Benoît XVI et les prêtres : Les causes et les remèdes de la crise économique (4)

Rencontre avec le clergé de Rome (Jeudi 26 février)

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ROME, Jeudi 5 mars 2009 (ZENIT.org) – Le 26 février, le pape Benoît XVI a rencontré les curés et les prêtres du diocèse de Rome, comme il le fait chaque année en début du carême. Les prêtres ont posé huit questions, sur différents thèmes, au pape.

Nous publions ci-dessous une synthèse de la quatrième question, et la réponse de Benoît XVI.

Question 4

La quatrième question a été posée par Don Giampiero Ialongo, qui exerce son ministère dans la périphérie de Rome où les conséquences de la crise sont particulièrement dramatiques. Aux côtés de la « Caritas », la paroisse tente de venir en aide aux personnes en difficulté mais selon le P. Ialongo il s’agit d’un véritable état d’urgence. Don Giampiero a expliqué que l’Eglise apporte certes une aide concrète mais elle n’apporte pas de solution. Il s’est interrogé sur les raisons de cette crise généralisée…

Benoît XVI – Je tiens avant tout à remercier le cardinal vicaire pour ses paroles pleines de confiance : Rome peut donner davantage de candidats pour la moisson du Seigneur. Nous devons surtout prier le Seigneur de la moisson, mais nous aussi avons notre rôle à jouer pour encourager les jeunes à dire oui au Seigneur. Et, naturellement, les jeunes prêtres précisément sont appelés à montrer à la jeunesse d’aujourd’hui que c’est bien de travailler pour le Seigneur. En ce sens, nous sommes remplis d’espérance. Prions le Seigneur et faisons ce que nous avons à faire

J’en viens à présent à cette question qui touche le point sensible des problèmes de notre temps. Je distinguerais deux niveaux. Le premier est le niveau de la macroéconomie, qui ensuite se réalise, jusqu’au dernier citoyen, lequel subit les conséquences de l’échec d’un système. Naturellement, l’Eglise a le devoir de le dénoncer. Comme vous le savez, depuis longtemps nous préparons une Encyclique sur ces thèmes. Dans ce long chemin, je m’aperçois à quel point il est difficile de parler avec compétence d’une certaine réalité économique, parce que si on ne l’affronte pas avec compétence, on ne peut pas être crédible. Et, d’autre part, cela nécessite aussi une grande conscience éthique, disons créée et réveillée par une conscience formée par l’évangile. L’Eglise a donc le devoir de dénoncer ces erreurs fondamentales, que révèle aujourd’hui l’effondrement des grandes banques américaines, des erreurs de fond : en fin de compte, l’avarice de l’homme comme péché ou, comme le dit l’Epître aux Colossiens, l’avarice comme idolâtrie. Nous devons dénoncer cette idolâtrie, qui va contre le vrai Dieu, et constitue une contrefaçon de l’image de Dieu à travers un autre dieu, Mammon. Nous devons le faire avec courage, mais aussi concrètement. Parce que les grandes idées morales sont inutiles si elles ne s’appuient pas sur la connaissance de la réalité, qui aide aussi à comprendre ce que l’on peut faire concrètement pour changer petit à petit la situation. Et, naturellement, pour y parvenir, la connaissance de cette vérité et la bonne volonté de tous sont nécessaires.

Nous touchons ici au point crucial : le péché originel existe-t-il réellement ? S’il n’existait pas, nous pourrions faire appel à la raison lucide, sur la base d’arguments accessibles à chacun et incontestables, ainsi qu’à la bonne volonté qui existe en tous. Simplement de cette façon, nous pourrions aller de l’avant et réformer l’humanité. Mais ce n’est pas le cas : la raison – même la nôtre – est obscurcie, nous le constatons chaque jour. Car l’égoïsme, la racine de l’avarice, réside dans le fait de vouloir avant tout soi-même, et le monde pour soi. Et il existe en nous tous. C’est cela, l’obscurcissement de la raison : elle peut être très savante, s’appuyer sur de très beaux arguments scientifiques, mais n’en est pas moins obscurcie par de fausses prémisses. Ainsi s’aventure-t-elle avec une grande intelligence et à grands pas sur la mauvaise route. Même la volonté est, disons, courbée, comme l’observent les Pères de l’Eglise : elle n’est pas simplement encline à faire le bien, mais elle cherche avant tout son propre moi, ou le bien de son propre groupe. Et donc trouver réellement la voie de la raison, de la raison vraie, déjà ce n’est pas toujours facile ; la développer dans un dialogue, c’est très difficile. Sans la lumière de la foi, qui pénètre dans les ténèbres du péché originel, la raison est impuissante à avancer. Mais la foi se heurte ensuite à la résistance de notre volonté. Celle-ci refuse de voir le chemin, qui constituerait aussi un chemin de renoncement à soi-même et de correction de sa propre volonté en faveur de l’autre, et non pour soi.

Je dirais donc qu’il faut dénoncer de façon raisonnable et raisonnée les erreurs, non pas avec de grands appels à la morale, mais sur la base d’arguments concrets et compréhensibles par tous dans le monde de l’économie actuelle. Le faire est important, c’est la mission de l’Eglise depuis toujours. Nous savons que, dans la situation nouvelle qui a été créée avec le monde industriel, la doctrine sociale de l’Eglise, depuis Léon XIII, a cherché non seulement à dénoncer les erreurs – ce qui ne suffit pas – mais elle montre aussi la voie, les chemins difficiles où, pas après pas, sont requis l’assentiment de la raison et l’assentiment de la volonté, en même temps que la correction de notre conscience, la volonté de renoncer dans un certain sens à soi-même pour pouvoir collaborer avec ce qui est le véritable but de la vie humaine, de l’humanité.

Ceci dit, l’Eglise a toujours le devoir d’être vigilante, de chercher par elle-même et de son mieux à connaître les arguments du monde économique, d’entrer dans ce raisonnement et d’éclairer ce raisonnement grâce à la foi qui nous libère de l’égoïsme et du péché originel. L’Eglise doit entrer dans ce discernement, dans ce raisonnement, faire entendre sa voix, également aux différents niveaux nationaux et internationaux, pour aider et corriger. Et ce n’est pas un travail facile, compte tenu de nombreux intérêts personnels et de groupes nationaux qui s’opposent à une correction radicale. C’est peut-être du pessimisme, mais cela me semble être plutôt du réalisme : tant qu’existe le péché originel, nous ne parviendrons jamais à une correction radicale et totale. Néanmoins, nous devons tout faire pour que soient opérées des corrections au moins provisoires, suffisantes pour faire vivre l’humanité et pour contrer la prédominance de l’égoïsme, qui se présente sous des prétextes de science, d’économie nationale et internationale.

Ceci est le premier niveau. L’autre est d’être réaliste. Et de comprendre que ces grands objectifs de la macro science ne se réalisent pas dans la micro science – la macroéconomie dans la micro-économie – sans la conversion des cœurs. S’il n’y a pas de justes, il n’y a pas non plus de justice. Nous devons accepter cela. Voici pourquoi la formation à la justice est un objectif prioritaire, voire même la priorité. Parce que saint Paul dit que la justification est l’effet de l’oeuvre du Christ, n’est pas un concept abstrait, concernant des péchés qui aujourd’hui ne nous intéressent pas, mais se réfère précisément à la justice intégrale. Dieu seul est en mesure de nous la donner, mais il nous la donne avec notre coopération à différents niveaux, à tous les niveaux possibles.

De bons modèles économiques sont nécessaires, mais ne peuvent créer à eux seuls la justice dans le monde. La justice ne peut se réaliser qu’avec des hommes justes. Et ceux-ci n’existent pas s’il n’y a pas le travail humble, quotidien, pour convertir les coeurs. Et pour créer la justice dans les coeurs. C’est seulement ainsi que se répand également la justice corrective. Voilà pourquoi le travail du curé est si fondamental, pas seulement pour la paroisse, mais aussi pour l’humanité. Parce que s’il n’y a pa
s d’hommes justes, comme je l’ai dit, la justice demeure abstraite. Et on ne réalise pas de bonnes structures, si l’égoïsme de personnes, même compétentes, s’y oppose.

Notre travail, humble, quotidien, est fondamental pour atteindre les grands objectifs de l’humanité. Et nous devons oeuvrer ensemble à tous les niveaux. L’Eglise universelle a le devoir de dénoncer, mais aussi d’annoncer ce qu’on peut faire et comment on peut le faire. Les conférences épiscopales et les évêques doivent agir. Mais tous nous avons le devoir d’éduquer à la justice. Il me semble qu’aujourd’hui encore, le dialogue d’Abraham avec Dieu reste vrai et réaliste (Gn, 18, 22-33), lorsque le premier dit : vas-tu vraiment détruire la ville ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville ! Peut-être dix justes. Et dix justes sont suffisants pour que la ville survive. Aujourd’hui, s’il manque dix justes, avec toute la doctrine économique du monde, la société ne survivra pas. C’est pourquoi nous devons tout faire pour former et garantir au moins dix justes, mais si possible beaucoup plus. Précisément avec notre annonce, faisons en sorte qu’il y ait un grand nombre de justes, que la justice soit vraiment présente dans le monde.

Quant aux effets, les deux niveaux sont inséparables. Si, d’un côté, nous n’annonçons pas la macro justice, la micro justice ne s’étend pas. Mais, d’un autre côté, si nous n’effectuons pas un travail très humble de micro justice, la macro justice ne se développe pas non plus. Et toujours, comme je l’ai dit dans ma première Encyclique, avec tous les systèmes qui peuvent se développer dans le monde, au-delà de la justice que nous recherchons, la charité demeure nécessaire. Ouvrir les cœurs à la justice et à la charité, c’est former à la foi, guider vers Dieu.

© Copyright du texte original en italien : Librairie Editrice du Vatican
Traduction : Zenit

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ZENIT Staff

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