ROME, Mardi 26 août 2008 (ZENIT.org) – Le 6 août dernier, dans le cadre de ses vacances dans le Sud-Tyrol, le pape Benoît XVI a rencontré le clergé du diocèse de Bolzano-Bressanone, dans la cathédrale de Bressanone. Il a répondu aux questions posées par quelques prêtres et séminaristes.
Nous publions ci-dessous les deux dernières questions. Pour les questions précédentes cf. Zenit des 21, 22, et 25 août).
Dans la première le pape aborde la question de l’emploi du temps particulièrement chargé des prêtres, des priorités à établir, de l’importance de la communion entre les prêtres, et dans la deuxième il évoque la situation des enfants qui ont reçu les sacrements mais n’assistent pas régulièrement à la messe du dimanche.
Franz Pixner, doyen à Kastelruth – Saint-Père, je m’appelle Franz Pixner et je suis le curé de deux grandes paroisses. Avec de nombreux collègues ainsi que des laïcs, nous nous occupons de la charge croissante des soins pastoraux à cause, par exemple, des unités pastorales qui se mettent en place : la forte pression du travail, le manque de reconnaissance, les difficultés relatives au magistère, la solitude, la diminution du nombre des prêtres mais également des communautés de fidèles. Beaucoup s’interrogent sur ce que Dieu nous demandent dans ces situations, et par quel moyen le Saint Esprit veut nous encourager. Dans ce contexte surgissent des questions, par exemple en ce qui concerne le célibat des prêtres, l’ordination de viri probati au sacerdoce, l’implication des charismes, en particulier des charismes des femmes, dans la pastorale, l’emploi de collaboratrices et de collaborateurs formés en théologie pour conférer le baptême et tenir des homélies. On se pose également la question : comment nous, prêtres, face aux nouveaux défis, pouvons-nous nous aider réciproquement dans une communauté fraternelle, et cela dans les différents niveaux du diocèse, doyenné, unité pastorale et paroisse ?
Nous vous prions, Saint-Père, de nous donner un bon conseil pour toutes ces questions. Merci !
Benoît XVI – Cher doyen, vous avez abordé une série de questions qui intéressent et inquiètent les pasteurs et nous tous aujourd’hui et vous savez certainement que je ne suis pas en mesure, en ce moment, de répondre à toutes ces questions. J’imagine que vous aurez moyen de réfléchir à plusieurs reprises à tout cela avec votre évêque, et nous, à notre tour, nous en parlerons dans les Synodes des évêques. Nous avons, je crois, tous besoin de ce dialogue entre nous, du dialogue de la foi et de la responsabilité, pour trouver la bonne route pour cette époque qui, sous de nombreux aspects, est difficile pour la foi et fatigante pour les prêtres. Personne n’a de solution toute prête, nous la cherchons tous ensemble.
En tenant compte de cette réserve, je me trouve également parmi vous au milieu de ce processus de fatigue et de lutte intérieure, j’essaierai de dire quelques mots qui ne seront donc qu’une partie d’un dialogue plus large.
Dans ma réponse, je voudrais tenir compte de deux aspects fondamentaux. D’un côté, le caractère irremplaçable du prêtre, le sens et le mode du ministère sacerdotal aujourd’hui ; de l’autre côté – et cela ressort plus aujourd’hui qu’avant – la multiplicité des charismes et le fait que tous ensemble ils sont l’Eglise, ils édifient l’Eglise et que c’est pour cela que nous devons nous employer à réveiller les charismes, que nous devons prendre soin de cet ensemble vivant afin qu’il soutienne ensuite le prêtre. Il soutient les autres, les autres le soutiennent, et ce n’est que dans cet ensemble complexe et diversifié que l’Eglise peut grandir aujourd’hui et vers l’avenir.
D’un côté, on aura toujours besoin du prêtre qui est complètement dévoué au Seigneur et de fait complètement dévoué à l’homme. Dans l’Ancien Testament se trouve l’appel à la sanctification qui correspond plus ou moins à ce que nous entendons par consécration, et également par l’ordination sacerdotale : quelque chose est confié à Dieu et est donc soustrait à la sphère du commun, donné à Lui. Mais cela signifie qu’il est désormais à la disposition de tous. C’est justement parce qu’il a été soustrait et donné à Dieu qu’il n’est plus désormais isolé mais a été soulevé dans le « pour », dans le « pour tous ». Je pense que tout cela peut aussi se dire du sacerdoce de l’Eglise. Cela signifie que, d’un côté, nous sommes confiés au Seigneur, retirés de la sphère du commun, mais, de l’autre, nous sommes confiés à Lui pour que de cette manière nous puissions Lui appartenir totalement et totalement appartenir aux autres. Je pense que nous devrions sans cesse chercher à montrer cela aux jeunes – qui sont idéalistes, qui veulent faire quelque chose pour l’ensemble – montrer que c’est justement cette « extraction hors de la sphère commune » qui signifie « don à l’ensemble » et que cela est une manière importante, la manière la plus importante pour servir ses frères. Le fait de se mettre à la disposition du Seigneur vraiment dans la totalité de son être et donc de se trouver totalement à la disposition des hommes fait aussi partie de cela. Je pense que le célibat est une expression fondamentale de cette totalité et déjà pour cela un grand rappel dans ce monde, parce qu’il n’a de sens que si nous croyons vraiment à la vie éternelle et si nous croyons que Dieu nous engage et que nous pouvons répondre à son appel.
Par conséquent, le sacerdoce est irremplaçable parce que dans l’eucharistie, en partant de Dieu, il édifie toujours l’Eglise, parce que dans le sacrement de la pénitence il nous confère toujours la purification, parce que dans le sacrement, le sacerdoce est justement un engagement dans le « pour » de Jésus Christ. Mais je sais parfaitement combien il est aujourd’hui difficile – quand un prêtre se retrouve à gérer non plus une paroisse de gestion facile, mais plusieurs paroisses ou unités pastorales ; quand il doit être à la disposition de tel et tel conseil, etc. – combien il est difficile de vivre une telle vie. Je crois que dans cette situation, il est important d’avoir le courage de se limiter et la clarté pour décider de ses priorités. Une priorité fondamentale de l’existence sacerdotale est d’être avec le Seigneur et donc d’avoir le temps pour la prière. Saint Charles Borromée disait toujours : « Tu ne pourras pas soigner l’âme des autres si tu laisses la tienne dépérir. A la fin, tu ne feras plus rien, pas même pour les autres. Tu dois avoir du temps pour toi pour être avec Dieu ». Je voudrais donc souligner ceci : quel que soit le nombre d’engagements qui se superposent, c’est une vraie priorité de trouver chaque jour, je dirais, une heure de temps pour rester en silence pour le Seigneur et avec le Seigneur, comme l’Eglise nous propose de le faire avec le bréviaire, avec les prières du jour, pour pouvoir ainsi s’enrichir toujours de nouveau intérieurement, pour retourner – comme je le disais dans ma réponse à la première question – dans le rayon du souffle de l’Esprit Saint. Et à partir de cela, trier ses priorités : je dois apprendre à voir ce qui est vraiment essentiel, voir où ma présence en tant que prêtre est absolument indispensable, là où je ne peux pas déléguer quelqu’un d’autre. Et dans le même temps, je dois accepter avec humilité, là où j’ai beaucoup de choses à faire, là où ma présence est requise, que je ne peux pas y arriver parce que je reconnais mes limites. Je crois qu’une telle humilité sera comprise par les autres.
Et je dois maintenant lier cela à l’autre aspect : savoir déléguer, demander aux gens de collaborer. J’ai l’impression que les gens c
omprennent et même apprécient quand un prêtre est avec Dieu, quand il s’occupe de sa charge d’être celui qui prie pour les autres : nous – disent-ils – ne sommes pas capables de prier autant, tu dois le faire pour moi ; au fond, c’est ton métier, d’une certaine manière, d’être celui qui prie pour nous. Ils veulent un prêtre qui s’engage honnêtement à vivre avec le Seigneur et qui soit ensuite à la disposition des hommes – des personnes qui souffrent, des personnes à l’article de la mort, des enfants, des jeunes (ceux-là, je dirais, sont les priorités) – mais qui sache également distinguer les choses que d’autres peuvent faire mieux que lui, en faisant place à ces charismes. Je pense aux mouvements et aux multiples autres formes de collaboration dans les paroisses. On réfléchit ensemble à tout cela dans le diocèse également, on crée des formes et on promeut les échanges. Vous avez raison de dire qu’il est important de voir au-delà de la paroisse vers la communauté du diocèse, voire même, vers la communauté de l’Eglise universelle, qui à son tour, doit tourner son regard pour voir ce qui se passe dans une paroisse et quelles sont les conséquences pour chaque prêtre.
Vous avez également abordé un autre point, très important à mes yeux : les prêtres, même s’ils vivent dans des lieux géographiquement éloignés les uns des autres, sont une vraie communauté de frères qui doivent se soutenir et s’aider réciproquement. Cette communion entre les prêtres est aujourd’hui plus importante que jamais. C’est justement pour ne pas tomber dans l’isolement, dans la solitude et son cortège de tristesses, qu’il est important de pouvoir se rencontrer régulièrement. Il est du devoir du diocèse de voir comment organiser au mieux les rencontres entre prêtres – la voiture facilite aujourd’hui beaucoup les déplacements – afin que nous expérimentions toujours à nouveau, quoi qu’il arrive, le fait d’être ensemble, que nous apprenions les uns des autres, que nous nous encouragions et que nous nous aidions réciproquement, que nous nous donnions du cœur à l’ouvrage et que nous nous réconfortions, afin que dans cette communion du presbyterium, avec notre évêque, nous puissions rendre notre service dans l’Eglise locale. Et précisément, aucun prêtre n’est prêtre seul, nous sommes une communauté et ce n’est que dans cette communion avec l’évêque que chacun peut prêter son service. Maintenant, cette belle communion, reconnue par tous sur le plan théologique doit ensuite également se traduire en pratique, d’une manière déterminée par l’Eglise locale. Et elle doit s’élargir, parce qu’aucun évêque n’est évêque seul, mais seulement évêque dans le collège, dans la grande communion des évêques. C’est cette communion pour laquelle nous voulons toujours nous engager. Et je pense que cela est un aspect particulièrement beau du catholicisme : à travers le primat, qui n’est pas une monarchie absolue, mais un service de communion, nous pouvons avoir la certitude de cette unité, de manière à ce que dans une grande communauté à tant de voix, toutes ensembles fassent résonner la grande musique de la foi dans ce monde.
Prions le Seigneur qu’il nous réconforte toujours quand nous pensons ne plus y arriver ; soutenons-nous les uns les autres, ce n’est qu’alors que le Seigneur nous aidera à trouver ensemble les voies justes.
Paolo Rizzi, curé et enseignant de théologie à l’Institut supérieur des sciences religieuses – Saint-Père, mon nom est Paolo Rizzi, je suis curé et j’enseigne la théologie à l’Institut supérieur des sciences religieuses. Nous aimerions connaître votre avis de pasteur sur la situation concernant les sacrements de la première communion et de la confirmation. Les enfants, les garçons et les filles qui reçoivent ces sacrements sont toujours plus nombreux et se préparent avec soin en ce qui concerne les rencontres de catéchèse, mais ne participent pas à l’Eucharistie dominicale ; on en vient alors à se demander : quel sens a tout cela ? Quelquefois, on aurait envie de dire : « Mais alors, ne venez pas du tout, restez donc chez vous ! ». En revanche, on continue comme toujours à les accepter, en pensant qu’ il est de toute façon préférable de ne pas éteindre la mèche de la flamme vacillante. Autrement dit, on pense que le don de l’Esprit Saint peut malgré tout agir également au-delà de ce que nous voyons et que, à une époque de transition comme la nôtre, il est plus prudent de ne pas prendre des décisions drastiques.
D’une manière plus générale, il y a trente-cinq ans, je pensais que nous nous préparions à être un petit troupeau, une communauté minoritaire plus ou moins dans toute l’Europe. Que l’on ne devait donc donner les sacrements qu’à celui qui s’engage véritablement dans la vie chrétienne. Par la suite, grâce aussi au style du pontificat de Jean-Paul II, j’ai reconsidéré les choses. S’il est possible de faire des prévisions pour l’avenir, qu’en pensez-vous ? Quelles attitudes pastorales pouvez-vous nous indiquer ? Merci.
Benoît XVI – Je ne peux pas donner une réponse infaillible en cet instant, je ne peux qu’essayer de répondre selon ce que je vois. Je dois dire que j’ai parcouru une route similaire à la vôtre. Quand j’étais plus jeune, j’étais plutôt sévère. Je disais : les sacrements sont les sacrements de la foi, et donc là où il n’y a pas de foi, où il n’y a pas de pratiques de la foi, le sacrement ne peut pas être conféré. Et puis j’ai toujours dialogué quand j’étais archevêque de Munich avec mes paroissiens : là aussi, il y avait deux écoles, une sévère et une plus large. Et moi aussi, j’ai compris avec le temps que nous devons plutôt suivre l’exemple du Seigneur, qui était très ouvert même envers les personnes aux marges de l’Israël de l’époque. C’était un Seigneur de la miséricorde, trop ouvert – selon les autorités officielles – avec les pécheurs, en les accueillant ou en se laissant accueillir par eux à leurs tables, en les attirant vers lui dans sa communion.
Je dirais donc en substance que les sacrements sont naturellement sacrements de la foi : là où il n’y aurait aucun élément de foi, où la première communion serait seulement une fête avec un grand repas, de beaux habits, de beaux cadeaux, alors ce ne serait plus un sacrement de la foi. Mais, de l’autre côté, si nous pouvons encore voir une petite flamme de désir de la communion dans l’Eglise, un désir également de ces enfants qui veulent entrer en communion avec Jésus, il me semble qu’il est juste d’être plutôt ouverts. Naturellement, cela doit être un aspect de notre catéchèse, de faire comprendre que la communion, la première communion, n’est pas un fait « ponctuel », mais exige une continuité d’amitié avec Jésus, un cheminement avec Jésus. Je sais que les enfants ont souvent l’intention et le désir d’aller le dimanche à la messe, mais les parents ne rendent pas possible ce désir. Si nous voyons que les enfants le veulent, qu’ils ont le désir d’y aller, il me semble que c’est presque un sacrement de désir, le « vœu » d’une participation à la messe dominicale. Dans ce sens, nous devrions naturellement faire notre possible dans le contexte de la préparation aux sacrements, pour toucher également les parents et – disons – réveiller ainsi en eux aussi la sensibilité pour le chemin que font leurs enfants. Ils devraient aider leurs enfants à suivre leur désir d’entrer en amitié avec Jésus, qui est forme de vie, d’avenir. Si les parents désirent que leurs enfants fassent la première communion, ce désir plutôt social devrait s’élargir en un désir religieux, pour rendre possible un cheminement avec Jésus.
Je dirais donc que, dans le contexte de la catéchèse des enfants, le travail avec les parents est toujours très important. Et c’est justement une occasion pour rencontrer les parents, en montrant de nouveau la vie de la foi aux adultes également, parce qu’il me semble q
u’ils peuvent eux-mêmes réapprendre des enfants la foi et comprendre que cette grande solennité n’a de sens, n’est vraie et authentique, que si elle se fait dans le contexte d’un cheminement avec Jésus, dans le contexte d’une vie de foi. Il faut donc convaincre un peu les parents, à travers leurs enfants, de la nécessité d’un chemin préparatoire, qui se montre dans la participation aux mystères et commence à faire aimer ces mystères. Cela est certainement une réponse assez insuffisante, mais la pédagogie de la foi est toujours un cheminement et nous devons accepter les situations d’aujourd’hui, mais également les ouvrir un peu plus, pour qu’il ne reste pas à la fin qu’un souvenir extérieur de choses, mais que le cœur soit véritablement touché. Au moment où nous sommes convaincus, le cœur est touché, a senti un peu l’amour de Jésus, a éprouvé un peu le désir de se mouvoir et de se diriger sur cette ligne et dans cette direction. Je crois que nous pouvons dire alors que nous avons fait une vraie catéchèse. Le vrai sens de la catéchèse, en effet, devrait être celui-ci : porter la flamme de l’amour de Jésus, même si elle est faible, aux cœurs des enfants et à travers les enfants aux parents, ouvrant à nouveau ainsi les lieux de la foi à notre époque.
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Traduction française : Zenit