ROME, Mercredi 16 janvier 2008 (ZENIT.org) – Avant de prendre ses fonctions comme nouveau secrétaire de la Congrégation pour l’éducation catholique, Mgr Bruguès, dominicain, évêque d’Angers, a accordé un entretien à ZENIT dans lequel il analyse quelques grands défis de l’Eglise.
Dans la deuxième partie de cet entretien il soulève la question de l’appel au sacerdoce et de l’accompagnement de celui qui se sent appelé. Il évoque sa nouvelle mission au Vatican, sa formation de dominicain, son appréhension face à une nouvelle vie, à Rome, après quarante ans de vie commune chez les dominicains… (Pour la première partie de l’entretien cf. Zenit du 15 janvier).
Zenit – Vous avez parlé de ces lieux auxquels on vient frapper parfois, comme l’école catholique. Dans votre nouvelle fonction, vous aurez aussi en charge les séminaires. Quelle peut être en occident, la politique des séminaires face à la baisse des vocations ?
Mgr Bruguès – Je ne sais pas si on peut arrêter une politique au sommet, et dire : voilà ce qu’il faut faire à tous les échelons. Je prendrai la démarche inverse : qu’est ce qui se passe, si je puis dire, à la base ? Mon expérience de religieux, d’enseignant, et d’évêque, me montre que Dieu appelle aujourd’hui autant qu’auparavant. Par exemple, en ce moment, j’ai une quinzaine de garçons qui sont venus me trouver – je ne sais pas si avant on faisait comme ça – et ont dit à l’évêque : voilà, je m’interroge. Le plus jeune a 14 ans et le plus âgé doit avoir 22 ou 23. Donc Dieu appelle. C’est certain, et je croirais volontiers qu’il y a une corrélation étroite entre le nombre des appelés et le nombre des pratiquants. Dieu appelle pour ce peuple-là, les serviteurs dont il a besoin. Pour moi, la question n’est pas celle de la diminution des appels, mais du soutien, de l’accompagnement. C’est là que les difficultés arrivent, car il n’est pas si fréquent que la communauté chrétienne porte véritablement ces appels et accompagne de manière étroite le jeune qui peut-être est appelé, car évidemment, au début, on n’a pas de certitude.
Zenit – Comment l’Eglise peut-elle aider les jeunes à répondre à l’appel de Dieu ?
Mgr Bruguès – Un nombre important d’appels se perd dans les sables. Une communauté a toujours les prêtres qu’elle mérite. Un exemple récent : un prêtre vient me dire qu’il est arrivé à l’âge de la retraite et qu’il va s’en aller. Dans la conversation, je lui demande : « Il n’y a jamais eu de jeune qui soit venu vous trouver ? ». « Si, si, il y en a un récemment, qui a 22 ans, études de musicologie… », et ce jeune dont la mère était membre de l’EAP (Equipe d’animation paroissiale), avait profité d’un dimanche où le curé était invité à la maison pour dire à sa famille qu’il songeait à être prêtre. Colère de la mère qui lui dit : « C’est une voie sans issue, j’espère que tu ne poursuivras pas ». Elle a passé la deuxième moitié du repas à dissuader son fils. Responsable d’EAP ! Le curé était là ! Je lui ai demandé : « qu’est ce que vous avez dit ? » Rien. C’est là le contre-exemple d’une communauté qui ne prend pas en charge l’appel que Dieu adresse à l’un de ses jeunes.
Zenit – Comment favoriser cette prise de conscience ?
Mgr Bruguès – Il y a plusieurs moyens. Je connais des paroisses où sont célébrées des prières pour les vocations, et c’est un bon moyen. Mais il faudrait conscientiser, responsabiliser les communautés paroissiales et les familles pour que véritablement on accueille comme un don, une grâce, et pourquoi pas, comme un honneur, l’appel qui peut être adressé à un de ses jeunes, donc qu’elle prenne tous les moyens pour accompagner le jeune. On peut se dire aussi que ces jeunes appelés ne sont plus dans le milieu familial ou dans la communauté paroissiale d’origine, et c’est en partie pour répondre à cette question que j’ai créé cette année des foyers d’étudiants. Ces trois foyers (pour l’instant) regroupent aujourd’hui vingt-sept jeunes, qui sont responsables de la maison. Ils ont tous les jours un temps de prière et ils reçoivent un enseignement explicitement chrétien. Ce qui veut dire que parallèlement à la formation professionnelle qu’ils acquièrent dans les universités, ils ont une formation chrétienne. Un certain nombre d’entre eux se posent des questions, de type vocationnel comme on dit. Ils ont là l’encadrement et les conseillers spirituels dont ils besoin. Sur les vingt-sept, j’en ai quatre qui sont venus me dire qu’ils songeaient à être prêtres ou religieux. Ces trois premiers foyers ne regroupent que des garçons, et j’avais lancé, mais ce sera pour mon successeur, la création de foyers pour filles.
Zenit – Comment voyez-vous, sans y être encore, votre future mission ? En quoi consistera-t-elle ?
Mgr Bruguès – Je suis incapable de répondre à cette question. Je vois très bien les domaines qui sont ceux où intervient la congrégation. J’ai bien retenu que le domaine des universités était le plus prenant, de l’ordre de 60 % des activités, à côté des séminaires, des écoles et des vocations. Je me refuse à me donner des représentations a priori. Durant les premiers mois, je voyagerai le moins possible, de manière à bien connaître les rouages de la congrégation, et ceux qui y travaillent. Je formule un souhait : que les questions urgentes et auxquelles évidemment nous devons accorder toute l’attention requise ne nous empêchent pas de réaliser une réflexion en profondeur et de dégager une politique générale.
Zenit – Est-ce que vous avez déjà des axes de développement ?
Mgr Bruguès – Non, mon expérience d’enseignant m’a donné une certaine connaissance, aussi bien des lieux de l’enseignement d’Eglise que des lieux de l’enseignement publique, mais je me garderai bien de tirer de ces expériences une politique que j’appliquerai comme ça. Je ne viens pas armé d’une politique, elle se dégagera au fur et à mesure, de la connaissance que j’aurai et de la congrégation et du terrain.
Zenit – Monseigneur, notamment au niveau des universités, l’Eglise ne devrait-elle pas vivre une sorte de décentralisation pour être plus adaptée aux besoins locaux ?
Mgr Bruguès – La décentralisation, elle existe, très fortement accentuée. Si je regarde les pays que je connais, je ne vois pas ce qu’apporterait une plus grande décentralisation, sinon l’indépendance la plus totale. L’autonomie de nos établissements est très grande. À l’université dont j’étais jusqu’à peu chancelier (l’université catholique d’Angers, ndlr), le dicastère romain intervenait tout à fait à la fin du processus de désignation du recteur, pour donner son accord ou non, à la personne proposée. Il y a, bien sûr, un cadre que je qualifierais de constitutionnel, établi par la curie, mais ce cadre est suffisamment large, et je crois suffisamment intelligent, pour que toutes les expressions culturelles se retrouvent à l’intérieur. A partir de ma seule expérience, qui est limitée, je ne vois pas ce que pourrait donner une plus grande décentralisation. Reste que les documents auxquels je viens de faire référence, comme Sapientia Christiana, … ont plusieurs années d’existence. En une génération, surtout aujourd’hui, les choses évoluent beaucoup. Peut-être pourrait-on souhaiter que ces documents de référence fassent l’objet aujourd’hui d’une réévaluation, et qu’à cette réécriture, toutes les composantes de la vie universitaire de l’Eglise catholique soient associées.
Zenit – Vous êtes dominicain, comment prenez vous part à la mission ?
Mgr Bruguès – Ma formation, chez les dominicains, probablement aussi mon tempérament font que je suis très sensible au contenu de la foi. À ce sujet, je ferai des
remarques différentes, même si elles se recoupent à certains moments. Les jeunes rencontrés m’interrogent souvent : « Quand on parle d’amour, qu’est ce qui est premier, la connaissance ou le sentiment ? » Il est difficile de répondre à cette question. S’il n’y a que des sentiments, l’amour ne durera pas : il faut qu’il s’alimente à une connaissance, connaissance de l’autre. Le premier défi que je vois aujourd’hui, c’est que nous avons tendance à nous faire de la foi une représentation sentimentale, affective, émotionnelle (n’oublions pas que nous sommes dans une société émotionnelle) et que cela rend très fragile, très vulnérable, très aléatoire même l’expression de la foi. Donc le premier enseignement que je tire de ma vie dominicaine, c’est qu’il faut lester, donner à notre foi son poids d’intelligence. Chez les dominicains la sainteté de l’intelligence est une chose particulièrement valorisée. La deuxième observation que je ferais, est que la culture chrétienne s’est effondrée, de manière massive. Elle s’est effondrée dans notre société, les nouvelles générations ne savent plus lire leur histoire, l’art, parce qu’ils n’ont plus ces éléments de culture chrétienne. Mais elle s’est effondrée aussi dans la conscience des chrétiens. Or, sans culture, la foi ne peut pas mordre, elle ne peut pas déboucher sur une véritable mission.
Zenit – Que pensez-vous de la nouvelle évangélisation ?
Mgr Bruguès – Je crois beaucoup au thème de la nouvelle évangélisation que Jean Paul II a lancée. Il faut interpréter cette nouvelle évangélisation non pas comme une condamnation de ce qui s’est fait, parce que les générations plus anciennes auraient mal travaillé, mais la société a tellement changé et s’est tellement sécularisée qu’il nous faut repenser à frais nouveaux l’annonce de la foi. Dans cette nouvelle évangélisation, je suis persuadé que le poids de la culture sera déterminant.
Zenit – N’est-il pas trop dur de s’expatrier et de venir vivre à Rome ?
Mgr Bruguès – Je vous le dirai dans quelques temps. Ce qui est difficile, c’est de quitter un diocèse dans lequel j’ai été heureux, je crois pouvoir dire que ça a été une bonne période dans ma vie personnelle. Je sais ce que je quitte. J’aperçois aussi quelques aspérités de la vie qui m’attend ici, notamment celle-ci : l’année prochaine, je vais célébrer mes quarante ans d’entrée chez les dominicains, une entrée dans la vie commune. Depuis quarante ans, j’ai toujours mené cette vie commune, évidemment sous des formes différentes. Même à l’évêché, il y a trois religieuses et chaque jour nous prions ensemble. Je vais donc me retrouver seul pour la première fois. Cependant, je suis méditerranéen. Je me rappelle quand adolescents nous étions allés à Rome pour la première fois nous nous étions dit, qu’au fond, Rome était notre vraie capitale. Arriver à Rome n’est pas venir sur une terre étrangère, ce n’est pas une expatriation. Récemment, quelqu’un était venu me voir pour me consoler de mon départ, et je lui ai dit : « Vous savez, il y a dans la vie des malheurs plus grands que celui de vivre à Rome » !