L’Eglise dans dix ans : quelle unité pour quelles missions ?

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Rencontre « Kephas », le 29 novembre, présentée par l’abbé le Pivain

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ROME, Jeudi 27 novembre 2008 (ZENIT.org) – « L’Eglise dans dix ans : quelle unité pour quelles missions ? » : c’est le thème des premières Rencontres de la Revue « Kephas » organisées samedi prochain, 29 novembre, à Paris, à l’église Notre-Dame de Grâce de Passy (4-10 rue de l’Annonciation – 75016 Paris – 06 60 75 16 06).

La journée s’achèvera par une table ronde animée par Patrice de Plunkett, et par une intervention de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, évêque auxiliaire de Paris. L’abbé Bruno le Pivain, directeur de la publication, présente l’événement aux lecteurs de Zenit.

Zenit – M. l’abbé le Pivain, vous organisez les premières Rencontres de la Revue « Kephas » sur le thème : « L’Eglise dans dix ans : quelle unité pour quelles missions ? ». Pourquoi avoir choisi le thème de l’unité ?

Abbé le Pivain Dans la charte qui régit la démarche de Kephas depuis l’origine, et qu’on peut lire sur notre site, qui donne également le programme de ces rencontres (http://www.revue-kephas.org), se trouve cette remarque : « Les ‘tendances’ ecclésiales reproduisent trop souvent un schéma dialectique, comme si l’Église était une société purement humaine, et non l’Église du Verbe incarné, Corps mystique organisé. »

Cela se vérifie particulièrement, avec des variantes et des nuances, dans la « querelle des Anciens et des Modernes », spécialement en ce qui concerne la liturgie, la transmission de la foi, quelques notions importantes comme la Rédemption, la morale chrétienne ; l’harmonie entre le maillage territorial – paroisses et diocèses – et les communautés nouvelles (qu’elles soient de type traditionnel, classique ou charismatique) ; la forme de complémentarité entre le sacerdoce ministériel et le sacerdoce commun des fidèles laïcs ; la réception du Magistère et la liberté humaine.

L’on se trouve ainsi dans une sorte de contradiction : tant de catholiques aspirent à cette unité vécue dans une joyeuse et fraternelle diversité, depuis les jeunes générations qui n’ont pas connu ces remous et pour qui Eglise rime avec unité et mission à ceux, plus anciens, qui voient les impasses où mènent ces tensions. Pourtant,  la vie de l’Eglise est encore traversée par ces dialectiques qui l’affaiblissent et entravent la fécondité de son activité sacramentelle et missionnaire.

L’Église est essentiellement un mystère de communion trinitaire, qui devient visible d’abord par la manifestation de cette communion : « Voyez comme ils s’aiment. » Il serait suspect, voire inconséquent, de prétendre travailler à l’œcuménisme ou au dialogue interreligieux sans essayer d’abord – et tout en même temps, puisque c’est toujours le don de l’unité – de cultiver loyalement, sereinement, courageusement peut-être, la communion à l’intérieur de l’Eglise elle-même… même s’il faut se réconcilier avec son passé, ce qui est une condition indispensable pour envisager l’avenir sans crainte, ou le présent avec sérénité.

N’est-il pas temps de laisser ces clivages obsolètes aux oubliettes, spécialement dans cette France qui peine à se libérer de ses vieux démons dialectiques, pour entendre l’appel insistant de Benoît XVI à « la réconciliation interne au sein de l’Eglise » ? Qui peut y perdre ? Sans doute pas l’Eglise, ni la mission.

Pour s’y atteler, il faut savoir de quoi l’on parle. Autrement dit, en quoi peut consister cette réconciliation ? Est-elle même possible, à quelles conditions ? Quels sont les obstacles ou les atouts ? Sur quoi doit-elle porter ? Tout ceci à la lumière de l’adage si sage et prudent de saint Augustin, « in necessariis unitas, in dubiis libertas, in omnibus caritas », l’unité dans les choses nécessaires – ici, l’unité de foi -, la liberté pour tout ce qui relève du doute ou de l’opinion, la charité en toutes choses.

Zenit – Et pourquoi avoir lié la question de l’unité à celle de la mission ?

Abbé le Pivain – « Qu’ils soient un… afin que le monde croie » : voici le cœur de la prière sacerdotale de Notre Seigneur. La mission découle directement de l’unité.

Dans cette prière à son Père, Jésus décrit d’abord la nature de l’unité de l’Eglise, qui « tire son unité de l’unité du Père et du Fils et de l’Esprit-Saint », comme l’écrivait saint Cyprien repris par l’importante Constitution Lumen gentium de Vatican II, puis dans une belle méditation de Jean-Paul II sur l’unité organique de l’Eglise dans l’exhortation apostolique Christifideles laici.

Puis il précise que sans cette unité, l’Eglise ne peut être crédible, par conséquent, le monde ne peut pas croire en Celui qu’elle prétend rendre présent.

Le monde ne peut pas croire s’ils ne sont pas un. Ou encore, il ne peut y avoir de mission sans ce travail – au noble sens du mot – vers l’unité, laquelle est d’abord un don que l’on reçoit, comme le fruit de l’Esprit par excellence, avec la paix et la joie.

Bref, « il faut repartir du Christ », répétait Jean-Paul II : la fécondité de la Nouvelle évangélisation ne tient pas d’abord à des programmes, des trouvailles ou des planifications, quoique l’inventivité en ce domaine soit aussi bienvenue que la fidélité, mais de la capacité de l’Eglise à cultiver son unité interne, sans rechercher l’uniformité, sans non plus se « faire une raison » – puisque c’est déraisonnable – des clivages persistants.

Enfin – pourquoi ne pas le remarquer ? -, il faut cesser de se regarder le nombril, de façon à regarder vers les autres ; une communauté missionnaire et ouverte sur le monde est une communauté qui n’est pas sans cesse enfermée dans ses problèmes de « cuisine interne ». En ce sens, il est aussi salutaire de voir ailleurs, de considérer le merveilleux exemple de l’Eglise au Viet Nam, la fidélité des catholiques de Chine, l’essor – avec ses points forts et ses difficultés – de l’Eglise en Afrique ou en Amérique du sud etc.

Prenez l’exemple d’un jeune qui se pose la question de la vocation sacerdotale ou religieuse et demandez-vous où il voudra risquer « le beau jeu de sa vie », comme disait le routier Guy de Larigaudie. Alors, s’il y a des questions à poser – il y en a -, posons-les, sans langue de bois, ne les gardons pas sans cesse enfouies et faussant les rapports. Puis avançons, ensemble.

Zenit – Benoît XVI lui-même, dès son homélie en la chapelle Sixtine, en 2005, a indiqué l’unité visible de l’Eglise comme priorité de son pontificat. « Dans dix ans », selon vous, qu’est-ce qui aura changé ?

Abbé le Pivain – Je reprendrai ici quelques mots d’un entretien du Cardinal Barbarin dans Kephas : « L’Eglise n’est évidemment pas une société comme les autres où les choses se planifient et se programment. […] Les gens qui programment ont déjà déterminé l’avenir. Ils savent que dans dix ans les vocations seront revenues ou, à l’inverse, qu’il n’y aura plus de prêtres, et ils veulent réorganiser les paroisses en conséquence. Mais ce n’est pas possible, parce que nous ne savons pas ce que sera la situation de l’Eglise dans dix ans. Elle avance selon la logique de la grâce, et non comme une entreprise. Et l’intelligence de notre travail ou notre prétendue lucidité doivent faire place à l’imprévisible de la foi.

Dans cet esprit, je vous propose deux réflexions.

La première, c’est que l’évolution du monde et de l’Eglise aura encore pris un tournant très important, dont nous ne savons pour l’heure ce qu’il sera. Il y a la vue humaine, qui est courte, avec la liberté et la responsabilité des hommes ; il y a aussi – et d’abord – la grâce de Dieu et sa Providence. En ce qui concerne la vie de l’Eglise, une question : doit-on suivre le flux « prévisible » des événem
ents, quitte même à le précéder jusqu’à le susciter comme par une sorte de capitulation préventive sur fond de conservatisme, ou à l’inverse entretenir une sorte d’optimisme volontariste qui contemple quelque hirondelle voletant ici ou là pour décréter l’arrivée du printemps ? Peut-on imaginer plutôt que Dieu n’abandonne pas les hommes, et qu’il s’agit « d’entrer dans l’espérance », comme y exhortait Jean-Paul II, ou d’être « sauvés dans l’espérance », comme nous y invite Benoît XVI avec saint Paul ? Auquel cas il s’agit de faire toute sa place au réalisme catholique : celui du primat de la grâce et du don de Dieu qui suscite et nourrit la liberté humaine, l’enthousiasme, l’esprit missionnaire, et l’attention aux signes des temps à travers les réalisations qui portent des fruits visibles. Nous avons choisi comme devise pour la revue Kephas cette phrase de l’apôtre saint Jean : « La victoire sur le monde, c’est notre foi ! » (1 Jn 5, 4)

La deuxième réflexion est une lapalissade : dans 10 ans, les dialectiques évoquées plus haut auront dix ans de plus. En contrepoint, l’instabilité permanente du monde actuel n’invitera-t-il pas, plus que jamais, à redécouvrir ses racines dans la grande Tradition vivante de l’Eglise, désir que l’on retrouve si présent dans la société civile ? En 2018, cela aurait-il un sens de s’accrocher à d’antiques querelles, ou au contraire l’événement majeur que fut le Concile Vatican II ne pourra-t-il pas être reçu pour le bien de tous selon l’herméneutique de la continuité, non de la rupture, que prône le Saint-Père ?

En tout état de cause, c’est bien du réalisme de la foi dont nous avons besoin.

Zenit – Jean-Paul II avait recommandé pour l’an 2000 un examen de conscience de façon à passer la porte sainte moins divisés, en « purifiant » notre mémoire. Que reste-t-il à faire de ce point de vue ?

Abbé le Pivain – C’est une question qui nous concerne tous et chacun, parce qu’elle est d’abord spirituelle, comme Jean-Paul II l’avait souligné. Il s’agit bien d’une démarche de conversion, non d’une stratégie politique ou même pastorale.

L’histoire de l’Eglise comme celle des sociétés politiques, celle des couples ou des familles, le montrent : des tensions ou des querelles mal « vidées » empoisonnent pour longtemps la vie de ces communautés et « plombent » sérieusement la liberté de la réflexion comme celle de l’amour.

Dans cette optique, on ne peut faire l’impasse sur un certain nombre de clarifications nécessaires à la sérénité et la vérité du dialogue au sein même de l’Eglise, notamment dans la réception du Concile Vatican II. Jean-Paul II le précisait lui-même dans la Lettre apostolique Tertio millennio adveniente de 1994, qui annonçait le Grand Jubilé : « L’examen de conscience ne saurait émettre la réception du Concile, ce grand don de l’Esprit Saint à l’Eglise au déclin du deuxième millénaire. » (n. 36) Et il proposait en ce sens une série de questions précises.

Sept ans plus tard, au sortir du Grand Jubilé, il insiste, en 2001 avec Novo millennio ineunte : « En préparation au Grand Jubilé, j’avais demandé que l’Eglise s’interroge sur la réception du Concile. Cela a-t-il été fait ? […] A mesure que passent les années, ces textes ne perdent rien de leur valeur ni de leur éclat. Il est nécessaire qu’ils soient lus de manière appropriée, qu’ils soient connus et assimilés, comme des textes qualifiés et normatifs du Magistère, à l’intérieur de la Tradition de l’Église. Alors que le Jubilé est achevé, je sens plus que jamais le devoir d’indiquer le Concile comme la grande grâce dont l’Église a bénéficié au vingtième siècle: il nous offre une boussole fiable pour nous orienter sur le chemin du siècle qui commence. » (n. 57)

…Quelques heures après son élection sur le Siège de Pierre, Benoît XVI déclarait dans sa première homélie, prononcée dans la Chapelle Sixtine :

« Le pape Jean-Paul II a très justement indiqué le Concile comme « boussole » permettant de s’orienter dans le vaste océan du troisième millénaire (cf. L. A. Novo millennio ineunte, 57-58). Dans son testament spirituel il notait également : « Je suis convaincu qu’il sera encore donné aux nouvelles générations de puiser pendant longtemps aux richesses que ce Concile du XXe siècle nous a offertes » (17 mars 2000). Moi aussi, par conséquent, alors que je me prépare au service qui est propre au successeur de Pierre, je veux affirmer avec force ma ferme volonté de poursuivre l’engagement de mise en œuvre du Concile Vatican II, dans le sillage de mes prédécesseurs et en fidèle continuité avec la tradition bimillénaire de l’Eglise. »

Pour cela, il faut se défaire de certaines oppositions tenaces, deux notamment : entre la raison et la Tradition d’une part, entre la Tradition et le Magistère d’autre part. Le récent synode romain sur la Parole de Dieu donne d’ailleurs en sens de précieuses indications, en mettant en lumière l’unité du donné révélé et sa transmission au cœur de l’Eglise, la fécondité de l’harmonie entre la foi et la raison.

Zenit – Vous évoquez le synode sur la parole de Dieu qui a  réaffirmé que l’Ecriture doit être en quelque sorte comme « l’âme de la théologie ». En cette année saint Paul, quelle parole de l’apôtre des Nations proposeriez-vous à nos lecteurs, de tous horizons, religieux et culturels ?


Abbé le Pivain –
Vous les connaissez mieux que moi et nous rendez à tous avec Zenit un inestimable service. En cette année paulinienne, je laisse la parole à l’Apôtre : « Mes frères, il m’a été signalé à votre sujet par les gens de Chloé qu’il y a parmi vous des discordes. J’entends par là que chacun de vous dit : « Moi, je suis à Paul » – « Et moi, à Apollos » – « Et moi, à Céphas » –  « Et moi, au Christ. » Le Christ est-il divisé ? Serait-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Ou bien serait-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? » Pour conclure : « Aussi bien, frères, considérez votre appel : il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de gens bien nés. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort ; ce qui dans le monde est sans naissance et ce que l’on méprise, voilà ce que Dieu a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est, afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant Dieu. Car c’est par Lui que vous êtes dans le Christ Jésus qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification et rédemption, afin que, comme il est écrit, celui qui se glorifie, qu’il se glorifie dans le Seigneur. » (1 Co 1, 11-13, 26-31)

Zenit – Quels frais de participation avez-vous prévus pour cette journée « Kephas » ?

Abbé le Pivain – Le prix de la journée est de 15 euros par personne, 10 euros pour les prêtres, religieux ou étudiants, gratuit pour les 18 ans ou moins. On peut s’inscrire sur place, comme ne venir qu’une partie de la journée (tarif dégressif à la mi-journée). Il est possible jusqu’à jeudi de s’inscrire pour le repas de midi en envoyant un courriel avec ses coordonnées à l’adresse électronique : colloque.kephas@yahoo.fr

Propos recueillis par Anita S. Bourdin

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ZENIT Staff

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