L’Eglise catholique latine et sa Communauté de Constantinople

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De l’Empire latin d’Orient aux réformes de l’Empire ottoman (1204-1839)

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ROME, Vendredi 24 novembre 2006 (ZENIT.org) –
A la veille du voyage apostolique du pape Benoît XVI en Turquie (28 novembre – 1er décembre) nous proposons aux lecteurs de Zenit trois réflexions sur le thème de « L’Eglise catholique et sa communauté de Constantinople », par Rinaldo Marmara, Docteur de l’Université de Montpellier III, historien officiel du Vicariat apostolique d’Istanbul. La première réflexion s’intitule : « De l’Empire latin d’Orient aux réformes de l’Empire ottoman (1204-1839) ».

* * *

Les expéditions militaires, dites croisades, entreprises par les chrétiens d’Occident, habituellement à la demande du Pape, pour soustraire à la domination des musulmans la Terre sainte, débutèrent par l’appel du Pape Urbain II, le 27 novembre 1095 au cours du Concile de Clermont. Les croisades, au nombre de huit, s’achevèrent en 1291 par la prise de Saint-Jean-d’Acre, dernière grande forteresse, par les musulmans. Les colons croisés ainsi que les ordres militaires des Templiers et des Hospitaliers se réfugièrent à Chypre.

C’est la quatrième Croisade (1202-1204) qui retient particulièrement notre attention, par le fait même qu’elle se situe à l’origine de la fondation de l’Empire latin d’Orient. Décidée, dès 1198, par le Pape Innocent III, cette croisade fut prêchée par Foulques, curé de Neuilly-sur-Marne, et par le légat Pierre de Capoue. Boniface, marquis de Montferrat, Baudouin, comte de Flandre, et Henri Dandolo, doge de Venise, conduisirent cette quatrième Croisade qui, initialement dirigée contre l’Egypte, se caractérise par des conflits stratégiques entre le pape et les croisés. Ces derniers, pour équiper une flotte beaucoup plus importante au regard des moyens financiers dont ils disposaient, durent négocier avec Venise, malgré l’interdiction du Pape. Venise détourna l’objectif principal de la croisade à son profit, en faisant participer les croisés au siège de Zara.

Le prétendant au trône byzantin, le jeune Alexis, beau-frère du roi allemand Philippe de Souabe, gagna l’appui des croisés en échange de promesses très avantageuses. Toujours en dépit des instructions pontificales, les croisés prirent Constantinople le 17 juillet 1203 et remirent sur le trône Isaac II Ange pour qu’il régnât de concert avec son fils Alexis, couronné le 1er août 1203 sous le nom d’Alexis IV le Jeune (Ange). La discorde éclata bientôt entre les Grecs et les Latin, Alexis IV n’ayant pas pu tenir ses promesses. Une révolution permit, en janvier 1204, à Alexis V Ducas (Doukas) dit Murzuphle, de prendre le pouvoir, plaçant ainsi les croisés dans une situation très difficile qui se termina par un affrontement militaire. Après un siège assez bref, la ville fut prise d’assaut et pillée les 12 et 13 avril 1204. Ainsi l’Empire latin d’Orient remplaça l’Empire byzantin jusqu’à 1261, et Baudouin Ier, comte de Flandre, couronné le 16 mai 1204 en l’église Sainte-Sophie, fut le premier empereur.

Le couronnement de Baudouin Ier ayant donné un chef à l’Empire latin, il s’agissait d’organiser l’Eglise. Afin de prévenir toute querelle et toute division, les croisés décidèrent que le patriarche serait tiré de la nation à laquelle n’appartiendrait pas l’empereur, et que l’église de Sainte-Sophie Iui serait remise comme siège de son patriarcat. Ainsi, le sous-diacre Thomas Morosini, qui se trouvait alors à Venise, fut élu patriarche de Constantinople, à l’unanimité. L’Eglise byzantine, autrefois sans rang et sans siège, était élevé au patriarcat par l’Eglise romaine, et prenait le premier rang après celle-ci. Le Patriarcat latin, qui dura autant que l’Empire franco-vénitien, fut instauré avec la prise de Constantinople par les croisés (1204-1261).

Après le départ du patriarche latin Giustiniani, en 1261, le soin des catholiques de la capitale resta confié à des vicaires patriarcaux, simples prêtres, choisis ordinairement parmi les supérieurs des ordres religieux. Comme les Génois étaient alors tout-puissants dans leur communauté de Galata, l’Archevêque de Gênes garda sur les églises qui appartenaient à la « Comunità » de ses compatriotes l’autorité spirituelle. Il en aurait été ainsi jusqu’en 1453.

Avec la conquête latine, plusieurs églises, et des plus importantes, furent attribuées aux Latins. Pendant la courte durée de l’Empire latin d’Orient, des églises latines furent fondées aussi à Galata, face à Constantinople. Mais de cette période, il ne reste qu’un seul monument situé dans cette partie de la ville, connu aujourd’hui sous le nom d’Arap Camii, l’ancienne église dédiée à saint Paul, Saint-Dominique.

A peine né, l’Empire latin qui était en butte aux attaques des Bulgares et des Grecs révoltés, tombait dans une longue agonie. Baudouin 1er allait entreprendre le siège d’Andrinople, ville de Thrace entre les mains des rebelles, quand il tomba dans une embuscade et fut fait prisonnier par le roi de Bulgarie, Joanice dit Calojean, venu s’allier aux Grecs.

La reconquête grecque fut réalisée par Michel VIII Paléologue, empereur de Nicée, qui n’eut aucune peine à s’imposer à l’Empire latin. Constantinople fut prise dans la nuit du 25 au 26 juillet 1261 par l’armée de Michel VIII, commandée par le général Mélissène. Baudouin II s’enfuit avec tant de hâte que sa couronne, son sceptre et son épée furent trouvés sur le quai. Le patriarche Giustiniani suivit l’exemple du dernier empereur latin.

Entré à Constantinople le 14 août 1261, Michel VIII Paléologue observa avec fidélité ses engagements envers les Génois, bénéficiaires exclusifs de la reconquête byzantine, et leur remit le palais de Kalaman des Vénitiens. Les Génois, cédant à leur esprit de rivalité et de vengeance, démolirent le palais vénitien. Suite à cet événement et aussi au nombre croissant de Génois venus s’établir à Constantinople, Michel VIII, par mesure de sécurité, les confina d’abord à Héraclée de Thrace, puis à Péra, en face de Constantinople, la XIIIe région, sur le rocher de Galata.

Quant aux Vénitiens et aux Pisans, réduits à un petit nombre, ils restèrent à Constantinople dans la ville même, mais séparés les uns des autres.

Un nouveau traité fut conclu avec les Génois, le 16 mai 1352. Depuis lors cette colonie ne cessa d’étendre et de renforcer ses moyens de défense, entourant sa ville d’une enceinte fortifiée qui s’étendait depuis l’arsenal militaire jusqu’à Tophane, et se terminait en sa partie supérieure à la tour de Galata.

Parmi les sanctuaires latins de Galata avant la conquête ottomane, nous pouvons citer: l’église Sainte-Anne où étaient conservées les archives de la Communauté; l’église et l’hospice Saint-Antoine; le monastère Sainte-Catherine; le couvent et l’église Sainte-Claire; le couvent et l’église Saint-François où Mehmet II passa la nuit du 29 mai 1453 après avoir conquis Constantinople; Saint-Benoît et Sainte-Marie de la Miséricorde de la Citerne; Saint-Georges…

Quand, en 1261, Constantinople fut reprise par les Byzantins, Giustiniani, le dernier patriarche latin résident, fut obligé de quitter la ville avec Baudouin II. A partir de ce moment, bien que Venise eut une place secondaire à Constantinople, son patriarche garda des droits sur les églises qui lui appartenaient.

L’autorité de l’Archevêque de Gênes ne s’étendait que sur les églises de la « Comunità », car celles des Ordres religieux dépendaient de leurs supérieurs et du Saint-Siège.

Les chanoines de Sainte-Sophie suivirent le sort de leur patriarche et se retirèrent en «Chrétienté». Mais comme il restait encore des catholiques latins à Constantinople, les chanoines en exil continuèrent d’élire un patriarche en la personne de Pierre Ier, résidant en Crète. Ce dernier mourut en 1301. Son successeur fut Léonard. Mais en 1302, des chanoines en exil, il n’en restait plus qu’un seul, et Boniface VIII décida
que désormais la nomination du patriarche serait réservée au Souverain Pontife.

Les Papes continuèrent donc de nommer les patriarches titulaires du siège latin de Constantinople, qui n’étaient que de simples dignitaires de la cour pontificale, sans aucune juridiction locale. Quand une nouvelle autorité ecclésiastique fut établie, les vicaires patriarcaux, simples prêtres presque toujours choisis parmi les supérieurs des ordres religieux, remplacèrent les patriarches latins. Les vicaires patriarcaux tenaient leur juridiction du patriarche qui résidait à Venise ou dans les villes environnantes de Grade et d’Aquilée. Cette situation continua presque sans interruption pendant de longues années, même après la conquête ottomane de 1453.

La Communauté levantine ou latine de l’Empire byzantin est anéantie par la prise de Constantinople par les Turcs en 1453. Dès le lendemain de la conquête elle se reconstitue, pour la seconde fois de son histoire, mais en tenant compte, cette fois-ci, de deux éléments juridiquement différents qui la composent. A partir de ce moment, la Communauté latine, composée jusqu’à ce moment d’étrangers de différentes sujétions, se reforme autour des Latins ottomans et des Latins étrangers que nous désignons par le terme Levantins. Cette différence est visible au sein d’une même famille; les uns, sujets ottomans, sont restés sur place lors de la reddition du quartier génois de Galata, et les autres, de sujétion étrangère, ont choisi de fuir le pays et d’y revenir par la suite.

Après la chute de Constantinople survenue le 29 mai 1453, le faubourg de Galata des Génois capitula à son tour. Le podestat de Péra, Angelo Giovanni Lomellino, qui représentait le pouvoir central de Gênes, n’ayant pas voulu signer la capitulation, se retira et abandonna sa colonie à son propre sort. En remplacement de l’ancienne administration municipale, désorganisée par la conquête, une réunion de bourgeois de la colonie s’érigea en communauté. Ce nouveau corps, civil et religieux, prit le nom de «Magnifica Comunità di Pera» ou «Confrérie de Sainte-Anne». Le firman de Mehmet II aux Génois de Galata est l’acte de naissance de la Communauté latine ottomane. Vie sauve et nombreux privilèges ont été la récompense de la soumission des Génois à Mehmet II. Mais, en revanche, en perdant la qualité d’étranger, ils furent, comme tous les sujets tributaires de l’Empire ottoman, soumis à l’impôt personnel. Ce nouveau statut juridique privera ainsi les Latins ottomans de tous les avantages des Capitulations.

Les Génois de Galata qui n’avaient pas émigré (surtout à Chio) et qui s’étaient soumis au conquérant de leur propre gré, continuèrent d’habiter le même quartier, donnant ainsi naissance à la Communauté latine ottomane.

A ce premier fond de population génoise vint s’ajouter celle de Caffa (en Crimée), transportée à Constantinople à la suite de la conquête de cette colonie par les Turcs en 1475. Les Génois de Caffa furent installes au quartier désert de Salmatomruk, près d’Edirnekapi, qui prit le nom de Kefe mahallesi (quartier de Caffa). Deux églises leur furent accordées. Plus tard cette colonie déserta ce quartier isolé de Caffa pour celui de Galata. Les églises Saint-Nicolas et Sainte-Marie furent transformées en mosquées.

Au XVIe siècle, 44% de la Communauté latine était composée de Latins ottomans sujets de la Porte. Au fil des années, le pourcentage de la Communauté latine ottomane diminua au profit des sujets latins étrangers ou Levantins, qui commencèrent à affluer dans l’Empire ottoman suite à ses réformes de modernisation de 1839.

La Communauté latine étrangère ou levantine commença à se former, pour la deuxième fois de son histoire, tout de suite après la conquête de Constantinople par les Turcs en 1453. La reconstitution de la Communauté étrangère dans l’Empire ottoman se fit, compte tenu des lois de l’époque, avec difficulté et discontinuité.

Tout étranger, müste’min, qui venait dans l’Empire ottoman, ne pouvait y résider qu’une année entière. Passé ce délai, il était soumis au droit de capitation, cizye, il devenait sujet tributaire (zimmî) et il ne pouvait plus quitter le pays.

Mais, en fait, le régime capitulaire rendit caduques toutes ces dispositions. Les premières Capitulations de 1535, conclues entre François Ier et Soliman (Süleyman) Ier, prolongeaient la durée de résidence de dix années pour les sujets français dans l’Empire ottoman. Cette clause peut être considérée comme le début de la renaissance de la Communauté latine étrangère. Fixé à dix ans avec le traité de 1535, le terme du séjour n’apparaît plus dans celui de 1569. Les étrangers purent ainsi s’établir dans l’Empire ottoman sans perdre leur qualité d’étranger à la suite d’un séjour prolongé.

Les Capitulations, qui garantissaient la liberté individuelle, la liberté religieuse et la liberté de commerce, furent de nature à inciter l’établissement des étrangers dans l’Empire ottoman. Ces derniers étaient aussi assurés de l’inviolabilité de leur domicile et soustraits dans la plus large mesure à la juridiction ottomane. Si la France fut la première à bénéficier des Capitulations, par la suite, d’autres pays comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, l’Italie (République de Venise, Royaume de Naples, Grand-Duché de Toscane, Royaume de Sardaigne, Royaume des Deux-Siciles) signèrent des Capitulations avec la Sublime Porte. Les étrangers purent ainsi garder leur qualité de sujet étranger, leurs lois, leurs usages et se soustraire presque complètement à l’autorité des magistrats du pays en se mettant sous la juridiction de leurs propres consuls. Tous ces avantages permirent aux petits groupes de commerçants étrangers de se transformer en véritables colonies.

Aux étrangers européens de la première heure vinrent s’ajouter les affranchis, ces anciens bagnards qui, ayant recouvré leur liberté, choisirent de rester dans l’Empire ottoman; les Latins qui retournèrent à Constantinople des îles de l’Archipel, et surtout de Chio, où ils avaient trouvé refuge après 1453; les Latins immigrés des îles de l’Archipel, et en majorité de Tinos, de Syra, tout au long du XVIIIe et début du XIXe siècles; les naturalisés. Les réformes de 1839 ne firent qu’accélérer une immigration vers l’Empire ottoman, une immigration qui sera à l’origine de l’apogée de l’Eglise catholique latine et de sa Communauté de Constantinople.

Nous notons toutefois que les Latins immigrés des îles de l’Archipel, de part leur provenance, nouèrent plus facilement des relations avec les familles grecques de Constantinople. Ce voisinage fut à l’origine du grec levantin, langue véhiculaire de la Communauté latine.

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ZENIT Staff

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