C. Eid : Dans l’islam, il y a une porte d’entrée mais pas de sortie

Entretien avec l’expert du monde arabe du quotidien italien « Avvenire »

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ROME, Lundi 7 janvier 2007 (ZENIT.org) – Le journaliste libanais Camille Eid a publié en italien, avec l’écrivain italien Giorgio Paolucci, un ouvrage intitulé « Chrétiens venus de l’islam » (Editions Piemme), rassemblant des témoignages de musulmans convertis au christianisme. Il présente son ouvrage dans cet entretien accordé à ZENIT. 

Camille Eid est journaliste au quotidien italien l’« Avvenire ». Il est aussi auteur de livres et de recherches sur le monde arabe et islamique. 

Zenit – Pourquoi les conversions à l’islam ont-elles tant d’échos et celles au christianisme si peu ? 

Camille Eid – Alors que la conversion d’autres religions à l’islam est bien connue et que les convertis deviennent des leaders d’organisations musulmanes (en Italie la quasi totalité des organisations de musulmans sont dirigées par des personnes qui se sont converties), le phénomène inverse n’est pas connu et il est dangereux, car la conversion est considérée dans bon nombre de pays musulmans, comme une trahison faite à la tradition et à la foi islamique. 

Un grand nombre de constitutions ou de lois prévoient la peine capitale en cas de conversion, comme on le voit dans des pays comme l’Arabie Saoudite, le Soudan, la Mauritanie, l’Afghanistan (on se rappellera du cas d’Abdul Rahman, afghan converti, condamné à mort il y a un an, et dont la presse a beaucoup parlé). 

On ne parle pas des conversions au christianisme tout d’abord parce que cela veut dire mettre en péril la vie de ces convertis, qui se comptent par milliers, et parce qu’ils vivent dans leurs pays. Dans ce livre, nous avons surtout choisi de parler des musulmans convertis qui vivent en Italie (certains d’entre eux se sont convertis dans leurs pays d’origine et d’autres ont connu le christianisme en Italie). 

Zenit – Pensez-vous qu’il y ait une sorte de « mode » à se convertir à l’islam ? 

Camille Eid – Se convertir à l’islam, à l’hindouisme ou au bouddhisme est une mode, car il y a là quelque chose d’exotique, alors que pour un musulman, se convertir à une autre religion, c’est comme rester sans visage, car cela entraîne aussitôt des difficultés au sein de la famille, dans le pays, avec l’Etat, et personne ne veut perdre son travail, la garde de ses enfants, etc. C’est pourquoi les conversions de musulmans sont de vraies conversions, authentiques, pas un simple changement. 

Zenit – Votre livre rapporte un témoignage qui dit : « En occident, changer de religion est normal, ça ne coûte rien, parfois j’ai l’impression que c’est une mode. Néanmoins, pour notre culture, il s’agit d’un chemin accidenté, plein d’obstacles et d’adversités, c’est comme s’arracher la peau pour l’échanger contre une autre »…

Camille Eid – Oui, car au Maroc, en Algérie, en Tunisie, etc., cela veut dire mettre aussi en danger les personnes qui aident les convertis dans leur parcours. En Algérie, depuis deux ans, une nouvelle loi condamne les chrétiens qui aident les convertis. C’est donc une situation difficile de part et d’autre. 

Dans ce contexte, le père Samir Kahlil écrit dans le prologue du livre, que l’immigration de musulmans en Europe peut représenter une occasion historique, un signe de Dieu, car ils sont obligés de se confronter à un christianisme qui n’est pas un christianisme « officiel », mais qui est le témoignage des chrétiens. Cela peut leur être d’un grand secours. Ici, les musulmans peuvent entrer dans une librairie et acheter facilement un Evangile ; dans leurs pays ce n’est pas toujours simple. 

Zenit – Ce que vous dites laisse supposer que la situation des musulmans convertis, toujours difficile, l’est encore plus pour ceux qui restent dans leurs pays d’origine… 

Camille Eid – Ce facteur ne met pas un point final à l’aventure du converti. Il est vrai que dans beaucoup de pays musulmans, la liberté d’expression religieuse, politique ou d’un autre type, n’existe pas, mais vivre en Europe et ne pas avoir la liberté de manifester sa nouvelle foi chrétienne frappe davantage, et l’Etat ne protège pas les convertis, car il ne peut mettre un policier à côté de chacun. 

En Italie, en France, en Allemagne ou en Angleterre, les convertis se comptent par milliers. Dans mon livre beaucoup de noms sont de faux noms car ils ne peuvent pas proclamer ouvertement leur nouvelle foi, contrairement, comme je viens de dire, aux nouveaux leaders musulmans, anciens chrétiens, qui parlent ouvertement avec la presse. La chaîne de télévision italienne « Canale 5 » a diffusé une émission sur ce thème et les musulmans convertis ont dû parler à visage caché. Pourquoi ? Ils ne sont plus en Algérie, en Tunisie ou au Maroc… 

Il y a une responsabilité de la part des Etats et de la communauté chrétienne, qui n’accompagnent pas toujours ces nouveaux chrétiens, qui ont tout perdu, qui ont perdu leur famille. Une femme écrivain du Maroc a raconté il y a trente ans l’histoire d’un converti qui, rentré au pays, frappe à la porte de chez lui et lorsqu’il répond à sa mère qui lui demandait qui il était : « Je suis ton fils Hassis », celle-ci répond : « Non, Hassis est mort ». 

Dans les pays musulmans qui ne prévoient pas la peine capitale, ce qui attend les convertis, c’est « la mort civile », être considérés comme morts ; leur héritage est alors partagé entre les autres membres de la famille. 

Zenit – Peut-on exiger une certaine réciprocité des pays musulmans, vu que l’islam jouit d’une pleine liberté en Europe pour construire des mosquées et professer publiquement le culte ? 

Camille Eid – Le problème de la construction d’édifices religieux dans les pays islamiques n’est pas homogène, car seul un pays au monde nie ce droit : l’Arabie Saoudite, qui considère que la péninsule arabique est la terre sacrée de l’islam. Dans d’autres pays du Golfe, ces dernières années, la construction de temples a été permise, mais les musulmans ne peuvent y entrer ; seuls les chrétiens immigrés qui travaillent et vivent dans ces pays peuvent le faire. 

Dans des pays comme l’Egypte, la condition pour construire des temples est très particulière, car une loi ottomane, héritée du passé, concède ce droit au sultan, qui est actuellement le président de la République. Le président égyptien doit donc signer un décret présidentiel pour accorder le droit de restauration ou de construction. 

Les coptes, soit les chrétiens d’Egypte, devaient attendre des années et des années pour recevoir ce décret présidentiel sans lequel aucun travail de restauration ne peut être entrepris. J’ai en ma possession, un décret signé par le président Moubarak, autorisant la restauration des toilettes et de l’escalier d’une église, et ceci est très humiliant. En 2005, Moubarak a accordé ce pouvoir aux gouverneurs des provinces pour alléger la procédure. 

Quant à la liberté religieuse, c’est en général une question très compliquée et elle varie de pays à pays. Le mois dernier, le parlement européen a approuvé une résolution en faveur de la liberté religieuse, sans citer le monde islamique, même si bon nombre de cas mentionnés dans le texte concernent des pays musulmans : Irak, Gaza, Turquie, Egypte, etc. C’est la première fois que tous les groupes politiques du parlement, à l’exception des verts, émettent un vote favorable. Cela peut constituer un premier pas pour demander au monde islamique de comprendre que la liberté religieuse fait partie d’autres libertés. Et même si la résolution européenne n’a aucune valeur contraignante, il est dit qu’il faudra dès lors en tenir compte au moment d’établir des relations commerciales avec ces pays. 

Quant au concept de réciprocité, pour moi, chrétien d’Orient, cela sonne un peu comme une offense, car en tant que chré
tien, je ne peux pas dire à un musulman « si vous me donnez ça je vous donne ça ». Cela voudrait dire islamiser la foi chrétienne, la transformer en « œil pour œil dent pour dent ». 

Dans ce livre nous avons expliqué que de nombreux versets du Coran parlent de liberté religieuse, mais l’interprétation radicale n’en tient pas compte. Cette interprétation considère les versets abrogés par d’autres qui parlent du jihad, de la guerre sainte, etc. et affirme qu’ils ont été produits dans un contexte différents, quand Mahomet était à la Mecque et que les musulmans n’étaient pas assez forts. Selon cette théorie, l’instauration de l’Etat islamique a mis fin à la tolérance vis-à-vis des infidèles et aujourd’hui seuls les versets les plus durs sont considérés valables. Autrement dit, cela est très dangereux, car cela signifie montrer l’islam comme une religion basée uniquement sur une foi violente. 

Beaucoup de pays musulmans ont signé la déclaration universelle des droits de l’homme, mais ont émis des réserves concernant un article qui parle de la liberté de conscience (qui prévoit le passage d’une foi à l’autre). Dans de nombreux pays islamiques la liberté de culte existe : les chrétiens peuvent se rendre à l’église, célébrer des mariages ou des funérailles, mais ils ne peuvent pas transmettre leur propre foi. Les textes chrétiens ne peuvent être vendus dans les librairies par des musulmans et les inspecteurs y veillent avec attention. 

La liberté de culte, en général garantie, est une chose ; la liberté de conscience, qui est la véritable liberté religieuse, en est une autre, bien différente. Les musulmans n’empêchent pas un chrétien d’entrer dans leur religion, mais une fois converti à l’islam un chrétien ne peut plus en sortir. Dans l’islam, il n’existe que la porte d’entrée, il n’y a pas de porte de sortie ; on est libre d’entrer, mais pas de sortir. 

Zenit – Votre livre montre que le christianisme constitue également un attrait là où les obstacles sont pourtant nombreux. Comment l’expliquez-vous ? 

Camille Eid – Pour un musulman il est très difficile de comprendre la foi chrétienne, car le Coran parle du Christ, parle de Marie (dans le Coran il existe un chapitre consacré à Marie, on parle d’elle plus que dans l’Evangile), mais il a construit une histoire autour de Marie et de Jésus très différente de celle que l’on trouve dans l’Evangile. Le Christ n’est pas mort sur la croix, la Trinité est critiquée dans le Coran, elle est considérée comme une espèce de triade. Le Coran parle d’un Dieu père, d’un Dieu Mère, qui est Marie, et d’un Fils né d’eux, comme si Dieu avait rencontré la femme Marie pour engendrer le Christ. 

Le musulman a des informations inexactes, fausses sur le christianisme, et quand il trouve la foi professée par l’Eglise et par les fidèles chrétiens il est émerveillé. Un converti a dit un jour : « Vous chrétiens n’avez pas le droit de garder votre foi pour vous, vous avez le devoir de la transmettre ». Parmi les cas que nous présentons dans ce livre, il y a plusieurs convertis qui ont trouvé la foi en écoutant la radio pour apprendre l’italien, en écoutant « Radio Maria » par exemple ; d’autres ont connu des fidèles dont les témoignages ont eu une influence sur eux ; d’autres encore ont connu des mouvements apostoliques… 

Zenit – Dans le livre, on voit que derrière chaque homme se cache une recherche de vérité. Pensez-vous, dans cette optique, que cela puisse aider à faire tomber les préjugés, surtout vis-à-vis des musulmans ? 

Camille Eid – Cela peut contribuer à ouvrir une possibilité de dialogue avec les musulmans, en premier lieu comme hommes, car prendre le musulman pour un fidèle à la foi imperméable est une théorie à démonter, vu qu’en Italie et dans d’autres pays d’Europe il y a beaucoup de convertis, de même que dans certains pays islamiques comme la Malaisie et l’Indonésie. Sur l’Ile de Java, un million de chrétiens sont d’origine musulmane. 

Le jour où le monde islamique reconnaîtra la liberté religieuse, beaucoup d’autres pourront entrer. Pour le moment, cela est impossible car se convertir au christianisme est comme une loterie, ça finit bien ou ça finit mal, je perds ma famille, je perds mon travail… tous mes droits ; mais quand ces pays reconnaîtront ces droits, tout sera beaucoup plus facile. 

Zenit – Que signifie pour un musulman découvrir le Christ non seulement sous les traits d’un prophète, mais aussi sous les traits du Sauveur et du Dieu rédempteur ? 

Camille Eid – Dans la dédicace de notre livre nous avons rapporté une phrase écrite par un converti, pour qui « chaque objectif constitue un nouveau début ». Nous, les auteurs, avons consacré notre travail à tous les nouveaux convertis qui ont rencontré Jésus comme réponse à leur soif de bonheur, qui ont découvert que chaque objectif constitue un nouveau début et ils nous l’ont fait découvrir à nous aussi. 

Quand les convertis racontent leur expérience… nous, chrétiens de naissance, habitués à être chrétiens, pour lesquels le christianisme ne représente pas une nouveauté, une conquête… Quand les convertis, disais-je, racontent comment ils ont découvert un trésor, ils font quelque chose qui secoue notre for intérieur. 

Zenit – Compte tenu du manque de sensibilité actuel vis-à-vis du transcendant et de la récente sécularisation, pensez-vous que ces histoires peuvent aider les chrétiens, qui ont perdu leurs racines, à retrouver la religion de leurs origines ? 

Camille Eid – Beaucoup de musulmans reprochent à la société européenne de détruire ses coutumes et la considèrent comme une société qui a renoncé à Dieu. Cette critique invite les chrétiens à s’interroger sur la signification de leur présence. Ce n’est pas de la faute des immigrés si, lorsqu’ils arrivent en Europe, ils ne voient pas les chrétiens. 

Voir avec les yeux d’un musulman en quoi consiste la foi chrétienne peut aider tous ceux qui sont habitués à la foi. La redécouverte par d’autres personnes peut nous aider à valoriser le trésor que nous possédons.

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ZENIT Staff

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