ROME, Lundi 4 décembre 2006 (ZENIT.org) – « Les Origines apostoliques du célibat ecclésiastique », c’est le titre de l’étude du P. Christian Cochini, sj, publiée aux éditions Ad Solem (www.ad-solem.com) et qui sera présentée demain à Rome, au séminaire français. Nous publierons demain le second volet de cet entretien accordé à Zenit.
Le P. Christian Cochini est né à Marseille en 1929. Il est entré dans la Compagnie de Jésus en 1958 et il a soutenu sa thèse de théologie en 1969 devant le Jury de la Faculté de théologie de Paris présidé par le cardinal Daniélou. Il est actuellement en Chine, à Macau, engagé dans le dialogue interreligieux avec les communautés bouddhistes du continent chinois.
Zenit : P. Cochini, vous publiez un livre sur l’origine apostolique du célibat ecclésiastique. Or le fait que l’Eglise catholique latine choisisse ses prêtres parmi des hommes dont le charisme du célibat est vérifié est justement souvent contesté par qui prétend que le célibat sacerdotal est une invention…médiévale !
P. Cochini : L’ouvrage publié aujourd’hui aux éditions Ad Solem est la réédition, augmentée d’une préface du cardinal Castrillon Hoyos, de mon livre sur Les Origines apostoliques du célibat ecclésiastique, publié pour la première fois en 1981 chez Lethielleux. Il a été jugé utile de le republier parce que la question des origines, c’est-à-dire la question historique, est aujourd’hui au centre du débat. Il est frappant, en effet, de voir la quantité de livres ou d’articles qui contestent la discipline de l’Eglise latine concernant le célibat obligatoire des clercs en arguant de l’origine tardive de la loi. Certains, comme vous le dites, y voient une invention médiévale, en se référant au 2ème concile du Latran de 1139, mais ils sont de moins en moins nombreux, car l’argument ne résiste pas à une simple lecture du texte conciliaire : le document du Latran n’établit pas l’obligation du célibat, mais frappe de nullité tout mariage contracté par un clerc déjà ordonné. En revanche, la critique basée sur le concile d’Elvire des années 300, le premier en date des synodes faisant état d’une obligation de continence parfaite pour les membres du clergé supérieur, ainsi que sur l’existence de nombreux évêques, prêtres et diacres mariés au cours des premiers siècles de l’Eglise, est certainement à prendre en compte.
C’est un argument très sérieux, car il oblige la réflexion théologique à vérifier sa cohérence avec l’histoire. Dans son encyclique sur le célibat, Paul VI écrivait : « Jésus, qui choisit les premiers ministres du salut, qui les voulut initiés à l’intelligence des mystères du royaume des cieux, coopérateurs de Dieu à un titre très spécial et ses ambassadeurs, et qui les appela amis et frères, pour lesquels il s’est sacrifié lui-même afin qu’ils fussent consacrés en vérité, a promis une récompense surabondante à quiconque aura abandonné maison, famille, épouse et enfants pour le royaume de Dieu. » C’était reconnaître par là même l’importance exceptionnelle de l’exemple des apôtres dans la genèse de la pratique du célibat. Car comment concevoir que ces « amis et frères du Seigneur » n’aient pas été les premiers à vivre ce mode privilégié d’imitation du Christ qu’est le renoncement à « famille, épouse et enfants pour le royaume de Dieu », et qui sera demandé par l’Eglise à ses prêtres.
Et si eux ne l’ont pas été, si ceux d’entre eux qui, comme saint Pierre, étaient mariés, ont continué à mener la vie conjugale, comment fonder la théologie sous-jacente à la loi du célibat sur des bases qui soient absolument incontestables ? Les théologiens des siècles passés en avaient conscience. C’est ce qui faisait dire, par exemple, au jésuite François Zaccaria, auteur de plusieurs ouvrages remarquables sur le célibat au XIXème siècle, que l’avenir de la loi sur le célibat sacerdotal dépendait, en un certain sens, de la connaissance de ses origines et de son évolution ; une conviction, ajoutait-il, qui l’animait dans ses recherches. Qu’en a t-il donc été des apôtres, et qu’en a t-il été de leurs successeurs pendant les premiers siècles ? La réponse à cette question incontournable, c’est la tradition primitive de l’Eglise qui l’éclaire, par la notion de « continence parfaite » . C’est là, si j’ose dire, la clé d’interprétation de l’histoire vécue dès le temps des apôtres par les ministres du Christ. J’ai été pour ma part conduit fortuitement à la redécouvrir lorsque, voici maintenant plus de 40 ans, je mettais en chantier ma thèse de théologie.
Un canon du concile de Carthage de l’an 390 attira mon attention, car il y était dit ceci : « il convient que les saints évêques et les prêtres de Dieu, ainsi que les lévites, c’est-à-dire ceux qui sont au service des sacrements divins, observent une continence parfaite, afin de pouvoir obtenir en toute simplicité ce qu’ils demandent à Dieu ; ce qu’enseignèrent les apôtres, et ce que l’antiquité elle-même a observé, faisons en sorte, nous aussi, de le garder. » S’il n’y eut pas de loi sur le célibat proprement dit aux origines, étant donné que nombre d’évêques, de prêtres et de diacres étaient mariés, comme l’avaient été saint Pierre et peut-être d’autres apôtres, il y avait donc par contre une tradition ferme, remontant à l’âge apostolique, pour demander aux clercs liés par le sacrement du mariage l’observation de la continence parfaite à dater du jour de leur ordination. Je me suis attaché à démontrer dans ma thèse, puis dans mon livre, autant qu’il pouvait se faire, que cette tradition avait bien été celle de l’Eglise des origines, tant en Orient qu’en Occident, et ce jusqu’à la fin du 7ème siècle. Je n’ai pas la prétention de croire que le débat sera clos pour autant.
Mais les conclusions identiques auxquelles sont parvenus l’éminent canoniste qu’est le cardinal Alfonse Marie Stickler, et les excellents travaux du théologien ukrainien Roman Cholij, du patrologue allemand Stefan Heid, et d’autres, me paraissent autoriser un pronostic optimiste. Le courant principal de la recherche, aujourd’hui, s’oriente de plus en plus vers ce point alpha des origines de la continence parfaite des clercs qu’a été le Seigneur lui-même, et, à sa suite, le collège des apôtres. J’aimerais aussi rappeler le témoignage du cardinal Newman qui va dans le même sens : « Il y avait aussi, écrit-il, le zèle avec lequel l’Eglise romaine maintenait la doctrine et la règle du célibat, que je reconnaissais comme apostolique, et sa fidélité à bien d’autres coutumes de l’Eglise primitive qui m’étaient chères ; tout ceci plaidait en faveur de la grande Eglise romaine. »
Zenit : C’est au moment du diaconat que le candidat au sacerdoce opte pour le célibat perpétuel. Le diaconat aussi a une origine apostolique…
P. Cochini : Depuis le Concile Vatican II, l’Eglise latine a rétabli le diaconat « en tant que degré propre et permanent de la hiérarchie » (LG 29), et le considère à juste titre comme un « enrichissement important pour la mission de l’Eglise. » On a par conséquent aujourd’hui dans l’Eglise deux catégories de diacres : les candidats à l’ordination sacerdotale, pour lesquels le diaconat n’est en quelque sorte qu’une étape intermédiaire, et les diacres « permanents ». Aux premiers, il est demandé de s’engager librement, mais définitivement, dans le célibat, conformément à la pratique séculaire de l’Eglise. Dans le texte du concile de Carthage que j’ai cité tout à l’heure, on peut voir, en effet, que les « lévites », c’est-à-dire les diacres, sont tenus à la continence parfaite, au même titre que les é
vêques et les prêtres, car ils sont comme eux « au service des sacrements divins ». Dans tous les textes conciliaires des premiers siècles relatifs à cette question, -et qu’on pourra trouver cités dans mon livre-, les diacres sont toujours associés aux évêques et aux prêtres, et de ce fait liés par la même obligation. Quant aux « diacres permanents », il est important de noter plusieurs points : les célibataires ordonnés sont soumis à la loi du célibat, et ne sont pas autorisés à se marier par la suite ; de même pour les diacres qui ont eu le malheur de perdre leur femme ; devenus veufs, il ne leur est pas permis de se remarier ; enfin, les diacres mariés qui vivent avec leur épouse sont invités à donner le témoignage d’un « amour qui grandit grâce à la vertu de chasteté, qui fleurit toujours…dans l’apprentissage du respect pour le conjoint et dans la pratique d’une certaine continence ». (Normes fondamentales pour la formation des diacres permanents).
Zenit : Dans l’Eglise orientale, les prêtres sont aussi choisis parmi des hommes mariés. C’est souvent un argument pour le « mariage des prêtres »…Pouvez-vous expliquer la différence ?
P. Cochini : L’argument est en effet souvent invoqué de nos jours, et ne pèse pas peu sur la décision de certains prêtres qui quittent le ministère. Là aussi, l’histoire joue un rôle important, dans la mesure où il est généralement admis que la tradition des Eglises orientales remonte aux temps apostoliques, tandis que celle de l’Eglise latine ne serait apparue que bien plus tard. Or, c’est précisément ce point que les recherches actuelles sur les origines du célibat remettent en question. Je voudrais d’abord relire avec vous un passage de l’encyclique de Paul VI : « Si la législation de l’Eglise Orientale en matière de discipline du célibat ecclésiastique est différente, selon ce qui fut finalement établi par le Concile » in Trullo » de 692 et ouvertement reconnu par le second Concile du Vatican, cela est dû aussi à des circonstances historiques différentes et propres à cette partie très noble de l’Eglise : à cette situation spéciale, le Saint Esprit a providentiellement et surnaturellement adapté son assistance. » Le Concile in Trullo (c’est-à-dire tenu « sous la Coupole » du palais impérial de Justinien), encore appelé Quinisexte, est effectivement le dernier mot de la discipline de l’Eglise orientale en matière de célibat des clercs. Rappelons-la en deux mots : les évêques sont choisis parmi les célibataires, et ne peuvent pas se marier ; les prêtres ne peuvent ni se marier, ni se remarier, après leur ordination, mais peuvent continuer la vie conjugale s’ils se sont mariés auparavant ; il leur est toutefois demandé de s’abstenir des relations sexuelles avant la célébration de l’Eucharistie. Tenu à la fin du 7ème siècle, le concile in Trullo se réclame d’une tradition apostolique, mais, et c’est ici le coeur du problème, en se référant précisément à ce concile de Carthage de 390, dont nous savons qu’il demande des ministres de l’autel une « continence parfaite ». Faisant une lecture différente du même texte, les Pères orientaux décident que « les sous-diacres,…, les diacres et les prêtres aussi, s’abstiennent de leurs femmes pendant les périodes qui leur sont particulièrement (assignées ) » Ainsi, la mention des évêques a disparu, et la continence demandée aux clercs « qui touchent aux saints mystères » n’est plus que temporaire. A quoi est due cette lecture différente ? A une erreur de traduction, ou à une correction intentionnelle ? Il ne m’appartient pas de trancher. Le fait est qu’à partir de ce moment-là, la discipline de l’Eglise orientale se démarque de celle de l’Eglise encore une et indivise. Contrairement à une opinion encore trop répandue, l’analyse des textes relatifs à la question tend donc plutôt à inverser les positions, et à reconnaître à la tradition de l’Eglise latine une antiquité plus haute que celle de l’Eglise orientale. Mais, plutôt que de souligner les différences, il est important de remarquer les points importants de convergence. Comme l’indique encore Paul VI dans son encyclique : « Il ne sera pas inutile non plus d’observer qu’en Orient l’épiscopat est également réservé aux prêtres célibataires et que les prêtres, une fois ordonnés, ne peuvent plus se marier. D’où il apparaît en quel sens ces Eglises si respectables possèdent jusqu’à un certain point le principe du sacerdoce célibataire et celui d’une certaine convenance entre le célibat et le sacerdoce chrétien, dont les Evêques possèdent le couronnement et la plénitude. » Loin d’être un obstacle à l’oecuménisme, la discipline du célibat peut être un facteur de rapprochement, dans la mesure où l’Orient et l’Occident prennent conscience, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, de leur commun héritage.
A suivre…