de l’Esprit, attribuant l’activité créatrice uniquement à la parole de Dieu, signifie ne lire le texte qu’à la lumière de ce qui le précède et pas aussi à la lumière de ce qui le suit dans la Bible, à la lumière des influences qu’il a subies et pas également à la lumière de l’influence qu’il a exercée, contrairement à ce que suggère la tendance plus récente de l’herméneutique biblique. (La manière la plus sûre pour établir la nature d’une semence inconnue n’est-elle pas de voir quel type de plante naît de celle-ci ?).

En avançant dans la révélation, nous trouvons des signes peu à peu toujours plus explicites d’une activité créatrice du souffle de Dieu, en étroite connexion avec celle de sa parole. « Par la parole (dabar) de Yahvé les cieux ont été faits, par le souffle (ruach) de sa bouche, toute leur armée » (Ps 33, 6 ; cf. aussi Is 11.4 : « Il frappera le pays de la férule de sa bouche, et du souffle de ses lèvres fera mourir le méchant »). Esprit ou souffle n’indique certainement pas, dans ces textes, le vent naturel. Un autre psaume répète ce même texte quand il dit : « Tu envoies ton souffle, ils sont créés, tu renouvelles la face de la terre » (Ps 104, 30). Ainsi, quelque interprétation que l’on veuille donner à Genèse 1, 2, il est certain que la suite de la Bible attribue à l’Esprit de Dieu un rôle actif dans la création.

Cette ligne de développement devient très claire dans le Nouveau Testament qui décrit l’intervention de l’Esprit Saint dans la nouvelle création, se servant justement des images du souffle et du vent qu’on lit à propos de l’origine du monde (cf. Jn 20, 22 avec Gn 2,7). L’idée de la ruach créatrice ne peut être née du néant. On ne peut pas, dans un même commentaire ou édition de la Bible, traduire Genèse 1, 2 par « un vent de Dieu tournoyait sur les eaux » et renvoyer ensuite à ce même texte pour expliquer la colombe du baptême de Jésus ![13].

Il n’est donc pas incorrect de continuer à se référer à Gn 1, 2 et aux autres témoignages postérieurs pour trouver un fondement biblique au rôle créateur de l’Esprit Saint, comme les Pères le faisaient. « Si tu adoptes cette explication – disait saint Basile, suivi en cela par Luther – tu en tireras un grand profit »[14]. Et c’est vrai : découvrir dans « l’Esprit de Dieu » qui tournoyait sur les eaux un premier signe embryonnaire de l’action créatrice de l’Esprit ouvre à la compréhension de tant de pas successifs de la Bible, dont on n’expliquerait pas autrement l’origine.

4. Pâques, passage de la vieillesse à la jeunesse

Cherchons à présent à identifier certaines conséquences pratiques que cette vision biblique du rôle de l’Esprit Saint peut avoir pour notre théologie et pour notre vie spirituelle. Quant aux applications théologiques, je n’en retiendrai qu’une : la participation des chrétiens à l’engagement en faveur du respect et de la préservation de la création. Pour le croyant chrétien, l’écologisme ne se réduit pas à une nécessité pratique de survie ou un problème politique et économique, mais il a un fondement théologique. La création est l’œuvre de l’Esprit Saint!

Paul nous a parlé d’une création qui « gémit en travail d’enfantement ». A ces gémissements de l’enfantement se mêlent aujourd’hui des gémissements d’agonie et de mort. La nature est assujettie, encore une fois « non qu’elle l’eût voulu », à une vanité et une corruption différentes de celles d’ordre spirituel perçues par Paul, mais dérivées de la même source : le péché et l’égoïsme de l’homme.

Le texte paulinien que nous méditons pourrait inspirer plus d’une réflexion sur le problème de l’écologie : nous-mêmes qui avons reçu les prémices de l’Esprit, sommes-nous en train de hâter « la pleine libération du cosmos et sa participation à la gloire des enfants de Dieu », ou la retardons-nous, comme tous les autres ?

Mais venons-en à l’application plus personnelle. Disons que l’homme est un microcosme ; c’est donc à lui en tant qu’individu que s’applique tout ce que nous avons dit de façon générale du cosmos. L’Esprit Saint est celui qui fait passer chacun de nous du chaos au cosmos : du désordre, de la confusion et de la dispersion, à l’ordre, à l’unité et à la beauté. Cette beauté qui consiste à être conformes à la volonté de Dieu et à l’image du Christ, à passer de l’homme ancien à l’homme nouveau.

Avec une allusion autobiographique à peine voilée, l’Apôtre écrivait aux Corinthiens : « Même si notre homme extérieur s’en va en ruine, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour » (2 Co 4, 16). L’évolution de l’esprit ne se déroule pas en l’homme parallèlement à celle du corps, mais en sens inverse.

Ces derniers jours, grâce aux trois Oscar qu’il a décrochés et à la célébrité de l’acteur principal, on a beaucoup parlé d’un film intitulé « L’étrange histoire de Benjamin Button », tiré d’une nouvelle de l’écrivain Francis Scott Key Fitzgerald. C’est l’histoire d’un homme qui naît vieux, avec les traits monstrueux d’un homme de quatre-vingt ans et qui, en grandissant, rajeunit jusqu’à mourir enfant. L’histoire est naturellement paradoxale, mais peut avoir une application encore plus vraie si elle est transposée au plan spirituel. Nous naissons « hommes vieux » et devons devenir « hommes nouveaux ».Toute la vie, pas seulement l’adolescence, est un « âge évolutif »!

Selon l’évangile, on ne naît pas enfant, on le devient ! Un Père de l’Eglise, saint Maxime de Turin, définit la Pâque comme un passage « des péchés à la sainteté, des vices à la vertu, de la vieillesse à la jeunesse : une jeunesse qui s’entend non pas en termes d’âge mais de simplicité. Nous étions en effet des vieillards décrépits en raison de la vieillesse de nos péchés, mais par la résurrection du Christ, nous avons été renouvelés dans l’innocence des enfants »[15].

Le Carême est le temps idéal pour s’appliquer à ce rajeunissement. Une préface de ce temps
proclame : « Tu offres à tes enfants ce temps de grâce pour qu’ils retrouvent la pureté de cœur ; tu veux qu’ils se libèrent de leurs égoïsmes, afin qu’en travaillant à ce monde qui passe, ils s’attachent surtout aux choses qui ne passent pas ». Une oraison, qui remonte au Sacramentaire gélasien du VIIe siècle, encore en usage pendant la Vigile pascale, proclame solennellement : « Que le monde entier reconnaisse la merveille : ce qui était abattu est relevé ; ce qui avait vieilli est rénové, et tout retrouve son intégrité première en celui qui est le principe de tout, Jésus Christ, ton Fils, Notre Seigneur ».

L’Esprit Saint est l’âme de ce renouvellement et de ce rajeunissement. Commençons nos journées en récitant le premier vers de l’hymne composé en son honneur : « Viens, esprit créateur » : Viens, esprit créateur, renouvelle dans ma vie le prodige de la première création, souffle sur le vide, les ténèbres et le chaos de mon cœur, et guide-moi vers la pleine réalisation du « dessein intelligent » de Dieu sur ma vie.

Traduit de l’italien par Zenit

[1] Cf. S. Agostino, Esposizione sulla Lettera ai Romani,  45 (PL 35, 2074 s.).

[2] A. Giglioli, L’uomo o il creato? Ktisis in S. Paolo, Edizioni Dehoniane, Bologna 1994.

[3] H. Schlier,  La lettera ai Romani, Paideia, Brescia 1982, p. 429.

[4] Virgile, Eneide, I, 462.

[5] Cf. S. Irénée, Adv. haer. V, 1,2; V,3,3.

[6] Cf. C. F. Mooney, Teilhard de Chardin et le mystère du Christ, Aubier, Paris  1966.

[7] M. Blondel e A. Valensin, Correspondance, Aubier, Parigi 1965.

[8] Gaudium et Spes, 26.

[9] Tommaso d’Aquino, Somma contro i gentili, IV, 20, n. 3570 (Marietti, Torino 1961, vol. 3, p. 286).

[10] S. Basilio, Sullo Spirito Santo, XVI, 38 (PG 32, 136).

[11] S. Ambrogio, Sullo Spirito Santo, II, 32.

[12] G. von Rad, in Genesi. Traduzione e commento di G. von Rad, Paideia, Brescia 1978, pp. 56-57; à noter toutefois que dans Enuma Elish le vent apparaît comme un allié du dieu créateur, et non un élément hostile qui s’oppose à lui : cf. R. J. Clifford-R. E. Murphy, in The New Jerome Biblical Commentary, 1990, p. 8-9.

[13] C’est ce qui arrive dans la « Bible de Jérusalem » : cf. note à Gn 1, 2 et Mt 3, 16 et in The  New Jerome Biblical Commentary, Prentice Hall 1990, pp. 10 e  638.

[14] S. Basilio, Esamerone, II, 6 (SCh 26, p. 168); Lutero, Sulla Genesi (WA 42, p. 8)

[15] S. Massimo di Torino, Sermo de sancta Pascha, 54,1 (CC 23, p. 218).

Share this Entry

ZENIT Staff

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel