ROME, Jeudi 17 avril 2008 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte de l’entretien que le pape Benoît XVI a accordé aux journalistes présents dans l’avion au cours du vol Rome-Washington, mardi 15 avril.
P. Lombardi – Bienvenue Sainteté ! Au nom de tous mes collègues ici présents, je vous remercie de votre disponibilité et de l’amabilité avec laquelle vous venez nous saluer et nous donner quelques indications et idées pour suivre ce voyage. C’est votre deuxième voyage intercontinental, le premier en Amérique, aux Etats-Unis et aux Nations unies, en tant que pape. Un voyage important et très attendu. Pour commencer, voulez-vous nous dire quelque chose sur vos sentiments, sur les espoirs avec lesquels vous affrontez ce voyage et quel est son objectif fondamental, selon vous ?
Benoît XVI – Mon voyage a surtout deux objectifs. Le premier est la visite à l’Eglise qui est en Amérique, aux Etats-Unis, et pour un motif particulier : il y a 200 ans, le diocèse de Baltimore a été élevé au rang de siège métropolitain et dans le même temps sont nés quatre autres diocèses : New York, Philadelphie, Boston et Louisville. C’est donc un grand jubilé pour ce noyau de l’Eglise aux Etats-Unis, un moment de réflexion sur le passé et surtout de réflexion sur l’avenir, sur la manière de répondre aux grands défis de notre temps, aujourd’hui et dans une perspective d’avenir. Et naturellement, font également partie de cette visite, la rencontre interreligieuse et la rencontre œcuménique, de manière particulière aussi une rencontre à la Synagogue avec nos amis juifs, la veille de leur fête de Pâques. Ceci est donc l’aspect religieux et pastoral de l’Eglise des Etats-Unis en ce moment de notre histoire, et la rencontre avec tous les autres dans cette fraternité commune qui nous relie dans une responsabilité commune. Je voudrais à présent également remercier le Président Bush qui viendra à l’aéroport, me réservera beaucoup de temps pour des entretiens et me recevra à l’occasion de mon anniversaire. Deuxième objectif : la visite aux Nations unies, ici aussi pour une raison particulière : 60 ans se sont écoulés depuis la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cette Déclaration est la base anthropologique, la philosophie fondatrice des Nations unies, le fondement humain et spirituel sur lequel elles sont bâties. Il s’agit donc réellement d’un moment de réflexion, le moment de reprendre conscience de cette étape importante de l’histoire. Dans la Déclaration des droits de l’homme confluent diverses traditions culturelles, surtout une anthropologie qui reconnaît chez l’Homme un sujet de droit qui passe avant toutes les Institutions, avec des valeurs communes à respecter par tous. Par conséquent, cette visite, qui se déroule précisément à un moment où règne une crise des valeurs, me semble importante pour confirmer à nouveau ensemble que tout a commencé à ce moment-là et le récupérer pour notre avenir.
P. Lombardi – Passons maintenant aux questions que vous avez vous-mêmes présentées ces derniers jours et que quelques uns parmi vous poseront au Saint-Père. Commençons par la question de John Allen, qui n’a je crois, pas besoin d’être présenté car il est très connu comme vaticaniste aux Etats-Unis.
Question – Saint-Père, j’aimerais si possible poser la question en anglais et s’il était possible d’avoir une phrase, une parole de réponse en anglais, nous serions très reconnaissants. La question est : l’Eglise que vous trouverez aux Etats-Unis est une Eglise grande, vivante, mais aussi une Eglise souffrante d’une certaine manière, surtout à cause de la récente crise due aux abus sexuels. Les Américains attendent une parole de vous, un message sur cette crise. Quel sera votre message pour cette Eglise souffrante ?
Benoît XVI – Le fait que tout cela ait pu se produire est une grande souffrance pour l’Eglise aux Etats-Unis, pour l’Eglise en général et pour moi personnellement. Quand je lis les comptes rendus de ces événements, j’ai du mal à comprendre comment certains prêtres ont pu manquer à ce point à la mission d’apporter la guérison, d’apporter l’amour de Dieu à ces enfants. J’ai honte et nous ferons tout ce qui sera en notre pouvoir pour faire en sorte que cela ne se renouvelle plus. Je crois que nous devons agir à trois niveaux : tout d’abord au niveau de la justice et au niveau politique. Je ne parlerai pas ici d’homosexualité car c’est un autre sujet. Nous exclurons de manière absolue les pédophiles du ministère sacré ; c’est totalement incompatible. Celui qui s’est rendu coupable de pédophilie ne peut pas être prêtre. A ce premier niveau, nous pouvons faire justice et aider les victimes, car elles sont profondément blessées ; les deux côtés de la justice sont d’une part que les pédophiles ne peuvent pas être prêtres et de l’autre, l’aide aux victimes, de toutes les manières possibles. Il y a ensuite un niveau pastoral. Les victimes auront besoin de guérison, d’aide, d’assistance et de réconciliation : il s’agit d’un engagement pastoral important et je sais que les évêques, les prêtres et tous les catholiques aux Etats-Unis feront tout ce qu’ils pourront pour aider, assister, guérir. Nous avons visité les séminaires et nous ferons tout ce qui sera possible pour donner aux séminaristes une profonde formation spirituelle, humaine et intellectuelle. Seules des personnes saines et qui ont vie personnelle profondément enracinée dans le Christ et dans les sacrements peuvent être admises au sacerdoce. Je sais que les évêques et les recteurs de séminaires feront tout leur possible pour avoir un discernement très très sévère car il est plus important d’avoir de bon prêtres que beaucoup de prêtres. Ceci est également notre troisième niveau et nous espérons pouvoir faire, avoir fait et faire encore à l’avenir, tout ce qui est en notre pouvoir pour guérir ces blessures.
P. Lombardi – Merci, Sainteté. Il y a un autre thème sur lequel nos collègues ont posé beaucoup de questions : celui de l’immigration, de la présence dans la société américaine de composantes de langue espagnole également. Pour cette raison, la question sera posée par notre collègue Andrés Leonardo Beltramo Alvarez de l’Agence d’information du Mexique.
Question – Sainteté, je pose la question en italien et si vous le souhaitez, vous pourrez répondre ensuite en espagnol. Un salut, seulement un salut. Il y a une croissance énorme de la présence hispanique aussi dans l’Eglise des Etats-Unis en général : la communauté catholique devient toujours davantage bilingue et bi-culturelle. Et dans le même temps, un mouvement anti-immigration se développe dans la société : la situation des immigrés est caractérisée par des formes de précarité et de discrimination. Avez-vous l’intention de parler de ce problème et d’inviter l’Amérique à bien accueillir les immigrés, dont beaucoup sont catholiques ?
Benoît XVI – Je ne peux pas répondre en espagnol mais mis saludos y mi bendición para todos los hispánicos. Il est évident que je parlerai de cela. J’ai eu diverses visites ad limina des évêques d’Amérique centrale et aussi d’Amérique du sud et j’ai vu l’ampleur de ce problème, surtout le grave problème de la séparation des familles. Et ceci est vraiment dangereux pour le tissu social, moral et humain de ces pays. Il faut cependant distinguer les mesures à prendre immédiatement et les solutions à long terme. La solution fondamentale est que les gens n’aient plus besoin d’émigrer parce qu’il y a dans leur patrie suffisamment de postes de travail, un tissu social suffisant qui fait que personne n’a plus besoin d’émigrer. Nous devons donc tous travailler avec cet objectif, pour un développement social qui permette d’offrir aux citoyens du travail et un avenir dans leur pays d’origine. Je voudrais aussi parler de cela avec le président car ce sont surtout les Eta
ts-Unis qui doivent aider les pays à se développer de cette manière. C’est dans l’intérêt de tous, pas seulement de ces pays, dans l’intérêt du monde et aussi des Etats-Unis. Puis, des mesures à court terme : il est très important d’aider avant tout les familles. A la lumière des entretiens que j’ai eus avec les évêques il semble que le problème primordial soit la protection des familles, veiller à ce qu’elles ne soient pas détruites. Il faut faire tout ce que l’on peut. Puis, naturellement, il faut lutter avec tous les moyens possibles contre la précarité et toutes les formes de violence, et leur permettre d’avoir vraiment une vie digne là où elles se trouvent actuellement. Il est vrai qu’il y a beaucoup de problèmes, beaucoup de souffrances, mais aussi une grande hospitalité ! Je sais que notamment la Conférence épiscopale des Etats-Unis collabore énormément avec les Conférences épiscopales d’Amérique latine pour mettre en place les aides nécessaires. A côté de toutes les choses douloureuses, n’oublions pas non plus toute la véritable humanité, toutes les actions positives qui existent aussi.
P. Lombardi – Merci, Sainteté. Maintenant une question concernant la société américaine, plus précisément la place des valeurs religieuses dans la société américaine. Donnons la parole à notre collègue Andrea Tornielli, vaticaniste pour un journal italien.
Question – Saint-Père, quand vous avez reçu la nouvelle ambassadrice des Etats-Unis d’Amérique, celle-ci a souligné, comme valeur positive, la reconnaissance publique de la religion aux Etats-Unis. Je voulais vous demander si vous considérez cela comme un modèle possible également pour l’Europe sécularisée, ou si vous ne pensez pas qu’il puisse également exister le risque que la religion et le nom de Dieu soient utilisés pour faire passer certaines politiques et même la guerre…
Benoît XVI – Il est évident qu’en Europe nous ne pouvons pas nous limiter à copier les Etats-Unis : nous avons notre histoire. Mais nous devons tous apprendre les uns des autres. Ce que je trouve fascinant aux Etats-Unis, c’est qu’ils ont commencé avec un concept positif de laïcité car ce nouveau peuple était composé de communautés et de personnes qui avaient fui les Eglises d’Etat et voulaient avoir un Etat laïc qui offre des possibilités à toutes les confessions, pour toutes les formes de pratique religieuse. Ainsi est né un Etat délibérément laïc : ils étaient opposés à une Eglise d’Etat. Mais l’Etat devait être laïc justement par amour pour la religion dans son authenticité, qui ne peut être vécue que librement. Et ainsi nous trouvons cet Etat délibérément et résolument laïc, mais précisément à cause d’une volonté religieuse, pour donner de l’authenticité à la religion. Et nous savons qu’Alexis de Toqueville, en étudiant l’Amérique, a vu que les institutions laïques vivent avec un consensus moral de fait qui existe entre les citoyens. Ceci me semble un modèle fondamental et positif. Il ne faut pas oublier qu’entre-temps, en Europe, deux cents ans, plus de deux cents ans, se sont écoulés, et que beaucoup de choses se sont passées. Il y a maintenant aussi aux Etats-Unis l’attaque d’un nouveau sécularisme, complètement différent, et donc, auparavant les problèmes étaient l’immigration, mais la situation s’est compliquée et différentiée au cours de l’histoire. Toutefois, le fondement, le modèle fondamental me semble aujourd’hui encore digne d’intérêt également en Europe.
P. Lombardi – Merci, Sainteté. Et maintenant un dernier thème concernant votre visite aux Nations unies. La question est posée par John Thavis, qui est responsable à Rome de l’Agence catholique d’information des Etats-Unis.
Question – Saint-Père, le pape est souvent considéré comme la conscience de l’humanité et c’est aussi la raison pour laquelle votre discours aux Nations unies est très attendu. Je voudrais vous demander : pensez-vous qu’une institution multilatérale comme les Nations unies puisse sauvegarder les principes considérés par l’Eglise catholique comme « non négociables », c’est-à-dire les principes fondés sur la loi naturelle ?
Benoît XVI – Ceci est précisément l’objectif fondamental des Nations unies : sauvegarder les valeurs communes de l’humanité, sur lesquelles est basée la coexistence pacifique des Nations : le respect de la justice et le développement de la justice. J’ai déjà dit brièvement que le fait que le fondement des Nations unies soit précisément l’idée des droits humains, des droits qui expriment des valeurs non négociables, qui passent avant toutes les institutions et qui soient le fondement de toutes les institutions, me semble très important. Et il est important qu’il y ait cette convergence entre les cultures qui ont trouvé un consensus sur le fait que ces valeurs sont fondamentales, qu’elles sont inscrites dans l’être humain lui-même. Il faut reprendre conscience du fait que les Nations unies, avec leur fonction pacificatrice, ne peuvent travailler que si elles ont le fondement commun des valeurs qui s’expriment ensuite en « droits » qui doivent être respectés par tous. L’un des objectifs de ma mission est de confirmer cette conception fondamentale et de l’actualiser autant que possible.
Enfin, étant donné que le P. Lombardi m’avait au départ posé également une question sur mes sentiments, je voudrais dire que je pars vraiment aux Etats-Unis avec la joie dans le cœur ! Je suis déjà allé plusieurs fois aux Etats-Unis par le passé, je connais ce grand pays, je connais la grande vivacité de l’Eglise malgré tous les problèmes, et je suis heureux de pouvoir rencontrer, en ce moment historique aussi bien pour l’Eglise que pour les Nations unies, ce grand peuple et cette grande Eglise. Merci à tous !
P. Lombardi – Merci à vous, Sainteté, de la part de nous tous. Nous vous présentons à nouveau nos meilleurs vœux pour ce voyage : qu’il porte tous les fruits que vous en attendez et que nous tous attendons avec vous. Merci et bon voyage !
© Copyright du texte original plurilingue : Librairie Editrice du Vatican
Traduction réalisée par Zenit