ROME, Vendredi 15 août 2008 (ZENIT.org) - Nous publions ci-dessous le commentaire de l'Evangile du dimanche 17 août, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.
Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 15, 21-28)
Jésus s'était retiré vers la région de Tyr et de Sidon.
Voici qu'une Cananéenne, venue de ces territoires, criait : « Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David ! Ma fille est tourmentée par un démon. »
Mais il ne lui répondit rien. Les disciples s'approchèrent pour lui demander : « Donne-lui satisfaction, car elle nous poursuit de ses cris ! »
Jésus répondit : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues d'Israël. »
Mais elle vint se prosterner devant lui : « Seigneur, viens à mon secours ! »
Il répondit : « Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens. -
C'est vrai, Seigneur, reprit-elle ; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. »
Jésus répondit : « Femme, ta foi est grande, que tout se fasse pour toi comme tu le veux ! » Et, à l'heure même, sa fille fut guérie.
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Une cananéenne se mit à crier
Au cours de ce même voyage durant lequel il avait multiplié le pain et marché sur les eaux, Jésus arriva du côté de Tyr et Sidon, c'est-à-dire dans un territoire habité par les païens, et non par les juifs (aujourd'hui Tyr et Saida au Liban). Là, vint à sa rencontre une femme cananéenne, c'est-à-dire une descendante du peuple qui habitait en Palestine avant la conquête des juifs. Donc une païenne. Elle se met à crier : « Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David. Ma fille est tourmentée par un démon ».
Et voilà la première douche froide. Il est écrit que Jésus « ne lui répondit rien ». Ce sont les apôtres qui interviennent pour intercéder en sa faveur, non pas tant par amour pour la femme, mais plutôt parce qu'elle les suit sans cesse. « Donne-lui satisfaction car elle nous poursuit de ses cris ! ». Deuxième refus net de Jésus : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues d'Israël ».
Face au refus, la femme répond en intensifiant sa prière : « Seigneur, viens à mon secours ! ». Troisième phrase dure : « Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens ». A ce point-là, n'importe qui serait parti exaspéré. Pas la cananéenne. Elle prend plus de place à chaque nouvelle ligne de l'Evangile : « C'est vrai Seigneur, reprit-elle, mais justement les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ».
Jésus, qui s'est retenu avec peine jusque là, ne résiste plus et crie rempli de joie comme le ferait un supporter après le record mondial de saut de son athlète favori : « Femme, ta foi est grande, que tout se fasse pour toi comme tu le veux ! ». « Et, à l'heure même sa fille fut guérie ». Mais que s'est-il passé pendant ce temps ? Un autre miracle, bien plus grand que la guérison de la fille. Cette femme est devenue « croyante », une des premières croyantes issues du paganisme.
Si Jésus l'avait écouté lors de la première demande, tout ce que la femme aurait obtenu aurait été la libération de sa fille. La vie aurait suivi son cours avec quelques difficultés en moins. Mais tout aurait pris fin à ce moment là, et à la fin, la mère et la fille seraient mortes sans laisser de traces d'elles. En revanche, on parlera de ces deux femmes païennes anonymes jusqu'à la fin du monde.
Que de choses nous enseigne cette simple histoire évangélique ! Peut-être Jésus s'est-il précisément inspiré d'elle pour proposer la parabole de la veuve importune sur la « nécessité de prier sans cesse, sans jamais se lasser ».
Nous ne prétendons pas expliquer la raison ultime de tant de prières inécoutées, il reste un fond de mystère pour nous, toutefois nous pouvons dire quelque chose. Dieu écoute même quand... il n'écoute pas. Le fait qu'il n'écoute pas est déjà une aide. En attendant d'exaucer, Dieu fait croître notre désir, il fait que l'objet de notre prière s'élève ; que des choses matérielles nous passons aux spirituelles, des choses temporelles à celles éternelles, des petites choses aux grandes. De cette façon, il peut nous donner beaucoup plus que ce que nous étions venus chercher au début.
Souvent, quand nous prions, nous ressemblons à ce paysan dont parle un ancien auteur spirituel, Dorothée de Gaza. Il a reçu la nouvelle que le roi en personne le recevra. C'est l'occasion de sa vie : il pourra lui présenter de vive voix sa pétition, demander ce qu'il veut, assuré que tout lui sera concédé. Arrive le jour fixé, le brave homme, très ému, entre en la présence du roi, et que demande t-il ? Un quintal de fumier pour ses champs ! C'était tout ce qu'il lui était venu en tête. Nous, disais-je, nous nous comportons quelques fois avec Dieu de la même manière. Ce que nous lui demandons, par rapport à ce que nous pourrions lui demander, est seulement un quintal de fumier, de petites choses, qui servent peu, et qui pourraient même se retourner contre nous.
L'épisode de la cananéenne contient un enseignement sur la prière, mais aussi un enseignement important sur la personne du Christ. Aujourd'hui, dans l'effort louable de panser les blessures dans les relations entre chrétiens et juifs, quelqu'un propose cette tentative de solution : oui, le Christ est le Messie, l'envoyé de Dieu, mais pour les païens, pas pour les juifs. Il serait venu pour étendre la révélation et l'alliance biblique aux nations, mais pas pour les juifs qui possédaient déjà ces choses. Cette allégation est faite pour confirmer les paroles du Christ aux apôtres avant de monter au ciel : « Allez donc de toutes les nations... », comme s'il entendait toutes les nations à l'exception d'Israël.
C'est une tentative absurde, rejetée précisément par la majorité des juifs eux-mêmes. Jésus, nous l'avons entendu, dit à la cananéenne d'avoir été envoyé avant tout pour les brebis perdues d'Israël ; tout son enseignement est incompréhensible si on l'imagine destiné aux païens et pas à ses interlocuteurs immédiats. Détacher Jésus du peuple juif signifie, selon moi, ne pas aimer Jésus ni le peuple juif ; cela ne signifie pas lui rendre service, mais lui faire un tort immense, en lui ôtant ce que le vieux Siméon défini comme la « lumière des peuples », mais aussi la « gloire de son peuple Israël ».
Naturellement, les juifs sont libres de l'accepter ou non comme Messie (et nous les chrétiens sommes responsables d'avoir rendu cette acceptation beaucoup plus difficile avec les souffrances infligées à ce peuple au cours de son histoire), mais aucune motivation, aussi bonne soit-elle, ne devrait conduire à falsifier les données de l'Evangile, pour soit disant réparer les erreurs commises.