ROME, Jeudi 17 janvier 2008 (ZENIT.org) – Le discours du pape Benoît XVI à l’université romaine La Sapienza serait probablement passé inaperçu à une grande majorité de l’opinion publique, sans la protestation contre la perspective de la visite du pape ce jeudi matin. L’intérêt suscité par ce discours non prononcé a dépassé les frontières culturelles, politiques et religieuses. L’Osservatore Romano en italien était introuvable ce soir dans les kiosques du centre ville.
L’actualité romaine a en effet été dominée par la polémique qui est à l’origine de l’annulation de la visite de Benoît XVI, jeudi matin à l’université de Rome La Sapienza. Même la démission du ministre de la Justice passait après la polémique de La Sapienza dans certaines conversations des pauses-café. La classe politique italienne a protesté contre l’intolérance d’une frange des professeurs et des étudiants. Des Romains parfois indifférents à ce qui se passe de l’autre côté du Tibre ont décidé de le franchir, dimanche, pour manifester leur attachement à la liberté d’expression et au dialogue.
Un rassemblement retenu et joyeux
Le cardinal vicaire du pape pour Rome, Camillo Ruini, a appelé hier les croyants et non croyants à se retrouver dimanche 20 janvier place Saint-Pierre pour l’angélus de midi. Il annonce, dans L’Osservatore Romano du 18 janvier que le rassemblement sera « retenu et joyeux »: « Il y a de très nombreux jeunes, dit-il, et je crois de nombreux professeurs et personnalités. Je ne suis pas personnellement les développements de cette initiative. Les nouvelles que j’ai vont toutes dans le sens d’une grande participation. Une participation retenue et joyeuse : tous ceux qui viennent savent que ce sera pour participer à l’angélus. Tous savent évidemment ce que c’est : une prière. Il y aura donc une réflexion du pape et une prière ».
Au début de la polémique, rappelons-le, 67 professeurs sur les 4500 de l’université, ont demandé au recteur que Benoît XVI ne vienne pas inaugurer l’année académique, notamment en raison des propos qu’on lui prêtait sur le cas Galilée, dont le procès a complètement été revu par volonté de Jean-Paul II. Au contraire, le cardinal Ratzinger avait défendu Galilée, contre l’opinion du cardinal Bellarmin, et ceci lorsqu’il y a 17 ans, il avait déjà été invité dans cette même université, en 1990, en tant que préfet de la Doctrine de la Foi. Le professeur Giorgio Israel, professeur à La Sapienza, a publié, dans L’Osservatore Romano en italien du 16 janvier un article intitulé : « Quand Ratzinger défendait Galilée » sur le contenu réel du discours de 1990.
Mais, comme à Ratisbonne en septembre 2006, on a extrait d’un discours une affirmation – d’un philosophe agnostique opposé à Galilée – que justement Joseph Ratzinger citait pour la réfuter. Et puis une fois la citation extraite, on l’a attribuée au futur pape. Mardi, les étudiants ont occupé le rectorat. A Ratisbonne, on avait attribué au pape une citation de l’empereur Emmanuel paléologue. Deux exemples qui montrent un trait de la façon de penser de Joseph Ratzinger : en tenant compte de qui ne pense pas comme lui, en dialogue avec d’autres pensées.
Libertà, la liberté d’expression
Il semble qu’elles apprécient la démarche : les ventes de L’Osservatore Romano et du quotidien catholique Avvenire en ont été dopées. Plus un Osservatore Romano, et plus un Avvenire – le quotidien catholique italien – dans certains quartiers. « Cela fait trois jours que c’est comme cela », a confié à Zenit un marchand de journaux. Ainsi, le discours du pape qui serait vraisemblablement resté accessible seulement à un petit comité, a été réclamé dans le monde entier. Il a été publié accompagné de la lettre du cardinal secrétaire d’Etat, Tarcisio Bertone, au Recteur de La Sapienza, le prof. Renato Guarini.
Mais c’est toute la presse italienne qui est montée sur la brèche pour défendre la liberté d’expression.
Hier soir, ver 17 h, comme annoncé plus tôt aux journalistes à la salle de presse du Saint-Siège par le Père Ciro Benedettini, les media guettaient l’arrivée du discours du pape sur le site Internet du Vatican.
Lors de l’audience générale du mercredi, dans la salle Paul VI un groupe d’étudiants a manifesté sa solidarité avec le pape en scandant à son arrivée : « Libertà, libertà », mais le pape n’a fait aucune allusion à la polémique dans ses interventions.
Jeudi matin, des étudiants se sont présentés à l’université bâillonnés, pour protester contre l’absence du pape.
Lors de la session d’ouverture de l’année académique, le recteur, le prof. Guarini, a déclaré notamment : « Les expériences que nous avons vécues ces derniers jours nous laissent une grande amertume. Dans notre université, la discussion doit demeurer élevée. Les veto idéologiques – de quelque nature que ce soit – sont inacceptables. Et tous doivent avoir un espace et le respect, quelles que soient leurs opinions ».
Jamais l’intolérance ne doit supprimer la parole
Le maire de Rome, Walter Veltroni, a qualifié ce qui s’est passé de « grave » et « inacceptable pour un démocrate ». Radio Vatican souligne ce passage : « Vous qui enseignez dans une université prestigieuse, vous savez bien que le devoir de rappeler par les principes de votre discipline, quelle qu’elle soit, qu’il ne doit jamais arriver que l’intolérance enlève la parole à quelqu’un. En aucun cas (applaudissements) et encore moins lorsqu’il s’agit de thèmes qui ont à faire avec les droits universels de l’homme, et lorsque celui qui exprime une telle opinion est une figure comme Benoît XVI qui, pour des millions et des millions de personnes (applaudissements) du monde entier représente une référence spirituelle, culturelle et morale d’une très grande élévation et incontournable ».
Il affirmait que l’événement « n’a pas renforcé le principe de laïcité: la laïcité, c’est le refus de l’intolérance ».
Dans son allocution, le ministre de l’Université et de la recherche, Fabio Mussi, a pour sa part fait observer : « Donner la parole au pape, ce n’est pas attenter à la laïcité ». « L’université est laïque, c’est-à-dire, a-t-il dit, libre, tolérante, ouverte. S’il y a un lieu où la règle est la parole, la parole de tous, c’est l’Universitas ».
Le représentant des étudiants, Gianluca Senatore, a pour sa part déploré l’absence du pape en disant : « Je veux exprimer le mécontentement sincère et profond de la très grande majorité des étudiants, laïcs et catholiques, croyants et non-croyants, du fait que Benoît XVI n esoit pas présent ici ».
Le discours de Benoît XVI a été lu, au terme de la cérémonie d’ouverture de l’année académique, par le prof. Marietti.
Hier, le Vatican avait publié un passage de la lettre de soutien du président de la République italienne, Giorgio Napolitano, à Benoît XVI : celle-ci a été très « appréciée » a souligné le cardinal Ruini dans l’interview cité plus haut.
Prière à la chapelle de l’université
Les forces de l’ordre étaient bien présentes à l’entrée de l’université, pour garantir la sécurité, et la voiture de l’évêque auxiliaire de Rome, Mgr Enzo Dieci, qui devait présider un moment de prière dans la chapelle universitaire, et représenter le pape, a été bloquée. L’évêque a préféré renoncer.
Selon Radio Vatican, l’évêque devait présider la messe après l’inauguration par le grand auditoire. Mais un embouteillage aurait été provoqué par un groupe de manifestants, empêchant Mgr Dieci d’arriver à la chapelle universitaire.
La prière a été présidée par Mgr Lorenzo Leuzzi, responsable de la Pastorale universitaire du diocèse, en présence du recteur, le prof. Renato Guarini.
Les jeunes venus prier ont offert à Mgr Leuzzi, rapporte l’agence Apcom, trois tee-shirts portant l’inscri
ption : « Visite du Saint-Père pour le 60e anniversaire de la chapelle » : un pour le pape, un pour lui et un pour le secrétaire du pape, Mgr Georg Gänswein.
A l’instar du recteur, l’aumônier de l’université, le P. Vincenzo D’Adamo a exprimé le souhait de voir bientôt le pape à La Sapienza.
Anita S. Bourdin