ROME, Mercredi 7 janvier 2009 (ZENIT.org) – Construire « la paix par la lutte contre la pauvreté morale et matérielle », c’est ce que Benoît XVI souhaite pour l’Afrique en ce début d’année.
Le pape a reçu ce matin en audience au Vatican les membres du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège et il leur a adressé son discours le plus attendu de l’année sur l’Etat du monde et la géopolitique vaticane.
A propos de son prochain voyage en Afrique, le pape a dit, notamment : « Dans quelques mois, j’aurai la joie de rencontrer beaucoup de frères et sœurs dans la foi et en humanité qui vivent en Afrique. Dans l’attente de cette visite que j’ai tant désirée, je prie le Seigneur afin que leurs cœurs soient disponibles à accueillir l’Evangile et à le vivre avec cohérence, en construisant la paix par la lutte contre la pauvreté morale et matérielle ».
Voici le texte intégral du discours du pape (original en français).
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Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Le mystère de l’incarnation du Verbe, que nous revivons chaque année dans la Fête de Noël, nous invite à méditer sur les événements qui marquent le cours de l’histoire. Et c’est précisément dans la lumière de ce mystère plein d’espérance que se place cette rencontre traditionnelle avec vous, illustres membres du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, qui, au début de cette année nouvelle nous procure une occasion opportune pour échanger des vœux sincères. Je me tourne en premier lieu vers Son Excellence l’Ambassadeur Alejandro Valladares Lanza, lui exprimant ma gratitude pour les souhaits qu’il m’a aimablement présentés, pour la première fois, en qualité de Doyen du Corps diplomatique. Mon salut déférent s’étend à chacun de vous, ainsi qu’à vos familles et à vos collaborateurs et, à travers vous, aux peuples et aux gouvernements des pays que vous représentez. Pour tous, je demande à Dieu le don d’une année qui soit féconde de justice, de sérénité et de paix.
A l’aube de cette année 2009, ma pensée affectueuse va d’abord à tous ceux qui ont souffert à cause de graves catastrophes naturelles, en particulier au Vietnam, en Birmanie, en Chine et aux Philippines, en Amérique centrale et dans les Caraïbes, en Colombie et au Brésil, ou bien à cause de conflits nationaux ou régionaux sanglants ou encore à cause d’attentats terroristes qui ont semé la mort et la destruction dans des pays comme l’Afghanistan, l’Inde, le Pakistan et l’Algérie. Malgré tants d’efforts, la paix si désirée est encore lointaine ! Face à ce constat, il ne faut pas se décourager ni diminuer l’engagement en faveur d’une culture de paix authentique, mais au contraire redoubler d’efforts en faveur de la sécurité et du développement. Dans ce sens, le Saint-Siège a tenu à être parmi les premiers à signer et à ratifier la « Convention sur les armes à sous-munitions », document qui a aussi l’objectif de renforcer le droit international humanitaire. D’autre part, relevant avec préoccupation les symptômes de crise qui se manifestent dans le domaine du désarmement et de la non-prolifération nucléaire, le Saint-Siège ne cesse de rappeler que l’on ne peut pas construire la paix quand les dépenses militaires soustraient d’énormes ressources humaines et matérielles aux projets de développement, spécialement des peuples les plus pauvres.
Et c’est vers les pauvres, les trop nombreux pauvres de notre planète, que je voudrais tourner mon attention aujourd’hui, à la suite du Message pour la Journée mondiale de la paix, que j’ai consacré cette année au thème « combattre la pauvreté, construire la paix ». Les paroles par lesquelles le Pape Paul VI engageait sa réflexion dans l’Encyclique Populorum Progressio n’ont rien perdu de leur actualité : « Être affranchis de la misère, trouver plus sûrement leur subsistance, la santé, un emploi stable; participer davantage aux responsabilités, hors de toute oppression, à 1’abri de situations qui offensent leur dignité d’hommes; être plus instruits; en un mot, faire, connaître, et avoir plus, pour être plus: telle est l’aspiration des hommes d’aujourd’hui, alors qu’un grand nombre d’entre eux sont condamnés à vivre dans des conditions qui rendent illusoire ce désir légitime » (n. 6). Pour construire la paix, il convient de redonner espoir aux pauvres. Comment ne pas penser à tant de personnes et de familles éprouvées par les difficultés et les incertitudes que l’actuelle crise financière et économique a provoquées à l’échelle mondiale ? Comment ne pas évoquer la crise alimentaire et le réchauffement climatique, qui rendent encore plus ardu l’accès à la nourriture et à l’eau pour les habitants de régions parmi les plus pauvres de la planète ? Il est urgent désormais d’adopter une stratégie efficace pour combattre la faim et faciliter le développement agricole local, d’autant plus que la proportion de pauvres augmente à l’intérieur même des pays riches. Dans cette optique, je me réjouis que, lors de la récente Conférence de Doha sur le financement du développement, aient été identifiés des critères utiles pour orienter la gouvernance du système économique et venir en aide aux plus faibles. Plus en profondeur, pour rendre l’économie plus saine, il faut bâtir une nouvelle confiance. Cet objectif ne pourra être atteint que par la mise en œuvre d’une éthique fondée sur la dignité innée de la personne humaine. Je sais combien cela est exigeant, mais ce n’est pas une utopie ! Aujourd’hui plus qu’hier, notre avenir est en jeu, ainsi que le sort même de notre planète et de ses habitants, en premier lieu des jeunes générations qui héritent d’un système économique et d’un tissu social durement compromis.
Oui, Mesdames et Messieurs, si nous voulons combattre la pauvreté, nous devons investir avant tout dans la jeunesse, l’éduquant à un idéal d’authentique fraternité. Durant mes voyages apostoliques de l’année dernière, j’ai eu l’occasion de rencontrer beaucoup de jeunes, surtout dans le cadre extraordinaire de la célébration de la XXIIIème Journée mondiale de la Jeunesse, à Sydney, en Australie. Mes voyages apostoliques, à commencer par la visite aux Etats-Unis, m’ont aussi permis de prendre la mesure des attentes de nombreux secteurs de la société à l’égard de l’Eglise catholique. Dans cette phase délicate de l’histoire de l’humanité, marquée d’incertitudes et d’interrogations, beaucoup attendent que l’Eglise exerce avec courage et clarté sa mission d’évangélisation et son œuvre de promotion humaine. Mon discours au Siège de l’Organisation des Nations Unies s’insère dans ce contexte : soixante ans après l’adoption de la Déclaration universelle des Droits de l’homme, j’ai voulu souligner que ce document se fonde sur la dignité de la personne humaine, et celle-ci sur la nature commune à tous qui transcende les diverses cultures. Quelques mois plus tard, me rendant en pèlerinage à Lourdes pour le cent cinquantième anniversaire des apparitions de la Vierge Marie à sainte Bernadette, j’ai voulu souligner que le message de conversion et d’amour qui irradie de la grotte de Massabielle demeure de grande actualité, comme une invitation constante à construire notre existence et les relations entre les peuples sur des bases de respect et de fraternité authentiques, conscients que cette fraternité suppose un Père commun à tous les hommes, le Dieu Créateur. Du reste, une société sainement laïque n’ignore pas la dimension spirituelle et ses valeurs, parce que la religion, et il m’a semblé utile de le répéter durant mon voyage pastoral en France, n’est pas un obstacle, mais au contraire un fondement solide pour la construction d’une société plus juste et plus libre.
Les discriminations et les très graves attaques dont ont été victimes, l’an passé, des milliers de chrétiens, montrent combien
ce n’est pas seulement la pauvreté matérielle, mais aussi la pauvreté morale qui nuit à la paix. C’est dans la pauvreté morale, de fait, que de telles exactions plongent leurs racines. Réaffirmant la haute contribution que les religions peuvent donner à la lutte contre la pauvreté et à la construction de la paix, je voudrais répéter en cette assemblée qui, idéalement, représente toutes les nations du monde : le christianisme est une religion de liberté et de paix et il est au service du vrai bien de l’humanité. A nos frères et sœurs victimes de la violence, spécialement en Iraq et en Inde, je renouvelle l’assurance de mon affection paternelle; aux autorités civiles et politiques, je demande instamment de s’employer avec énergie à mettre fin à l’intolérance et aux vexations contre les chrétiens, d’œuvrer pour réparer les dommages provoqués, en particulier aux lieux de culte et aux propriétés ; et d’encourager par tous les moyens le juste respect pour toutes les religions, proscrivant toutes formes de haine et de mépris. Je souhaite aussi que, dans le monde occidental, on ne cultive pas de préjugés ou d’hostilité contre les chrétiens, simplement parce que, sur certaines questions, leur voix dérange. Pour leur part, que les disciples du Christ, confrontés à de telles épreuves, ne perdent pas courage : le témoignage de l’Evangile est toujours un « signe de contradiction » par rapport à « l’esprit du monde » ! Si les tribulations sont pénibles, la constante présence du Christ est un puissant réconfort. Son Evangile est un message de salut pour tous et c’est pourquoi il ne peut être confiné dans la sphère privée, mais doit être proclamé sur les toits, jusqu’aux extrémités de la terre.
La naissance du Christ dans la pauvre grotte de Bethléem nous conduit naturellement à évoquer la situation au Moyen-Orient et, en premier lieu, en Terre Sainte, où, en ces jours, nous assistons à une recrudescence de violence qui provoque des dommages et des souffrances immenses aux populations civiles. Cette situation complique encore la recherche d’une issue au conflit entre Israéliens et Palestiniens, vivement désirée par beaucoup d’entre eux et par le monde entier. Une fois de plus, je voudrais redire que l’option militaire n’est pas une solution et que la violence, d’où qu’elle provienne et quelque forme qu’elle prenne, doit être condamnée fermement. Je souhaite que, avec l’engagement déterminant de la communauté internationale, la trêve dans la bande de Gaza soit remise en vigueur, – ce qui est indispensable pour redonner des conditions de vie acceptables à la population -, et que soient relancées les négociations de paix en renonçant à la haine, aux provocations et à l’usage des armes. Il est très important que, à l’occasion des échéances électorales cruciales qui intéresseront beaucoup d’habitants de la région dans les prochains mois, émergent des dirigeants capables de faire progresser avec détermination ce processus et de guider leurs peuples vers la difficile mais indispensable réconciliation. On ne pourra parvenir à celle-ci sans adopter une approche globale des problèmes de ces pays, dans le respect des aspirations et des intérêts légitimes de toutes les populations intéressées. Outre des efforts renouvelés pour la solution du conflit israélo-palestinien, que je viens de mentionner, il faut apporter un soutien convaincu au dialogue entre Israël et la Syrie et, pour le Liban, appuyer la consolidation en cours des institutions, qui sera d’autant plus effective qu’elle s’accomplira dans un esprit d’unité. Aux Iraquiens, qui se préparent à reprendre pleinement en main leur propre destinée, j’adresse un encouragement particulier à tourner la page pour regarder l’avenir afin de le construire sans discrimination de race, d’ethnie ou de religion. En ce qui concerne l’Iran, on ne doit pas se lasser de rechercher une solution négociée à la controverse sur le programme nucléaire, à travers un mécanisme qui permette de satisfaire les exigences légitimes du pays et de la communauté internationale. Un tel résultat favoriserait grandement la détente régionale et mondiale.
Portant le regard sur le grand continent asiatique, je constate avec préoccupation que dans certains pays les violences perdurent et que dans d’autres la situation politique demeure tendue, mais il existe des progrès qui permettent de regarder vers l’avenir avec une plus grande confiance. Je pense, par exemple, à la reprise de nouvelles négociations de paix à Mindanao, aux Philippines, et au nouveau cours que prennent les relations entre Pékin et Taipei. Dans ce même contexte de recherche de paix, une solution définitive du conflit en cours au Sri Lanka ne pourrait être que politique aussi, alors que les besoins humanitaires des populations concernées doivent continuer à être l’objet d’une attention soutenue. Les communautés chrétiennes qui vivent en Asie sont souvent réduites du point de vue numérique, mais elles souhaitent offrir une contribution convaincue et efficace au bien commun, à la stabilité et au progrès de leurs pays, donnant un témoignage de la primauté de Dieu qui établit une saine hiérarchie des valeurs et donne une liberté plus forte que les injustices. La récente béatification de cent quatre-vingt-huit martyrs, au Japon, l’a rappelé de façon éloquente. L’Eglise, comme on l’a dit bien des fois, ne demande pas de privilèges, mais l’application du principe de la liberté religieuse dans toute son étendue. Dans cette optique, il est important que, en Asie centrale, les législations sur les communautés religieuses garantissent le plein exercice de ce droit fondamental, dans le respect des normes internationales.
Dans quelques mois, j’aurai la joie de rencontrer beaucoup de frères et sœurs dans la foi et en humanité qui vivent en Afrique. Dans l’attente de cette visite que j’ai tant désirée, je prie le Seigneur afin que leurs cœurs soient disponibles à accueillir l’Evangile et à le vivre avec cohérence, en construisant la paix par la lutte contre la pauvreté morale et matérielle. Un soin tout particulier est à réserver à l’enfance : vingt ans après l’adoption de la Convention sur les droits des enfants, ceux-ci demeurent très vulnérables. Beaucoup d’enfants vivent le drame des réfugiés et des déplacés en Somalie, au Darfour et dans la République démocratique du Congo. Il s’agit de flux migratoires concernant des millions de personnes qui ont besoin d’une aide humanitaire et qui surtout sont privées de leurs droits élémentaires et blessées dans leur dignité. Je demande à ceux qui exercent des responsabilités politiques, au niveau national et international, de prendre toutes les mesures nécessaires pour résoudre les conflits en cours et pour mettre fin aux injustices qui les ont provoqués. Je souhaite qu’en Somalie, la restauration de l’Etat puisse enfin progresser, afin que cessent les interminables souffrances des habitants de ce pays. Au Zimbabwe, également, la situation demeure critique et des aides humanitaires considérables sont nécessaires. Les Accords de paix au Burundi ont jeté une lueur d’espoir dans la région. Je forme des vœux afin qu’ils soient pleinement appliqués et deviennent source d’inspiration pour d’autres pays, qui n’ont pas encore trouvé la voie de la réconciliation. Le Saint-Siège, vous le savez, suit avec une attention spéciale le continent africain et est heureux d’avoir établi l’an passé les relations diplomatiques avec le Botswana.
Dans ce vaste panorama, qui embrasse le monde entier, je désire également m’arrêter un moment sur l’Amérique Latine. Là aussi, les peuples désirent vivre en paix, affranchis de la pauvreté et exerçant librement leurs droits fondamentaux. Dans ce contexte, il faut souhaiter que les besoins de ceux qui émigrent soient pris en considération par des législations qui facilitent le regroupement familial et concilient les légitimes exigences de sécurité et celles de l’inviolable respect de la person
ne. Je voudrais aussi louer l’engagement prioritaire de certains gouvernements pour rétablir la légalité et mener une lutte sans compromis contre le trafic des stupéfiants et la corruption. Je me réjouis que, trente ans après le début de la médiation pontificale sur le différend entre l’Argentine et le Chili relatif à la zone australe, les deux pays aient en quelque sorte scellé leur volonté de paix en élevant un monument à mon vénéré prédécesseur le Pape Jean-Paul II. Je souhaite, par ailleurs, que la récente signature de l’Accord entre le Saint-Siège et le Brésil facilite le libre exercice de la mission évangélisatrice de l’Eglise et renforce encore davantage sa collaboration avec les institutions civiles pour le développement intégral de la personne. L’Eglise accompagne depuis cinq siècles les peuples de l’Amérique Latine, partageant leurs espérances et leurs préoccupations. Ses Pasteurs savent que, pour favoriser un progrès authentique de la société, leur tâche propre est d’éclairer les consciences et de former des laïcs capables d’intervenir avec ardeur dans les réalités temporelles, se mettant au service du bien commun.
Portant enfin mon regard sur des nations qui sont plus proches, je voudrais saluer la communauté chrétienne de Turquie, rappelant que, en cette année jubilaire spéciale à l’occasion du deuxième millénaire de la naissance de l’Apôtre saint Paul, de nombreux pèlerins convergent vers Tarse, sa ville d’origine, ce qui souligne encore une fois le lien étroit de cette terre avec les origines du christianisme. Les aspirations à la paix sont vives à Chypre, où ont repris les négociations en vue de justes solutions aux problèmes liés à la division de l’Île. En ce qui concerne le Caucase, je voudrais rappeler une fois encore que les conflits qui intéressent les Etats de la Région ne peuvent pas être résolus par la voie des armes et, pensant à la Géorgie, je souhaite que soient honorés tous les engagements souscrits dans l’Accord de cessez-le-feu du mois d’août dernier -conclu grâce aux efforts diplomatiques de l’Union Européenne- et que le retour des déplacés dans leurs foyers soit au plus tôt rendu possible. S’agissant, enfin, du Sud-Est de l’Europe, le Saint-Siège poursuit son engagement pour la stabilité dans la région, et espère que continueront à se créer les conditions pour un avenir de réconciliation et de paix entre les populations de la Serbie et du Kosovo, dans le respect des minorités et sans oublier la préservation du précieux patrimoine artistique et culturel chrétien, qui constitue une richesse pour toute l’humanité.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, au terme de ce tour d’horizon, qui, dans sa brièveté, ne peut mentionner toutes les situations de souffrance et de pauvreté qui sont présentes à mon esprit, je reviens au Message pour la célébration de la Journée mondiale de la paix de cette année. Dans ce document, j’ai rappelé que les êtres humains les plus pauvres sont les enfants qui ne sont pas nés (n. 3). Je ne peux pas ne pas évoquer, en terminant, d’autres pauvres, comme les malades et les personnes âgées abandonnées, les familles divisées et sans points de repères. La pauvreté se combat si l’humanité est rendue plus fraternelle par des valeurs et des idéaux partagés, fondés sur la dignité de la personne, sur la liberté alliée à la responsabilité, sur la reconnaissance effective de la place de Dieu dans la vie de l’homme. Dans cette perspective, fixons notre regard sur Jésus, l’humble enfant couché dans la mangeoire. Parce qu’Il est le Fils de Dieu, il nous indique que la solidarité fraternelle entre tous les hommes est la voie maîtresse pour combattre la pauvreté et pour construire la paix. Que la lumière de Son amour illumine tous les gouvernants et toute l’humanité ! Qu’elle nous guide tout au long de cette année qui vient de commencer ! Bonne année à tous.
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