Homélie du card. Etchegaray au sanctuaire de Notre Dame du Liban

Messe de l’Assomption à Harissa

Share this Entry

ROME, Mercredi 16 août 2006 (ZENIT.org) – « Le vrai chemin [de la paix] est encore plus spirituel que politique. Aucune paix définie par des accords ne tiendra si elle ne s’accompagne pas de la paix des cœurs », affirme le cardinal Etchegaray.

Le cardinal Roger Etchegaray, envoyé spécial de Benoît XVI, a en effet prononcé l’homélie lors de la célébration de la messe de l’Assomption qu’il a présidée au sanctuaire de Notre Dame du Liban, à Harissa, hier, 15 août.

Homélie

Frères et soeurs du Liban,
de Terre Sainte,
de toute la Terre, de l’Orient à l’Occident!

Ensemble, saluons Notre-Dame de Harissa qui nous accueille, elle qui, dans sa ronde maternelle d’amour, justement en ce jour du 15 août, nous fait embrasser toute la famille humaine, telle qu’elle la voit du haut du ciel, telle que la voit le Dieu trinitaire qui a créé chacun à son image.

Mercredi dernier quand, à midi, le pape Benoît XVI m’a demandé de venir en son nom célébrer cette divine liturgie, j’étais le cœur plein de l’Evangile du matin (Mt 15, 21-28) qui évoquait précisément le passage de Jésus « dans la région de Tyr et de Sidon » et transmettait le cri d’une mère: « aie pitié de moi, Seigneur, fils de David », arrachant ainsi la guérison de sa fille: « femme, ta foi est grande ». Vraiment, le vieux et fidèle ami du Liban que je suis , ne pouvait avoir de meilleur argument pour répondre à l’appel du Pape. Oui, peuple libanais, très grande est votre foi, et je suis ici pour vous assurer que le successeur de Pierre veut confirmer votre foi aujourd’hui si éprouvée au point que certains laissent percer la parole agonisante de Jésus : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Dans l’épaisseur de l’horrible nuit où vous êtes plongés, il vous faut d’abord et avant tout témoigner à quel point la paix et la prière sont vitalment liées l’une à l’autre.

La paix ? Qui n’en parle pas ? Qui ne la désire pas, même parmi ceux qui font la guerre ? Mais combien sont prêts à tout sacrifier pour elle ? La prière ? Quel croyant ne prie pas le « Dieu Tout Puissant » ? Mais combien y voient autre chose qu’un refuge aux heures de panique ou une dérobade face à ses propres responsabilités ? Prier pour la paix est le test le plus sûr que nous prenons au sérieux et la paix et la prière, l’une avec l’autre, l’une par l’autre.

Quelle paix solide, à bâtir coûte que coûte entre peuples aux mémoires meurtries par un passé et un présent jalonnés de révoltes, de vengeances ! Quelle paix féconde comme la rosée, à faire germer sur cette terre biblique où toutes les contradictions qui divisent le monde trouvent une expression et un symbole ! Il faut être clair : le conflit israélo-palestinien est un de ces drames qui, s’il ne trouvait rapidement une solution équitable, ne pourrait laisser nulle part aucun Etat innocent ni même intact pour son propre avenir. Si la justice et la vérité ne sont pas égales pour les deux peuples, elles ne sauraient alors être ni justice ni vérité et il n’y aura pas de paix durable dans le monde.

Certes, la paix en ce Proche-Orient ne peut être différente de celles qui se cherchent partout ailleurs, elle est pétrie de la même justice, de la même fraternité entre les peuples. Mais ici les raisons de paix sont plus pressantes parce que nourries de la vision messianique décrite par Isaïe et de l’exemple du Christ venu habiter parmi nous pour donner un nouveau départ à « la paix sur terre ». Non seulement le Christ nous donne la paix, mais il est lui-même « notre paix ». En personnifiant la paix, saint Paul en a fait une vie plus encore qu’un message, la vie de Celui qui, détruisant « le mur de la haine » a créé dans sa propre chair crucifiée, à partir de frères ennemis, un seul homme nouveau (Ep 2, 11-17). Toutes ces expressions si actuelles sont extraites de la Lettre aux Ephésiens. Mais il n’y a pas que les chrétiens à être ainsi interpellés par leur Maître: toute la grande famille des descendants d’Abraham, bien plus, toute l’humanité qui s’est trouvée pèle-mêle dans l’arche de Noé pour se sauver du déluge commence aujourd’hui à prendre conscience de son unité foncière à travers les différences parfois exacerbées de races, de cultures et de religions. Vivre ensemble est partout un défi et un programme, mais particulièrement ici.

Je suis venu au Liban au nom du Pape comme messager de paix et nous sommes unis à ceux qui aujourd’hui même se rassemblent pour une messe dans la cité mariale de Nazareth. Là-bas et ici, nous partageons les souffrances, les angoisses, les espérances de peuples pris dans le tourbillon d’une guerre fratricide sur laquelle Benoît XVI a dit que « rien ne peut justifier l’effusion de sang innocent, d’où qu’il provienne » (2 août) et n’a cessé de réclamer le cessez-le-feu.

Mais l’hémorragie est particulièrement sanglante parmi vous, peuple libanais, dont 30% des victimes ont moins de 12 ans. Nous prions pour les mères de famille qui enveloppent de larmes leurs foyers déchiquetés. Nous accompagnons le million de déplacés précipitamment en un mois sur une terre naturellement hospitalière. Nous remercions la Caritas libanaise et les organisations humanitaires de tous pays affrontées à une solidarité surhumaine. Ce n’est ni le lieu ni le moment de faire un bilan complet : mais devant Dieu nous pouvons déjà mesurer l’ampleur du mal et aussi le prix de la guérison espérée. Aucun remède ne pourra nous guérir s’il ne va pas jusqu’à la racine du mal et si humblement chacun ne reconnaît pas que l’ennemi ce n’est pas seulement l’autre mais aussi soi-même. Chacun de nous, chaque jour, par notre manière de penser et de vivre avec les autres, nous prenons parti pour ou contre la paix.

Certes, la promotion de la paix ne peut demeurer artisanale, réduite au bricolage de mille petits gestes : pour dire adieu à la guerre, il ne suffit pas de dire bonjour à la paix. Malgré toutes nos critiques, malgré toutes nos impatiences, nous devons rendre hommage aux divers responsables de la société, nationale et internationale, qui s’ingénient à frayer un chemin sur les pentes abruptes d’une paix pour tous les peuples de la région où s’enchevêtrent de plus en plus les problèmes du monde entier.

Mais le vrai chemin est encore plus spirituel que politique. Aucune paix définie par des accords ne tiendra si elle ne s’accompagne pas de la paix des coeurs. Dieu seul peut liquéfier des coeurs endurcis, surtout à une époque où la paix elle-même est devenue belliqueuse en laissant la violence s’infiltrer dans la vie quotidienne et en suscitant la peur qui animalise l’homme et le fait aboyer plus que crier au secours. Aucune religion ne peut non plus sans l’offenser capter son Dieu, voire le capturer pour le mettre dans son camp contre un autre. Mais toute religion est invitée aujourd’hui instamment à faire appel au Dieu « clément et miséricordieux ». Car notre misère humaine est bien profonde et nous avons besoin de la miséricorde divine qui est encore plus profonde. Dans un climat de haine que nous respirons trop souvent, seul le pardon peut conduire à la réconciliation, un pardon qui n’est ni l’usure du temps, ni l’oubli, ni le calcul intéressé, ni la faiblesse complice, ni même la pitié condescendante. Un pardon que l’homme blessé, humilié, bafoué n’osera donner qu’à l’exemple du Dieu d’amour qui depuis le péché du premier homme ne peut plus aimer qu’en pardonnant au point que l’homme devient à son tour miséricordieux. Alors, et alors seulement, la terre est respirable et habitable d’une paix débordante de joie.

Nous prions pour toutes les guerres qui défigurent partout le visage du Dieu Créateur, la guerre « à la une », les guerres oubliées, les guerres cachées. Mais comment
ne pas exprimer ici notre compassion pour nos frères de l’Irak qui, d’un mois à l’autre accumulent des victimes: 1.800 morts comptés, rien qu’au mois de juillet!

S’il est vrai qu’aimer quelqu’un c’est lui dire: « tu ne mourras pas », aujourd’hui avec plus de force qu’il y a 21 ans quand Jean Paul II m’envoya au Liban déjà tout meurtri, je veux crier: Liban, tu ne mourras pas!

Peuple libanais, entend le Christ qui te dit: « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps mais ne peuvent tuer l’âme » (Mt 10,28). Non, tu ne mourras pas! Sous les décombres fumantes de violence, de vengeance, derrière les meurtrissures de ton corps humilié, nous découvrons encore intacte ton âme, nous ne désespérons pas de toi. Malgré toutes les menaces du dehors et du dedans, tu demeures ce que tu es au fond de toi-même, une terre de communion et de partage. Jamais la montagne et la mer ne pourront te manquer: la montagne pour t’identifier et la mer pour dialoguer. Sois fidèle à ta vocation historique de faire coexister les cultures et les religions pour les présenter, tel un modèle réduit, fragile mais vivant, à l’imagination assoupie ou essoufflée d’une humanité qui a perdu ses raisons de vivre ensemble. Tu ne te défends pas pour toi tout seul, mais pour tous les peuples de la terre.

Peuple libanais, regarde avec tendresse du côté des jeunes. Rongés par l’horreur et le désespoir, en proie à toutes les séductions y compris celle de quitter le pays, ils attendent que les aînés et le communautés ecclésiales leur apprennent à goûter la vraie vie qui puise sa sève printanière dans les Béatitudes.

Notre-Dame du Liban, voici ton peuple.
Ils sont tes enfants, ceux qui sont brisés par la haine
et ceux qui apprennent à pardonner.
Ils sont tes enfants, ceux qui sont emmurés dans la peur
et ceux qui commencent à espérer.

Notre-Dame du Liban, voici ton peuple.
Si Dieu est le Père des commencements
tu es la Mère des recommencements.
Donne à ceux qui ont perdu le goût de vivre
la force de vivre encore plus pour les autres.

Notre-Dame du Liban, voici ton peuple.
Tu aides l’homme vieilli par le péché
à retrouver un coin fleuri de son enfance.
Tu aides l’homme révolté par la violence
à rendre à Dieu les armes de son destin.

Notre-Dame du Liban, garde ton peuple,
garde-le libre, libre, libre,
dans l’intégrité de son corps et l’unité de son âme.
Pour la gloire du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob,
Pour la gloire de ton divin Fils Jésus
Pour le service des peuples de l’Orient et de l’Occident.

Que le Liban vive du Liban
Pour que le monde entier vive de la paix.
Amen

[Texte original: Français]

Share this Entry

ZENIT Staff

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel