ROME, Jeudi 22 janvier 2009 (ZENIT.org) – Après l’assassinat d’un journaliste chrétien, l’Eglise dénonce les graves atteintes à la liberté de la presse dans le pays, rapporte « Eglises d’Asie » (EDA), l’agence des Missions étrangères de Paris.
Le 8 janvier 2009, le rédacteur en chef du Sunday Leader (un journal hebdomadaire en langue anglaise), Lasantha Wickramatunga, a été assassiné par balles au volant de sa voiture alors qu’il se rendait à son travail à Colombo. Tout à fait conscient des risques qu’il courait en poursuivant son travail d’information, ayant subi de nombreuses menaces de mort et tentatives d’intimidation, le journaliste avait écrit, quelques jours avant sa mort, un article intitulé « Puis ils vinrent pour moi », où il faisait part de son prochain assassinat.
Il y écrivait : « Aucune profession n’appelle à sacrifier sa vie à l’exception des militaires et, au Sri Lanka, des journalistes. Au cours des dernières années, les médias indépendants ont subi des attaques croissantes […] De nombreux journalistes ont été harcelés, menacés et tués. J’ai eu l’honneur de faire partie de ces catégories, en partie de la dernière […] » (2)
Lasantha Wickramatunga, âgé d’une cinquantaine d’années, ancien avocat, était chrétien et n’avait pas cédé aux menaces du gouvernement l’accusant d’être « anti-patriote », pour avoir dénoncé certains aspects sombres de la guerre menée actuellement contre les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) (1).
Alors que la communauté internationale, l’ONU, différentes ONG et tous les groupes religieux du Sri Lanka demandent l’arrêt de la guerre qui fait rage au nord de l’île et atteint essentiellement les milliers de civils pris au piège dans la zone des combats (3), le gouvernement a encore restreint davantage la liberté de la presse, traquant les journalistes qui critiquent le régime fort du président sri-lankais Mahinda Rajapakse ou ne saluent pas suffisamment les « victoires » remportées contre la guérilla.
Quelques jours avant l’assassinat de Lasantah Wickramatunga, dans la nuit du 4 au 5 janvier, l’une des plus grandes chaînes de télévision privée Sirasa (MTV/MBC), très populaire au Sri Lanka et qui diffuse des émissions en cinghalais (4), a été victime d’une attaque, après avoir été menacée à plusieurs reprises en raison de sa couverture « non patriote » du conflit avec le LTTE. Une quinzaine d’hommes armés et masqués ont lancé des grenades et incendié les locaux, brutalisant les employés.
Dans une déclaration du 6 janvier, l’archevêque de Colombo, Mgr Oswald Gomis s’était exprimé au nom de l’Eglise catholique pour condamner cet acte de violence : « Nous sommes sur la liste des pays où la liberté de la presse est la plus atteinte et des incidents comme celui-ci vont accentuer encore la dégradation de notre position dans le monde (…). Cette attaque bafoue l’une des libertés les plus fondamentales de nos institutions démocratiques » (5).
Sirasa ainsi que d’autres médias sri-lankais ont été la cible de nombreuses menaces et agressions qui n’ont cessé d’augmenter au cours de l’année 2008. Le ministre du Travail du Sri Lanka, Mervyn Silva, a tenté à plusieurs reprises d’interdire la diffusion de la chaîne.
L’assassinat du rédacteur en chef du Sunday Leader a fortement ébranlé la population sri-lankaise : au soir du 12 janvier, plus de 10 000 personnes se sont jointes aux centaines de journalistes présents pour le convoi funèbre de Lasantha Wickramatunga à Colombo, qui s’est transformé en marche de protestation au départ de l’église de l’Assemblée de Dieu, pentecôtiste, que fréquentait le journaliste. On pouvait y voir de nombreux chrétiens, protestants ou catholiques, des avocats venus manifester en grand nombre, ainsi que quelques hommes politiques.
Les Eglises du Sri Lanka, toutes confessions confondues, ont unanimement condamné l’attentat.
La Conférence catholique du Sri Lanka a publié le 9 janvier une déclaration signée de son président, Mgr Vianney Fernando, évêque de Kandy : « nous appelons le gouvernement à diligenter une enquête immédiate et impartiale sur ces événements et que les coupables soient traduits en justice ».
L’Alliance évangélique chrétienne du Sri Lanka a exprimé ce triste constat : « Le meurtre de sang-froid de Lasantha Wickramatunga a sonné le glas de la liberté des médias dans notre pays. […] Si cette tendance violente ne cesse pas et que l’Etat de droit n’est pas respecté, le Sri Lanka va sombrer dans un abîme de mort, de destruction et d’anarchie ».
Dans un communiqué, l’évêque anglican de Colombo, Duleep de Chickera a déclaré pour sa part : « Cet acte délibéré et insensé fait partie d’une stratégie globale qui s’intensifie, visant à éliminer et réduire au silence les médias ».
Selon différentes sources médiatiques locales, les organisations Amnesty ainsi que Reporters sans frontières (RSF), qui ont également condamné vigoureusement le meurtre de l’éditeur du Sunday Leader, plus d’une dizaine de journalistes ou personnes travaillant dans les médias, auraient été tués au cours des deux dernières années au Sri Lanka.
La Mission internationale pour la liberté de la presse, qui a condamné le 21 janvier « la culture d’indifférence » entourant les attaques contre la presse au Sri Lanka a demandé aux autorités d’accepter la création d’une commission internationale et indépendante pour enquêter sur les dernières et graves violations de la liberté de la presse dans le pays (6).
(1) A propos des dernières offensives de la guerre civile qui déchire le Sri Lanka depuis 1983, voir EDA 499, 497, 496, 493, 492
(2) Apic, 19 janvier 2009
(3) voir dépêche précédente sur le Sri Lanka
(4) Sirasa TV est une chaîne cinghalaise appartenant à la Maharajah Organisation Limited, une des plus grandes sociétés privées au Sri Lanka.
(5) RSF a classé en 2008 le Sri Lanka dans les dix pays où la liberté de la presse était la plus bafouée.
(6) dépêche RSF, 21.01.09