Un universitaire musulman rend compte de son entretien avec Benoît XVI

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« Sous le signe de l’espérance »

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ROME, Lundi 13 novembre 2006 (ZENIT.org) – C’est « sous le signe de l’espérance » qu’un universitaire algérien, Mustapha Cherif, philosophe, islamologue, engagé dans la lutte « contre la haine religieuse » rend compte, sur son site Internet, de l’audience privée exceptionnelle que lui a accordée le pape Benoît XVI samedi dernier, 11 novembre, au Vatican (www.mustaphacherif.com).

Professeur à l’université d’Alger, M. Cherif, a été l’un des fondateurs, en France, d’un groupe de dialogue islamo-chrétien, le GAIC.

Il avait demandé à être reçu par le pape avant le discours prononcé par Benoît XVI à Ratisbonne le 22 septembre dernier.

Voici comment il rend compte de cette rencontre (nous choisissons de tout retranscrire par respect pour l’auteur):

Sous le signe de la lutte contre la haine religieuse

11 novembre à Rome. Je fus touché par son accueil et son attention, en tête à tête. Je l’ai vivement remercié pour cette première rencontre, entre Sa Sainteté et un penseur musulman, ce qui marque son attachement au dialogue interreligieux. Il m’a dit avoir été touché par ma lettre qui appelle au dialogue, publié sur le journal « Le Monde ». Après avoir écouté mes préoccupations suite à sa décision de rattacher le « Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux » à celui de la Culture, il veut réfléchir à une relation féconde. Après les protestations au sujet de ses propos sur l’Islam, avec promptitude, il m’a réaffirmé n’avoir pas souhaité offenser les musulmans. Je lui ai dit : Puissiez-vous rappeler que l’Islam représente une haute spiritualité, une voie authentique de Dieu, comme en témoignent les croyants et leur civilisation depuis 15 siècles. Cette religion révélée et universelle, proche du christianisme et du judaïsme, est le troisième rameau monothéiste, ultime étape de l’histoire du Salut.

Il a approuvé, de par sa sagesse, le fait que chrétiens et musulmans ne doivent pas être concurrents, mais alliés et amis. J’ai précisé que la polémique du « choc des civilisations», la recherche d’un nouvel ennemi et la stigmatisation de l’Islam ne sont-ils pas une diversion pour occulter les problèmes de notre époque, pour nous diviser, nous frères abrahamiques, afin de faire régner le culte du veau d’or ? Ces dérives n’aboutissent-elles pas à des formes de déshumanisation et à la sortie de la religion de la vie ? Après l’innommable, vécu durant la deuxième guerre mondiale, le mot d’ordre des peuples était « plus jamais cela ». Aujourd’hui, le retour de la haine raciale et religieuse, de l’antisémitisme, qui vise en particulier les musulmans est une menace pour tous. Le Saint Père, mieux que quiconque, sait que sur le plan éthique, une des missions de l’Eglise est de s’opposer à cette bête immonde, à la logique faustienne et aux politiques bellicistes, s’opposer à la déformation et atteinte des religions, comme l’Islam qui respecte le christianisme, vénère le Messie, Jésus, Verbe de Dieu fortifié par l’Esprit Saint et sa mère Marie. Nous musulmans sommes convaincus, ai-je souligné, que sa Sainteté dira ce qui est juste, en ce qui concerne les problèmes du monde, pour faire reculer les injustices et le racisme. Il a pleinement partagé l’idée que nous avons besoin de pensée critique objective et de messages de fraternité.

De par le souci de dialogue du Saint Père, je lui ai dit quelques mots sur l’Islam. Il m’a écouté avec bienveillance. J’ai affirmé que la vitalité de l’islam se fonde sur la base du témoignage libre, que le culte doit débuter par le refus des idoles : « il n’y a pas de dieu sauf Dieu et Mohamed est son Prophète». L’islam rappelle que les êtres humains sont libres et égaux et que seul le degré de piété les différencie. Aux yeux des musulmans, c’est cela qui honore l’humanité. Le Coran dit « Que celui qui veut croit et que celui qui veut mécroit ». Croire est une grâce de Dieu.

Au sujet de la violence, j’ai tenu à lui clarifier que l’islam préconise à chacun des croyants face à l’adversité, de pardonner, de patienter, de faire preuve de miséricorde. En ce qui concerne la responsabilité collective, face aux agressions, pour ne pas se retrouver dans le rapport du loup et de l’agneau, pour sauvegarder le droit à l’existence des peuples, l’islam codifie de manière stricte le recours à la « guerre juste », (que le Prophète qualifia de « petit » djihad), comme légitime défense. Ne jamais être l’agresseur, préserver les civils, et en particulier les moines chrétiens, les faibles, l’environnement, et rester toujours équitable. C’est le principe de la « guerre juste » et non point de « guerre sainte ». Saint Augustin, n’avait pas dit autre chose. Il acquiesça avec un sourire. Le grand djihad c’est l’effort vers la maîtrise de soi, vers l’élévation spirituelle, le bel agir. Cette définition lui a paru comme un éclairage salutaire, qui mérite d’être connu.

J’ai ajouté, que les musulmans dans leur immense majorité, réprouvent et critiquent l’archaïsme religieux, l’intolérance, l’instrumentalisation de la religion, la violence aveugle et l’égarement d’une minorité. Ils savent que ces errements sont issus de lectures arbitraires des textes et ont des causes politiques, aggravées par des manipulations. Il est de notre devoir de dénoncer les amalgames grossiers entre l’Islam et l’extrémisme. La communauté musulmane peut se régénérer et aider le monde moderne, qui est dans une tragique impasse, malgré les prodigieux progrès scientifiques, à réinventer une nouvelle civilisation qui fait tant défaut. Il me déclara qu’un des problèmes de notre temps est la sécularisation outrancière et que nous devons témoigner avec ardeur et raison de la dimension religieuse de l’existence.

J’ai répondu que la révélation s’adresse à la raison pour l’éclairer et les musulmans sont appelés à témoigner paisiblement de leur foi. Ce point l’a touché. Je lui ai dit que l’Islam se fonde sur un seul miracle, celui du Coran qui parle à la raison et au coeur. La civilisation islamique a contribué à l’émergence de la renaissance européenne. S’interroger sur Dieu au moyen de la raison est un acte naturel en Islam, lié à la prime nature de l’humain, la fitra.
Dieu est Transcendant, Celui à qui rien ne ressemble, Il est aussi très proche, plus proche de nous, précise le Coran, que l’intériorité de notre coeur. La capacité de la Révélation, à orienter vers le vrai, est incomparable, et ne dépend pas d’un système de pensée, par-delà le caractère heureux du lien entre foi et raison.

J’ai exprimé à sa Sainteté notre souci de contribuer, tous ensemble, au respect des religions, préserver les acquis du dialogue séculaire, faire reculer la méconnaissance, le fanatisme et le dogmatisme, rappeler notre socle commun, relancer la réflexion sur nos différences et les défis communs. Le dialogue interreligieux est le facteur décisif de l’alliance des civilisations. À cette fin, j’ai soumis à la haute appréciation de sa Sainteté trois suggestions : la tenue d’un colloque interreligieux sur le thème de la lutte contre la haine religieuse.

La sensibilisation de la communauté internationale sur le caractère condamnable des offenses et des atteintes contre les symboles sacrés des religions, à l’instar des principes relatifs au racisme et à l’antisémitisme, dans le respect du droit en matière de liberté d’expression et de critique. Enfin, le soutien et la multiplication de groupes et réseaux d’amitié, de dialogue et de recherche islamo-chrétiens à travers le monde. Le Saint Père m’a dit qu’il p
artage pleinement nos soucis, et soutien totalement ces objectifs nobles. Ce dialogue inoubliable, de la foi et de la pensée ouvertes à l’autre, opposé à toutes les haines, est un beau signe d’espérance.

Mustapha Cherif

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ZENIT Staff

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