Discours de Benoît XVI sur le « droit moral et naturel » (12 février)

A l’occasion du Congrès promu par l’Université du Latran

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ROME, Mardi 20 février 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte du discours que le pape Benoît XVI a prononcé lundi 12 février à l’occasion de sa rencontre au Vatican avec les participants au Congrès international promu par l’Université pontificale du Latran sur le thème : « Droit moral et naturel ».

* * *

Vénérés frères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce!
Eminents professeurs,
Mesdames et Messieurs!

C’est avec un plaisir particulier que je vous accueille au début des travaux de votre Congrès, au cours duquel vous vous consacrerez dans les prochains jours à un thème d’une grande importance pour le moment historique actuel, celui du droit moral naturel. Je remercie Mgr Rino Fisichella, Recteur magnifique de l’Université pontificale du Latran, pour les sentiments qu’il a exprimés dans son hommage avec lequel il a voulu introduire cette rencontre.

Il ne fait aucun doute que nous vivons une période de développement extraordinaire en ce qui concerne la capacité humaine de déchiffrer les règles et les structures de la matière et la domination de l’homme sur la nature, qui en découle. Nous voyons tous les grands bénéfices de ce progrès, ainsi que les menaces d’une destruction de la nature à cause de la force de nos actions. Il existe un autre danger, moins visible, mais non moins inquiétant: la méthode qui nous permet de connaître toujours plus à fond les structures rationnelles de la matière nous rend toujours moins capables de percevoir la source de cette rationalité, la Raison créatrice. La capacité de voir les lois de l’être matériel nous rend incapables de voir le message éthique contenu dans l’être, message appelé par la tradition lex naturalis, droit moral naturel. Il s’agit d’un terme qui est devenu aujourd’hui presque incompréhensible pour de nombreuses personnes, à cause d’un concept de nature non plus métaphysique, mais seulement empirique. Le fait que la nature, l’être même ne soit plus transparent pour un message moral, crée un sens de désorientation qui rend précaires et incertains les choix de la vie quotidienne. Naturellement, l’égarement frappe en particulier les générations les plus jeunes, qui doivent dans ce contexte effectuer des choix fondamentaux pour leur vie.

C’est précisément à la lumière de ces constatations qu’apparaît dans toute son urgence la nécessité de réfléchir sur le thème du droit naturel, et de retrouver sa vérité commune à tous les hommes. Ce droit, qu’évoque également l’apôtre Paul (cf. Rm 2, 14-15), est inscrit dans le cœur de l’homme et est par conséquent, aujourd’hui également, tout simplement accessible. Ce droit a comme principe premier et fondamental celui de «faire le bien et éviter le mal». Il s’agit d’une vérité dont l’évidence s’impose immédiatement à chacun. De ce droit découlent les autres principes plus particuliers, qui réglementent le jugement éthique sur les droits et les devoirs de chacun. C’est le cas du principe du respect pour la vie humaine, de sa conception jusqu’à son terme naturel, ce bien de la vie n’étant pas la propriété de l’homme, mais un don gratuit de Dieu. C’est le cas également du devoir de rechercher la vérité, présupposé nécessaire à toute maturation authentique de la personne. Une autre instance fondamentale du sujet est la liberté. En tenant compte, toutefois, du fait que la liberté humaine est toujours une liberté partagée par les autres, il est clair que l’harmonie des libertés ne peut être trouvée que dans ce qui est commun à tous: la vérité de l’être humain, le message fondamental de l’être même, la lex naturalis précisément. Et comment ne pas évoquer, d’une part, l’exigence de justice qui se manifeste dans le fait de donner unicuique suum, et, de l’autre, l’attente de solidarité qui alimente en chacun, spécialement chez les personnes en difficulté, l’espérance d’une aide de la part de ceux que le destin a favorisés? Dans ces valeurs s’expriment des normes inéluctables et coercitives qui ne dépendent pas de la volonté du législateur ni du consensus que les Etats peuvent y apporter. Il s’agit en effet de normes qui précèdent toute loi humaine: en tant que telles, elles n’admettent d’interventions ni de dérogations de la part de personne.

Le droit naturel est la source dont jaillissent, avec les droits fondamentaux, également les impératifs éthiques qu’il est nécessaire de respecter. Dans l’éthique et la philosophie actuelle du Droit, les postulats du positivisme juridique sont largement présents. La conséquence est que la législation ne devient souvent qu’un compromis entre divers intérêts: on tente de transformer en droits des intérêts privés ou des désirs qui s’opposent aux devoirs découlant de la responsabilité sociale. Dans cette situation, il est opportun de rappeler que toute ordonnancement juridique, tant sur le plan interne qu’international, tire en ultime analyse sa légitimité de son enracinement dans le droit naturel, dans le message éthique inscrit dans l’être humain lui-même. Le droit naturel est, en définitive, le seul rempart valable contre l’abus de pouvoir ou les pièges de la manipulation idéologique. La connaissance de ce droit inscrit dans le cœur de l’homme croît avec le développement de la conscience morale. C’est pourquoi, la première préoccupation de chacun, et en particulier de ceux qui ont des responsabilités publiques, devrait être de promouvoir le développement de la conscience morale. Tel est le progrès fondamental sans lequel tous les autres progrès finissent par ne pas être authentiques. Le droit inscrit dans notre nature est la véritable garantie offerte à chacun pour pouvoir vivre libre et respecté dans sa dignité. Ce qui a été dit jusqu’à présent possède des applications très concrètes si l’on se réfère à la famille, c’est-à-dire à la «communauté profonde de vie et d’amour que forme le couple, […] fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur» (cf. Const. past. Gaudium et spes, n. 49). A cet égard, le Concile Vatican II a répété de façon opportune que le mariage est une institution «que la loi divine confirme», et donc «en vue du bien des époux, des enfants et aussi de la société, ce lien sacré échappe à la fantaisie de l’homme» (ibid.). Aucune loi faite par les hommes ne peut donc renverser la norme inscrite par le Créateur, sans que la société ne soit dramatiquement blessée dans ce qui constitue son fondement de base même. L’oublier signifierait fragiliser la famille, pénaliser les enfants et rendre précaire l’avenir de la société.

Je ressens enfin le devoir de réaffirmer que tout ce qui est réalisable sur le plan scientifique n’est pas pour autant licite sur le plan éthique. La technologie, lorsqu’elle réduit l’être humain à un objet d’expérimentations, finit par abandonner le sujet faible à la volonté du plus fort. Se fier aveuglément à la technologie comme unique garante de progrès, sans offrir dans le même temps un code éthique qui plonge ses racines dans cette même réalité qui est étudiée et développée, reviendrait à porter atteinte à la nature humaine, avec des conséquences dévastatrices pour tous. La contribution des hommes de science est d’une importance primordiale. Outre le progrès de nos capacités de domination sur la nature, les scientifiques doivent également contribuer à nous aider à comprendre en profondeur notre responsabilité envers l’homme et la nature qui lui a été confiée. C’est sur cette base qu’il est possible de développer un dialogue fécond entre croyants et non-croyants; entre théologiens, philosophes, juristes et hommes de science, qui peuvent offrir également au législateur des éléments précieux pour la vie personnelle et sociale. Je souhaite donc que ces journées d’étude puissent non seulement conduire à une plus grande sensibilité des experts à l’égard du droit moral
naturel, mais qu’elles encouragent également à créer les conditions afin que l’on parvienne, sur ce thème, à une conscience toujours plus pleine de la valeur inaliénable que la lex naturalis possède pour un développement réel et cohérent de la vie personnelle et de l’ordre social. Avec ce vœu, je vous assure de mon souvenir dans la prière pour vous et pour votre engagement académique de recherche et de réflexion, tandis que je donne à tous avec affection ma Bénédiction apostolique.

L’Osservatore Romano en Langue Française, 20 février 2007 (cf. vatican.va, e-mail : ornet@ossrom.va)

© Copyright Librairie Editrice Vaticane

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ZENIT Staff

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