Le pape répond aux séminaristes : La souffrance, le sacerdoce (IV)

ROME, Dimanche 25 février 2007 (ZENIT.org) – Samedi 17 février, le pape a effectué une visite au Séminaire romain Majeur à l’occasion de la Fête de la Vierge de la Confiance. Benoît XVI a répondu aux questions de six séminaristes. Nous publions les trois dernières réponses du pape (cf. Zenit 21, 22, 23 février pour les trois premières).

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Voici la question d’un séminariste du diocèse de Rome, Francesco Annesi, en 5ème année (3ème année de théologie) et la réponse du pape :

Votre Sainteté, dans la Lettre apostolique Salvifici doloris de Jean-Paul II, il apparaît clairement combien la douleur est une source de richesse spirituelle pour tous ceux qui l’accueillent en union aux souffrances du Christ. Comment aujourd’hui, dans un monde qui cherche tous les moyens licites ou illicites pour éliminer toute forme de douleur, le prêtre peut-il être témoin du sens chrétien de la douleur et comment doit-il se comporter face à ceux qui souffrent sans risquer d’être rhétorique ou pathétique ?

Benoît XVI : Oui, comment faire ? Il me semble qu’il est juste de faire tout ce qui est possible pour vaincre les souffrances de l’humanité et pour aider les personnes qui souffrent – elles sont si nombreuses dans le monde – à trouver une vie bonne et à être libérées des maux que souvent nous causons nous-mêmes : la faim, les épidémies, etc.

Mais, dans le même temps, en reconnaissant ce devoir de travailler contre les souffrances causées par nous-mêmes, nous devons aussi reconnaître et comprendre que la souffrance est une part essentielle de notre maturité humaine. Je pense à la parabole du Seigneur sur le grain de blé tombé en terre, qui ne peut que de cette manière, en mourant, porter du fruit, et le fait de tomber en terre et de mourir ne représente pas simplement un moment, mais il s’agit véritablement du processus d’une vie.

Tomber comme un grain en terre et mourir ainsi, se transformer, être des instruments de Dieu, porter ainsi du fruit. Ce n’est pas par hasard que le Seigneur dit à ses disciples : le Fils de l’Homme doit aller à Jérusalem pour souffrir ; c’est pourquoi celui qui veut être mon disciple doit prendre sa croix sur les épaules et me suivre. En réalité, nous sommes toujours un peu comme Pierre, qui dit au Seigneur : Non, Seigneur, il ne peut pas en être ainsi pour toi, tu ne dois pas souffrir. Nous ne voulons pas porter la Croix, nous voulons créer un Royaume plus humain, plus beau sur la terre.

Cela est totalement erroné : le Seigneur l’enseigne. Mais Pierre a eu besoin de beaucoup de temps, peut-être de toute sa vie pour le comprendre ; parce que cette légende du Quo Vadis ? a quelque chose de vrai en soi : apprendre qu’aller avec la Croix du Seigneur est précisément le chemin qui porte du fruit. Ainsi, dirais-je, avant de parler aux autres, nous devons nous-mêmes comprendre le mystère de la Croix.

Certes, le christianisme nous donne de la joie, parce que l’amour donne de la joie. Mais l’amour est toujours également un processus où l’on se perd soi-même et donc également un processus où l’on sort de soi-même ; en ce sens, c’est également un processus douloureux. Et c’est uniquement de cette manière qu’il nous fait mûrir et arriver à la joie véritable. Ceux qui affirment ou qui promettent une vie qui serait seulement joyeuse et confortable, mentent, parce cela n’est pas la vérité de l’homme ; la conséquence est que l’on doit ensuite se réfugier dans des paradis artificiels. Et ainsi on ne parvient pas à la joie mais bien plutôt à l’autodestruction.

Le christianisme nous annonce la joie, oui ; cette joie ne croît cependant que sur le chemin de l’amour et ce chemin de l’amour a un lien avec la Croix, avec la communion avec le Christ crucifié. Elle est représentée par le grain de blé tombé en terre. Lorsque nous commençons à comprendre et à accepter cela, chaque jour, parce que chaque jour nous impose quelque insatisfaction, quelque poids qui crée aussi de la douleur, lorsque nous acceptons cette école de la sequela du Christ, comme les Apôtres ont dû apprendre à cette école, alors nous devenons également capables d’aider les personnes qui souffrent.

Il est vrai que cela est toujours un peu difficile si une personne qui est plus ou moins en bonne santé ou dans de bonnes conditions doit en réconforter une autre frappée par un grand mal : que ce soit la maladie ou la perte de l’amour. Face à ces maux que nous connaissons tous, tout apparaît presque inévitablement uniquement rhétorique ou pathétique. Mais, dirais-je, si ces personnes sentent que nous sommes « com-patients », que nous voulons porter avec eux la Croix en communion avec le Christ, surtout en priant avec eux, en les assistant également avec un silence plein de sympathie, d’amour, en les aidant autant que nous pouvons, nous pouvons devenir crédibles.

Nous devons accepter, que peut-être dans un premier moment, nos paroles apparaissent comme de simples paroles. Mais si nous vivons réellement dans cet esprit de la vraie sequela de Jésus, nous trouvons également la manière d’être proches à travers notre sympathie. Sympathie, étymologiquement, signifie « com-passion » pour l’homme, en l’aidant, en priant, en créant ainsi la confiance que la bonté du Seigneur existe même dans la vallée la plus obscure. Nous pouvons ainsi ouvrir le cœur à l’Evangile du Christ lui-même, qui est le vrai consolateur ; ouvrir le cœur à l’Esprit Saint qui est appelé l’autre Consolateur, l’autre Paraclet, qui assiste, qui est présent.

Nous pouvons ouvrir le cœur non à nos paroles, mais au grand enseignement du Christ, à son être avec nous et aider ainsi à ce que la souffrance et la douleur deviennent réellement une grâce de maturité, de communion avec le Christ crucifié et ressuscité.

Voici la question d’un séminariste du diocèse de Rome, Claudio Fabbri, en 2ème année (2ème année de philosophie) et la réponse du pape :

Très Saint-Père, comment votre vie était-elle organisée au cours de la période de formation au sacerdoce, et quels intérêts cultiviez-vous ? En considérant l’expérience accomplie, quels sont les points cardinaux de la formation au sacerdoce ? En particulier, quelle place Marie y occupe-t-elle ?

Benoît XVI : Je pense que notre vie, dans notre séminaire de Freising, était articulée de manière semblable à la vôtre, même si je ne connais pas précisément votre horaire quotidien. On commençait, me semble-t-il, vers 6h30, ou 7h00, par une méditation d’une demi heure, durant laquelle chacun parlait avec le Seigneur en silence, cherchait à prédisposer son âme à la sainte liturgie. Puis la messe suivait, le petit-déjeuner et, ensuite, dans la matinée, les cours.

Dans l’après-midi, il y avait des séminaires, des moments d’étude, et puis à nouveau la prière commune. Le soir, il y avait ce qu’on appelle les « puncta », c’est-à-dire que le directeur spirituel ou le recteur du séminaire, plusieurs soirs, nous parlaient pour nous aider à trouver le chemin de la méditation, non pas en nous donnant une méditation déjà prête, mais des éléments qui pouvaient aider chacun à personnaliser les paroles du Seigneur qui auraient été l’objet de notre méditation.

Tel était le parcours quotidien ; puis, naturellement, il y avait les grandes fêtes avec une belle liturgie, de la musique… Mais, il me semble, et peut-être reviendrai-je sur cela à la fin, qu’il est très important qu’il y ait une discipline préexistante et ne pas devoir chaque jour, à nouveau, inventer ce qu’il faut faire, comment vivre ; il existe une règle, une discipline qui m’attend déjà et qui m’aide à vivre cette journée de manière organisée.

Maintenant, quant à mes préférences, je suivais naturellement avec attention, dans la mesure du possible, les leçons. Au début, au cours des deux premières années de philosophie, j’ai surtout été fasciné par la figure de saint Augustin, et puis aussi par le courant augustinien médiéval : saint Bonaventure et les grands franciscains, la figure de saint François d’Assise.

Ce qui me fascinait surtout c’était la grande humanité de saint Augustin, qui n’eut pas simplement la po
ssibilité de s’identifier avec l’Eglise, étant catéchumène dès le départ, mais qui dut en revanche lutter spirituellement pour trouver peu à peu l’accès à la Parole de Dieu, à la vie avec Dieu, jusqu’au grand « oui » prononcé à son Eglise.

Ce chemin si humain, où nous pouvons voir aujourd’hui aussi comment on commence à entrer en contact avec Dieu, comment toutes les résistances de notre nature doivent être analysées attentivement et doivent ensuite être canalisées pour arriver au grand « oui » au Seigneur. Ainsi, j’ai été conquis par sa théologie très personnelle, présentée en particulier sous forme de prédication. Cela est important, car au début Augustin voulait vivre une vie purement contemplative, écrire d’autres livres de philosophie… mais le Seigneur ne l’a pas voulu, il l’a fait prêtre et évêque et tout le reste de sa vie, de son œuvre, s’est ainsi développé substantiellement dans un dialogue avec un peuple très simple. D’une part, il dut toujours trouver personnellement la signification de l’Ecriture et, de l’autre, tenir compte de la capacité de ces personnes, de leur contexte de vie, et parvenir à un christianisme réaliste et en même temps profond.

Ensuite, l’exégèse était naturellement très importante pour moi : nous avons eu deux exégètes un peu libéraux, mais qui étaient toutefois de grands exégètes, réellement croyants, qui nous ont fascinés. Je peux dire que l’Ecriture Sainte était réellement l’âme de notre étude théologique : nous avons réellement vécu avec l’Ecriture Sainte et appris à l’aimer, à parler avec elle. J’ai déjà parlé de la patrologie, de la rencontre avec les Pères. Notre professeur de dogmatique était aussi une personne alors très célèbre, sa dogmatique était nourrie par les Pères et la liturgie. Un point très central était pour nous la formation liturgique : à cette époque, il n’y avait pas encore de chaire de Liturgie, mais notre professeur de pastorale nous a donné de grands cours de liturgie. A l’époque, il était aussi Recteur du séminaire, ainsi la liturgie vécue et célébrée et la liturgie enseignée et pensée allaient de pair. Avec l’Ecriture Sainte, il s’agissait là des points fondamentaux de notre formation théologique. Je suis toujours reconnaissant de cela au Seigneur, car ensemble ils sont réellement le centre d’une vie sacerdotale.

Un autre intérêt était constitué par la littérature : il était obligatoire de lire Dostoïevski – il était à la mode à l’époque –, puis il y avait les grands français : Claudel, Mauriac, Bernanos, mais aussi la littérature allemande ; il y avait également une édition allemande de Manzoni : à l’époque je ne parlais pas italien. Nous avons ainsi un peu formé, dans ce sens, notre horizon humain. Nous avions également un grand amour pour la musique, ainsi que pour la beauté de la nature de notre terre. Avec ces préférences, ces réalités, sur un chemin souvent difficile, je suis allé de l’avant. Le Seigneur m’a aidé à arriver jusqu’au « oui » du sacerdoce, un « oui » qui m’a accompagné tous les jours de ma vie.

Voici la question d’un diacre du diocèse de Rome, Marco Ceccarelli, qui sera ordonné prêtre le 29 avril, et la réponse du pape :

Votre Sainteté, dans les prochains mois, mes compagnons et moi serons ordonnés prêtres. Nous passerons de la vie bien structurée par les règles du séminaire, à la situation bien plus complexe de nos paroisses. Quels conseils pouvez-vous nous donner pour vivre au mieux le début de notre ministère sacerdotal ?

Benoît XVI : Bien sûr, ici au séminaire vous avez une vie bien structurée. Je dirais, pour commencer, qu’il est important également dans la vie de pasteurs de l’Eglise, dans la vie quotidienne du prêtre, de conserver, autant que possible, un certain ordre : que la messe ne manque jamais. Sans l’Eucharistie, une journée est incomplète et c’est pourquoi nous grandissons déjà au séminaire avec cette liturgie quotidienne ; il me semble très important que nous sentions le besoin d’être avec le Seigneur dans l’Eucharistie, qui ne doit pas être un devoir professionnel, mais réellement un devoir ressenti de l’intérieur. Que l’Eucharistie ne manque jamais.

L’autre point important est de prendre le temps pour la Liturgie des Heures et ainsi pour cette liberté intérieure : avec tous les poids qui existent, elle nous libère et elle nous aide également à être plus ouverts et à demeurer en contact profond avec le Seigneur. Naturellement nous devons faire tout ce qu’impose la vie pastorale, la vie d’un vicaire, d’un curé ou des autres tâches sacerdotales. Mais je dirais, ne jamais oublier ces repères que sont l’Eucharistie et la Liturgie des Heures, afin d’avoir dans la journée un certain ordre que, comme je l’avais dit en commençant, je ne dois pas toujours réinventer. Serva ordinem et ordo servabit te, avons-nous appris. Cela est vrai.

Il est également important de ne pas perdre la communion avec les autres prêtres, les compagnons de route et de ne pas perdre le contact personnel avec la Parole de Dieu, la méditation. Comment faire ? J’ai pour ma part une recette relativement simple : combiner la préparation de l’homélie dominicale avec la méditation personnelle, pour faire en sorte que ces paroles ne soient pas dites seulement aux autres, mais qu’elles soient réellement des paroles dites par le Seigneur à moi-même, et mûries dans un entretien personnel avec le Seigneur. Pour que cela soit possible, mon conseil est de commencer dès le lundi, parce que si l’on commence le samedi il est trop tard, la préparation est faite trop rapidement, et peut-être l’inspiration manque, parce que l’on a d’autres choses en tête. C’est pourquoi, je dirais, dès le lundi, lire simplement les lectures du dimanche suivant qui peuvent peut-être sembler assez inaccessibles. Un peu comme ces pierres de Massa et Meriba, où Moïse dit : « Ferons-nous jaillir de l’eau de ce rocher ? ».

Laissons-les là, laissons que le cœur les digère, ces lectures ; dans le subconscient, les paroles travaillent et chaque jour reviennent un peu. Bien sûr il faudra aussi consulter des livres, dans la mesure du possible. Et à travers cette intense activité intérieure, jour après jour, l’on s’aperçoit qu’une réponse mûrit peu à peu ; cette parole s’ouvre peu à peu, elle devient parole pour moi. Et puisque je suis un contemporain, cette parole devient également une parole pour les autres. Je peux ensuite commencer à traduire ce que peut-être je vois dans mon langage théologique dans le langage des autres ; la pensée fondamentale demeure toutefois la même pour les autres et pour moi.

Ainsi l’on peut avoir une rencontre permanente, silencieuse avec la Parole, qui ne demande par beaucoup de temps, ce dont peut-être nous ne disposons pas. Mais réservez un peu de temps : ainsi mûrit non seulement une homélie pour le dimanche, pour les autres, mais mon propre cœur est touché par la Parole du Seigneur. Je demeure également en contact avec une situation où le temps à disposition est peut-être réduit.

Je n’oserais pas à présent donner trop de conseils, parce que la vie dans la grande ville de Rome est un peu différente de celle que j’ai vécue il y a cinquante-cinq ans dans notre Bavière. Mais je pense que l’essentiel est précisément là : Eucharistie, Office des Lectures, prière et entretien, même bref, chaque jour, avec le Seigneur, sur ses Paroles que je dois annoncer. Et ne jamais perdre, d’une part, l’amitié avec les prêtres, l’écoute de la voix de l’Eglise vivante et, naturellement, la disponibilité pour les personnes qui me sont confiées, parce que c’est précisément à travers ces personnes, avec leurs souffrances, leurs expériences de foi, leurs doutes et difficultés, que nous pouvons nous aussi apprendre, chercher et trouver Dieu. Trouver notre Seigneur Jésus Christ.

© Copyright du texte original en italien : Librairie
Editrice Vaticane
Traduction réalisée par Zenit

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ZENIT Staff

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