ROME, Vendredi 10 novembre 2006 (ZENIT.org) – Dans cet entretien accordé à Zenit, la fondatrice de l’association « Enfants au ciel », Adreana Bassanetti, psychologue et psychothérapeute italienne, explique comment elle a surmonté la douleur de la mort de sa fille et sa décision de créer une association pour venir en aide aux parents qui ont perdu un enfant. « Le Seigneur n’enlève que pour faire un don encore plus grand », affirme-t-elle.
L’Association, qui se présente comme une « Ecole de foi et de prière » oriente les familles vers la Lectio divina afin qu’elles soient aidées à faire retentir la Parole dans leur propre vie personnelle. Jusqu’à ce jour plus de 10.000 familles ont pris contact avec l’association qui est présente dans près de 100 diocèses en Italie, en Espagne, et dans divers pays de l’Amérique latine et centrale, aux Etats-Unis, en Angleterre et en Nouvelle-Zélande.
L’Association a été fondée et est dirigée par Andreana Bassanetti, psychologue et psychothérapeute de Parme, qui a vécu dans sa chair une tragédie déchirante, le suicide de sa fille de vingt ans, Camille, emportée par un mal-être intérieur qu’elle ne pouvait plus supporter.
Plongée dans la douleur, Andreana, après six mois, au cours desquels elle resta alitée, sortit de chez elle. Sur son chemin elle trouva une église ouverte où elle entra avec la sensation que quelqu’un l’attendait depuis longtemps. A partir de ce jour, attirée par une force inconnue, elle retourna lors des huit mois qui suivirent s’agenouiller dans cette église.
En lisant les Psaumes – raconte la psychologue de Parme à Zenit « j’entendis une voix intérieure qui prononçait des paroles d’amour. Plus qu’une voix c’était un souffle chaud, chargé d’intensité, comme une mélodie, un chant aux paroles suaves, qui me pénétrait et me remplissait et m’embrasait intérieurement : je réussis à percevoir uniquement le mot amour ».
Dans l’ouvrage « Il bene più grande – storia di Camilla » (Le bien le plus grand – l’histoire de Camille), publié aux éditions Paoline, Andreana Bassanetti raconte que « le tout dura seulement une dizaine de secondes, mais eut un effet grandiose, miraculeux, qui me libéra du poids énorme qui me paralysait ».
« Dieu m’avait donné un cœur nouveau. Je me rendis compte que je pleurais : silencieusement, de chaudes larmes baignaient mon visage : comment peut-on résister à un amour aussi grand ? » ajoute-t-elle.
« Cette nuit-là fut pour moi véritablement sainte, miraculeuse, écrit-elle encore. Je rentrais à la maison le cœur plein de gratitude, scellant au plus profond de moi les paroles du psaume 40 (39) : « Voici, je viens. Dans le livre est écrit pour moi ce que tu veux que je fasse ».
Zenit a rencontré Andreana Bassatti.
<b>Zenit : Comment fait-on pour surmonter une douleur aussi grande que la mort d’un enfant ?
A. Bassanetti : Quand un enfant meurt à la suite de causes accidentelles ou naturelles, le déchirement est indescriptible pour les parents. C’est la douleur la plus grande qu’un être humain puisse éprouver. Un éloignement tellement déchirant qu’il ne cicatrise jamais : la vie de celui qui reste, s’il réussit à la vivre, ne sera plus la même, mais le Seigneur n’enlève que pour faire un don encore plus grand.
Après des mois au cours desquels je ne réussissais pas à supporter la douleur et je pensais mourir moi aussi, le Seigneur me rendis vraiment visite et me combla de grâce, me prit dans ses bras maternels, me consola, soigna mes blessures et surtout adoucit mon cœur, endurci par la douleur. Je pris conscience de Lui, de son Mystère, de sa Présence, de son Esprit qui vivifie l’âme, réchauffe le cœur et ouvre l’esprit au ciel. Et dans la lumière qui m’enveloppait et me faisait renaître à l’amour et à l’espérance, je retrouvais Camille. L’Eglise devint le lieu privilégié de nos rencontres, un moment sublime d’attente, de dialogue, d’union parce que si le corps rapproche, l’esprit va au-delà, il unit, il fond, il con-fond.
Si aujourd’hui je tente de reconstruire mon histoire personnelle, en cherchant à lui donner un ordre chronologique, je ne peux plus commencer par l’enfance, mais à cinquante ans environ, quand un événement terrible, dramatique, douloureux, déchirant, crucifiant, la mort de ma fille Camille à seulement vingt et un ans, m’a fait rencontrer Dieu. Mieux encore, ma vraie vie à commencé quand Dieu a fait irruption dans ma vie. En désorganisant toute chose, mais sans bouleverser, en changeant l’ordre et le sens d’avant, mais dans le même temps en restituant à chaque événement un sens primordial qui me précède, m’anticipe et m’émerveille chaque fois. Un sens qui dépasse tout de très loin, me dépasse et se soustrait à toute analyse psychologique et psychanalytique. Un véritable miracle qui a donné un commencement véritable et authentique à mon existence.
Comment peut-on remercier Dieu face à un événement aussi dramatique ?
A. Bassanetti : Il existe des vérités que le Seigneur à cachées dans le secret de notre cœur, qui requièrent un long chemin dans le noir, exigent toute la peine d’une recherche, jusqu’à la rencontre avec Lui. Pour retrouver ses enfants dans la vraie Vie, la Vérité nous dit qu’il n’existe qu’une seule voie « Si quelqu’un veut venir à ma suite qu’il s renie lui-même, qu’il se charge de sa croix et me suive » (Lc 9, 23).
Plutôt que de se rebeller et contraindre son enfant à revenir en arrière, à une dimension, disons plus terrestre, ce sont les parents qui doivent aller de l’avant, avec leur liberté de choix et de temps, se renier eux-mêmes. Renier la maternité-paternité humaine, s’élever à une maternité-paternité divine, dans la nouvelle dimension que l’état spirituel de notre enfant requiert.
Il est important de ne pas avoir peur de la douleur, même si elle est grande et apparemment incontrôlable ; aucune nuit, aussi longue soit elle, ne peut empêcher que le jour se lève à nouveau. Même si l’itinéraire est long et fatiguant, il est bon de ne pas se laisser anéantir par la douleur, mais de respecter ses propres états d’âme en répondant aux exigences intérieures qui petit à petit se manifestent ; il ne faut pas exploiter les temps en sautant des étapes importantes qui constituent une base importante et constructive pour soi et pour toute la famille.
Cette expérience a changé votre manière de travailler…
A. Bassanetti : Certainement. L’objectif n’est pas seulement le bien-être, la santé de ce garçon ou de cette fille ou de cet adulte, même si cela est toujours bien sûr très important. Ensemble nous cherchons la rencontre avec Dieu, le salut personnel, également dans la liberté des choix et dans le respect des langages personnels. L’expérience douloureuse que j’ai vécue avec Camille – parce que personne ne peut partager les souffrances des autres – je l’offre par son intercession, en faveur de tous les jeunes qui d’une certaine manière se trouvent dans le besoin, et je suis sûre qu’avec les enfants qui sont au Ciel avec elle, elle intercède pour moi.
Dans certaines parties de votre livre vous parlez de la douleur de Marie face à la Passion et la mort de Jésus crucifié, pourquoi ?
A. Bassanetti : Je crois qu’il faut réfléchir sur le mystère de Marie, une mère qui voit la passion, la mort et la Résurrection de son fils. Il faut s’arrêter avec Marie au pied de la Croix et comme elle, pénétrer sans crainte dans le mystère de la mort, à la lumière de celui qui l’a vaincue, et sait transfigurer toutes les croix dans sa Résurrection.
La mère des douleurs, qui connaît bien la souffrance, qui compren
d bien chaque existence blessée, a, la première dans sa pureté et transparence, permis que ce mystère de grâce se révèle dans sa plénitude, dans sa plus haute magnificence. Elle a, la première, tenu ouverte la porte de son cœur humain brisé, afin que la joie divine jaillisse dans toute sa splendeur et que l’œuvre de Dieu se manifeste dans toute sa beauté.
Elle est le témoin et le modèle humble et fidèle d’un mystère qui dépasse toute adversité et toute tragédie humaine, qui va au-delà de toute vie crucifiée. Selon moi, il existe dans chaque cœur une valeur qui ne peut être négligée, ni banalisée, ni refoulée. C’est le cœur même de Marie, source jaillissante de vie nouvelle, causa nostrae laetitiae, qui nous donne son bien le plus grand, son fils Jésus.
Zenit : Vous allez jusqu’à soutenir qu’il existe un lien entre famille, douleur et Eucharistie. Pouvez-vous nous expliquer ce lien ?
A. Bassanetti : Si la famille est une petite église domestique, comme l’a souligné Jean-Paul II, une famille frappée par un deuil aussi grand est un petit « tabernacle vivant » qui conserve jalousement l’Hostie sainte et immaculée qui se donne à nous. Le don qui se fait Eucharistie, bien de grâce.
Chaque fois qu’un père et une mère, une sœur ou un frère, un « pauvre plus pauvre » c’est-à-dire privé de son bien le plus cher, s’approche de moi et m’ouvre son cœur transpercé, épuisé de pleurs, je me prosterne dans une adoration silencieuse devant l’Hostie, qui devient visible à travers ce tabernacle. Et chaque fois que quelqu’un ravive ma blessure, est ravivé aussi le miracle de sa Présence et la richesse qu’il porte en lui.