ROME, Dimanche 15 juin 2008 (ZENIT.org) – « Le Christ donne tout », c’est la parole que Benoît XVI a prononcée lors de son élection, sur le balcon de saint Pierre. C’est aussi le titre d’un ouvrage de Mgr Pascal Ide, qui étudie dans ce livre la théologie déployée par Benoît XVI depuis son élection. Une pensée basée sur le mystère de l’amour, vu à partir de son fondement théologique.
Le livre de Mgr Ide, « Le Christ donne tout. Benoît XVI, une théologie de l’amour » est en vente aux éditions de l’Emmanuel.
Né en 1957, Pascal Ide est prêtre du diocèse de Paris et membre de la Communauté de l’Emmanuel. Il est actuellement chef du service des universités catholiques à la Congrégation pour l’Education catholique.
Zenit – Monseigneur Pascal Ide, est ce que vous pouvez nous dire en quelques mots comment pourrait se résumer la pensée de Benoît XVI ?
Mgr Pascal Ide – C’est un peu audacieux comme question. Il m’est apparu en lisant attentivement tous ses discours, pas seulement l’encyclique ou l’exhortation après le synode sur l’eucharistie, qu’au moins un des centres de la pensée de Benoît XVI, c’est l’amour. Autrement dit, la grande parole, la grande révélation de la première lettre de Jean, « Dieu est amour ». Il est vrai qu’on peut décrire l’amour comme on aime bien le faire aujourd’hui comme sentiment, ou même comme le faisait Jean Paul II, comme communion de personnes. Mais il me semble que notre pape voit l’amour d’abord comme un don de soi, comme la capacité qu’a la personne de se livrer à l’autre. Je pense notamment à une très belle homélie que Benoît XVI a faite lorsqu’il est allé à Pavie ; il a repris un de ses auteurs préféré, saint Augustin, et il a montré que ce grand docteur de l’Eglise avait connu trois conversions. Dans la deuxième, le pape raconte que lorsque saint Augustin est revenu en Afrique et s’est retrouvé entouré par ses amis, il a fondé une espèce de petite communauté d’étude et de prière. Et quelques temps après on le retrouve en larmes, car la foule avait demandé qu’il devienne prêtre, et on sait bien que plus tard il deviendra même évêque. Or, en consentant à devenir prêtre puis évêque, il a dû renoncer à toute sa vie d’étude et de prière, mais aussi, ainsi que le commente Benoît XVI, en se donnant et en renonçant à ce qui lui plaisait, il a finalement acquis une fécondité bien plus grande que ce qu’il attendait. Les observateurs ne s’y sont pas trompés, qui ont commenté : à travers l’exemple d’Augustin, qu’il chérit tant, le pape relisait son propre chemin, le professeur devenu archevêque de Freising-Munich et finalement pape. Il a renoncé à ce qu’il aimait, à savoir les études et l’enseignement, pour un rayonnement plus grand. Là se dit finalement l’essence de l’amour, qui est don de soi en vue d’une plus grande fécondité. Non pas don de soi qui serait négation de soi et engendrerait une tristesse, mais don de soi qui est accomplissement de soi et porte une plus grande joie.
Zenit – Par rapport à Jean Paul II, est ce qu’on peut dire qu’il y a un changement de théologie du pape ?
Mgr Pascal Ide – Non, il y a plutôt une continuité, comme toujours. Le cardinal Ratzinger était un familier de Jean Paul II qu’il rencontrait quasiment tous les dimanches soir et qu’il connaissait bien. La nouveauté réside plutôt dans la diversité de leur formation : Jean Paul II était un philosophe, Benoît XVI est un théologien. Jean Paul II était centré sur les questions d’éthique et de famille, le pape actuel est beaucoup plus intéressé par les questions de théologie fondamentale, et au fond par le cœur même de la théologie. C’est pour ça qu’il a braqué son intérêt sur l’amour comme le cœur de la théologie, et finalement le mystère du Christ qui lui-même révèle le mystère de la Trinité. Mais rappelons-nous que le précédent pape avait consacré sa deuxième encyclique au Père riche en miséricorde.
Zenit – Est-ce qu’il y aurait un slogan pour exprimer cette théologie basée sur l’amour ?
Mgr Pascal Ide – Oui, ce serait le commentaire que Benoît XVI a donné de la célèbre phrase de Jean Paul II « N’ayez pas peur ». Mais pourquoi ne pas avoir peur ? Pour une raison très simple, car « le Christ donne tout et ne retire rien », et en ce sens là, la parole « Le Christ donne tout », que le pape actuel a répétée assez souvent, notamment quand il était en Allemagne, dit bien son intuition centrale : alors que l’homme moderne a peur que Dieu entre dans sa vie en lui ôtant sa liberté, Benoît XVI affirme : le Christ est celui qui béni l’homme sans l’amputer, mais en l’enrichissant.
Zenit – Benoît XVI parait façonné par la pensée d’Augustin. Est-ce qu’on retrouve cette pensée sous-jacente à la sienne ?
Mgr Pascal Ide – Il est très clair qu’en effet Benoît XVI connaît Augustin presque par cœur, il le cite très souvent. Il lui a d’ailleurs consacré l’une de ses thèses de théologie. Je pense notamment que ce qui est commun entre Benoît XVI et St Augustin est la théologie de l’amour, de la vérité qui se révèle n’être qu’amour, et de l’amour qui s’incarne humblement. Et il me semble que ces deux notes, amour et humilité, se retrouvent chez le docteur d’Hippone et chez le pape. A la fois l’amour de Dieu qui rayonne mais l’amour aussi qui se présente humblement à chaque homme, qui dialogue avec chaque homme. Donc, d’un côté, la pensée du pape actuel est profondément enracinée dans la tradition augustinienne, de l’autre, il est très au courant des débats actuels, notamment en théologie, en exégèse, en catéchèse, ou encore en liturgie. Et il sait s’enrichir de pensées venant de tous horizons.
Zenit – Le pape Benoît XVI apparaît parfois, notamment dans le domaine liturgique, comme tourné vers un ordre ancien. Est-ce qu’il en va de même dans sa théologie ?
Mgr Pascal Ide – En effet, Benoît XVI présente des affinités personnelles qu’il ne cache pas avec tel ou tel aspect du rite extraordinaire de la messe, ainsi qu’il a pu le dire à telle ou telle occasion. N’oublions pas non plus qu’il connaît bien la liturgie à laquelle il a consacré beaucoup de livres et d’articles. Mais ce qui est frappant, c’est d’abord sa connaissance très grande de tous les courants théologiques et philosophiques, et surtout sa grande capacité à dialoguer. Il a une capacité de pouvoir se mettre au centre d’une pensée, de voir jusqu’au bout ce qu’elle tient de vrai, et en même temps d’apporter un discernement critique, avec une grande générosité et une grande paix. Tous ceux qui l’ont approché, déjà comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et aujourd’hui comme pape, ont toujours été étonnés non seulement de sa connaissance mais encore de son empathie vis-à-vis des courants de la pensée actuelle.
Zenit – Finalement, est-ce qu’on peut dire que le pape Benoît XVI est plutôt théologien que pasteur ?
Mgr Pascal Ide – Il apparaît de plus en plus que le docteur – on sait que Benoît XVI est un théologien, un professeur, qui a écrit des centaines d’articles et des dizaines d’ouvrages – est aussi un pasteur. Je me souviens par exemple de cette rencontre, sur la place Saint Pierre, avec des enfants qui lui posaient des questions. Il aime beaucoup improviser, et à un enfant qui lui demandait pourquoi il fallait se confesser aussi souvent, il répondait : Mais dis moi, tu as une chambre ? Ta chambre, est ce que tu ne dois pas la ranger régulièrement ? Et bien c’est pareil pour ton âme, elle est comme une maison intérieure, tu dois aussi la mettre en ordre réguliè
rement. Lumineux !
Propos recueillis par Stéphane Lemessin