Epiphanie : Texte intégral de l’homélie de Benoît XVI

ROME, Lundi 8 janvier 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte de l’homélie que le pape Benoît XVI a prononcée lors de la messe qu’il a présidée dans la Basilique Saint-Pierre, le samedi 6 janvier, en la solennité de l’Epiphanie.

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Chers frères et sœurs,

Nous célébrons avec joie la solennité de l’Epiphanie, « manifestation » du Christ aux nations, qui sont représentées par les Mages, mystérieux personnages venus d’Orient. Nous célébrons le Christ, but du pèlerinage des peuples à la recherche du salut. Dans la première Lecture, nous avons écouté le prophète, inspiré par Dieu, contempler Jérusalem comme un phare de lumière qui, au milieu des ténèbres et des brumes de la terre, oriente le chemin de tous les peuples. La gloire du Seigneur resplendit sur la Ville sainte et attire tout d’abord ses enfants exilés et dispersés, mais en même temps les nations païennes également, qui viennent de toute part à Sion comme vers une patrie commune, l’enrichissant de leurs biens (cf. Is 60, 1-6). Dans la deuxième lecture nous a été reproposé ce que l’Apôtre Paul écrivait aux Ephésiens, c’est-à-dire que précisément la convergence des Juifs et des Païens, grâce à l’initiative pleine d’amour de Dieu, dans l’unique Eglise du Christ était le « mystère » manifesté dans la plénitude du temps, la « grâce » dont Dieu l’avait fait le ministre (cf. Ep 3, 2-3a.5-6). Tout à l’heure, dans la Préface, nous chanterons : « Aujourd’hui dans le Christ, lumière du monde /tu as révélé aux peuples le mystère du salut ».

Vingt siècles se sont écoulés depuis que ce mystère a été révélé et s’est réalisé dans le Christ, mais celui-ci n’est pas encore parvenu à son accomplissement. Mon bien-aimé prédécesseur Jean-Paul II, ouvrant son encyclique sur la mission de l’Eglise, a écrit que « au terme du deuxième millénaire après sa venue, un regard d’ensemble porté sur l’humanité montre que cette mission en est encore à ses débuts » (Redemptoris missio, n. 1). Plusieurs questions se posent alors spontanément : dans quel sens, aujourd’hui, le Christ est-il encore lumen gentium, lumière des nations ? A quel point se trouve — si l’on peut ainsi dire — cet itinéraire universel des peuples vers Lui ? Est-il dans une phase de progrès ou de recul ? Et encore : qui sont aujourd’hui les Mages ? Comment pouvons-nous interpréter, en pensant au monde actuel, ces mystérieuses figures évangéliques ? Pour répondre à ces interrogations, je voudrais revenir à ce que les Pères du Concile Vatican II dirent à ce propos. Et j’ai plaisir à ajouter que, immédiatement après le Concile, le Serviteur de Dieu Paul VI, il y a quarante ans, précisément le 26 mars 1967, consacra l’Encyclique Populorum progressio au développement des peuples.

En vérité, tout le Concile Vatican II fut inspiré par la volonté d’annoncer le Christ, lumière du monde, à l’humanité contemporaine. Au cœur de l’Eglise, à partir du sommet de sa hiérarchie, apparut de manière impérieuse, suscité par l’Esprit Saint, le désir d’une nouvelle épiphanie du Christ au monde, un monde que l’époque moderne avait profondément transformé et qui, pour la première fois dans l’histoire, se trouvait face au défi d’une civilisation mondiale, où le centre ne pouvait plus être l’Europe, pas plus que ce nous appelons l’Occident et le Nord du monde. Apparaissait l’exigence d’élaborer un nouvel ordre mondial politique et économique, mais, dans le même temps et surtout, spirituel et culturel ; c’est-à-dire un humanisme renouvelé. Cette constatation s’imposait avec une évidence croissante. Un nouvel ordre mondial économique et politique ne fonctionne pas s’il n’y a pas de renouveau spirituel, si nous ne pouvons pas nous approcher à nouveau de Dieu et trouver Dieu parmi nous. Avant le Concile Vatican II, des consciences éclairées et des penseurs chrétiens avaient déjà eu l’intuition de ce défi historique et l’avaient affronté. Eh bien, au début du troisième millénaire, nous nous trouvons au cœur de cette phase de l’histoire humaine, qui a désormais été classifiée autour du terme « mondialisation ». D’autre part, nous nous apercevons aujourd’hui à quel point il est facile de perdre de vue les termes de ce même défi, précisément parce que l’on est concerné par ce défi : un risque fortement renforcé par l’immense expansion des mass media, qui, d’une part, s’ils multiplient indéfiniment les informations, de l’autre, semblent affaiblir nos capacités de réaliser une synthèse critique. La solennité d’aujourd’hui peut nous offrir cette perspective, à partir de la manifestation d’un Dieu qui s’est révélé dans l’histoire comme lumière du monde, pour guider et introduire finalement l’humanité dans la terre promise, où règnent la liberté, la justice et la paix. Et nous voyons toujours davantage que nous ne pouvons pas promouvoir seuls la justice et la paix, si ne se manifeste pas à nous la lumière d’un Dieu qui nous montre son visage, qui nous apparaît dans la mangeoire de Bethléem, qui nous apparaît sur la Croix.

Qui sont donc les « Mages » d’aujourd’hui, et où en est leur « voyage » et notre « voyage » ? Chers frères et sœurs, revenons à ce moment de grâce spéciale que fut la conclusion du Concile Vatican II, le 8 décembre 1965, quand les Pères conciliaires adressèrent à l’humanité tout entière plusieurs « Messages ». Le premier était adressé « Aux gouvernants », le deuxième « Aux hommes de la pensée et de la science ». Il s’agit de deux catégories de personnes que, d’une certaine manière, nous pouvons voir représentées dans les figures évangéliques des Mages. Je voudrais ensuite en ajouter une troisième, à laquelle le Concile n’adressa pas de message, mais qui fut bien présente à son esprit dans la Déclaration conciliaire Nostra aetate. Je fais référence aux guides spirituels des grandes religions non chrétiennes. Plus de deux mille ans après, nous pouvons donc reconnaître dans les figures des Mages une sorte de préfiguration de ces trois dimensions constitutives de l’humanisme moderne : la dimension politique, la dimension scientifique et la dimension religieuse. L’Epiphanie nous le montre dans un état de « pèlerinage », c’est-à-dire dans un mouvement de recherche, souvent un peu confuse, qui, en définitive, possède son point d’arrivée dans le Christ, même si parfois l’étoile se cache. Dans le même temps, elle nous montre Dieu qui, à son tour, est en pèlerinage vers l’homme. Ce n’est pas seulement le pèlerinage de l’homme vers Dieu ; Dieu lui-même s’est mis en marche vers nous : en effet, qui est Jésus, sinon Dieu qui est sorti, pour ainsi dire, de lui-même pour venir à la rencontre de l’humanité ? Par amour, Il s’est fait histoire dans notre histoire ; par amour, il est venu nous apporter le germe de la vie nouvelle (cf. Jn 3, 3-6) et la semer dans les sillons de notre terre, afin qu’elle germe, qu’elle fleurisse et qu’elle porte du fruit.

Je voudrais aujourd’hui faire miens ces Messages conciliaires, qui n’ont rien perdu de leur actualité. Comme par exemple là où, dans le Message adressé aux gouvernants, on peut lire : « C’est à vous qu’il revient d’être sur terre les promoteurs de l’ordre et de la paix entre les hommes. Mais, ne l’oubliez pas : c’est Dieu, le Dieu vivant et vrai, qui est le Père des hommes. Et c’est le Christ, son Fils éternel, qui est venu nous le dire et nous apprendre que nous sommes tous frères. C’est lui, le grand artisan de l’ordre et de la paix sur la terre, car c’est lui qui conduit l’histoire humaine et qui seul peut conduire les cœurs à renoncer aux passions mauvaises qui engendrent la guerre et le malheur ». Comment ne pas reconnaître dans ces paroles des Pères conciliaires la trace lumineuse d’un chemin qui, seul, peut transformer l’histoire des nations et du monde ? Et encore, dans le « Message aux hommes de la pensée et de la science », nous lisons : « Continuez à chercher sans vous lasser, sans désespérer jamais de la vérité ! » — tel est, en effet, le grand danger : perdre intérêt pour la vérité et chercher seulement l’action, l’efficacité, le pragmatisme ! — « R
appelez-vous, continuent les Pères conciliaires, la parole d’un de vos grands amis, saint Augustin : « Cherchons avec le désir de trouver et trouvons avec le désir de chercher encore ». Heureux ceux qui, possédant la vérité, continuent de la chercher, pour la renouveler, pour l’approfondir, pour l’offrir aux autres. Heureux ceux qui, ne l’ayant pas trouvée, marchent vers elle d’un cœur sincère : qu’ils cherchent la lumière de demain avec les lumières d’aujourd’hui, jusqu’à la plénitude de la lumière !».

Voilà ce qui était dit dans les deux Messages conciliaires. Aux chefs des peuples, aux chercheurs et aux scientifiques, il est aujourd’hui plus que jamais nécessaire d’ajouter les représentants des grandes traditions religieuses non chrétiennes, en les invitant à se confronter à la lumière du Christ, qui n’est pas venu pour abolir, mais pour mener à bien ce que la main de Dieu a inscrit dans l’histoire religieuse des civilisations, en particulier dans les « grandes âmes », qui ont contribué à édifier l’humanité par leur sagesse et leurs exemples de vertu. Le Christ est lumière, et la lumière ne peut pas obscurcir, mais seulement illuminer, éclairer, révéler. Que personne n’ait donc peur du Christ et de son message ! Et si, au cours de l’histoire, les chrétiens, qui sont des hommes limités et pécheurs, ont parfois pu le trahir par leurs comportements, cela met encore davantage en évidence que la lumière est le Christ et que l’Eglise ne la reflète qu’en restant unie à Lui.

« Nous avons vu l’étoile en Orient et nous sommes venus pour adorer le Seigneur » (Acclamation à l’Evangile, cf. Mt 2, 2). Ce qui chaque fois nous étonne, en écoutant ces paroles des Mages, est que ces derniers se prosternèrent en adoration devant un petit enfant dans les bras de sa mère, non pas dans le cadre d’un palais royal, mais dans la pauvreté d’une bergerie à Bethléem (cf. Mt 2, 11). Comment cela a-t-il été possible ? Qu’est-ce qui a convaincu les Mages que cet enfant était « le roi des Juifs » et le roi des peuples ? Ils ont certainement été persuadés par le signe de l’étoile, qu’ils avaient vu « se lever » et qui s’était arrêtée précisément au-dessus du lieu où se trouvait l’Enfant (cf. Mt 2, 9). Mais même l’étoile n’aurait pas suffi, si les Mages n’avaient pas été des personnes profondément ouvertes à la vérité. A la différence du roi Hérode, absorbé par son intérêt pour le pouvoir et la richesse, les Mages étaient tendus vers l’objectif de leur recherche, et lorsqu’ils le trouvèrent, bien qu’ils fussent des hommes cultivés, ils se comportèrent comme les bergers de Bethléem : ils reconnurent le signe et adorèrent l’Enfant, en lui offrant les dons précieux et symboliques qu’ils avaient apportés avec eux.

Chers frères et sœurs, arrêtons-nous nous aussi en esprit face à l’icône de l’adoration des Mages. Celle-ci contient un message exigeant et toujours actuel. Exigeant et toujours actuel en particulier pour l’Eglise qui, se reflétant en Marie, est appelée à montrer Jésus aux hommes, rien d’autre que Jésus. En effet, Il est Tout et l’Eglise n’existe que pour rester unie à Lui et le faire connaître au monde. Que la Mère du Verbe incarné nous aide à être des disciples dociles de son Fils, Lumière des nations. L’exemple des Mages d’alors constitue également une invitation pour les Mages d’aujourd’hui à ouvrir les esprits et les cœurs au Christ et à lui offrir les dons de leur recherche. A eux, à tous les hommes de notre temps, je voudrais aujourd’hui répéter : n’ayez pas peur de la lumière du Christ ! Sa lumière est la splendeur de la vérité. Laissez-vous illuminer par Lui, peuples de toute la terre ; laissez-vous envelopper par son amour et vous trouverez le chemin de la paix. Ainsi soit-il.

© Copyright du texte original en italien : Librairie Editrice Vaticane
Traduction réalisée par Zenit

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ZENIT Staff

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