Entretien avec le pape Benoît XVI (I)

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ROME, Mercredi 16 août 2006 (ZENIT.org) – Nous reprenons ci-dessous le texte de l’entretien, publié par Radio Vatican, que le pape Benoît XVI a accordé à la télévision publique de Bavière, Bayerischer Rundfunk (ARD), à la chaîne de télévision publique allemande ZDF, à la chaîne d’information allemande Deutsche Welle, et à Radio Vatican. Voici la première partie de cet entretien.

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* * *

Q : Très Saint-Père, au mois de septembre vous visiterez l’Allemagne, ou plus précisément, la Bavière. «Le Pape a la nostalgie de sa patrie », ont indiqué vos collaborateurs au cours des préparatifs. Quels sont les thèmes que vous souhaitez plus spécialement aborder pendant votre visite, et le concept de « patrie » fait-il partie des valeurs que vous entendez proposer ?

Benoît XVI : Certainement. Le motif de ma visite c’est justement mon désir de revoir encore une fois les lieux, les personnes auprès desquels j’ai grandi, qui m’ont marqué et qui ont façonné ma vie, je voulais remercier ces personnes. Et naturellement aussi adresser un message qui aille au-delà de ma terre, en accord avec mon ministère. Les thèmes, ils seront indiqués tout simplement par le calendrier liturgique. Le thème fondamental est que nous devons redécouvrir Dieu et pas n’importe quel dieu, mais le Dieu à visage humain, puisque quand nous voyons Jésus Christ nous voyons Dieu. Et à partir de là nous devons trouver les chemins pour nous rencontrer au sein des familles, entre générations et puis aussi entre cultures et entre peuples, et les chemins de la réconciliation et de la convivialité pacifique en ce monde, et les chemins qui mènent vers l’avenir. Ces chemins vers l’avenir nous ne pouvons les trouver que si nous recevons la lumière qui vient d’en haut. Je n’ai donc pas choisi des thèmes très spécifiques, c’est pour ainsi dire la liturgie qui me guide à exprimer le message fondamental de la foi, qui naturellement se greffe dans l’actualité de nos jours, où nous voulons par-dessus tout chercher la collaboration entre les peuples, et les chemins possibles vers la réconciliation et la paix.

Q : En tant que Pape, vous êtes responsable de l’Eglise dans le monde entier. Mais naturellement votre visite focalise l’attention sur la situation des catholiques en Allemagne. Or, tous les observateurs sont d’accord pour dire que le climat est bon, grâce aussi à votre élection. Bien entendu, les vieux problèmes demeurent, pour ne citer que quelques exemples: il y a toujours moins de pratiquants, moins de baptêmes, et surtout moins d’influence sur la société. Comment voyez-vous la situation actuelle de l’Eglise catholique en Allemagne?

Benoît XVI : Je dirais avant tout que l’Allemagne appartient à l’Occident, même s’il y a des nuances qui lui sont propres, et dans le monde occidental aujourd’hui nous connaissons une nouvelle vague d’illuminisme drastique ou de laïcité, si vous préférez. Il est devenu plus difficile de croire, puisque le monde où nous nous trouvons, nous le faisons par nous-mêmes, et Dieu, pour ainsi dire, n’y comparaît plus directement. On ne boit plus directement à la source, mais dans le récipient qu’on nous présente déjà plein et ainsi de suite. Les hommes ont reconstruit leur propre monde par eux-mêmes, et il est devenu plus difficile de retrouver Dieu dans ce monde. Cela n’est pas une spécificité de l’Allemagne, c’est quelque chose qui se produit dans le monde entier, en particulier en Occident.
D’un autre côté, l’Occident est aujourd’hui fortement touché par d’autres cultures, où l’élément religieux d’origine est très marqué, et qui sont horrifiées par la froideur qu’elles constatent en Occident à l’égard de Dieu. Et cette présence du sacré dans d’autres cultures, même si elle est voilée de diverses façons, touche à nouveau le monde occidental, elle nous touche nous qui nous trouvons au carrefour de tant de cultures. Et d’autre part le besoin de quelque chose « de plus grand » est entrain de poindre du plus profond de l’homme occidental et en Allemagne aussi. Nous voyons que les jeunes cherchent un « supplément », nous voyons que d’une certaine manière le phénomène religieux – comme on dit – revient, même si cette recherche est souvent plutôt floue. Mais avec tout cela l’Eglise est à nouveau présente, la foi s’offre comme réponse. Et je pense que cette visite justement, comme celle de Cologne déjà, est une opportunité afin que l’on puisse voir qu’il est beau de croire, que la joie d’une grande communauté universelle possède une force entraînante, que derrière elle, il y a quelque chose d’important et que par conséquent avec ces nouveaux mouvements de recherche, il y a aussi de nouveaux débouchés pour la foi, qui nous conduisent les uns vers les autres et qui sont également positifs pour la société dans son ensemble.

Q : Très Saint Père, il y a tout juste un an vous étiez à Cologne avec les jeunes, et je crois que vous avez constaté que la jeunesse est extraordinairement prête à l’accueil, et que vous, personnellement, vous avez été très bien accueilli. Avez-vous pour ce prochain voyage un message spécial pour les jeunes?

Benoît XVI : Je dirais avant tout que je suis très heureux qu’il y ait des jeunes qui désirent être ensemble, être ensemble dans la foi, et faire quelque chose de bon. La disponibilité au bien est très forte chez les jeunes, qu’il suffise de penser aux nombreuses formes de volontariat. L’engagement à offrir sa propre contribution aux besoins de ce monde est quelque chose de grand. La première impulsion peut donc être de les encourager: Allez de l’avant! Cherchez les occasions de faire le bien! Le monde a besoin de cette volonté, il a besoin de cet engagement! Et puis peut-être faudrait-il ajouter: ayez le courage des décisions définitives! Chez les jeunes, il y a beaucoup de générosité, mais face au risque de s’engager pour la vie entière, aussi bien dans le mariage que dans le sacerdoce, ils ont peur.
Le monde est en mouvement de façon dramatique: actuellement je peux disposer à tout moment de ma vie entière avec tous ses imprévisibles événements futurs: mais si je prends une décision définitive, est-ce que je ne vais pas enchaîner ma propre liberté, est-ce que je ne vais pas me priver de ma liberté de mouvement? Réveiller le courage d’oser des décisions définitives, les seules en réalité qui permettent de grandir, d’aller de l’avant et de parvenir à quelque chose de grand dans la vie, les seules qui ne détruisent pas la liberté, mais qui lui offrent la juste direction dans l’espace. Prendre ce risque, ce saut – pour ainsi dire – dans le définitif, et accueillir pleinement la vie, voilà ce que je serais heureux de pouvoir communiquer.

Q : Très Saint Père, une question sur la politique étrangère. Les espoirs de paix au Moyen Orient ont diminué au cours de ces dernières semaines. Quelles possibilités voyez-vous pour le Saint-Siège concernant la situation actuelle? Quelle influence positive pouvez-vous exercer sur la situation, sur les développements au Moyen Orient ?

Benoît XVI : Naturellement nous n’avons aucune possibilité politique, et nous ne voulons aucun pouvoir politique. Mais nous voulons faire appel aux chrétiens et à tous ceux qui se sentent d’une manière ou d’une autre interpellés par la parole du Saint-Siège, afin que soient mobilisées toutes les forces qui reconnaissent que la guerre est la pire des solutions pour tous. Qu’elle n’apporte rien de bon pour personne, pas même pour ses apparents vainqueurs. Nous le savons très bien en Europe, après deux guerres mondiales. Ce dont tous ont besoin c’est la paix. Et il y a une forte communauté chrétienne au Liban, il y a des chrétiens parmi les arabes, il y a des chrétiens en Israël, et des chrétiens du monde entier pour qui ces pays sont chers. Il y a des forces morales qui sont prêtes à faire comprendre qu’une solution est possible: nous devons vivre ensemble. Ces forces nous voulons les mobiliser: les politiques doivent trouver les moyens pour que cela puisse se réaliser le plus vite possible et surtout d’une manière durable.

Q : En tant qu’Evêque de Rome vous êtes
le successeur de saint Pierre. Comment le ministère de Pierre peut-il s’exercer d’une manière appropriée au temps présent? Et comment voyez-vous le rapport de tension et d’équilibre entre la primauté du Pape d’un côté et la collégialité des évêques de l’autre?

Benoît XVI : Il y a naturellement un rapport fait de tension et d’équilibre, et nous disons que cela est bien. La multiplicité et l’unité doivent sans cesse redéfinir leur rapport réciproque et ce rapport doit s’intégrer d’une manière toujours nouvelle dans les situations mouvantes du monde. Aujourd’hui nous avons une nouvelle polyphonie de cultures, où l’Europe n’est plus le seul élément déterminant, mais où les communautés chrétiennes des divers continents sont en train d’acquérir leur propre poids, leur propre couleur. Nous devons toujours apprendre à nouveau cette fusion des diverses composantes. C’est pour cela que nous avons développé divers instruments; ce que l’on appelle « visites ad limina » des évêques ; elles ont toujours existé, mais on s’en sert beaucoup plus aujourd’hui pour dialogue réellement avec toutes les instances du Saint-Siège et avec moi-même. Je parle personnellement avec chaque évêque. J’ai déjà parlé avec presque tous les évêques d’Afrique et avec de nombreux évêques d’Asie. Maintenant, ce sera le tour de l’Europe Centrale, l’Allemagne, la Suisse: au cours de ces rencontres, justement le Centre et la Périphérie se retrouvent ensemble, dans un échange franc. Je pense que cela permet de développer des rapports réciproques corrects dans une tension équilibrée. Nous avons aussi d’autres instruments, comme le Synode, le Consistoire, que je tiendrai désormais de manière régulière et que je voudrais développer, et où même quand il n’y a pas à proprement parler un ordre du jour, on peut discuter ensemble des problèmes actuels, chercher des solutions. Nous savons d’un côté que le Pape n’est pas du tout un monarque absolu, mais il doit – pour ainsi dire – personnifier le tout qui se met ensemble à l’écoute du Christ. On ressent très fort le besoin d’une instance unifiante, susceptible de garantir l’indépendance par rapport aux forces politiques, le besoin que les « christianismes » ne s’identifient pas trop avec les nationalités, on ressent très fort le besoin d’une telle instance supérieure et plus vaste capable de créer l’unité dans l’intégration dynamique du tout, et qui d’autre part accueille et promeut la multiplicité. C’est pourquoi je crois qu’il y a vraiment une adhésion intime au ministère de Pierre qui s’exprime dans la volonté de le développer encore plus, afin qu’il puisse répondre aussi bien à la volonté du Seigneur qu’aux nécessités du temps présent.

Q : L’Allemagne en tant que terre de la réforme est naturellement marquée d’une manière particulière par les rapports entre les diverses confessions. Les rapports œcuméniques sont une réalité sensible qui se heurte toujours à de nouvelles difficultés. Quelles possibilités voyez-vous d’améliorer les rapports avec l’Eglise évangélique ou quelles difficultés voyez-vous sur ce chemin?

Benoît XVI : Il est peut-être important de dire avant tout que l’Eglise évangélique présente une remarquable diversité. En Allemagne nous avons, si je ne m’abuse, trois communautés principales: les Luthériens, les Réformés et l’Union Prussienne. En outre de nombreuses Eglises libres (Freikirchen) se forment aujourd’hui et, au sein même des Eglises classiques, des mouvements, comme « l’Eglise qui confesse » et ainsi de suite. Il s’agit donc d’un ensemble à plusieurs voix avec lequel nous devons entrer en dialogue dans la recherche de l’unité, en respectant la multiplicité des voix et avec lequel nous voulons collaborer. Je crois que la première chose à faire dans la société actuelle c’est de nous engager tous ensemble à clarifier, trouver et mettre en pratique les grandes lignes directrices éthiques afin de garantir la consistance éthique de la société, sans laquelle cette société ne pourra pas réaliser l’objectif ultime de la politique, qui est justice pour tous, paix et convivialité. Dans ce domaine, je crois que l’on fait déjà beaucoup, que nous nous retrouvons déjà réellement ensemble sur un fondement chrétien commun face aux grands défis moraux. Naturellement il faut ensuite témoigner Dieu dans un monde qui a du mal à le trouver, comme on l’a déjà dit, et rendre visible Dieu dans le visage humain de Jésus Christ, et offrir aux hommes l’accès à ces sources sans lesquelles la morale devient stérile, perd ses repères, et aussi apporter la joie pour que nous ne soyons pas isolés en ce monde. Ce n’est qu’ainsi que peut naître la joie devant la grandeur de l’homme qui n’est pas un produit raté de l’évolution, mais l’image de Dieu. Nous devons agir sur ces deux plans – pour ainsi dire – celui des grands repères éthiques et celui qui prouve – de l’intérieur et en s’orientant vers eux – la présence de Dieu, d’un Dieu concret. Si nous le faisons, et surtout si dans chacun de nos regroupements nous essayons de ne pas vivre la foi d’une manière particulariste, mais toujours à partir de ses fondements les plus profonds, nous n’arriverons peut-être pas très vite à des manifestations extérieures d’unité, mais nous pourrons mûrir vers une unité intérieure qui, si Dieu le veut, portera un jour aussi à des formes extérieures d’unité.

Q : Le thème de la famille. Il y a un mois environ vous étiez à Valence pour la rencontre mondiale des familles. Ceux qui vous ont écouté attentivement – comme nous avons essayé de le faire à Radio Vatican – ont noté que vous n’avez jamais prononcé les mots « mariages homosexuels », que vous n’avez jamais parlé d’avortement ni de contraception. Des observateurs attentifs ont trouvé que cela était intéressant!
A l’évidence votre intention est d’annoncer la foi et non pas de parcourir le monde comme un « apôtre de la morale ». Pouvez-vous commenter cela?

Benoît XVI : Oui, naturellement. Il faut avant tout dire que j’avais à ma disposition pour parler en tout deux fois 20 minutes. Et quand on a aussi peu de temps, on ne peut pas en venir à bout en disant simplement non. Il faut savoir avant tout ce que nous voulons réellement, n’est-ce pas? Et le christianisme, le catholicisme, n’est pas une somme d’interdits, mais une option positive. Et il est très important que cela soit à nouveau visible, car aujourd’hui cette conscience a presque totalement disparu. On a tellement entendu parler de ce qui n’était pas permis qu’il est nécessaire de proposer aujourd’hui nos idées positives: nous avons une idée positive à vous proposer à savoir que l’homme et la femme sont faits l’un pour l’autre, que la séquence – pour ainsi dire – sexualité, éros, agapè, indique les dimensions de l’amour et que c’est sur cette voie que se développe en premier lieu le mariage, qui est la rencontre débordante de bonheur et de bénédiction d’un homme et d’une femme, et puis la famille qui garantit la continuité entre les générations, et où les générations se réconcilient entre elles et où même les cultures peuvent se rencontrer. Il est donc important, avant tout de mettre en évidence ce que nous voulons. En second lieu, on peut aussi voir ce que nous ne voulons pas et pourquoi. Et je crois qu’il faut voir et réfléchir, car, et ce n’est pas une invention catholique, l’homme et la femme sont faits l’un pour l’autre afin que l’humanité continue à vivre: toutes les cultures le savent. En ce qui concerne l’avortement, il n’entre pas dans le sixième mais dans le cinquième commandement: « tu ne tueras point!». Et cela nous devons le considérer comme une évidence et nous devons toujours réaffirmer que la personne humaine commence d
ans le sein de sa mère et reste une personne humaine jusqu’à son dernier souffle. L’homme doit toujours être respecté en tant qu’homme. Mais cela devient plus clair si on a commencé par dire ce qu’il y a de positif.

Q : Très Saint Père, ma question se rattache d’une certaine manière à celle du Père von Gemmingen. Dans le monde entier les croyants attendent de la part de l’Eglise catholique des réponses aux problèmes globaux les plus urgents, comme le SIDA et la surpopulation. Pourquoi l’Eglise catholique insiste-t-elle autant sur la morale plutôt que sur les efforts destinés à apporter une solution concrète à ces problèmes cruciaux pour l’humanité, par exemple sur le continent africain?

Benoît XVI : Justement, c’est le problème: est-ce que nous insistons vraiment tant que cela sur la morale? Moi je dirais – et j’en suis toujours plus convaincu après mes entretiens avec les évêques africains – que la question fondamentale, si nous voulons faire des pas en avant dans ce domaine, c’est l’éducation, la formation. Le progrès ne peut être authentique que s’il rend service à la personne humaine et si la personne humaine elle-même grandit, non seulement au niveau de son potentiel technique, mais aussi de ses capacités morales. Et je crois que le vrai problème dans la conjoncture historique actuelle c’est le déséquilibre entre la croissance incroyablement rapide de notre potentiel technique et celui de nos capacités morales, qui n’ont pas grandi de manière proportionnelle. C’est pourquoi la vraie recette c’est la formation de la personne humaine, c’est, selon moi, la clef de tout, et c’est aussi notre option. Et cette formation – pour être bref – a deux dimensions : tout d’abord naturellement nous devons apprendre, acquérir des connaissances, des compétences, know how comme ont dit. L’Europe, et au cours des dernières décennies l’Amérique, ont fait beaucoup dans cette direction, et c’est très important. Mais si on se limite à propager uniquement le know how, si on enseigne seulement la façon de construire et d’utiliser les machines, et le mode d’emploi des contraceptifs, alors il ne faut pas s’étonner si on finit par se retrouver avec des guerres et des épidémies de SIDA. Nous avons besoin de deux dimensions: il faut dans le même temps la formation des cœurs – si je peux m’exprimer ainsi – qui permet à la personne humaine d’acquérir des repères et d’apprendre aussi à employer correctement sa technique. Voilà ce que nous essayons de faire. Dans toute l’Afrique et aussi dans de nombreux pays d’Asie, nous avons un vaste réseau d’école à tous les degrés, où on peut avant tout apprendre, acquérir de vraies connaissances, des compétences professionnelles, et donc obtenir l’autonomie et la liberté. Mais dans ces écoles nous cherchons justement non seulement à communiquer du know-how, mais à former des personnes humaines, qui aient envie de se réconcilier, qui sachent qu’il faut construire et non détruire, et qui aient les repères nécessaires pour savoir vivre ensemble. Les évêques ont institué avec les musulmans des comités communs pour voir comment on peut créer la paix dans les situations de conflit. Et ce réseau d’écoles, d’étude et de formation humaine, qui est très important, est complété par un réseau d’hôpitaux et de centres d’assistance qui rejoint de façon capillaire les villages les plus reculés. Et en de nombreux endroits, malgré les destructions de la guerre, l’Eglise est la seule force qui soit restée intacte. Voilà la réalité! Et là où on soigne, où on soigne aussi le SIDA, on offre aussi une éducation, qui aide à nouer de justes rapports avec les autres. C’est pourquoi je crois qu’il faudrait corriger l’image selon laquelle nous ne faisons que semer autour de nous des « non » catégoriques. En Afrique, justement, on travaille beaucoup, afin que les diverses dimensions de la formation puissent s’intégrer et afin qu’il soit possible de surmonter la violence et les épidémies aussi, parmi lesquelles il faut citer également le paludisme et la tuberculose.

Q : Très Saint Père, le christianisme s’est répandu dans le monde entier à partir de l’Europe. Aujourd’hui, beaucoup pensent que l’avenir de l’Eglise se trouve dans les autres continents. Est-ce vrai? Ou en d’autres termes, quel avenir pour le christianisme en Europe, où il a l’air de se réduire petit à petit à une affaire privée ne touchant qu’une minorité?

Benoît XVI : Tout d’abord je voudrais introduire quelques nuances. En fait, comme nous le savons, le christianisme est né au Proche-Orient. Et pendant longtemps c’est là principalement qu’il s’est développé et il s’est répandu en Asie beaucoup plus que ce que nous croyons aujourd’hui après les changements apportés par l’Islam. D’autre part pour ces raisons justement son axe s’est déplacé sensiblement vers l’Occident et l’Europe, et l’Europe – nous en sommes fiers et nous nous en félicitons – a ultérieurement développé le christianisme dans ses grandes dimensions intellectuelles et culturelles également. Mais je crois qu’il est important de se souvenir des chrétiens d’Orient, puisqu’ils risquent d’émigrer, eux qui ont toujours représenté une minorité importante, entretenant des rapports fructueux avec le contexte environnant. Et le grand danger est que ces lieux d’origine du christianisme se vident de leurs chrétiens. Je pense que nous devons les aider à rester.
Mais venons-en à votre question. L’Europe est devenue certainement le cœur du christianisme et de son mouvement missionnaire. Aujourd’hui les autres continents, les autres cultures, font partie au même titre du concert de l’histoire mondiale. Ce qui fait que le nombre des voix de l’Eglise augmente, et c’est un bien. Il est bon que puissent s’exprimer les divers tempéraments, les dons propres à l’Afrique, à l’Asie et à l’Amérique et en particulier aussi à l’Amérique latine. Tous naturellement sont touchés non seulement par la parole du christianisme, mais aussi par le message séculier de ce monde. Tous les évêques des autres endroits du monde nous disent: nous avons encore besoin de l’Europe, même si l’Europe n’est qu’une partie d’un tout plus vaste. Nous portons aujourd’hui encore laresponsabilité qui nous vient de nos expériences, de la science théologique qui s’est développée ici, de notre expérience liturgique, de nos traditions, et aussi des expériences œcuméniques que nous avons accumulées: tout cela est très important y compris pour les autres continents. C’est pourquoi nous ne devons pas capituler, nous plaindre, nous dire: « Voilà, nous ne sommes qu’une minorité, essayons au moins de sauvegarder notre petit nombre! »; au contraire, nous devons tenir en vie notre dynamisme, nouer des relations afin que nous puissions aussi recevoir des autres des forces nouvelles. Aujourd’hui il y a des prêtres indiens et africains en Europe, et au Canada aussi de nombreux prêtres africains font un travail très intéressant. Il y a cet échange mutuel. Mais si à l’avenir nous recevons davantage, il faudra aussi continuer à donner avec un courage et un dynamisme croissant.

Q : Un thème qui a déjà en partie été abordé, très Saint Père. Les sociétés modernes, lorsqu’il s’agit de prendre des décisions importantes en matière de politique et de science, ne s’inspirent pas des valeurs chrétiennes et l’Eglise – les enquêtes le prouvent – est la plupart du temps considérée uniquement comme une voix qui met en garde, voire qui freine. L’Eglise ne devrait-elle pas sortir de cette attitude défensive et assumer une attitude plus positive vis-à-vis de l’avenir et de sa construction?

Benoît XVI : Je dirais que de toute manière nous avons le devoir de mieux mettre en évidence ce qui pour nous est positif. Et
nous devons le faire en premier lieu dans le dialogue des cultures et des religions, puisque, comme je l’ai déjà dit je crois, le continent africain, l’âme africaine ainsi que l’âme asiatique sont horrifiées par la froideur de notre rationalisme. Il est important qu’elles puissent voir qu’il n’y a pas que cela chez nous. Et réciproquement il est important que notre monde laïciste se rende compte que la foi chrétienne n’est pas une entrave, mais un pont pour le dialogue avec les autres mondes. Il est erroné de croire que la culture purement rationnelle, en vertu de sa tolérance, dispose d’une approche plus facile avec les autres religions. Il lui manque en partie «l’organe religieux » et par conséquent le point d’accroche à partir duquel et vers lequel les autres veulent entrer en relation. C’est pourquoi nous devons, nous pouvons montrer que justement pour la nouvelle inter culturalité, dans laquelle nous vivons, le pur rationalisme libéré de Dieu est insuffisant, mais qu’il faut un rationalisme plus ample, qui considère Dieu en harmonie avec la raison, conscient que la foi chrétienne qui s’est développée en Europe est aussi un moyen pour faire converger la raison et la culture et pour les compléter aussi avec l’action dans une vision unitaire et globale. Dans ce sens je crois que nous avons une tâche importante à accomplir, montrer que cette Parole que nous possédons, n’appartient pas – pour ainsi dire – aux oripeaux de l’histoire, mais qu’elle est nécessaire justement aujourd’hui.

(Fin de la première partie)

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ZENIT Staff

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