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A ce point, je ne peux pas taire mon inquiétude au sujet des lois sur les unions de fait. Beaucoup de ces couples ont choisi cette voie car, — au moins pour le moment — ils ne se sentent pas en mesure d’accepter la coexistence juridiquement organisée et contraignante du mariage. Ils préfèrent ainsi rester dans un simple état de fait. Lorsque de nouvelles formes juridiques qui relativisent le mariage sont créées, la renonciation au lien définitif obtient, pour ainsi dire, également un sceau juridique. Dans ce cas, se décider, pour ceux qui ont déjà du mal, devient encore plus difficile. S’ajoute ensuite, pour l’autre forme de couples, la relativisation de la différence des sexes. Ainsi, que ce soit un homme et une femme qui se mettent ensemble, ou deux personnes du même sexe revient au même. Ceci est une confirmation tacite des théories funestes qui ôtent toute importance à l’aspect masculin ou féminin de la personne humaine, comme s’il s’agissait d’un fait purement biologique : des théories selon lesquelles l’homme — c’est-à-dire son intellect et sa volonté — déciderait de manière autonome de ce qu’il est ou n’est pas. Il y a là une dépréciation de l’aspect corporel, qui a pour conséquence que l’homme, en voulant s’émanciper de son corps — de la « sphère biologique » — finit par se détruire lui-même. Si l’on nous dit que l’Eglise ne devrait pas s’ingérer dans ces affaires, alors nous ne pouvons que répondre : l’homme ne nous intéresse-t-il pas ? Les croyants, en vertu de la grande culture de leur foi, n’ont-ils pas le droit de se prononcer sur tout cela ? N’est-ce pas plutôt leur — nôtre — devoir d’élever la voix pour défendre l’homme, cette créature qui, précisément dans l’unité inséparable de son corps et de son âme, est l’image de Dieu ? Le voyage à Valence est devenu pour moi un voyage à la recherche de ce que signifie être un homme.
Nous poursuivons en esprit vers la Bavière, Munich, Altötting, Ratisbonne, Freising. Là j’ai pu vivre des journées d’une beauté inoubliable de rencontre avec la foi et avec les fidèles de mon pays. Le grand thème de mon voyage en Allemagne était Dieu. L’Eglise doit parler de tant de choses : de toutes les questions liées à l’être humain, sa propre structure et sa propre organisation. Mais son véritable thème et — sous certains aspects — unique est « Dieu ». Et le grand problème de l’Occident est l’oubli de Dieu : c’est un oubli qui se diffuse. En définitive, je suis convaincu que tous les problèmes particuliers sont liés à cette question. C’est pourquoi, au cours de ce voyage mon intention principale était de bien mettre en lumière le thème « Dieu », me rappelant du fait que dans certaines parties de l’Allemagne vit une majorité de personnes qui ne sont pas baptisées, pour lesquelles le christianisme et le Dieu de la foi semblent appartenir au passé. En parlant de Dieu, nous abordons aussi précisément le thème qui, dans la prédication terrestre de Jésus, constituait son intérêt central. Le thème de cette prédication est le règne de Dieu, le « Royaume de Dieu ». Ceci n’exprime pas quelque chose qui adviendra un jour, dans un avenir indéterminé. Ceci n’indique pas non plus le monde meilleur que nous cherchons à créer petit à petit, avec nos propres forces. Dans le terme « Règne de Dieu » la parole « Dieu » est un génitif subjectif. Ce qui signifie que Dieu n’est pas un ajout au « Royaume » que l’on pourrait peut-être même laisser de côté. Dieu est le sujet. Royaume de Dieu signifie en réalité : Dieu règne. Il est lui-même présent et il est déterminant pour les hommes dans le monde. Il est le sujet, et là où ce sujet manque il ne reste rien du message de Jésus. C’est pourquoi Jésus nous dit : le Royaume de Dieu ne vient pas de façon à ce que l’on puisse, pour ainsi dire, se mettre sur le côté de la route et observer son arrivée. « Il est parmi vous ! » (Lc 17, 20sq). Il se développe là où est accomplie la volonté divine. Il est présent là où se trouvent des personnes qui s’ouvrent à son arrivée et laissent ainsi entrer Dieu dans le monde. C’est pourquoi Jésus est le Royaume de Dieu en personne : l’homme à travers lequel Dieu est parmi nous et à travers lequel nous pouvons toucher Dieu, nous approcher de Dieu. Là où cela se produit, le monde se sauve.
Au thème de Dieu étaient et sont liés deux thèmes qui ont marqué les journées de la visite en Bavière : le thème du sacerdoce et celui du dialogue. Paul appelle Timothée — et à travers lui l’évêque et, en général le prêtre — « homme de Dieu » (1 Tm 6, 11). Tel est le devoir central du prêtre : apporter Dieu aux hommes. Certes, il ne peut le faire que si lui-même vient de Dieu, s’il vit avec et de Dieu. Cela est exprimé de façon merveilleuse dans un verset d’un Psaume sacerdotal que nous — l’ancienne génération — avons prononcé au cours de l’admission à l’état clérical : « Yahvé, ma part d’héritage et ma coupe, c’est toi qui garantis mon lot » (Ps 16 [15], 5). L’orant-prêtre de ce Psaume interprète son existence à partir de la forme de la distribution du territoire établie dans le Deutéronome (cf. 10, 9). Après la prise de possession de la Terre, chaque tribu obtient par tirage au sort sa portion de la Terre sainte et prend ainsi part au don promis par le chef de lignée Abraham. Seule la tribu de Lévi ne reçoit aucun terrain : sa terre est Dieu lui-même. Cette affirmation avait certainement une signification tout à fait pratique. Les prêtres ne vivaient pas, comme les autres tribus, de la culture de la terre, mais des offrandes. L’affirmation va cependant plus loin. Le véritable fondement de la vie du prêtre, le sol de son existence, la terre de sa vie est Dieu lui-même. Dans cette interprétation de l’Ancien Testament sur l’existence sacerdotale — une interprétation qui apparaît à plusieurs reprises également dans le Psaume 118 [119] — l’Eglise a vu, à juste titre, l’explication de ce que signifie la mission sacerdotale dans la sequela des Apôtres, dans la communion avec Jésus lui-même. Le prêtre peut et doit dire aujourd’hui également avec le Lévite : « Dominus pars hereditatis meae et calicis mei ». Dieu lui-même est ma part de terre, le fondement extérieur et intérieur de mon existence. Ce théocentrisme de l’existence sacerdotale est nécessaire précisément dans notre monde totalement fonctionnel, dans lequel tout est basé sur des prestations qui peuvent être calculées et vérifiées. Le prêtre doit véritablement connaître Dieu de l’intérieur et l’apporter ainsi aux hommes : tel est le service prioritaire dont l’humanité a aujourd’hui besoin. Si, dans une vie sacerdotale, on perd l’aspect central de Dieu, le zèle de l’action disparaît peu à peu. Dans l’excès des choses extérieures, il manque le centre qui donne un sens à tout et le reconduit à l’unité. Il y manque le fondement de la vie, la « terre » sur laquelle tout cela peut demeurer et prospérer.
Au thème de Dieu étaient et sont liés deux thèmes qui ont marqué les journées de la visite en Bavière : le thème du sacerdoce et celui du dialogue. Paul appelle Timothée — et à travers lui l’évêque et, en général le prêtre — « homme de Dieu » (1 Tm 6, 11). Tel est le devoir central du prêtre : apporter Dieu aux hommes. Certes, il ne peut le faire que si lui-même vient de Dieu, s’il vit avec et de Dieu. Cela est exprimé de façon merveilleuse dans un verset d’un Psaume sacerdotal que nous — l’ancienne génération — avons prononcé au cours de l’admission à l’état clérical : « Yahvé, ma part d’héritage et ma coupe, c’est toi qui garantis mon lot » (Ps 16 [15], 5). L’orant-prêtre de ce Psaume interprète son existence à partir de la forme de la distribution du territoire établie dans le Deutéronome (cf. 10, 9). Après la prise de possession de la Terre, chaque tribu obtient par tir
age au sort sa portion de la Terre sainte et prend ainsi part au don promis par le chef de lignée Abraham. Seule la tribu de Lévi ne reçoit aucun terrain : sa terre est Dieu lui-même. Cette affirmation avait certainement une signification tout à fait pratique. Les prêtres ne vivaient pas, comme les autres tribus, de la culture de la terre, mais des offrandes. L’affirmation va cependant plus loin. Le véritable fondement de la vie du prêtre, le sol de son existence, la terre de sa vie est Dieu lui-même. Dans cette interprétation de l’Ancien Testament sur l’existence sacerdotale — une interprétation qui apparaît à plusieurs reprises également dans le Psaume 118 [119] — l’Eglise a vu, à juste titre, l’explication de ce que signifie la mission sacerdotale dans la sequela des Apôtres, dans la communion avec Jésus lui-même. Le prêtre peut et doit dire aujourd’hui également avec le Lévite : « Dominus pars hereditatis meae et calicis mei ». Dieu lui-même est ma part de terre, le fondement extérieur et intérieur de mon existence. Ce théocentrisme de l’existence sacerdotale est nécessaire précisément dans notre monde totalement fonctionnel, dans lequel tout est basé sur des prestations qui peuvent être calculées et vérifiées. Le prêtre doit véritablement connaître Dieu de l’intérieur et l’apporter ainsi aux hommes : tel est le service prioritaire dont l’humanité a aujourd’hui besoin. Si, dans une vie sacerdotale, on perd l’aspect central de Dieu, le zèle de l’action disparaît peu à peu. Dans l’excès des choses extérieures, il manque le centre qui donne un sens à tout et le reconduit à l’unité. Il y manque le fondement de la vie, la «terre» sur laquelle tout cela peut demeurer et prospérer.
Le célibat, qui vaut pour les évêques dans toute l’Eglise orientale et occidentale, et, selon une tradition qui remonte à une époque proche de celle des Apôtres, pour les prêtres en général dans l’Eglise latine, ne peut être compris et vécu en définitive qu’à partir de ce fondement. Les raisons uniquement pragmatiques, la référence à la plus grand disponibilité ne suffisent pas : cette plus grande disponibilité de temps pourrait facilement devenir également une forme d’égoïsme, qui s’épargne les sacrifices et les difficultés découlant de l’exigence de s’accepter et de se supporter réciproquement contenue dans le mariage; elle pourrait ainsi conduire à un appauvrissement spirituel ou à une dureté de cœur. Le véritable fondement du célibat ne peut être contenu que dans la phrase : Dominus pars — Tu es ma terre. Il ne peut être que théocentrique. Il ne peut signifier être privés d’amour, mais il doit signifier se laisser gagner par la passion pour Dieu, et apprendre ensuite, grâce à une présence plus intime à ses côtés, à servir également les hommes. Le célibat doit être un témoignage de foi : la foi en Dieu devient concrète dans la forme de vie qui a un sens uniquement à partir de Dieu. Placer sa vie en Lui, en renonçant au mariage et à la famille signifie que j’accueille et que je fais l’expérience de Dieu comme réalité et que je peux donc l’apporter aux hommes. Notre monde devenu totalement positiviste, dans lequel Dieu entre en jeu tout au plus comme une hypothèse, mais non comme une réalité concrète, a besoin de s’appuyer sur Dieu de la façon la plus concrète et radicale possible. Il a besoin du témoignage de Dieu qui réside dans la décision d’accueillir Dieu comme terre sur laquelle se fonde notre existence. C’est pourquoi notre célibat est si important aujourd’hui, dans notre monde actuel, même si son application à notre époque est constamment menacée et remise en question. Une préparation attentive est nécessaire au cours du chemin vers cet objectif ; de même qu’un accompagnement permanent de la part de l’évêque, d’amis prêtres et de laïcs, qui soutiennent ensemble ce témoignage sacerdotal. Il faut une prière qui invoque sans cesse Dieu comme le Dieu vivant et qui s’appuie sur Lui dans les moments de confusion comme dans les moments de joie. De cette façon, contrairement à la tendance culturelle qui cherche à nous convaincre que nous ne sommes pas capables de prendre de telles décisions, ce témoignage peut être vécu et ainsi, dans notre monde, il peut remettre en jeu Dieu comme réalité.
Fin de la deuxième partie
© Copyright du texte original en italien : Libreria Editrice Vaticana
Traduction réalisée par Zenit