ROME, Vendredi 21 mars 2008 (ZENIT.org) – La peur de la paix, l’importance du dialogue pour mettre fin au conflit au Moyen Orient, sa mission comme évêque… Voici quelques uns des thèmes évoqués dans cet entretien par Sa Béatitude Michel Sabbah, qui s’apprête à quitter sa fonction de patriarche latin de Jérusalem.
Nommé il y a 20 ans par Jean-Paul II, Mgr Sabbah a désormais atteint la limite d’âge (75 ans). Il sera remplacé par l’évêque coadjuteur du patriarcat, Mgr Fouad Twal, né en Jordanie, âgé de 67 ans.
Dans cet entretien, publié par le site de la Custodie de Terre Sainte, Mgr Sabbah dresse un bilan de la situation et évoque ses projets pour l’avenir.
Béatitude, quel est votre message aux Israéliens et aux Palestiniens en cette veille de Pâques ?
Pâques, comme chrétien, c’est la fête de la résurrection de Notre Seigneur Jésus Christ et cela veut dire la victoire sur la mort et sur toute forme de mal.
Or ici dans ce pays, qui est le pays de la Résurrection, qui est une terre de Dieu, qui est une Terre Sainte, nous sommes toujours au cœur d’un conflit et dans une situation de mort et de haine. Notre message aux Israéliens et aux Palestiniens est : « Vous avez, jusqu’à maintenant et depuis presque 100 ans, marché dans les voies de la violence et malgré cela, après 100 ans, vous n’êtes abouti ni à la paix ni à la sécurité, changez donc vos voies, trouvez d’autres moyens et vous les connaissez : pourparlers, dialogue, comprendre les besoins de l’autre, se mettre à la place de l’autre pour pouvoir arriver à un accord qui puisse trouver et donner tout ce qui est dû à chaque parti ».
Les Israéliens veulent la sécurité et veulent la paix ; les Palestiniens veulent leur indépendance, leur sécurité également et la paix. Et ils sont capables d’y arriver. Il y a beaucoup d’oppositions pour des raisons idéologiques, pour des raisons politiques, à cause de la peur de la paix. Selon moi, le principal obstacle à la paix, c’est la peur de la paix.
En Israël, la paix est un risque que les Israéliens pensent prématuré de prendre. C’est un risque qui les exposerait à permettre aux Palestiniens de devenir plus forts et de développer leurs moyens de résister et de violence. C’est pourquoi les Israéliens ont peur de la paix. Mon conseil, c’est de ne pas avoir peur. La peur ne peut pas permettre à une personne ni à un peuple de vivre sa vie pleinement. Il faut prendre le risque de la paix tout simplement. Et c’est là l’unique moyen pour obtenir une véritable et totale sécurité. Les pouvoirs politiques ont une alternative : ou bien la paix et ils auront la sécurité ou bien pas de paix et c’est l’extrémisme qui va monter et l’insécurité qui va augmenter. C’est à eux de choisir. Et ils devraient choisir la paix. Maintenant, choisir la paix peut être un risque pour la vie personnelle du chef signataire d’un accord de paix. Mais si vraiment un chef politique est là pour servir son peuple et non pour garder son siège, il doit accepter ce risque de donner sa vie pour son peuple.
En tant que premier Patriarche latin palestinien depuis des siècles, avez-vous une lecture différente de ce qui se passe dans la région ?
J’ai une lecture tout simplement des faits qui adviennent. Il y a les Israéliens avec leurs exigences, et les Palestiniens avec leurs exigences. Pour moi dans les deux cas, il s’agit de personnes humaines, égales en dignité, en droit, en devoir. Comme Palestinien comme chrétien, chacun doit avoir son dû : Israël son Etat reconnu, sa sécurité, sa paix, sans avoir plus besoin des soldats et des réservistes qui tuent ou sont tués. Pour les Palestiniens c’est la même chose : il s’agit de marcher vers la paix pour également mettre fin à tout ce qui est milice, armes irrégulières, à toutes formes de violence de leur part.
Au moment où vous achevez votre longue carrière comme Patriarche latin, est-ce qu’un espoir de paix est permis ?
Il faut toujours espérer parce que nous croyons en Dieu et ici dans ce pays, dans tout le Moyen Orient, tout le monde est d’abord religieux et croyant, même s’il ne pratique pas. Le juif est d’abord juif puis Israélien, le Palestinien est d’abord musulman puis Palestinien, le chrétien est d’abord chrétien puis Palestinien. Nous croyons en Dieu. Nous espérons parce que nous croyons que Dieu est bon, qu’il veille, qu’il est providence. Il voit, il laisse faire les hommes, l’histoire mais il fait aussi l’histoire avec eux. Un jour toute cette tragédie devra prendre fin.
Vous dites qu’il faut du courage pour faire la paix. Est-ce les Israéliens qui doivent en avoir davantage ?
Les deux à la fois, mais la décision majeure est dans les mains des Israéliens. Si les israéliens disent « Nous sommes décidés à faire la paix », la paix se fera. Les Palestiniens sont prêts. Les Etats, le monde arabe est prêt à normaliser toutes les relations avec l’Etat d’Israël. Les Palestiniens ont déjà choisi la paix. Ils mènent les pourparlers pour obtenir la paix. Israël n’est pas encore décidé. Il y a beaucoup d’opposition contre cette décision.
Vous dites qu’il n’y a pas de volonté politique en Israël de faire la paix ?
Il n’y en a pas. Elle n’existe pas encore. Chez les Israéliens, il y a la peur de la paix, pour eux c’est un risque. Ce serait se jeter dans l’inconnu et cela pourrait augmenter pour eux l’insécurité. Selon moi, l’unique avenir d’Israël réside dans la paix. La violence est une menace permanente pour leur propre sécurité et même pour leur existence. La démographie palestinienne monte. Les 20% des arabes israéliens avec plein droits de citoyenneté sont Palestiniens. Demain, c’est 20% de Palestiniens seront 40%, 50% et le caractère hébreu de l’Etat disparaîtra et donc c’est Israël qui disparaitra comme Etat juif. Donc c’est à eux à prendre leur décision et leur salut est seulement dans la paix. [Le risque de] leur mort ou leur insécurité ne se trouve pas dans la paix, il se trouve dans la continuation de cette situation de guerre.
Estimez-vous que le processus d’Annapolis n’offre pas véritablement de chance de paix ?
Il l’offre seulement il faut l’accueillir, l’accepter. Les Etats Unis le veulent. Le Président Bush est décidé. Mais il faut demander à Israël s’il est décidé. Les Palestiniens sont prêts.
Mais quand vous avez rencontré Monsieur Olmert [avant Noël], avez-vous eu le sentiment qu’il y avait une volonté politique ?
Monsieur Olmert a une véritable volonté politique. Il est décidé à faire la paix mais, comme il l’a dit, il rencontre des obstacles. C’est donc à lui de convaincre son opposition, alors nous aurons la paix.
Quels sont ces obstacles ?
L’extrême droite, les extrémistes religieux, le parti religieux qui estime que toute la terre doit rester israélienne et qu’aucun pouce de cette terre ne peut être remis aux Palestiniens Et les religieux ont un pouvoir politique, ils ont des sièges à la Knesset. Voilà l’opposition avec laquelle M. Olmert doit traiter.
Vous avez dit que le monde arabe était prêt à normaliser ses relations avec Israël. Mais nous ne pouvons pas ignorer et Israël ne peut pas ignorer que le Hamas continue de refuser de reconnaître Israël ? Par ailleurs l’islamisme monte dans les pays arabes.
Hamas existe. Le Hezbollah existe. Ils sont une menace. Mais ce qui fait exister le Hamas et ce qui le fait augmenter, c’est cette situation de guerre dans laquelle il y a des injustices, il y a la pauvreté et il y a la misère et tant que cette situation existera, il y aura toujours le Hamas et toutes ses déclarations et sa volonté d’en finir avec Israël. Mais lorsqu’une paix sérieuse, définitive se fera, Hamas et Hezbollah finiront par diminuer et per
dre leur influence. Il y aura toujours des extrémistes du côté palestinien comme du côté israélien mais ces partis seront réduits à une minorité sans influence sur l’avenir du pays. Si l’on fait la paix, les extrémistes finiront pas diminuer et les gens n’auront plus besoin d’eux.
Estimez-vous qu’Israël devrait parler au Hamas ? Le dialogue devrait-il se faire avec le Hamas aussi bien pour Israël que pour les Etats Unis et l’Union Européenne ?
Israël, l’Union Européenne, la communauté internationale doivent parler avec l’Autorité palestinienne et accepter que l’Autorité palestinienne se réconcilie avec le Hamas. Mais dès que le Hamas entre dans le gouvernement palestinien, la communauté internationale boycotte tout ce qui est palestinien. Il s’agit de reconnaître à l’Autorité palestinienne la possibilité de renouer une alliance car la paix ne peut pas se faire seulement avec une partie du peuple palestinien. Il y a plus d’un million et demi de personnes à Gaza. Il faut compter avec cela. Donc il faut que les deux groupes se réunissent, deviennent une seule réalité palestinienne représentant ensemble la volonté palestinienne pour que la communauté internationale et Israël même puissent faire des accords de paix. Mais tant que Hamas est sujet au boycottage et si, dès lors qu’il entre au gouvernement, c’est tout le peuple palestinien qui est boycotté, nous sommes dans une impasse.
Quand vous avez rencontré Abou Maazen [Mahmoud Abbas], lui avez-vous conseillé de rouvrir le dialogue avec le Hamas ?
C’est notre conseil. Il faut regrouper les deux parties du peuple palestinien. Maintenant cette alliance dépend non pas seulement d’Abou Maazen mais de la communauté internationale. Une fois la réunion faite, le Hamas ayant droit à faire partie du gouvernement, la communauté internationale va boycotter tout le monde de nouveau.
Quel conseil donnez-vous à la communauté internationale ?
De laisser tranquilles les Palestiniens, de leur permettre de se regrouper et d’agir ensemble, tout simplement. Et si jamais il y a le Hamas dans le gouvernement palestinien, qu’elle respecte la volonté palestinienne.
Vous avez été 20 ans patriarche. Quel a été le moment le plus difficile ?
Tous les moments ont été difficiles parce que nous n’avons pas cessé de vivre dans le même conflit. Chaque jour est une répétition de l’autre. Chaque année est une répétition de l’année passée : violences, victimes, du côté palestinien, du côté israélien.
Il y a eu des temps d’accalmie, nous avons pu fêter le jubilé de l’an 2000, la visite du pape. Cela a été le moment le moins difficile. Sinon, tous les autres moments, nous avons vécu des difficultés et la vie difficile est devenue notre vocation et notre routine.
Vous avez dit dans votre Lettre Pastorale que vous n’aviez pas d’argent, que vous n’aviez pas de compte en banque, comment allez-vous vivre maintenant ?
Je vais vivre dans le patriarcat. Je n’ai ni salaire ni compte en banque mais l’institution patriarcale se charge de cela comme pour tout prêtre du patriarcat d’ailleurs. C’est le patriarcat qui assure la santé, la nourriture, le logement, l’habillement etc des prêtres à la retraite. Nous faisons partie d’une communauté qui ne laisse tomber aucun de ses membres.
Cela vous ennuie t il de devoir pendre votre retraite ?
Si cela m’ennuie ? Mais lorsque vous êtes au service de Dieu, vous ne voulez pas occuper un siège. Nous vivons une mission. On vous confie une mission. Quand elle est terminée, on la remet entre les mains de celui qui nous l’a confiée, tout simplement. Il y a une différence entre un chef religieux et un chef politique.
Vous avez été le premier Patriarche d’origine palestinienne depuis les Croisades, est-ce que cela change quelque chose d’être un Patriarche palestinien ?
Ça change quelque chose en ce sens qu’alors l’Eglise a eu un pasteur parmi son clergé. C’est un fait normal et non pas extraordinaire d’avoir un Patriarche palestinien dans une Eglise palestinienne. C’est le fait de toute les Eglises du monde. Les pasteurs sont choisis parmi leur clergé et parmi leur peuple. Ce qui a pu changer, ici dans la situation qui est une situation de conflit, c’est que les Palestiniens sont d’un côté et les Israéliens de l’autre. C’est le fait que tous les Palestiniens, Chrétiens et Musulmans se sont sentis appuyés, ont senti qu’ une figure nouvelle pouvait parler pour eux, ressentir avec eux et agir pour la paix. Mais en faisant toujours attention. Car si nous disons aux responsables Israéliens : « Vous êtes dans tout votre droit à servir et protéger votre peuple », aux Palestiniens : « Vous êtes Palestiniens, vous êtes dans tout votre droit à servir et protéger votre peuple », un prêtre, un évêque, qu’il soit Palestinien ou autre, est pour tout le monde. Il n’est pas confiné à son peuple. Il est pour son peuple mais il est aussi pour toute personne humaine avec laquelle il vit et ici nous vivons avec deux peuples. Donc notre responsabilité comme évêque et comme chrétiens s’étend et couvre et comprend les Palestiniens et les Israéliens. Maintenant, les Palestiniens sont les opprimés, sont sous occupation, nous disons : « L’occupation doit prendre fin ». Nous disons aux Israéliens : « Vous êtes les occupants, et cette occupation vous devez y mettre fin ».
Quel va être votre rôle après votre départ ?
L’évêque a trois fonctions : sanctifier, enseigner et administrer. Avec la retraite, l’administration échoie à un autre, restent les deux tiers sanctifier et enseigner. Donc il y aura beaucoup de choses à faire là encore.
Allez-vous donner à votre mission un rôle plus politique ?
Pas plus politique mais plus chrétien. Mais un chrétien qui mettra le pied dans le plat politique. Parce que la politique ici, c’est la vie humaine. Ce n’est pas une politique de partis, de gauche, de droite, ce sont des vies humaines qui sont menacées. Que ce soit les Palestiniens ou les Israéliens. Ce sera donc la continuation de l’engagement pour toute personne humaine dans ce pays, Israéliens et Palestiniens à la fois.
Propos recueillis par Marie-Armelle Beaulieu